Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/37

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Le Matin


L’AURORE sur le front du jour
Sème l’azur, l’or et l’ivoire,
Et le soleil, lassé de boire,
Commence son oblique tour.

Ses chevaux, au sortir de l’onde,
De flamme et de clarté couverts,
La bouche et les naseaux ouverts,
Ronflent la lumière du monde.

La lune fuit devant nos yeux ;
La nuit a retiré ses voiles ;
Peu à peu le front des étoiles
S’unit à la couleur des cieux.

Déjà la diligente avette
Boit la marjolaine et le thym,
Et revient, riche du butin
Qu’elle a pris sur le mont Hymette…

Je vois les agneaux bondissants
Sur ces blés qui ne font que naitre ;
Cloris, chantant, les mène paître
Parmi ces coteaux verdissants.

Les oiseaux, d’un joyeux ramage,
En chantant semblent adorer

La lumière qui vient dorer
Leur cabinet et leur plumage.

La charrue écorche la plaine ;
Le bouvier, qui suit les sillons,
Presse de voix et d’aiguillons
Le couple de bœufs qui l’entraîne.

Alix apprête son fuseau ;
Sa mère, qui lui fait la tâche,
Presse le chanvre qu’elle attache
À sa quenouille de roseau.

Une confuse violence
Trouble le calme de la nuit,
Et la lumière, avec le bruit,
Dissipe l’ombre et le silence…

Les bêtes sont dans leur tanière.
Qui tremblent de voir le soleil.
L’homme, remis par le sommeil,
Reprend son œuvre coutumière.

Le forgeron est au fourneau ;
Vois comme le charbon s’allume !
Le fer rouge, dessus l’enclume,
Étincelle sous le marteau.

Cette chandelle semble morte.
Le jour la fait s’évanouir ;
Le soleil vient nous éblouir :
Vois qu’il passe au travers la porte !

Il est jour : levons-nous, Philis ;
Allons à notre jardinage,
Voir s’il est, comme ton visage,
Semé de roses et de lis.