Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/50
Ode au Cardinal de Richelieu
GRAND Richelieu, de qui la gloire,
Par tant de rayons éclatants,
De la nuit de ces derniers temps
Éclaircit l’ombre la plus noire ;
Puissant esprit, dont les travaux
Ont borné le cours de nos maux,
Accompli nos souhaits, passé notre espérance,
Tes célestes vertus, tes faits prodigieux,
Font revoir en nos jours, pour le bien de la France,
La force des héros et la bonté des dieux.
Le long des rives du Permesse,
La troupe de ses nourrissons
Médite pour toi des chansons
Dignes de l’ardeur qui les presse ;
Ils sentent ranimer leurs voix
À l’aspect de tes grands exploits,
Et font de ta louange un concert magnifique ;
La gravité s’y mêle avecque les douceurs,
Apollon y préside, et, d’un ton héroïque.
Fait soutenir leur chant par celui des Neuf Sœurs.
Ils chantent quel fut ton mérite.
Quand, au gré de nos matelots,
Tu vainquis les vents et les flots.
Et domptas l’orgueil d’Amphitrite ;
Quand notre commerce affaibli,
Par toi puissamment rétabli,
Dans nos havres déserts ramena l’abondance ;
Et que, sur cent vaisseaux maîtrisant les dangers,
Ton nom seul aux Français redonna l’assurance
Et fit naître la crainte au cœur des étrangers.
Ils chantent l’effroyable foudre
Qui, d’un mouvement si soudain,
Partit de ta puissante main
Pour mettre Pignerol en poudre ;
Ils disent que tes bataillons,
Comme autant d’épais tourbillons.
Ébranlèrent ce roc jusque dans ses racines,
Que même le vaincu t’eut pour libérateur,
Et que tu lui bâtis, sur ses propres ruines,
Un rempart éternel contre l’usurpateur.
Ils chantent nos courses guerrières,
Qui, plus rapides que le vent.
Nous ont acquis, en te suivant,
La Meuse et le Rhin pour frontières ;
Ils disent qu’au bruit de tes faits.
Le Danube crut désormais
N’être pas, en son antre, assuré de nos armes ;
Qu’il redouta le joug, frémit dans ses roseaux,
Pleura de nos succès, et, grossi de ses larmes,
Plus vite vers l’Euxin précipita ses eaux.
Ils chantent tes conseils utiles,
Par qui, malgré l’art des méchants,
La paix refleurit dans nos champs,
Et la justice dans nos villes ;
Ils disent que les Immortels
De leur culte et de leurs autels
Ne doivent qu’à tes soins la pompe renaissante ;
Et que ta prévoyance et ton autorité
Sont les deux forts appuis dont l’Europe tremblante
Soutient et raffermit sa faible liberté.
Je pourrais parler de ta race
Et de ce long ordre d’aïeux
De qui les beaux noms, dans les cieux,
Tiennent une si belle place ;
Dire les rares qualités
Par qui ces guerriers indomptés
Ajoutent tant de lustre à nos vieilles histoires,
Et montrer aux mortels, de leur gloire étonnés,
Quel nombre de combats, d’assauts et de victoires
Les rend dignes des rois qui nous les ont donnés.
De quelque insupportable injure
Que ton renom soit attaqué,
Il ne saurait être offusqué :
La lumière en est toujours pure.
Dans un paisible mouvement,
Tu t’élèves au firmament,
Et laisses contre toi murmurer sur la terre.
Ainsi, le haut Olympe, à son pied sablonneux
Laisse fumer la foudre et gronder le tonnerre,
Et garde son sommet tranquille et lumineux.