Chez les fous/17

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Albin Michel (p. 189-193).


MADAME GASTON SORT EN VILLE


Madame Gaston est une « payante ». Elle doit sortir aujourd’hui faire des achats. Sœur Agathe l’accompagnera.

Voilà la sœur et la dame dans la rue. Le vent pique… On ne voit qu’un tout petit bout du nez de Mme Gaston. Le couple va bien. La sœur pose sa main sur le bras de sa compagne et lui dit certainement : « Vous marchez trop vite. » La compagne accélère. La sœur aussi, moi de même à vingt pas derrière.

Nous enfilons la rue Georges-Clemenceau. C’est une course à fond de train. Soudain Mme Gaston bloque les freins. Qu’elle soit bénie ! C’est la devanture d’un marchand de pipes qui nous vaut de souffler. La dame entre chez le pipier. La sœur entre chez le pipier. J’entre chez le pipier.

— Une pipe, Monsieur ? demande le pipier.

— Oh ! non ! pas pour moi, dis-je.

— Faites-moi voir des pipes, fait Madame Gaston.

— Pardonnez-lui, Seigneur, susurre la sœur.

On pose une boîte pleine de pipes devant Mme Gaston. Elle suce tous les bouts tour à tour, comme si c’était du zan. La sœur la tire par la manche. Le pipier n’en pipe plus.

— Donnez-moi deux pipes, dit la dame.

— Deux ! s’exclame la sœur.

En route ! Arrêt à la Pâtisserie Suisse. Gâteaux. Jusqu’au quatrième gâteau, la sœur ne dit rien. Quand la pensionnaire piqua de sa fourchette les gâteaux cinq et six : « C’est assez, dit la sœur, vous allez vous faire mal. » Mme Gaston saisit aussitôt deux autres tartes aux cerises. La sœur lui arracha l’assiette. Mme Gaston ouvrit son sac et, sous l’œil noir de la pâtissière, y jeta quatre choux à la crème.

Départ. La sœur doit offrir cette promenade à Dieu pour qu’elle lui compte à l’heure de la mort ! On entre dans un magasin de nouveautés. La dame rouvre son sac. Les gâteaux n’y ont pas fait du joli ! Elle en retire une feuille de papier et la lèche – à cause de la crème. Mme Gaston vient acheter une chemisette et des pantoufles. Soudain, elle ôte ses gants, montre ses doigts rongés par elle et crie à la clientèle : « C’est sœur Agathe qui me mange les doigts. Regardez ! Regardez ! »

La clientèle regarde. Sœur Agathe baisse la tête. Et je sors lâchement par une autre porte.