Chez nos gens/1

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Éditions de l’Action Sociale Catholique (p. 9-14).


LA MAISON




IL y en avait de plus grandes ; il n’y en avait pas de plus hospitalières. Dès le petit jour, sa porte matinale laissait entrer, avec le parfum des trèfles, les premiers rayons du soleil. Et jusqu’au soir, elle offrait aux passants le sourire de ses fenêtres en fleurs, l’accueil de son perron facile, l’invitation de sa porte ouverte. De si loin que vous l’aperceviez, elle vous plaisait déjà, et, quand vous étiez tout proche, elle se faisait si attrayante que résister à son appel devenait impossible ; nulle clôture n’en défendait l’accès : vous entriez. Dès l’abord vous étiez chez vous. « Asseyez-vous, l’ami, et prenez du repos. » Travaillait-on — et l’on travaillait toujours — on s’interrompait pour vous bienvenir. Si vous étiez altéré, le banc des seaux était là, avec la tasse à l’eau, reluisante et toujours amain. La table était-elle mise, vous étiez convié, et sur la plus belle des assiettes à fleurs le meilleur morceau vous était servi. Si vous arriviez à la tombée de la nuit et aviez encore loin à cheminer, on ouvrait pour vous la chambre des étrangers, la plus grande et qui avait le meilleur lit… Qui donc n’arrêtait pas chez nos gens, ne fût-ce que pour apprendre des vieux quel temps il devait faire le lendemain ? Seuls, les hôtes mauvais passaient tout droit, et d’un pas plus pressé, devant la maison hospitalière.

Il y en avait d’une parure plus opulente ; il n’y en avait pas de meilleures à voir. Ses quatre murs, solides, fortement liés, de tout repos, inspiraient d’abord confiance. Les pierres étaient bien vieilles ; mais, à chaque printemps, elles faisaient leur toilette à la chaux, et il n’y avait guère de maisons aussi blanches dans la paroisse. Et voyez-vous comme, sur cette blancheur mate et chaude, les volets verts se détachaient et réjouissaient l’œil ?… Une petite vigne canadienne, accrochant ses vrilles aux balèvres du long pan, grimpait du solage aux acoyaux, courait sous le larmier, et allait vers le soleil pousser ses plus belles feuilles au pignon. Le toit aussi était agréable à regarder, avec ses bardeaux goudronnés, la lisière blanche de son cadre, ses lucarnes en accent circonflexe, son faîtage pointu, et sa cheminée de pierres plates. Au coin du carré, sous le dalot, une tonne recueillait l’eau de pluie, douce et précieuse ; à la devanture de sable fin, un banc, deux lilas, quelques gros cailloux blanchis… Tout cela était clair, propre, bien ordonné ; tout cela convenait. Je ferme les yeux, et je la revois encore, la maison de nos gens, blanche, dans la lumière, sur le chemin du roi.

Il y en avait où la gaieté était plus bruyante ; il n’y en avait pas de plus profondément joyeuses. On savait, là, tous les cantiques ; on savait, là, toutes les chansons. Et on les chantait bellement, avec des fions les plus jolis du monde. La vie n’était pourtant pas moins rude à nos gens qu’aux autres ; ils devaient, eux aussi, trimer dur pour gagner leur pain ; et l’épreuve était venue, année après année, faire leurs pas plus lourds, leurs fronts plus ridés. Mais l’âme de ces anciens était forte ; le malheur même n’en avait pu troubler le calme profond. Ils savaient que cette vie n’est rien, et, résignés aux tristesses d’ici-bas, pleins d’une confiance sereine, en paix avec la terre, en paix avec le ciel, ils laissaient simplement couler leurs jours vers la Grande Espérance. Matin, midi et soir, nos gens priaient ensemble ; et, parce qu’ils avaient prié, les tâches étaient plus douces, les fardeaux moins lourds, les peines plus vite consolées. Aussi, la joie était-elle revenue, après chaque deuil, habiter cette maison, comme l’oiseau retourne à son nid.

Qu’il faisait bon vivre chez nos gens !

Soudain, et comme par miracle, on s’y trouvait délivré de tous les soucis, loin de tous les tracas, à l’abri de toutes les intrigues. Rien de mal ne se pouvait concevoir sous ce toit béni. On y passait des jours de paix heureuse et secrète. On y était meilleur…

Qu’il eût fait bon mourir chez nos gens !