Choses vues/1850/Dans la rue

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Ollendorf (Œuvres complètes. Tome 26p. 63).


1850.


[DANS LA RUE.]


27 février 1850.

Tout à l’heure je revenais de l’Assemblée en omnibus. Il était six heures et demie. Le soir tombait. Les boutiques s’éclairaient. Comme je descendais d’omnibus faubourg Poissonnière, au coin de la rue Bellefond, un gros de cuirassiers, le sabre au poing, a passé près de nous, venant par la place Lafayette. — Tiens ! a dit le conducteur, ce doit être le président.

En effet, après les cuirassiers est venue une berline à deux chevaux entourée d’autres cuirassiers, avec des officiers aux portières, et serrée de si près par cette cavalerie que c’était sinistre. Cela ressemblait autant à quelqu’un qui va à Vincennes qu’à quelqu’un qui va à l’Élysée. Cependant il y avait derrière la berline deux laquais portant la livrée de l’empereur, vert et or. On ne distinguait personne dans la voiture, à cause de la nuit. Les lanternes de la berline n’étaient pas encore allumées. Derrière l’escorte venait une seconde voiture pareille à la première, avec la même livrée, et vide, un en-cas ; puis deux de ces petits coupés bas qu’on appelle escargots ; puis un cabriolet de place. Bizarre cortège qui commençait par le carrosse de l’empereur et qui finissait par un fiacre.

Le peuple regardait à peine. Des gens en blouse criaient : Vive la République ! Un enfant criait : Vive l’Empereur ! Une vieille femme lui dit : — Attends donc qu’il ait fait quelque chose !