Choses vues/Extraits des Carnets/Dernières années

La bibliothèque libre.
Ollendorf (Œuvres complètes. Tome 26p. 225-242).


1875-1884.


1875.


Paris. 12 mars. — Un sergent de ville de la rue de Clichy, à qui Mme  Robert a demandé mon numéro, a répondu : — Monsieur Victor Hugo ? je le vois quelquefois passer avec ses complices.


27 mars. — Edgar Quinet est mort ce matin à cinq heures. C’était une grande âme et un noble esprit. Sa veuve m’a envoyé un télégramme[1].


28 mars. — Mme  Versigny est venue de la part de Mme  Quinet me prier de parler demain.

M. Henri Brissou[2] est venu, au nom de la gauche, me demander de parler demain.

Madier de Montjau[3] est venu me demander d’affirmer demain la République.


30 mars. — Hier, à l’enterrement de Quinet, une femme du peuple, m’a crié : Ne mourez pas[4] !


Guernesey. 24 avril. — Je lis l’Alceste d’Euripide. Il y a autre chose à faire.


Paris. 10 mai 1875. — À trois heures, je suis allé à l’Académie pour la discussion des candidats aux places de Jules Janin et de Guizot. On a discuté Jules Simon et Dumas (le chimiste). J’avais à côté de moi M. Émile Ollivier, qui m’a profondément salué, mais en silence. MM. de Sacy, Claude Bernard et Nisard ont parlé pour M. Dumas. MM. Legouvé et Mignet, pour M. Jules Simon. Je n’ai rien dit.

En sortant, Alexandre Dumas fils m’a abordé. Je lui ai dit : — Il y a deux Dumas ; l’Académie des sciences en a un, l’Académie française a l’autre. Que chacune garde le sien. Moi, je suis content du nôtre.


13 mai. — Comme je passais sous la porte qui va à la seconde cour de l’Institut, fracas d’une voiture princière. J’y vois quelqu’un qui me salue. C’est le duc d’Aumale. Nous causons. Je lui demande un vote sérieux contre l’empire, représenté par l’ex-sénateur Dumas. Il me dit : — Je ne puis qu’une chose, m’obstiner dans mon vote solitaire et faire manquer l’élection. Cela vous va-t-il ? — Oui, lui dis-je. — C’est convenu. Nous nous serrons la main. Nous entrons.

On scrutine. John Lemoine est nommé pour remplacer Jules Janin.

Quant au fauteuil de Guizot, quatre tours de scrutin sans résultat. Il faut 18 voix. Jules Simon en a 17, Dumas, 17, Laugel, 1[5]. Cette voix unique persiste. C’est le vote du duc d’Aumale. — Renvoi à six mois.


1er juin. — M. de Rémusat, que j’avais vu le 13 mai à l’Académie, et qui était fort gai ce jour-là, est mort. L’autre jour, il entre au Vaudeville, a chaud, sort, a froid, rentre avec la fièvre et il est mort ce matin à sept heures. C’était un esprit probe, fin et fort, sans grandeur.


1er juillet. — Mme  Marie Laurent est venue me dire le Revenant qu’elle dit ce soir à la Gaîté au bénéfice des inondés.

L’état de siège ne veut rien laisser dire de l’Année terrible.


23 septembre. — J’ai écrit ce matin mes dispositions, notamment pour la publication des choses inédites que je laisserai après ma mort. Je désigne pour cette publication, mes fils bien-aimés n’étant plus là, trois amis : Paul Meurice, Auguste Vacquerie et E. Lefèvre.


22 octobre. — M. Ernest Thomas, gendre de ce brave Morin qui fut le premier maître de mes fils, m’a apporté les deux portraits de Charles enfant et de Victor enfant, faits par leur mère, en 1837, et donnés par elle à M. Morin. M. Ernest Thomas m’a offert ces portraits si précieux pour moi. M. Morin est mort.

Charles ressemble à Georges et Victor à Jeanne.

23 octobre. — Je reçois pour le tombeau de mes chers morts une grande couronne noire faite de deux branches, l’une de chêne, l’autre de laurier, et une lettre d’envoi très touchante, d’une femme, une ouvrière, qui signe C. F.[6].


9 novembre. — On est venu me demander de laisser dessiner mon salon pour la Chronique illustrée de M. Montrosier. J’ai consenti et j’ai invité M. Montrosier à dîner pour vendredi avec Monselet. J’ai pris une plume et j’ai écrit sur le coin de la table cette invitation à Monselet :


Mandat impératif : viens dîner vendredi.
Âtre ardent, soupe chaude, et cœur pas refroidi.

V. H.


30 novembre. — Nous avons dîné seuls avec les enfants. Ils ont invité Élisée et Henri. Après le dîner ils ont joué dans le salon. Comme je les gourmandais un peu, Jeanne m’a engagé à avoir soin de ma popularité en ces termes : Ne gronde pas les autres quand on t’aime.


1876.


8 janvier. — J’ai vu aujourd’hui dans l’omnibus une pauvre vieille femme tout en deuil qui cachait ses yeux dans ses mains et qui pleurait. J’ai prié pour elle, et dans le fond de ma pensée je l’ai bénie, et j’ai supplié Dieu de prendre en pitié cette douleur que je voyais et ce malheur que j’ignorais.


21 janvier. — Nous avons eu à dîner les membres du jury pour le concours Michaëlis[7] : MM. É. Augier, E. Legouvé et E. Perrin (directeur du Théâtre-Français). Après le dîner, on a jugé le concours. Pas de premier prix. Un second prix (2 000 fr.) [M. Villiers de l’Isle Adam] et un autre second prix. Enfin un troisième prix (M. A. Michel).


25 janvier. — Miss Yung m’écrit de Londres qu’on vient de placer dans le foyer du théâtre de Drury Lane quatre bustes de grandeur colossale : Shakspeare, Walter Scott, Byron et moi.


27 janvier. — Frédérick Lemaître est mort. C’était le plus grand acteur de ce temps.

Ont dîné avec nous Gambetta, Spuller, Mme  Ménard, la petite Marthe Féval qui a trois ans. Comme elle n’était pas sage à table, Jeanne lui a dit : Marthe ! Monsieur Victor Hugo te regarde ! Gambetta a dit : — C’est le mot des Pyramides dit par un enfant de six ans à un de trois.


4 avril. — J’ai vu hier pour la première fois Dupanloup[8]. Nez crochu, face rouge, air furieux.


5 avril. — Rencontré sur un omnibus un homme brun, moustachu, barbu, vulgaire, accent méridional. C’est un belluaire. Il s’appelle Pezon. Il m’a dit : — Je vais en avoir douze (douze lions). Il faut savoir s’en servir de ces gars-là. Un lion, on n’a qu’à sauter dessus. Ce n’est pas plus malin que ça.


31 mai. — Le sultan est déposé. C’était un imbécile coûteux. Cet Abdul-Aziz est remplacé par son neveu, un Mourad V.


4 juin. — Le nouveau sultan, Mourad V, a fait traduire les Orientales en turc.


5 juin. — Mourad V traduit si bien les Orientales qu’il vient de faire étrangler Abdul-Aziz.


11 août. — Ce matin, à Versailles, j’ai déjeuné chez M. Floquet, qui habite l’ex-prison de Bazaine. C’est une fort jolie maison dans un très beau jardin. Tout cela est plein d’arbres et d’oiseaux. Louis Blanc, Madier de Montjau et Scheurer-Kestner[9] ont déjeuné avec nous. Après le déjeuner Louis Blanc m’a lu le manifeste qu’il vient de faire au nom de l’extrême-gauche de la Chambre des députés, et qui sera publié demain.

Au Sénat, le comte Rampon, président du centre gauche, et M. Magnin, l’ancien ministre du commerce du siège de Paris, président de la gauche, sont venus, au nom de leurs groupes, me prier de présider toute la gauche (les membres restant à Paris), pendant les vacances, jusqu’à la rentrée, qui aura lieu en novembre.


1er septembre. — Rochefort m’a écrit pour me demander l’autorisation de faire encarter les prospectus de son livre dans les livraisons de Quatre-vingt-treize. Je lui réponds que je consens.


6 octobre. — La guerre semble imminente.


12 otobre. — M. Victor Cochinat a dîné avec nous. Il désire entrer à l’Homme libre, nouveau journal de Louis Blanc. Je lui ai donné une lettre pour Louis Blanc.


19 octobre. — La question serbe s’aggrave, la Bourse baisse. Pourtant je ne crois pas à la guerre européenne. Les rois n’ont aucun intérêt à ouvrir cette cage-là.

29 octobre. — Une noble femme, une ouvrière de Paris, la même que l’an passé, qui ne signe pas, m’envoie une grande couronne de jais noir pour le tombeau de mes fils.


1er novembre. — Une dépuration du xxe arrondissement est venue me demander de répondre au discours étrange de Gambetta[10]. Étant attaqué par ce discours, ce n’est pas à moi à répondre. J’aurais l’air de me défendre. Je ne me défends jamais. Je l’ai dit à ces braves hommes. Ils ont compris.


1877.


2 septembre. — Talmeyr est réserviste. Il a bousculé son fourrier. On craint un conseil de guerre. Je vais m’occuper de le tirer de là.


4 septembre. — Thiers est mort hier soir. D’une attaque d’apoplexie. Après le dîner, à neuf heures, je suis allé à la réunion des sénateurs, rue Louis-le-Grand. On a délibéré sur l’incident de la mort de Thiers.


6 septembre. — Mme  Thiers faisant ses conditions, le gouvernement retire le décret qui faisait faire par l’État les funérailles de Thiers.


8 septembre. — Aujourd’hui enterrement de Thiers. J’y suis allé. Trajet à pied de la maison place Saint-Georges à Notre-Dame de Lorette ; de là au Père-Lachaise par les boulevards. Foule immense. Discours médiocres. Il y a eu des choses touchantes, la bannière de Belfort.


11 septembre. — J’ai écrit il y a trois jours au général Deligny pour Talmeyr (Maurice Coste). Il y a ordonnance de non-lieu.


19 septembre. — Manifeste de Mac-Mahon. Un homme provoquant la France[11].


20 septembre. — Mac-Mahon a fait hier 19 l’ouverture de l’avenue de l’Opéra. Huées. Rires. Aboiement d’un chien.


20 septembre. — Talmeyr est arrivé à la fin du dîner. Je l’ai embrassé. Il m’a dit : Vous m’avez sauvé de dix ans de fers.


5 octobre. — M. Sorel, secrétaire de la présidence du Sénat, est venu de la part du président du Sénat m’informer que le gouvernement médite des poursuites contre l’Histoire d’un crime. Le président du Sénat fera son devoir et soutiendra l’inviolabilité des sénateurs. Quant à moi, j’accepte le combat.


6 octobre. — Le prince de Hohenlohe a dit : Fourtou[12] est un Morny de province.


7 octobre. — On a mis en vente hier l’édition à 2 francs de l’Histoire d’un crime. On en a vendu 22 000 avant midi.


9 octobre. — On dit ce soir Gambetta arrêté. Je n’en crois rien. Mais tout est possible aux insensés régnants.


14 octobre. — Nos convives habituels du dimanche, Paul Meurice, plus MM. Dulac et Siffren, Gustave Frédérix et M. Gaston Bérardi à qui le prince Orloff a conté ce matin qu’il venait de voir Mac-Mahon, lequel, devinant les élections, lui a dit : Mes ministres m’ont f… dans la m…


11 novembre. — Rochefort m’envoie une énorme truite saumonée du lac de Genève pêchée par lui-même.

Ce soir fortes anxiétés. Situation grave. Mac-Mahon.


12 novembre. — Première escarmouche à la Chambre. Demande d’enquête.


13 novembre. — Broglie, après le discours d’Albert Grévy, a dit : Ils ont un général.


2 décembre. — Voici l’anniversaire. On dirait qu’il va être célébré par lui-même, et que le crime est à son poste pour recommencer. Le premier ministre actuel est Rochebouët[13], un des mitrailleurs du boulevard Montmartre. — Depuis trois jours le temps m’a manqué pour écrire ce petit mémento quotidien. Les choses sont étrangement obscures.


10 décembre. — Tout à faire à la fois. Le temps m’a manqué pour les notes au jour le jour. J’ai donné le dimanche 8, au Grand-Hôtel, un dîner à la presse littéraire de tous les journaux[14]. Il y avait cent quarante-huit convives. Sarah Bernhardt était à ma droite.

Pendant ce temps-là, tout est sombre. Mac-Mahon continue d’être une calamité publique.

Il y a eu hier Sénat. Nous avons passé (les délégués des trois gauches du Sénat) tout le temps de la séance publique en comité secret. Plusieurs résolutions graves ont été abordées et débattues.

Aujourd’hui 10 décembre nous avons eu encore comité secret des délégués des gauches du Sénat. On ne sait s’il y a un ministère. Ils sont tous faits le matin et défaits le soir.

Sénat. Rien que de l’anxiété. Nous avons eu trois séances secrètes.


13 décembre. — Ministère Dufaure. Demi-solution.


14 décembre. — Convocation d’urgence au Sénat pour une communication du gouvernement.


27 décembre. — Vacquerie m’a annoncé que Bardoux (le ministre de l’instruction publique) l’avait informé qu’il voulait me donner la grand’croix de la Légion d’honneur, avec prière de me sonder là-dessus[15].


1878.


26 janvier. — Dialogue :

Mac-Mahon. — Voyons, Ducrot, raccommodons-nous.

Ducrot grogne.

Mac-Mahon. — Voyons, Ducrot, mon vieux camarade, venez dîner avec moi aujourd’hui.

Ducrot. — Je ne peux pas.

Mac-Mahon. — Pourquoi ?

Ducrot. — Je vais ce soir à Hernani.

Mac-Mahon. — Amenez-le.


28 janvier. — Je suis allé au Sénat pour faire nommer Léon Dierx employé à la questure. J’ai réussi.


7 février. — Louis Blanc est venu hier me demander, de la part de Mme  Ledru-Rollin, de parler à l’inauguration du monument de Ledru-Rollin au Père-Lachaise, le 24 février. Louis Blanc parlerait, ainsi que Crémieux et Garnier-Pagès (s’ils peuvent, vu leur âge)[16].


22 mars. — Nous sommes allés à la Porte-Saint-Martin à la première des Misérables[17] Grand succès. On a nommé mon Charles. La pièce est bien jouée. Il y a une charmante petite Cosette. Georges et Jeanne y étaient.


7 mai. — Dispositions prises pour le centenaire de Voltaire.


21 mai. — Aujourd’hui Sénat. On annonce la question de Dupanloup. Bavardage de Dupanloup contre Voltaire.


11 juin. — Aujourd’hui j’irai à l’Académie. Discussion des candidats. J’y suis allé à trois heures et demie. Saint-René Taillandier et Sacy ont parlé l’un pour Wallon, l’autre pour Renan.


12 juin. — Je suis allé à l’Institut. 34 membres présents.

élus.
Henri Martin (Thiers) 18 voix.
Ernest Renan (Claude Bernard) 19

Le duc d’Aumale est venu me serrer la main. Je lui ai dit un mot qui l’a déterminé à voter comme moi[18].

En rentrant, j’ai trouvé dans le salon un très beau dessin au fusain de Benjamin Constant : Jeanne, Georges et moi, avec un fond superbe.


1879


28 août. — Jour du départ pour Veules[19]. Nous sommes partis de Paris à une heure cinq minutes. Ciel gris. Temps froid. Arrivée à Motteville à quatre heures par une pluie à verse. Là nous trouvons un petit omnibus local. Trois heures de route. De bons chevaux. Nous arrivons à Veules à sept heures vingt minutes. Le trajet eût été charmant sans le mauvais temps. Jolis paysages entrevus à travers la pluie. À notre descente à Veules, les nuages s’écartent et le soleil couchant se montre superbe. La mer aussi.


29 août. — J’occupe un beau pavillon sur la mer. Très grande chambre en bois du plus beau style. À côté un cabinet.


2 septembre. — Hier dimanche, la société musicale a voulu me donner un concert. Le maire, qui est bonapartiste, s’y est opposé. Ils ont exécuté sur le rivage la Marseillaise et le Chant du départ.


9 septembre. — Jusqu’à notre arrivée mer maussade, à notre arrivée, mer charmante, aujourd’hui, une terrible tempête.


11 septembre. — Nous partons à deux heures un quart, nous sommes à Caudebec à sept heures. Nous y rencontrons Mme  Ernest Lefèvre, charmante, venue avec M. et {Mme  Glaize, dans un panier qu’elle mène elle-même. À sept heures et demie à Villequier. Auguste Vacquerie, sur le seuil, nous attend. Nous sommes installés avec une grâce tout hospitalière.


11 septembre. — Après le déjeuner, je suis allé au tombeau de ma fille. Le cimetière touche à l’église. Le tombeau de Léopoldine est au centre d’une grande tombe de famille composée de tombeaux séparés. Son mari est près d’elle, avec une inscription qui rappelle leur mariage et leur mort.

Au bas, on lit :

De profundis clamavi ad te.

Devant est le tombeau de ma femme, avec cette inscription :

ADÈLE
FEMME DE VICTOR HUGO.

Autour sont les tombeaux de la famille Vacquerie. Prière. Amour.

Je suis resté là jusqu’à six heures du soir. Je suis entré dans l’église. L’église de Villequier est du xve siècle. Simple, mais belle et bien tenue.


13 septembre. — À deux heures et quart nous partons en voiture pour deux visites, l’une à la ruine de Bocheville, l’autre à la ruine de Jumièges. Nous arrivons à Bocheville à trois heures. Nous voyons tout ce qui reste de l’ancien monument, plus le cloître. Bocheville appartient aujourd’hui au duc de Stagpoole, protestant converti. À la mort de sa femme, il s’est fait prêtre, et il est camérier du pape.

Nous partons de là à quatre heures. Nous sommes à Jumièges à cinq heures. Nous en repartons à six heures et demie. Bocheville et Jumièges sont deux restes admirables.


17 septembre. — Vu de mon lit le mascaret.


18 septembre. — Je suis allé au tombeau. Prière. Ils m’entendent. Je les entends.


19 septembre. — À une heure un quart, départ pour Tancarville. Temps charmant. Pays charmant. Nous sommes à Tancarville à trois heures. C’est une ruine de forteresse sur une ruine d’écueil. Rien de plus beau. Nous visitons tout. Avant les réclamations de Lamartine à la Chambre des députés et de moi à la Chambre des pairs, la mer venait battre le pied du rocher. À présent il s’élève avec une vaste plaine à ses pieds.

Nous partons de Tancarville à quatre heures et demie et à cinq heures nous voyons Lillebonne. Très beau clocher du xve siècle qu’on répare en ce moment. Cirque romain, très curieux et très beau aussi. — Nous partons de Lillebonne à six heures et demie.

Rentrés à Villequier à huit heures. Magnifique journée.


20 septembre. — Arrivés à Paris à cinq heures.


1er novembre. — Envoi d’une couronne pour Charles et François-Victor par une ouvrière qui signe C. F. C’est la même. Elle ne veut pas se faire connaître. — L’homme porteur de la couronne, pressé par Mariette, a fini par dire le nom : Mme  Clémence Florentin, 5, rue des Trois-Frères.


1881.


6 Janvier. — Je suis allé à l’Académie pour Deschanel à nommer au Collège de France. Il y aura demain 7 janvier quarante ans que je suis de l’Académie. Si Mignet mourait avant moi je serais le doyen.


26 février. — Ma fête[20]. Après le déjeuner est venu Émile Allix, Louis Ulbach avec toute la représentation de l’Internationale[21]. Il m’a apporté deux gros volumes contenant 10 000 signatures. Ma médaille m’arrive d’Italie. Couronne de la Comédie-Française.


28 février. — Il est arrivé ces jours-ci de tous les points du globe (jusqu’à Élisabeth-grande, ville de la plus lointaine frontière russe) des télégrammes, lettres, envois de toute espèce, au moins deux mille exemplaires auxquels il est impossible de répondre.


24 juin. — Hier Schœlcher a apporté au Sénat un exemplaire de Notre-Dame de Paris d’il y a cinquante ans, formé d’épreuves corrigées par moi. Cet exemplaire a été payé 2 000 francs.


9 juillet. — Saint-Victor est mort. Coup violent. J’ai pleuré. C’était une noble et grande âme. Il était de ma famille dans le monde des esprits. C’était un cœur et un esprit qui ne se perdent pas. Il faudra s’occuper de sa fille.

C’est la fête de Passy. Passy fait de sa fête ma fête. Elle a envoyé une marche aux flambeaux, deux bouquets d’artifice, etc., devant ma maison. Depuis deux heures (ce soir) foule énorme et acclamations devant ma porte.


10 juillet. — La fête continue. Musiques et fanfares ne cessent de défiler.


12 juillet — On met aujourd’hui à l’avenue d’Eylau le nom d’avenue Victor Hugo.


1er novembre. — L’ouvrière républicaine, cette noble femme qui ne signe pas autrement et qui veut laisser son nom ignoré, a envoyé le don habituel du jour des morts qu’elle fait à mes fils.


11 novembre. — Nous sommes allés avec Alice et les deux enfants à l’hôtel du Ministre des Postes. À la porte, nous avons rencontré Berthelot[22] qui venait. Nous sommes entrés. C’est très curieux. On se met aux oreilles deux couvre-oreilles qui correspondent avec le mur, et l’on entend la représentation de l’Opéra, on change de couvre-oreilles et l’on entend le Théâtre-Français, Coquelin, etc. On change encore et l’on entend l’Opéra-Comique.

Les enfants étaient charmés et moi aussi. Nous étions seuls avec Berthelot, le ministre, son fils et sa fille qui est fort jolie.


8 décembre. — Nomination aux trois vacances de l’Académie. Je vais à l’Institut à midi et demi. — L’Académie est à son complet actuel (trente-trois membres). — On est bonhomme et personne ne se douterait que c’est un tas d’ennemis. On vote, après les petites bêtises d’usage, serment, etc. Le portrait de Richelieu est au fond de la salle.

Premier choix. Place de Dufaure. M. Sully-Prudhomme, élu.

Il y a eu deux tours de scrutin. J’ai donné deux fois ma voix à M. Eugène Manuel.

Deuxième choix. Place de Littré. M. Pasteur, élu.

Troisième choix. Place de Duvergier de Hauranne. M. Cherbuliez, élu.

Il y a eu je ne sais combien de tours de scrutin. J’ai donné six fois ma voix à M. de Bornier.


12 décembre. — Sénat. Gambetta a très bien parlé. J’ai été content. À la fin de la séance il est venu me voir à mon banc et nous avons causé. Il viendra dîner un de ces jours. Je lui ai dit de prendre le jour qu’il voudrait.


1882.


8 janvier. — Je vais aux élections sénatoriales. Premier tour de scrutin, midi. Je reviens déjeuner. Le deuxième tour est à deux heures. J’y vais. À mon arrivée au pavillon de Flore, je suis entouré d’une foule criant : — Vive Victor Hugo ! Vive notre premier sénateur ! — Il y a en effet deux sénateurs nommés. Je suis le premier. Peyrat est le second. Il en reste trois à désigner. Je reste. Mon vote porte Labordère, Barodet, Engelhart.

Je rencontre Gambetta. Je l’invite le jour qu’il voudra, qu’il vienne, son couvert sera mis. Il accepte avec enthousiasme.

C’est Allain-Targé[23] qui m’a le premier appelé Monsieur le sénateur. Je lui ai dit en riant : Oui, monsieur le Ministre.


20 mars. — Les journaux annoncent que j’ai sauvé la vie à cinq des condamnés ; je vais faire effort pour les autres.

La nouvelle est arrivée pendant que j’étais à table. Je me suis levé et j’ai dit : — Je bois au czar qui vient de faire grâce à cinq condamnés et qui la fera à tous.

Applaudissement. Les journaux diront la chose et le czar la lira. Si le bon effet continue, ce sera beau.


26 mars. — Banquet à l’occasion de la 100e représentation de Quatre-vingt-treize[24] Je suis un de ceux qui invitent. Paul Meurice est l’autre.


27 mars. — À minuit et demi le souper a eu lieu. J’ai dit quelques mots, double remerciement aux acteurs qui avaient joué Quatre-vingt-treize et aux journalistes qui avaient bien accueilli la pièce. J’étais assis entre Mme  Marie Laurent et Mlle  Gautier[25]. On était une centaine. Souper excellent et fort cordial. Larochelle[26] m’a adressé un speech. Je suis parti à trois heures, les laissant en fort bon appétit.

21 décembre. — Je suis tourmenté par la pensée de cet Oberdank. Je me décide à écrire aujourd’hui à l’empereur d’Autriche que la peine de mort, pour tout homme civilisé, est abolie[27].

Ce soir, j’apprends, par le gendre de Meurice, qu’il a été exécuté hier. — Ma lettre était partie.


1884.


22 février. — Je suis allé aujourd’hui au Sénat. Le hasard m’a fourni une séance presque orageuse. Il s’agissait d’une loi sur les syndicats ouvriers. Corbon a parlé, et bien parlé. Il est président de la commission.

Il y a eu, d’abord, élection à l’Académie.

François Coppée 24 voix, contre 11 Montégut.

F. de Lesseps 22 voix, contre 11 billets blancs.


25 février. — J’ai rêvé du Sénat. J’y ai parlé. J’y ai prononcé en terminant ces paroles que j’y ai dites en rêve et que j’y dirai peut-être en réalité :

« La France libre veut les peuples libres. Ce que veut la France, ce que la France demande, elle l’obtiendra. Et de l’union des libertés dans la fraternité des peuples, naîtra la sympathie des âmes, germe de cet immense avenir où commencera pour le genre humain la vie universelle et qu’on appellera la paix de l’Europe. »


7 juin. — La République affirme le droit et impose le devoir.


30 novembre. — J’ai été visiter la statue colossale en bronze de Bartholdi pour l’Amérique. C’est très beau.

J’ai dit en voyant la statue : — La mer, cette grande agitée, constate l’union des deux grandes terres apaisées.

On me demande de laisser graver ces paroles sur le piédestal.


  1. Télégramme collé sur la page blanche du carnet :

    Votre ami Quinet a quitté cette terre ce matin à cinq heures. À vous qui l’aimez, je vous envoie ce cri de douleur.

    Veuve Edgard Quinet.
    (Note de l’éditeur.)
  2. Président de l’extrême gauche. (Note de l’éditeur.)
  3. Avocat ; défendit à ce titre beaucoup d’insurgés en juin 1848 ; exilé après le coup d’état du 2 décembre ; devint député de la Drôme en 1874. (Note de l’éditeur.)
  4. Obsèques d’Edgar Quinet, voir Actes et Paroles, Depuis l’exil. (Note de l’éditeur.)
  5. Laugel, secrétaire du duc d’Aumale. (Note de l’éditeur.)
  6. Voici cette lettre collée en regard de ces lignes sur la page blanche du carnet :
    À Monsieur Victor Hugo

    Permettez à une ouvrière républicaine de vous offrir une couronne pour vos chers morts.
    Bien faible hommage de mon admiration pour vous.
    C’est mon travail. Daignez l’accepter. Cela me portera bonheur.
    Une lectrice du Rappel.
    C. F.

    (Note de l’éditeur.)
  7. Le sujet du concours, organisé par M. Michaëlis, était la célébration du centenaire de Philadelphie. Les concurrents devaient présenter un acte en vers. Le Nouveau Monde, l’acte de Villiers de l’Isle Adam, partagea le second prix avec : Un grand citoyen, drame en vers de MM. Armand d’Artois et Lafaille. (Note de l’éditeur.)
  8. Dupanloup, évêque d’Orléans, élu député du Loiret en 1871, ennemi acharné de la politique et des doctrines libérales de Victor Hugo. (Note de l’éditeur.)
  9. Membre de l’Assemblée nationale en 1871, devint sénateur inamovible en 1875. Il fut le promoteur de la revision du procès d’Alfred Dreyfus. (Note de l’éditeur.)
  10. Dans un discours prononcé le 27 octobre à Belleville, Gambetta avait dit : « Ceux qui veulent l’amnistie totale sont mus par une générosité de sentiments ; mais qu’ils me permettent de leur dire qu’ils sont dupes de leur cœur, et qu’ils trahissent, bien à leur insu, la cause qu’ils veulent servir. » — Or Victor Hugo n’avait jamais cessé de réclamer l’amnistie pleine et entière.
    Un autre passage du discours faisait allusion aux exilés du coup d’état, à ces aînés républicains qui « traînaient au dehors une existence qui, si elle n’était pas sans dignité, était sans profit pour la France ».(Note de l’éditeur.)
  11. À l’approche des élections, Mac-Mahon laissait entendre dans son manifeste qu’il resterait au pouvoir, même en cas d’insuccès, pour défendre les intérêts conservateurs. (Note de l’éditeur.)
  12. Ministre de l’intérieur le 16 mai. Se signala par ses mesures réactionnaires. (Note de l’éditeur.)
  13. À la suite des élections du 14 octobre, le cabinet de Broglie dut se retirer et Mac-Mahon appela à la présidence du conseil le général Rochebouët, qui avait pris, en décembre 1851 une part active au coup d’état et qui, en 1877, forma un cabinet en dehors des deux Chambres. (Note de l’éditeur.)
  14. Centième représentation de la reprise d’Hernani. (Note de l’éditeur.)
  15. Le conseil de l’ordre refusa une promotion contraire aux règlements, Victor Hugo n’étant qu’officier de la Légion d’honneur. (Note de l’éditeur.)
  16. En 1878 Crémieux avait 82 ans, Garnier-Pagès 75 ans et V. Hugo 76. (Note de l’éditeur.)
  17. Drame tiré du roman de Victor Hugo par Charles Hugo et Paul Meurice, représenté à Bruxelles en 1863, et à Paris en 1878. Pour cette reprise, Paul Meurice, seul auteur survivant, avait remanié complètement la pièce. (Note de l’éditeur.)
  18. Le vote de Victor Hugo est connu par la lettre qu’on trouvera page 251, aux Notes. (Note de l’éditeur.)
  19. Victor Hugo allait passer huit jours chez Paul Meurice. (Note de l’éditeur.)
  20. Voir Actes et Paroles, la Fête du 26 février. (Note de l’éditeur.)
  21. Association littéraire internationale. (Note de l’éditeur.)
  22. Membre de l’Académie de médecine en 1863, professeur de chimie organique au Collège de France, en 1865, membre de l’Académie des sciences en 1873, devint sénateur inamovible en 1881, ministre de l’Instruction publique en 1886. (Note de l’éditeur.)
  23. Ministre des finances. (Note de l’éditeur.)
  24. Drame tiré par Paul Meurice du roman de Victor Hugo et joué au théâtre de la Gaîté. (Note de l’éditeur.)
  25. Mme  Marie Laurent avait créé la Flécharde, Mlle  Gautier la Vivandière. (Note de l’éditeur.)
  26. Directeur du théâtre de la Gaîté. (Note de l’éditeur.)
  27. Voir Correspondance.