Choses vues à Washington

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Choses vues à Washington
Revue des Deux Mondes7e période, tome 6 (p. 913-930).
CHOSES VUES À WASHINGTON


8 novembre.

Après la manifestation, si chaude, si réconfortante de l’opulente et élégante Tuncoin station, — ces gares d’architecture sobre, aux revêtements et ornements de marbre, sont les vrais palais des États-Unis, — nous filons en automobile dans la soirée ensoleillée, glorieuse, par les avenues larges, par les rues plantées, si jolies et accueillantes, de Washington. Nous traversons le quartier des affaires. Toutes les maisons, tous les buildings sont pavoises. Les drapeaux forment des motifs de décorations aux fenêtres. Partout, naturellement, les bandes étoilées sont en plus grand nombre. Mais, presque partout aussi, les drapeaux des nations invitées. Beaucoup de français, presque a chaque maison, des italiens aussi, quelques anglais, des japonais. C’est une alliance gaie de couleurs qui s’agitent, saluent à toute hauteur dans l’air deux de la soirée tiède, et souhaitent la bienvenue de la ville aux hôtes de la paix.


UNE SÉANCE AU SÉNAT. — LES DÉLÉGUÉS AMÉRICAINS A LA CONFÉRENCE


10 novembre.

Cet après-midi, la salle petite, coquette du Sénat, élégante comme un salon de club avec ses pupitres bibliothèques, ses panneaux de cuir de Cordoue dans l’encadrement des colonnes, son parquet entièrement feutré d’un épais tapis, ses deux hauts vases de Sèvres, souvenirs de la mission Viviani-Joffre, est presque pleine. On se presse dans la tribune réservée aux invités et parents des sénateurs comme aux jours de grandes séances. C’est que l’on doit discuter tout à l’heure la question de la publicité qui devra être accordée à la Conférence. On espère qu’on parlera de la Conférence elle-même. Personne, parmi les élégantes habituées, ne voudrait manquer un pareil début.

Peu de sénateurs encore dans l’hémicycle. Ils arriveront tout à l’heure, à mesure que la discussion se développera, s’envenimera, quand le sénateur Lodge sera pris à partie par le sénateur Johnson, pour avoir accusé le Sénat de « mauvaise éducation, » parce qu’il a réclamé par avance, et anticipant sur les désirs des délégués, la publicité des débats de la Conférence. Pour l’instant, M. Borah, leader des irréconciliables, et l’homme qui est supposé devoir exercer la plus forte influence sur les prochains développements de la Conférence, est, à peu près seul, à son bureau, où il écrit.

La tête forte, carrée, la carrure puissante, il donne l’impression de la force et de l’obstination dans la force. Cette impression est la vraie. Bien que le sénateur de l’Idaho ne manque aucunement d’esprit d’attaque ou de répartie, et quoiqu’il sache manier à propos le sarcasme qui surprend ou démonte l’adversaire, il préfère, dans la discussion, la violence qui assène et qui écrase. Peu politicien, d’une droiture et d’une loyauté au-dessus de tout soupçon, il est l’homme d’une idée, d’une croyance et qui pourra sacrifier son parti et lui-même à ce qu’il croit être l’intérêt supérieur du pays. Démocrate et peuple de naissance, il est radical dans ses idées sociales, et l’on s’étonne parfois de le trouver allié aux grandes puissances de Wall Street. Il a vu le traité et les débats du traité comme ses amis, plus que ses amis, à travers la vision de Meynard Keynes et n’a plus voulu regarder ailleurs. Il exerce une action incroyable sur les foules. C’est avec lui qu’a déjà été, que sera toujours la menace de scission et le plus sérieux péril du parti républicain.

Les leaders sont dans les couloirs, plus exactement dans le salon, qualifié vestiaire (cloak room), qui leur est ici réservé. De là ils peuvent, en fumant un cigare et continuant une conversation, suivre ce qui se dit et se fait dans l’hémicycle, où fumer n’est pas permis.

Voici précisément, en aparté, fumant et s’entretenant, les quatre délégués américains à la Conférence qui va s’ouvrir, le secrétaire d’Etat Hughes, l’ancien secrétaire d’Etat Root, le sénateur Lodge, leader républicain, et le sénateur Underwood, leader démocrate.

M. Charles Hughes, chef de la délégation américaine, est aujourd’hui l’un des deux hommes les mieux instruits de la politique étrangère et aussi bien des nécessités inquiétantes de la politique intérieure des États-Unis. Quand M. Harding a dit de lui qu’il était « l’homme le plus nécessaire du pays, » tout le parti républicain et beaucoup de démocrates ont applaudi. Grand, très droit, la poitrine large, fortement charpenté avec une apparence svelte, le geste vif, le regard direct, comme éclairant, les traits accusés et, signe très particulier ici, portant la barbe, M. Hughes a la voix posée, ferme, sonore : il marche par enjambées longues, semble toujours prêt à foncer sur l’obstacle et va droit au but. Robuste dans son apparence physique, il l’est encore plus dans sa personne morale. Son inaltérable honnêteté s’est d’abord affirmée dans les grandes enquêtes dont il fut chargé par la ville de New-York sur les agissements des compagnies du gaz et d’assurance. Où un autre eût peut-être édifié une colossale fortune, seulement en laissant faire, M. Hughes fit condamner les compagnies coupables et obtint les réformes que la justice et l’intérêt public commandaient. Doué de l’ardeur qui décide une élite, il lui manque le feu qui enlève les foules. Certaine froideur d’accueil, sa tenue rigide, son vêtement de coupe cléricale, sa barbe, on ne sait quelle apparence enfin puritaine et de clergyman faussent d’abord l’impression que l’on reçoit de lui. C’est à le mieux connaître et dans l’intimité qu’il sait faire apprécier sa droiture, son jugement ferme, sa clarté d’esprit et, à l’occasion, son estime de la France.

M. Elihu Root, qui, en ce moment, l’écoute, se recueille, attend son tour, a toujours été considéré comme l’une des intelligences les plus puissantes des États-Unis. James Bryce, le diplomate et publiciste anglais le qualifiait de « plus grand secrétaire d’Etat américain. » L’opinion américaine a repris la qualification à son compte.

Le regard froid sous la haute arcade du sourcil, mince, les cheveux gris et drus légèrement hirsutes, M. Root parle peu, à bon escient, et lentement. On a dit de lui qu’il n’avait ni magnétisme ni imagination. A le connaître pourtant, on trouve qu’il a l’un et l’autre. Mais son magnétisme est celui de l’intelligence et son imagination est celle du logicien beaucoup plus que celle du poète : elle est essentiellement constructive. Il a montré l’une et l’autre dans son livre considéré comme essentiel en jurisprudence : la Loi organique des Philippines. En ce livre comme en tous ses ouvrages, il a toujours professé « qu’un sentiment bienveillant et un traitement juste étaient la seule base solide sur laquelle pussent se fonder des relations harmonieuses entre les nations. » Il tint souvent tête à tout son parti, pour faire prévaloir ce principe. M. Root est homme d’esprit. Il se plait à conter une anecdote et excelle à mettre de l’entrain dans une réception, dans un dîner officiel même. Son esprit est souvent si rapide qu’il n’a pas toujours le temps d’être bienveillant. Depuis le mois d’août 1914 et sans cesse, il s’est dévoué à la cause des Alliés et a employé tous ses efforts à renverser l’autocratie allemande. De tous les délégués américains, M. Elihu Root est le plus sûr, capable et sincère ami de la France.

Dans le fauteuil qui lui fait face, le front relevé et plissé, le sénateur Lodge est écroulé plutôt qu’assis. Le regard las, le geste désabusé, la parole à l’ordinaire lente et qui se nuance d’ironie avec ses collègues et ses pairs, de sarcasme avec ses adversaires, ou bien qui s’élève brusquement au ton de la colère devant un contradicteur politique ou au Sénat où il est chez lui; mince jusqu’à la maigreur, la barbe et les cheveux blancs, courts, frisés, le teint blanc, avec, répandu sur toute sa personne, ce grand air de lassitude et de mépris qui accompagne assez généralement, chez les politiciens âgés, une connaissance exacte de soi-même et des hommes, le leader républicain compte, dans tous les milieux de Washington, d’innombrables relations, quelques anciens camarades et, par son choix, peu d’amis. De lui, comme des grands politiques, on peut douter parfois qu’il ait une politique. Sa manière de conduire une intrigue, d’opposer les groupes d’un parti pour se glisser entre eux ou pour qu’ils s’affaiblissent, de trouver l’expédient au moment opportun et pour changer une défaite réelle en apparente victoire, commande toujours l’estime. Son peu d’affection pour l’Angleterre a souvent souligné son apparence d’affection pour la France. De haute culture littéraire, d’un goût sûr, prompt à se souvenir, habile à conter, il est connu pour ses épigrammes ou ses boutades.

L’un de ses collègues du Sénat disait un jour devant lui :

— Un homme d’État ! Mais qu’est-ce qu’un homme d’État? En connaissez-vous beaucoup, des hommes d’État?

De sa voix lente, timbrée, comme rouillée, le sourire à peine plus allumé dans les yeux, M. Lodge prononça :

— On ne connaît pas des hommes d’État? Mais nous en avons tous connu. Le vrai grand homme d’État, c’est le politicien médiocre qui vient de mourir.

Près de lui, très calme, approbateur, M. Underwood écoute avec attention M. Hughes, qui, lentement, avec conviction, continue de parler. L’accueil aimable, presque affable, le regard droit, l’apparence « solide, » le leader de la minorité démocrate du Sénat pourrait, à certains moments et souvent, être le leader de la majorité, tant il compte, dans l’un et l’autre partis, d’estimes et d’amitiés. Parlant rarement et dans les grandes circonstances, mais toujours très écouté au Sénat, il donne, dans les discussions, le ton de la raison, de la pondération, du droit. Quand les passions politiques étaient davantage excitées à Washington, lors des débats du Traité, et quand le président leader démocrate, le deux et souriant sénateur du Nebraska s’entendait traiter par l’un de ses collègues irréconciliables, par le bouillant sénateur du Missouri, « de singe en fer blanc de la Maison-Blanche, » le sénateur Underwood n’avait qu’à se lever et à demander la parole pour qu’aussitôt se rétablît le calme, pour que Minerve, un instant effarouchée parmi les Solons fougueux, revint prendre sa place et son autorité dans le cénacle politique de la sagesse.

Devenu leader démocrate, M. Underwood a continué de fréquenter non seulement chez les républicains modérés, mais chez les ennemis les plus acharnés de son parti, chez les Irréconciliables. Et il n’a cessé de rencontrer ici, là et partout, estime, sympathie et amitié. De l’un de ses discours, je me rappelle cette phrase : « Ce n’est pas en prenant le moyen qui parait le plus rapide pour arranger une affaire qu’on l’arrange rapidement. L’opportunisme ni le rafistolage ne durent. » Et, de sa conversation, celle-ci : « Il est assurément bon de compter sur l’amitié internationale. Il est meilleur de s’appuyer sur l’équité industrielle et commerciale dans les relations entre les peuples. »

Puissent l’une et l’autre servir de devises à la Conférence qui va s’ouvrir !


LA SITUATION A LA VEILLE DE LA CONFÉRENCE

A la veille de la Conférence, le grand hall du New-Willard n’est que bourdonnement de conversations, agitation, foule et bruit. La pea-cuck alley, l’allée du paon (ou de la vanité), sur laquelle ouvrent tous les salons, toutes les salles à manger d’en bas, — une institution de Washington, — et qui traverse l’hôtel de rue à rue, est plus animée ce soir qu’aux heures élégantes de musique et de thé. C’est à l’ordinaire l’un des lieux de rendez-vous élégants. On vient là, on se retrouve, on s’isole. Dans les fauteuils larges, profonds, une partie de la ville regarde l’autre passer. Ce soir, notre Premier, nos uniformes, nos délégués, semblent avoir attiré toute la ville d’un coup.

Au septième étage, dans son salon en rotonde, petit, d’un luxe sobre, confortable, les murs ornés de quatre belles reproductions d’aquarelles, pendant que les garçons préparent le thé, M. Briand reçoit la délégation. Comme toujours, notre Premier est d’excellente humeur. Il a été reçu cet après-midi par M. Harding. Il s’est entretenu avec M. Hughes. Il a le meilleur espoir en la Conférence, toute confiance en ceux qui la dirigeront.

Est-ce la conséquence de nouvelles et précieuses informations sur l’état actuel des esprits ici? Il n’est plus question aujourd’hui d’aucune demande de notre part à l’Amérique. M. Briand parait surtout désirer qu’il soit bien entendu que nous ne parlerons pas de nos dettes, que nous n’avons jamais eu désir, intention d’en parler. Si la question doit être soulevée, qu’elle le soit par d’autres. Il faut que notre position soit tout e de courtoisie, de désintéressement et d’attente.

On fait des hypothèses sur ce qui se passera après-demain. On est généralement d’avis que le discours de M. Hugues sera ferme, mais sans précision troublante, — en somme et comme au début de toutes les conférences, un intérêt de spectacle et c’est tout. M. Briand pourtant pense que cette première séance sera consacrée à tracer les grandes lignes et l’orientation de la Conférence. Il ne serait pas surpris que M. Hugues voulût, dès le début, des précisions. Il croit que notre rôle de témoin amical s’y affirmera. Lorsque se posera la question de la réduction des armements, nous devrons seulement faire valoir que notre armée a déjà été grandement réduite et est en voie de l’être davantage. Nous nous déclarerons disposés à aller à l’extrême limite compatible avec la sécurité de la France et, aussi bien, avec celle de l’Europe. « Nous sommes aujourd’hui en présence de deux volcans, l’un et l’autre en pleine éruption, l’Allemagne et la Russie soviétique. La seule barrière est la Pologne. Si cette barrière est renversée, les deux volcans se réuniront. Il nous faut garder une force suffisante pour faire face aux événements. Voilà, nettement, notre position. Les États-Unis la comprendront. »

« La France, — ajoute-t-il martelant les mots du ton de voix et du geste, — vient à la Conférence sans rien demander, sans rien solliciter et elle n’a aucune arrière-pensée d’obtenir quoi que ce soit pour elle. »

La déclaration, qui sera certainement publiée ce soir, reproduite dans tous les journaux de tous les États de l’Union, ne pourra que produire ici le meilleur effet.

L’on discute maintenant les probabilités prochaines, ou, comme l’on dit, les possibilités de la Conférence. A ceux qui ont eu le temps de prendre contact avec les divers milieux politiques et diplomatiques de Washington, la situation ne parait pas autoriser un complet optimisme. En fait, on admet généralement dans les cercles gouvernementaux, elles milieux généralement renseignés, qu’elle se présente ainsi :

On est d’accord que toutes les questions purement européennes, paiement des dettes, question de Haute-Silésie, en seront délibérément écartées. On croit que la question du désarmement y restera secondaire, que les questions complexes du Pacifique prendront toute la place. Il parait être accepté que les États-Unis s’opposeront avec une extrême énergie aux aspirations japonaises dans le Pacifique, parce qu’ils considèrent ces aspirations comme une menace directo à leurs intérêts matériels et une menace éventuelle à leur sécurité. On croit que le Gouvernement américain demandera à l’Angleterre, qu’il regarde, à tort ou à raison, comme la complice de l’impérialisme japonais, de renoncer à sa politique précédente, d’abandonner officiellement son traité avec le Japon et d’endosser nettement la politique américaine. On assure que les États-Unis demanderont d’autre part au Japon de retirer ses soldats de Chine et de Sibérie, d’adhérer à la politique de la porte ouverte, c’est-à-dire de reconnaître des droits égaux pour toutes les nations dans les deux pays et de renoncer définitivement à toute politique impérialiste de conquête ou de pénétration en Chine. Les moins pondérés ne sont pas les seuls à envisager l’éventualité d’un conflit en cas de refus de l’un ou l’autre pays. Ils vont jusqu’à admettre, à échéance plus ou moins rapprochée, la guerre des Etats-Unis avec le Japon.


WASHINGTON EN FÊTE

11 novembre.

Ce soir, veille de la séance inaugurale, tout Washington est pavoisé, illuminé. Cela rappelle le temps de la déclaration de guerre et de l’armistice. Dans les rues, aux fenêtres, sur les étalages ou aux façades, ce ne sont que drapeaux et bannières de toutes les nations invitées et amies.

Les illuminations sont partout. Aucun peuple aussi bien que les Américains n’a su faire de la multiplicité et de l’arrangement des lumières un art. Ce soir Washington est une fête des yeux. Toute la foule se porte vers la 17e rue et le Potomac, où sont les édifices de la Conférence et les plus belles illuminations.

Tout le long de la rue large, que borde d’un côté le parc avec ses hauts arbres, les réverbères et les lampadères sont voilés de drapeaux transparents aux armes et aux couleurs des différents États de l’Union. Ils atténuent, tamisent la lueur, lui donnent on ne sait quels reflets de mystère, qui s’accusent dans les éclairages des bâtiments d’une si parfaite et séduisante architecture, le Continental Hall, le Panamerican Building, aux frêles colonnades éclairées de l’intérieur par un intense reflet rouge.

Mais voici, en bas, près du Potamac, la merveille de la lumière, the door of the jewels, la porte des joyaux.

C’est, barrant la rue, un haut arc de triomphe, dessiné par d’innombrables gros cabochons de verre taillés en roses et en brillants. Le centre dessine un soleil également en cabochons à multiples facettes. Les piliers sont deux obélisques revêtus d’un ruissellement de semblables joyaux, ceux-ci de toutes couleurs, améthyste, rubis, saphyr. A vingt mètres, en avant et en arrière, -huit projecteurs d’une rare puissance lancent, déversent une lumière intense, qui vient se briser sur les innombrables facettes et les prismes, qui s’y décompose, change toute cette verroterie en diamants prodigieux aux feux innombrables. C’est un foisonnement fantastique d’étincelles multicolores, un scintillement perpétuel, ahurissant, presque insoutenable et comme aucun décor de féerie n’en a encore produit.

Là-bas, plus près du Potomac, d’autres projecteurs aux verres mauves, rouges, orange, indigo, lancent au ciel assombri des faisceaux de rayons fixes. Plus loin encore d’autres projecteurs plus puissants balayent incessamment le ciel, la terre, ou bien semblent jouer avec la lumière, la font couler lentement en traits fulgurants, larges, qui s’enfoncent dans l’espace en hauteur, ou bien l’arrêtent très haut, l’immobilisent en boules lumineuses qui s’élèvent, s’arrêtent, reviennent au foyer qu’on ne voit pas et pour s’élancer à nouveau, d’un seul bond, vers le ciel.

Dans le parc à 500 mètres, le Monument de Washington, l’immense obélisque, plus haut que la cathédrale de Cologne et où l’on monte intérieurement par un ascenseur, est illuminé, prodigieuse érection de lumière, par des projecteurs aux foyers dissimulés, dont les couleurs changent.

Beaucoup plus loin, vers l’Est, le Capitole surgit, vision blanche dans une lueur aux sources invisibles, détache ses lignes fines, sa colonnade, son dôme, parfaitement eurythmiques comme le furent celles du Parthénon, semble dans la nuit plus sombre, un palais-illusion dans un mirage de lumière. Derrière lui un immense rayonnement projette en éventail toutes les couleurs du prisme dans le ciel.

De tous côtés, de tout près, d’Arlington, de plus loin, des projecteurs d’une incomparable puissance balayant à tout moment de leurs rapides éclats qui se pénètrent, se croisent, ce qui reste encore de sombre au-dessus de la ville.


LA PREMIÈRE SÉANCE

12 novembre.

Depuis neuf heures, et bien que ce ne soit pas congé, en dépit du vent coupant, sous le soleil pâle, la foule s’amasse autour du Continental Hall.

L’édifice de stuc blanc, de style mexicain, avec un péristyle en rotonde à hautes colonnes, d’une parfaite harmonie de lignes, est, naturellement, pavoisé, entouré de mâts portant tous les drapeaux des nations invitées. Sur l’escalier, guidés, canalisés par les gigantesques policemen, les privilégiés, tickets en mains, se [tressent. Parmi les uniformes chamarrés se remarquent davantage les officiers de la marine japonaise, les nôtres aussi, l’amiral de lion, de très haute distinction avec sa belle barbe, le commandant en grande tenue avec le bicorne à plumes.

Il est à peine dix heures. Déjà, la file longue des autos prolonge, accompagne la file des entrants. A l’intérieur, la salle, d’apparence petite, à cause de l’ameublement et des décorations, coquette à l’extrême, une salle de théâtre privé, soignée, ornée de portraits, de palmiers, de bannières et drapeaux artistement enlacés dans des branchages, est, plus qu’aux trois quarts, pleine. Un grand encadrement, aux guirlandes Louis XVI, d’un goût sobre, très sûr, forme scène. Les tribunes, ornées aussi de drapeaux et écussons, courent, à mi-hauteur, sur trois côtés de la salle. Là, ont pris place, entrent, sortent, forment des groupes, parlent haut, les membres de la Haute-Cour, du Sénat, de la Chambre des représentants. Dans le retrait, de chaque côté du cadre ou de la scène, deux tribunes superposées beaucoup plus petites, en corbeilles, sont occupées par les femmes, toutes très élégantes, du corps diplomatique. Tout particulièrement remarquées pour leur grâce, les Japonaises.

En bas, sur le floor, sont les délégations. Au fond, devant les palmiers, quatre chaises vides attendent les Américains. A gauche les quatre délégués britanniques, M. Balfour, grand, élégant, souriant, distrait, lord Beatty énergique, lord Lee, l’ambassadeur Geddes, ont déjà pris place. Au milieu, autour de la table en U carré, tout près des Américains, MM. Briand, Viviani, Sarraut et l’ambassadeur Jusserand ont, à côté d’eux, les Japonais. Les Italiens sont en face; et les Portugais, les Chinois, les Hollandais, seulement invités, sont dans la transversale. Derrière les délégués officiels, les uniformes des délégués militaires, des marins; dans les ailes, les journalistes, au premier rang desquels se trouve, est reconnu, salué, l’ancien secrétaire d’État, M. Jemmys W. Bryan. Par derrière, les invitées et invités. A toutes hauteurs les drapeaux des nations participantes et invitées, les écussons et les pennons des États mettent des taches pittoresques de couleurs gaies et qui s’harmonisent avec les ors et les couleurs claires des uniformes, avec les nuances vives et les plumes des chapeaux des femmes. Sur cette fête de couleurs, une lumière claire tombe du plafond vitré, est renforcée par une lueur gaie, jolie, douce, dont les foyers sont dissimulés, et qui met dans toute la salle la couleur d’un tableau de Bail, une impression de jour ensoleillé que tamiseraient des stores.

Une épaisse, moelleuse moquette vert nil couvre tout le plancher, absorbe, étouffe le bruit des pas et des chaises.

Un quart d’heure avant l’ouverture de la Conférence, c’est un bourdonnement léger de réunion de bonne compagnie dans un décor de salon et une fête de couleurs. De tribune a tribune, on s’aperçoit, on se reconnaît, on se fait des signes. Ce pourrait être une avant-grande séance au Sénat, une réception mondaine. On ne serait vraiment pas surpris si derrière ces palmiers, un orchestre tout à coup attaquait une shimmy ou un fox-trot. Qui pourrait songer que, parmi ces élégances, dans ces désirs d’être vu, de voir, de paraître, au milieu de tant de chamarrures, de parfums, de fleurs, c’est le sort du monde qui, tout à l’heure, va peut-être s’organiser, se fixer?

Dix heures 20. — Une annonce, un silence. Tout le monde est debout. Les quatre délégués américains font leur entrée. M. Hughes, droit, carré, raide dans sa redingote ronde, la démarche fonçante, vient d’abord. Il est suivi de M. Root, un peu courbé, les cheveux rebelles à la coiffure, la moustache neutre, avec on ne sait quel air effacé et négligé sur toute sa personne et qui doit le faire passer inaperçu dans n’importe quelle foule, n’importe quel salon, où il n’est pas connu. Puis le sénateur Lodge, mince, courbé, avec son air habituel de lassitude résignée, l’œil plissé, précède M. Underwood au visage reposé de Vitellius affable, à l’apparence solide. Les délégués ont pris leur place. Le bourdonnement des conversations, les signes de reconnaissance et d’appel reprennent.

Dix heures 30. — Une nouvelle annonce, un mouvement de curiosité, un silence d’attente qui se prolonge. Un voisin remarque que c’est l’heure où hier le silence de deuil officiel de deux minutes était observé. Il y voit un symbole. Cependant, le Président des États-Unis, la fête fine, le regard jeune sous les cheveux blancs soignés, élégant dans sa redingote anglaise, souriant avec cet air reposé et assuré de la vie, comme impersonnel, qu’ont tous les présidents de banque ou de chemins de fer, sur les écrans des cinématographes, parait. Il est accueilli par des applaudissements qui se prolongent en ovation discrète, à mains gantées, de gens bien élevés.

Pendant qu’il s’assied, un courant d’air traverse le haut de la salle, agite, anime les bannières, fait tourner et saluer sui un lustre central, les drapeaux des neuf nations invitées à la Conférence. Le secrétaire Hughes annonce la prière par le chapelain Rév. Dr. W. Abenethy.

D’une éloquence sobre, tout juste un peu prolixe, où se sent à peine, et comme toujours dans les grandes réunions publiques, le désir d’être quelqu’un, de jouer un petit rôle dans la grande affaire qui va avoir lieu, le chapelain, les yeux clos, la tête fine bien en vue des photographes, appelle les bénédictions d’en haut sur les travaux de la Conférence et afin que vienne et s’établisse définitivement le règne de la paix dans le monde.

A peine a-t-il terminé, M. Hughes annonce très simplement :

— M. le Président des États-Unis.

Aussitôt debout, très droit, tenant en mains des feuillets, les yeux derrière les larges lunettes, le Président attend la fin des applaudissements pour commencer de parler d’une voix douce, posée et qui prendra plus de mordant et de chaleur seulement dans la dernière partie de son discours.

Ce discours est lu dans un profond silence, coupé seulement du bruissement des feuillets, lorsque ceux qui suivent sur le texte en diverses langues tournent la page. Il est, ce discours, tel qu’il était attendu et tout ce qu’il pouvait être. Les premiers applaudissements se font entendre quand l’orateur déclare que «ce ne paraîtra pas une malséante insistance ni une injure aux autres nations, qui, bien que non représentées, ont droit à notre plus haute estime, si nous déclarons que les conclusions de cette assemblée exerceront une influence décisive sur la marche du progrès humain, sur les destinées du monde. »

Autre endroit qui obtient un grand succès : « Un univers qui chancelle sous le poids de ses dettes a besoin qu’on allège son fardeau. L’humanité, révoltée par la destruction systématique, veut que soient réduits les moyens de destruction. Devant le coût démesuré de la guerre et le fardeau croissant des armements, tous les peuples sauvés souhaitent apporter à ces derniers une limitation réelle et que la guerre soit mise hors la loi... »

Ensuite vient ce passage où l’on croirait entendre l’écho ou la paraphrase d’un message historique du Président Wilson : «... Nous n’entretenons aucune crainte; nous n’avons aucun vil dessein : nous ne soupçonnons pas d’ennemis : nous ne cherchons, ni n’appréhendons aucune conquête; satisfaits de ce que nous possédons, nous ne cherchons pas à nous approprier le bien d’autrui. Nous voulons seulement, avec votre aide, faire passer dans la réalité, cette très belle et très noble chose qu’aucune nation ne peut accomplir si elle est seule... »

Lorsqu’enfin le Président, la voix plus ferme, la tête affirmant les paroles à mesure qu’il les prononce, déclare : « Je ne puis parler officiellement que pour les États-Unis. Nos cent millions de concitoyens veulent moins d’armements et pas de guerre... » la salle entière est subitement debout applaudissant, acclamant. En ces deux propositions le Président a exprimé tous les désirs, toutes les aspirations de l’Amérique d’aujourd’hui.

Aussitôt l’ovation terminée, M. Hughes, faisant droit à notre insistance pour que l’usage du français soit maintenu à la Conférence, s’enquiert, par l’intermédiaire de l’interprète officiel M. Camerlynck, si nous désirons que le discours soit traduit. Cependant comme des textes français ont été préalablement distribués à tous les délégués, M. Briand fait savoir, par le même intermédiaire, qu’il juge la traduction inutile.

M. Balfour prend ensuite l’initiative, — qui lui sera reprochée, — de proposer M. Hughes comme permanent chairman, c’est-à-dire président pour toute la durée de la Conférence. La Conférence marque son approbation par ses applaudissements.

M. Hughes se lève alors, est encore salué d’applaudissements et commence à parler. Quoique toute la première partie de son discours indique peu l’attitude qu’il va prendre, et le coup de théâtre qu’il prépare, cependant l’attention est immédiatement fixée. Une sorte d’appréhension et d’anticipation du choc qu’il va produire a simultanément saisi tout le public. C’est dans cette immobilité et ce silence absolus, par quoi il semble que la vie matérielle veuille à certains moments se suspendre ou comme se retirer pour ne rien troubler ou affaiblir du grand événement qu’elle sent tout près de se produire, que le Secrétaire d’État, de sa voix nette, grave, impérative, écarte d’abord, remet à plus tard la discussion attendue des questions du Pacifique, puis fait l’historique de la convocation à la Conférence d’aujourd’hui, des Conférences antérieures de la Haye. Il passe complètement sous silence, et comme si elle n’avait jamais existé, la Société des Nations.

Mais voici que l’intérêt de l’assistance, si l’on peut dire, se tend davantage. Le Secrétaire d’État vient de prononcer : « .. Nous ne pouvons plus ignorer la provocation des impératives demandes économiques. Si une telle chose qu’une réhabilitation économique doit exister, si les désirs d’un progrès raisonnable ne doivent pas être ignorés, si les soulèvements des peuples, désespérés et ne comptant plus pouvoir se débarrasser de fardeaux qu’ils ne peuvent plus supporter, doivent être évités, la course aux armements doit être arrêtée. » La dernière phrase est scandée, martelée, sans pourtant viser le moins du monde a l’effet oratoire. Mais elle est si nerveuse que, comme la détente d’un ressort, elle met encore la salle entière debout et applaudissant.

A partir de ce moment, l’atmosphère est, comme l’on dit ici, électrique. Même succès nerveux, prolongé est fait à la déclaration qui suit : « .. N’est-il pas évident que le temps des désirs et des résolutions est passé? Nous ne pouvons plus nous contenter de vœux, de statistiques, de rapports, de toute la phraséologie des enquêtes. Les forces essentielles sont suffisamment connues. La Conférence n’a pas été convoquée pour de stériles résolutions ou pour des échanges de vues sans portée : c’est maintenant le temps de l’action. » De nouveau toute la salle est debout et acclame. Mais voici que brusquement M. Hugues précise. Il donne le plan de cette action. Il dit les constructions de bateaux qui doivent être abandonnées, les unités qui doivent être détruites; pour les États-Unis, six croiseurs doivent être laissés en plan, sept bateaux de guerre, actuellement sur chantier, et deux autres qui viennent d’être lancés : quinze bateaux plus anciens seront détruits. Il donne les noms, précise les tonnages, additionne les tonnes supprimées.

On écoule avec étonnement. 845 740 tonnes supprimées ! Est-ce possible? On se regarde. On croit rêver. Mais voici que l’étonnement se change en stupeur. Non seulement M. Hughes a fixé le sacrifice des États-Unis, mais sans hésiter, sans souci des orgueils et des droits nationaux, il établit le même sombre bilan pour l’Angleterre, pour le Japon.

Cependant l’amiral Beatty a croisé les bras. Ses sourcils lins, tout arqués maintenant, se rejoignent, son regard est menaçant. Parmi les autres marins britanniques, la plupart sont impassibles. Quelques-uns se regardent. Plusieurs semblent sourire.

La prodigieuse hécatombe est maintenant terminée. De sa même voix ferme, implacable, M. Hughes conclut : « En acceptant ce programme, nous supprimerons le fardeau de la compétition des armements; un immense progrès aura été accompli pour le progrès de la civilisation. Simultanément les justes demandes de défense nationale auront reçu une juste solution. Et les nations auront tout le temps, pendant le congé naval de dix années, de préparer leur conduite pour l’avenir. Les préparatifs pour une guerre navale d’offensive doivent être arrêtés maintenant. » L’étonnement qui subsiste est tel que les applaudissements sont comme mécaniques sur la plupart des rangs, frénétiques pourtant de la part de quelques pacifistes notoires parmi lesquels se distingue radieux, comme illuminé, l’ancien secrétaire d’Etat, M. Bryan.

On n’est pas encore revenu de l’étonnement causé par cette incroyable offensive de paix que les sénateurs, qui tiennent à montrer que le Congrès américain garde son droit de contrôle ici et peut exprimer quand il lui plaît ses sympathies et son estime, clament d’abord une syllabe, un mot singulier, un nom: « Bréand! Bréand! » Le Président du Conseil n’a pas d’abord entendu. L’interprète se lève, lui parle à l’oreille. Il sourit, se lève. Une manifestation magnifique, spontanée, émouvante a lieu. Toute la salle est debout. On applaudit. On acclame. M. Briand attend. Les applaudissements se prolongent. C’est l’expression de l’estime des représentants de tous les États de l’Union à l’envoyé de la France. C’est la « délicieuse amitié » de tout le peuple américain pour la France qui se plait à se manifester et qui ne veut plus finir.

Enfin M. Briand peut parler. Dans l’un de ces discours improvisés, d’une forme et d’une harmonie parfaites, dont il a le secret, le ton de voix mesuré à l’exiguïté de la salle et à la qualité du public, se gardant des banalités dans un thème si souvent repris, il parle des liens traditionnels qui unissent les deux pays, il dit la bonne volonté de la France dans les prochains travaux de la Conférence, les vœux de la France pour le succès final.

Après l’ovation prolongée, reprise, et quand notre Premier s’est enfin assis, c’est le prince Tokuwaga qui dit maintenant le plaisir qu’aura la délégation japonaise « à coopérer avec les Puissances si dignement représentées ici en vue d’accomplir une œuvre aussi sublime. »

L’ambassadeur de Belgique s’associe en deux phrases à tout ce qui a été dit et a un joli succès. Le chef de la délégation italienne, M. Schantzer, s’exprime plus longuement. Puis ce sont les représentants des nations invitées, de la Hollande, du Portugal, de la Chine.

Mais, depuis quelque temps, l’attention est retournée au discours de M. Hughes. On se parle à mi-voix. On a hâte d’échanger ses impressions.

L’ajournement de la Conférence est enfin prononcé. La sortie a lieu dans une extrême agitation. Avant d’être sûr de ce qu’il doit penser, chacun est avide d’exprimer ce qu’ils sont.

Au déjeuner, dans les hôtels, dans les clubs, la surexcitation ne fait que croître. Dans la salle à manger du New-Willard, le bruit des conversations couvre même la musique. Toute la délégation française est là. Elle s’est éparpillée, au hasard des rencontres ou au choix des sympathies, aux innombrables petites tables parmi lesquelles une armée de serveurs, de maîtres d’hôtel et deux pâtissiers vêtus de blanc s’affairent. On échange ses impressions de table à table. L’Angleterre et le Japon font naturellement les frais. On commente l’attitude peu encourageante de l’amiral Beatty, la parole qui a été dite à la sortie par un délégué britannique : « Un beau geste! » On escompte les probabilités d’acceptation, de refus. On sait déjà que les Anglais ont pris soin de déclarer tout de suite officiellement, comme par ordre et sans aucun commentaire, qu’ils étaient ravis (delighted) du discours de M. Harding. L’opinion générale reste sceptique quant à leur décision finale.

Tout l’après-midi, la plus grande nervosité règne en ville. Les éditions des journaux qui portent des manchettes sensationnelles et qui se succèdent d’heure en heure, ne sont pas faites pour l’apaiser.

Malgré le froid qui est venu tout à coup et fort vif, on se visite de délégation à délégation. On voudrait avoir l’impression des Anglais, qui ne disent plus rien, celle des Japonais, qui en disent trop. On sait qu’on n’aura au vrai ni les unes ni les autres. Néanmoins l’on s’acharne. Autour du calme, élégant hôtel La Fayette et du tranquille hôtel Franklin Square, où les Anglais ont leurs confortables quartiers généraux, c’est une véritable procession. Les Japonais n’attendent pas qu’on vienne les trouver. Ils sont dans le hall du sélect hôtel Shorcham, au Press Club, dans la rue. Et partout, ils sont heureux, enchantés, que l’Amérique ait pris l’initiative, heureux de faire savoir à tous et à chacun que le Japon accepte pleinement, résolument… le principe posé.

A trois heures, le bruit se répand dans tous les hôtels que le Japon va faire une importante communication. A cinq heures en effet, l’amiral Kato reçoit les journalistes. Il leur renouvelle solennellement l’assurance que le Japon est prêt à accepter, avant même de parler des questions du Pacifique, le principe du désarmement tel que l’a exposé M. Hughes.

Vers le soir pourtant, l’émotion parait se calmer. De toutes les conversations, des divers propos entendus au hasard de toutes les rencontres, l’impression générale qui se dégage paraît être la suivante : le discours de M. Hughes est unanimement admiré pour sa franchise et pour la précision de ses déclarations; son habileté politique et diplomatique est au-dessus de tout éloge.

Pour ce qui est de la politique extérieure et vis à vis du peuple américain, M. Hughes s’est posé comme celui qui le premier a fait un véritable effort pour obtenir le désarmement et faire régner la paix dans le monde. L’opinion publique américaine peut se désintéresser de la paix du monde : mais elle ne restera certainement pas indifférente au désarmement qui signifie pour elle un abandon du programme naval, c’est-à-dire une réduction des impôts qui sont ici écrasants.

Au point de vue de la politique de groupes, M. Hughes, en reprenant, pour l’étendre, le plan de congé naval antérieurement proposé par M. Borah, met le leader des Irréconciliables dans l’alternative ou de se renier, de se discréditer lui-même devant son parti, ou de joindre son action à celle du Gouvernement dans les travaux de la Conférence.

Vis à vis des autres peuples, M. Hughes a donné aux Etats-Unis l’avantage d’avoir fait le premier pas en vue d’établir une paix durable, et il a mis tous les autres Gouvernements, devant leurs nationaux, dans la délicate situation de suivre les États-Unis ou de refuser leur participation à une œuvre dont les résultats doivent être de réduire les charges, de diminuer les impôts, de rétablir la balance économique, et, en conséquence, de faire baisser le prix de la vie.

En outre, et sur le point qui touche spécialement les États-Unis, l’Angleterre et le Japon devront, en cas d’adhésion au principe du programme du désarmement, — et cette adhésion ne parait plus faire doute, — renoncer formellement à leur traité. Il est évident en effet que les deux nations ne peuvent adhérer à un programme qui vise à l’égalité des armements sans avoir nettement établi qu’elles ne tenteraient pour aucune raison ni en aucune occasion d’unir les deux restants de flottes qui leur seront accordés et qui devront constituer par leur jonction une force navale supérieure à celle de n’importe quelle autre nation. Enfin la plus importante et inquiétante question, celle du Pacifique, actuellement laissée au second plan, est en fait laissée au Japon lorsque viendra l’inévitable débat sur les bases navales du Pacifique.

Ainsi se présente nettement la situation à la fin de cette journée mémorable et après cette historique première séance de la Conférence.

Les optimistes, qui sont ici le plus grand nombre, voient déjà le désarmement naval opéré, les charges du monde diminuées, l’ère de la paix ouverte. Quelques-uns songent que beaucoup de principes ont déjà obtenu beaucoup d’accords, qui ne se sont pas maintenus quand l’heure est venue des réalisations. Tout le monde se plaît néanmoins à reconnaître que l’effort d’aujourd’hui peut, doit constituer un progrès, un nouveau pas fait vers une entente des nations en vue d’un mieux-être commun et pour diminuer autant que possible les dangers de guerre.


GEORGES LECHARTIER.