Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1183

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Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1183]


A Constantinople, Andronic fit noyer dans la mer son seigneur le jeune empereur Manuel, et usurpa l’Empire. Henri le Jeune, roi d’Angleterre, mourut dans le territoire de Limoges, à un château appelé Marcel et fut enseveli à Rouen dans la grande église.

Il s’éleva une dissension entre le pape Luce et les Romains, qui chassèrent le Pape de leur ville avec beaucoup d’outrages. Ils arrachèrent les yeux à beaucoup de gens du parti du Pape, et, leur mettant des mitres sur la tête, leur firent jurer qu’ils se présenteraient dans cet état au Pape. A cette vue, le Pape n’étant pas de force à soutenir la partie, se rendit à Vérone, espérant que l’empereur Frédéric lui porterait secours. Saladin, roi des Turcs, ayant attaqué le pays de Jérusalem, tua et prit un grand nombre de Chrétiens, mais peu de temps après il fut repoussé, et ayant accepté une trêve, s’en retourna chez lui.

Philippe, roi des Français, fit détruire dans son royaume les synagogues des Juifs dans la plupart desquelles il fit construire des églises. Il enferma d’un mur le bois de Vincennes près Paris, et fit bâtir à Paris, sur une place appelée Champeaux, des halles où il institua un marché.

Dans la province de Bourges, plus de sept mille Cotereaux furent tués par les habitans de ce pays, rassemblés contre les ennemis de Dieu. Ces Cotereaux ravageant la terre de France, en emportaient du butin, emmenaient avec eux, dans l’état le plus misérable, les hommes qu’ils avaient pris, couchaient, ô crime ! avec les femmes des prisonniers et à la vue de ceux-ci et, ce qui est pire, incendiaient les églises consacrées à Dieu, emmenaient captifs avec eux les prêtres et les religieux, et, durant qu’ils les tourmentaient se moquaient d’eux, en les appelant chanteurs, et leur disant avec insulte Chantez pour nous, chanteurs, chantez, et aussitôt ils leur donnaient des soufflets ou les frappaient avec de grosses verges. Quelques-uns, ainsi flagellés, rendirent leur sainte ame au Seigneur ; d’autres, donnant de l’argent pour leur rançon, s’en retournèrent chez eux à demi morts par l’efFet d’une longue captivité. Ces mêmes Cotereaux aussi, on ne le saurait dire qu’avec des soupirs et des gémissemens, par un acte encore plus détestable, en dépouillant les églises, retirèrent le corps du Seigneur des vases d’or ou d’argent où il était conservé pour le besoin des malades, et le jetant ignominieusement à terre le foulèrent aux pieds. Leurs concubines faisaient des coiffures avec les nappes de la communion, emportaient sans respect les calices et les brisaient à coups de pierres. Dans le même temps, un grand nombre d’hérétiques furent brûlés en Flandre par Guillaume, archevêque de Rheims, légat du Siège apostolique, et par Philippe, comte de Flandre. Ils prétendaient que toutes les choses impérissables avaient été créées de Dieu, mais que le corps de l’homme, et tout ce qui est périssable, avait été créé par Lucifer. Ils rejetaient le baptême des petits enfans et le sacrement de l’eucharistie, et disaient que les prêtres célébraient des messes par avarice et par cupidité pour les offrandes.