Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1191

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Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1191]


Le pape Clément étant mort, Célestin III Romain de nation, cent soixante-dix-neuvième pape, gouverna l’Église de Rome. Il reçut la consécration pontificale le jour de Pâques, et le lendemain couronna empereur Henri, fils du roi Frédéric. Le roi de France Philippe, qui l’année précédente avait passé l’hiver en Sicile avec Richard, roi d’Angleterre, le somma, comme son homme-lige, de traverser la mer avec lui, selon sa promesse. Non seulement Richard n’y voulut point consentir, mais il ne voulut pas épouser la sœur de Philippe, qu’il était tenu par serment de prendre en mariage, et il différa son passage jusqu’au mois d’août. Le roi de France s’étant donc embarqué, se rendit en droit chemin à Acre, fut reçu comme un ange sauveur, avec honneur et joie, par ceux qui étaient depuis long-temps occupés au siège de cette ville. Richard, roi d’Angleterre, quittant la Sicile après le roi de France, avec ses vaisseaux et ses galères, vint à Chypre. Ayant trouvé cette île gouvernée par un faux empereur, il le prit, et s’étant ainsi emparé de Chypre, il y mit une garnison de ses gens. Cependant Philippe, roi de France, attendait pour assiéger Acre le roi d’Angleterre car ils étaient convenus de ne combattre qu’ensemble. Dès que Richard fut venu, on s’efforça d’abord de combler les fossés ; mais comme le roi d’Angleterre différait souvent d’avis avec le roi de France, et, à ce qu’on disait, n’allait pas franchement à pousser les attaques, le roi de France fit assaillir vigoureusement la ville par ses gens au moyen d’un grand nombre de pierriers, qui, ne cessant pas de lancer des pierres nuit et jour, rompirent une partie des murs, et ébranlèrent la tour, qui était d’une solidité extraordinaire, mais que les pionniers minaient en dessous. Alors les ennemis, vigoureusement poussés, ne voyant aucune possibilité pour eux de résister au roi de France, demandèrent une entrevue, et rendirent bientôt avec la ville, eux et leurs biens. Acre fut donc reçue par les nôtres, le 13 de juillet, après un siège d’environ deux ans. Les Turcs qui furent trouvés dans la ville n’ayant pu observer les conventions faites avec le roi de France, les uns se rachetèrent, les autres furent enchaînés comme esclaves, et d’autres périrent par le glaive. A la nouvelle de la prise d’Acre, la terreur s’empara des ennemis, et ils détruisirent et abandonnèrent Ascalon et quelques châteaux enlevés aux nôtres.

Henri, empereur des Romains, assiégea Naples ; mais y étant tombé malade, il laissa là ses ravages, et regagna l’Allemagne. Dans le monastère de Saint-Denis en France, on retira la tête du pieux Denis l’Aréopagite, martyr, de la châsse, où elle reposait avec son corps, afin de convaincre d’erreur des chanoines de Paris qui prétendaient l’avoir. Cette très sainte tête fut déposée dans un beau vase d’argent, afin que désormais elle fût offerte à découvert aux baisers des fidèles. Ensuite le vénérable Matthieu, abbé de ce monastère, ayant fait lui-même un autre vase d’or d’un ouvrage merveilleux et orné de pierres précieuses, y fit transférer cette relique par les mains du vénérable père en Christ, le seigneur Simon, alors prêtre-cardinal de Sainte-Cécile, et qui fut dans la suite appelé le pape Martin IV. Cette cérémonie eut lieu en présence du roi de France Philippe, fils, du très-saint roi de France Louis ; et tous ceux qui dans le temps actuel visitent ledit monastère peuvent voir ce vase.

La discorde s’étant élevée à Acre entre le roi de France et le roi d’Angleterre, Philippe, roi de France, remit son armée, entre les mains du duc de Bourgogne, et s’en revint des pays d’ontre-mer. Mais Richard, roi d’Angleterre, y resta, délivra par son aide les Chrétiens, qui, les mains liées, demeuraient en quelque sorte comme arrêtés, et fit beaucoup d’autres choses utiles.