Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1221

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Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1221]


Les Tartares étant entrés dans la Géorgie et la grande Arménie, ravagèrent ces contrées et les soumirent à leur domination. A Damiette, Pelage, légat du Siège apostolique, voyant que le peuple innombrable de Dieu n’obtenait plus aucun succès depuis long-temps à cause de l’absence du roi Jean, le pria par une lettre d’avoir compassion de la chrétienté, et de revenir à Damiette le plus tôt possible. Le roi, acquiesçant volontiers à ses prières, s’en retourna aussitôt. Par sa volonté et le conseil du légat, à la fête des apôtres Pierre et Paul, le roi et le légat, avec une partie très considérable de l’armée bien pourvue d’armes, et portant des vivres pour deux mois, sortirent de Damiette pour se rendre vers Babylone par terre et par mer. Arrivés à un certain endroit, éloigné de vingt-quatre stades de Babylone et d’autant de Damiette, où le Nil, se divisant en trois branches, donne naissance à trois grands fleuves, ils s’emparèrent d’un pont de vaisseaux que les Sarrasins avaient construit, et dressèrent leurs tentes dans une plaine qui s’étendait le long du fleuve. Le soudan voyant leur audace et leur grand nombre, tint conseil avec les siens, et prit la résolution de ne point combattre ; mais il ordonna aussitôt aux siens de garder et de fortifier l’entrée des chemins, de peur, qu’il ne pût arriver aux nôtres, de Damiette, des secours d’hommes ou de vivres. Il espérait par cet exécrable artifice faire périr le peuple de Dieu sans dommage pour les siens ; ce qui arriva pour la juste punition de nos péchés. Les nôtres manquèrent de vivres, et le Nil, selon son cours ordinaire, occupa toute la terre où était l’armée chrétienne. Ainsi le peuple de Dieu, perdant la moitié de ses forces, enfoncé jusqu’aux genoux dans le limon déposé par les eaux fangeuses, fut forcé de rendre Damiette, à condition qu’une partie du bois de la croix du Seigneur, que Saladin, soudan de Damas, avait emportée de Jérusalem, serait rendue aux Chrétiens, qu’on concluerait une trève de huit ans, et que les Sarrasins mettraient en pleine liberté tous les Chrétiens captifs, et leur donneraient un sauf-conduit jusqu’à Acre. Ainsi Damiette, prise avec beaucoup de peines et de dépenses, et possédée pendant plus d’un an par les nôtres, fut rendue aux Sarrasins à la fête de la Nativité de la sainte Vierge Marie, mère du Seigneur. Manassès, évêque d’Orléans, mourut, et eut pour successeur Philippe, neveu de saint Guillaume, archevêque de Bourges.