Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1281

La bibliothèque libre.
Règne de Philippe III le Hardi (1270-1285)

◄   1280 1281 1282   ►



[1281]


Le pape Martin, élu sénateur à vie, établit en son lieu Charles, roi de Sicile, prit dans sa maison et sa suite des chevaliers, qu’il chargea du gouvernement du patrimoine de saint Pierre, et les envoya en Romagne avec environ huit cents Français stipendiés contre Gui, comte de Montefeltro, qui retenait dans ce pays le territoire de l’Église romaine, dont il s’était emparé. Dans Civita Vecchia il s’éleva une grande dissension entre les citoyens et les gens de Charles, roi de Sicile, au point que les habitant s’écriaient : « Mort aux Français. » L’auteur de ces troubles fut Jamier, commandant de la ville, qui favorisait les citoyens. Mais les Français, courant aux armes, tuèrent un grand nombre d’entre eux, et, forcés par la nécessité, les séditieux s’apaisèrent.

Au mois de février,on prit un poisson de mer qui ressemblait à un lion, et on le porta à Civita Vecchia, résidence du pape et de la cour de Rome. Mais lorsqu’on le prit, il poussa d’horribles gémissemens, qu’un grand nombre de gens regardèrent comme le présage de quelqu’événement.

Dans le royaume de Sicile, les habitans de Palerme et de Messine, enflammés de rage contre le roi Charles et les Français qui habitaient l’ile, au mépris du roi Charles, les égorgèrent tous, sans distinction de sexe ni d’âge. Ce qu’il y eut de plus abominable, c’est qu’ouvrant les flancs des femmes de leur pays enceintes des Français, ils tuaient leur fruit avant qu’il eût vu le jour.

Lewellyn, prince de Galles, se révoltant de nouveau contre Edouard, roi d’Angleterre, fit tuer par son frère David tous les gens et sujets en garnison dans le pays de Galles. Le roi, indigné, entra aussitôt avec de grandes forces sur le territoire de Galles, et, faisant trancher la tête au prince Lewellyn et à son frère David, soumit la terre de Galles à sa domination. Le roi de Sicile, ayant appris le massacre des siens, envoya aussitôt en France son fils Charles, prince de Salerne, pour demander secours ; et lui-même, pendant ce temps, ayant passé le phare de Messine, assiégea les habitans de cette ville. Pendant qu’il s’efforçait de les soumettre, voilà que Pierre d’Aragon, qui se cachait du côté de l’Afrique, appelé par les Siciliens comme leur seigneur et leur principal défenseur, entra en Sicile avec une forte armée malgré la défense du seigneur pape. Bientôt, ayant soulevé toute la Sicile, il se fit, au mépris du roi Charles et de l’Église romaine, couronner roi de ce pays, et fit déclarer à Charles, occupé au siège de Messine, qu’il sortît promptement de son royaume, et n’osât plus attaquer les Messinais ; ce que voyant le roi Charles, trahi, dit-on, dans les plaines de Saint-Martin, par le conseil de quelques-uns de ses partisans, il se retira en Calabre.

Il s’éleva une telle discorde entre les clercs de Picardie et les clercs anglais qui étudiaient à Paris, que l’on croyait que les études en seraient interrompues ; car les Anglais, détruisant les maisons des Picards, tuèrent quelques-uns d’entre eux, et les forcèrent de s’enfuir hors de Paris.