Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1283

La bibliothèque libre.
Règne de Philippe III le Hardi (1270-1285)

◄   1282 1283 1284   ►



[1283]


Gui de Montfort, délivré par le pape Martin de la captivité dans laquelle il était retenu depuis long-temps, fut envoyé par le même pontife au secours des siens dans la Romagne, le remit aussitôt en possession des terres et des villes de l’Église dont s’était emparé Gui de Montefeltro, et jura d’obéir aux ordres de l’Église. La Romagne rentra ainsi tranquillement sous la domination du pape, à l’exception de la ville d’Urbin. Gui de Monfort attaqua cette ville, et prit et ravagea tout ce qu’il trouva hors de ses murs.

Le premier jour de juillet, Charles, roi de Sicile, se rendit à Bordeaux pour combattre contre Pierre d’Aragon, préparé selon les conventions qu’il lui avait indiquées. Mais ledit Pierre n’osa s’y trouver comme il l’avait promis. Il arriva, à ce que disent quelques-uns, dans la nuit qui précédait le jour fixé, accompagné de deux chevaliers, et eut avec le sénéchal de Bordeaux, dans un lieu secret et éloigné, une conférence dans laquelle il prétendit qu’il ne pouvait et n’osait tenir sa parole, à cause des forces menaçantes du roi de France qui était venu en cette ville. Il ne se trouva donc point au rendez-vous, ainsi que nous l’avons dit. Alors le roi Charles se retira en France avec Philippe, roi de France, son neveu, et y séjourna jusqu’au mois de mars suivant. Un chevalier d’Espagne, nommé Jean Minime, à la solde du roi de France, attaqua le royaume d’Aragon du côté de la Navarre ; et, profitant de l’absence de Pierre qui cherchait des secours, s’empara d’un grand nombre de villes de son royaume.

Rufin, comte de Toscane, étant mort, Gui de Montfort, marié à sa fille, quitta, par la permission du pape Martin, le siège d’Urbin, on il laissa son armée, et se transportant en Toscane, défendit vigoureusement la terre qui lui revenait au titre de sa femme, contre les attaques des comtes de Fiori et d’Anguillari, auxquels il tua un grand nombre de gens. Charles, roi de Sicile, quittant le roi et le royaume de France, retourna dans sa terre de Pouille. A la nouvelle de son arrivée, les Siciliens s’approchèrent de Naples avec vingt-sept galères munies d’hommes d’armes, poussèrent de grands cris et firent de grandes démonstrations de guerre, pour tâcher d’irriter leurs ennemis, et d’exciter son fils et les Français qui demeuraient dans la ville à combattre avant l’arrivée du roi Charles. Le prince de Salerne, fils du roi Charles, qui était venu en cette ville pour de certaines affaires, et avait laissé en Calabre Robert, comte d’Artois, les ayant entendus, excité et animé par leurs cris, et emporté par une funeste témérité, monta avec les siens sur ses galères, et les attaqua courageusement. Mais comme ses gens ignoraient l’art de combattre sur mer, ou plutôt parce qu’il fut, dit-on, trahi par les matelots, il fut vaincu et pris, et mené en captivité à Messine. Quatre jours après, Charles son père étant arrivé à Naples, châtia les Napolitains qui, après la défaite du prince, avaient résolu de se soulever, et avaient chassé ses gens de la Ville, et il permit aux gens de sa suite de leur faire souffrir toutes sortes de maux. Enfin, ayant équipé une armée, il se transporta vers Reggio, ville de Calabre, où était le comte d’Artois, son neveu. Il avait le dessein de passer le phare de Messine pour assiéger cette ville ; mais n’ayant pu l’accomplir, il envoya ses vaisseaux dans le port de Brindes, de peur qu’il ne leur arrivât d’être brisés par les ouragans d’hiver ou pris par les ennemis.