Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1296

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Règne de Philippe IV le Bel (1285-1314)

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[1296]


Le pape, Céléstin, déposé, termina son dernier jour. Les Ecossais ayant fait alliance avec le roi de France, entrèrent dans le royaume d’Angleterre, qu’ils ravagèrent mais comme ils revenaient de cette expédition, Jean, leur roi, trahi par quelques-uns, fut pris et envoyé au roi d’Angleterre ; Pierre et Jacques de Colonne, cardinaux de l’Église romaine, qui affirmaient que la déposition du pape Célestin avait été injuste, ainsi que l’élévation de Boniface, s’efforçant par là de troubler l’Église romaine par un schisme, furent déclarés par le pape Boniface déchus de leur dignité de cardinaux et privés de tous leurs biens et bénéfices ecclésiastiques.

Alphonse et Fernand, fils de Blanche, fille de saint Louis roi de France, et de feu Fernand, fils aîné du roi de Castille, qui avaient été dépouillés totalement par Alphonse, leur aïeul, de leurs droits légitimes sur la souveraineté et dignité royale et vivaient en exil dans le royaume de France, ayant appris la mort du roi Sanche leur oncle, marchèrent à grandes journées vers l’Espagne, et, concluant un traité avec Jacques, roi d’Aragon, soutenu par le secours de son frère et de son fils Jean Nunez, baron d’Espagne, soumirent totalement à leur pouvoir le royaume de Léon.

Alphonse, l’aîné des frères, conféra et donna aussitôt ce royaume, pour être tenu de lui en fief, à Jean, son oncle, qui était venu à leur secours, et par là attira admirablement à lui les cœurs de sa nation.

Une exaction extraordinaire, appelée maltôte, fut, à cause de la guerre qui régnait entre les rois de France et d’Angleterre, levée dans le royaume de France ; elle ne fut d’abord imposée que sur les marchands ; mais ensuite on exigea la centième, puis la cinquantième partie des biens de tous, tant clercs que laïcs c’est pourquoi le pape Boniface rendit un décret portant que si les rois ou princes, ou barons de toute la chrëtientë, exerçaient à l’avenir de telles exactions sur les prélats, les abbés et le clergé sans consulter l’Église de Rome, ou si les évêques, les abbés et le clergé consentaient à les recevoir, ils encourraient par ce fait une sentence d’excommunication dont ils ne pourraient être absous par personne, si ce n’est à l’article de la mort, excepté par le pontife romain, ou par un ordre spécial de lui. La ville de Pamiers fut dans ce temps déclarée indépendante de l’évêché de Toulouse, et obtint du pape Boniface un évêque particulier ; mais aussitôt Louis, fils du roi de Sicile, frère Mineur, obtint entièrement du pape Boniface les deux évêchés.

Edmond, frère du roi d’Angleterre, envoyé en Gascogne contre les gens du roi de France, mourut à Bayonne. Après sa mort, comme les gens du roi d’Angleterre se préparaient à munir de vivres les villes et châteaux qui tenaient pour leur parti, Robert, comte d’Artois, vaillant chevalier arrivé peu de temps auparavant dans ce pays, fut instruit de ce projet par ses espions, et le prévint aussitôt, car il défit tellement leur armée, composée de sept cents chevaliers et de cinq mille hommes de pied, et mit si bien en fuite les Gascons et les seigneurs anglais, qu’il en tua cinq cents, et en fit prisonniers à peu près cent. Dans ce combat furent pris, avec d’autres nobles anglais, et envoyés en France, Jean de Saint-Jean et le jeune Guillaume de Mortemar ; le comte de Lincoln et Jean de Bretagne, fuyant du champ de bataille, perdirent entièrement la troupe qu’ils conduisaient avec toutes ses machines de guerre et sans la nuit, qui mit fin au combat, et le voisinage des bois, il ne se serait échappé personne d’une si grande multitude. Les ennemis du roi de France ayant été battus en Gascogne, il n’y eut plus personne ensuite qui osât faire la guerre au comte d’Artois ou aux Français. Florent comte de Hollande, et peu de temps après son fils unique, furent tués en trahison par un certain chevalier. Jean, comte de Hainaut, vengea leur mort, et obtint par droit de parenté la Frise et la Hollande.

Gui, comte de Flandre, trompé, dit-on, par son fils Robert, se prépara à se soulever ouvertement contre son seigneur Philippe, roi de France, et lui manda par lettres à Paris qu’il ne reconnaissait tenir rien de lui en fief ni d’aucune autre manière. Au mois de décembre à Paris, la veille de saint Thomas l’apôtre, le fleuve de la Seine s’accrut tellement qu’on ne se souvient pas, et qu’on ne trouve écrit nulle part, qu’il y eût jamais eu à Paris une si forte inondation, car toute la ville fut remplie et entourée d’eau en sorte qu’on ne pouvait y entrer d’aucun côté, ni passer dans presque aucune rue sans le secours d’un bateau. La masse des eaux et la rapidité du fleuve firent crouler entièrement deux ponts de pierre, des moulins et les maisons bâties dessus, et le Châtelet du Petit-Pont. Il fallut pendant près de huit jours fournir les habitans de vivres apportés du dehors au moyen de barques et de bateaux.