Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1305

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Règne de Philippe IV le Bel (1285-1314)

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[1305]


Philippe, roi de France, pacifia et apaisa, dit-on, vers l’Ascension du Seigneur, une grande dissension élevée entre le duc de Brabant et le comte de Luxembourg, au sujet de la terre de Louvain. Les cardinaux, après avoir différé pendant près d’un an l’élection d’un souverain pontife, élurent enfin, la veille delà Pentecôte, Bertrand, archevêque de Bordeaux, qui fut le deux cent unième pape sous le nom de Clément V. Paix entre le roi de France et les Flamands, il s’éleva à Beauvais, ville de France, entre l’évêque Simon et le peuple de la ville, une si violente dissension, que l’évêque ne pouvait plus entrer en sûreté dans la ville ; c’est pourquoi étant de noble race, il appela à son aide plusieurs nobles et hommes puissans, prit quelques citoyens, et mit le feu au faubourg de la ville. Mais enfin, appelés en présence du roi, les deux partis furent forcés de mettre fin à leurs dissensions, et ne se retirèrent pas impunis, car ils avaient des deux côtés commis de graves excès ; il y eut en France au temps de l’été une très-grande sécheresse. Le jeudi après la fête de saint Matthieu l’apôtre, Louis, fils aîné du roi des Français, prit en mariage, avec une dispense du pape, Marguerite, fille aînée du duc de Bourgogne, son alliée par le sang.

Le dimanche après la Saint-Martin d’hiver, le pape Clément fut consacré à Lyon dans l’église du château royal, appelée l’église de Saint Just, en présence des cardinaux et prélats, et d’une foule de grands, et il revint à sa maison dans la villes portant, selon la coutume, les insignes de son couronnement. Pendant qu’il traversait la cour de ce château, le roi de France le conduisit avec grand honneur, marchant à pied près de lui, par une pieuse humilité, et tenant la bride de son cheval. À la sortie de la cour, Clément fut reçu par Charles et Louis, frères du roi, et par Jean, duc de Bretagne, et conduit de la même manière jusqu’à sa maison. Cependant une si innombrable multitude de peuple étant accourue et s’étant amassée à ce spectacle, un mur, près duquel passaient le pape et sa suite, ébranlé par le poids de la foule qu’il portait, s’écroula avec fracas et si soudainement que le duc de Bretagne en fut atteint, comme sa mort le prouva bientôt, et que Charles, frère du roi, fut grièvement blessé. Le pape eut sa mitre pontificale brisée ainsi que beaucoup d’autres ornemens, et un grand nombre d’autres furent tués ou blessés dangereusement. Ainsi ce jour qui, au premier aspect, n’annonçait que magnificence, joie et transports, amena la confusion de la douleur et des lamentations. Avant que le roi de France ne quittât Lyon, le pape Clément lui donna la permission de faire transporter du monastère de Saint-Denis en sa chapelle à Paris la tête et une des côtes de saint Louis, son aïeul, et à sa prière il rétablit dans leur première dignité les frères Pierre et Jacques Colonne, dégradés depuis longtemps par le pape Boniface du rang de cardinaux. En outre, pour dédommagement des dépenses faites en Flandre, il accorda au roi pour trois ans la dîme des églises et des annates, et investit d’avance ses chapelains et clercs, et ceux de ses frères, des premières prébendes qui viendraient à vaquer dans presque toutes les églises de son royaume. Il engagea, dit-on, le roi à améliorer une petite monnaie qu’il avait faite, et à payer promptement ses dettes. Le pape Clément créa dix-huit cardinaux de plus, et en envoya deux à Rome pour lui conserver la dignité de sénateur. Il nomma deux évêques, un à Arras, et un autre à Poitiers. Il accorda à l’évêque de Durham le patriarcat de Jérusalem, fit beaucoup de dons aux pauvres clercs, et les pourvut de bénéfices selon leurs besoins et leurs mérites personnels.

Après la Nativité du Seigneur, le roi Philippe revint de Lyon en France. Vers la Purification de la sainte Vierge, le pape Clément, quittant Lyon, se retira à Bordeaux, et, dans son passage par Mâcon, Brioude, Bourges et Limoges, ravagea lui-même ou par ses satellites les églises et les monastères des religieux ou séculiers, et leur causa de nombreux et graves dommages, car il arriva que frère Gilles, archevêque de Bourges, fut réduit par ces pillages à une telle indigence qu’il fut forcé, comme un de ses simples chanoines, de fréquenter les heures ecclésiastiques pour recevoir les distributions quotidiennes des choses nécessaires à la vie. Le duc de Bourgogne Robert, d’heureuse mémoire, mourut au mois de mars ; son corps fut porté en Bourgogne, comme il l’avait ordonne de son vivant, et enterré dans le monastère de Cîteaux.