Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1313

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Règne de Philippe IV le Bel (1285-1314)

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[1313]


Le jour de la Pentecôte, Philippe, roi de France, créa chevalier, c’est-à-dire ceignit de l’écharpe de chevallier, Louis, son fils aîné, roi de Navarre, comte de Champagne et de Brie et ses frères Philippe et Charles, ainsi que Hugues duc de Bourgogne, Gui comte de Blois, et beaucoup d’autres nobles du royaume, en présence d’Edouard roi d’Angleterre, et de la reine Isabelle, fille du roi de France, venue en France avec une noble suite d’Anglais pour honorer leur entrée dans la chevalerie. Vers le même temps, le mercredi après la Pentecôte, Philippe roi de France, ses trois fils déjà faits chevaliers, Edouard roi d’Angleterre, et les grands du royaume d’Angleterre, reçurent la croix des mains du cardinal Nicolas, envoyé à cet effet par le souverain pontife, pour passer au secours de la Terre-Sainte. Une foule nombreuse de commun peuple ayant entendu les prédications à ce sujet, entreprit bientôt dévotement ce voyage. Vers la fête de la Madeleine, le prince de Tarente prit en mariage la fille du comte de Valois et de Catherine sa femme, héritière de l’empire de Constantinople, et emmena avec lui la sœur de cette princesse, quoique jeune, pour la marier à son fils. Le mardi après la fête de la Madeleine, les barons et prélats de France s’étant, par ordre du roi, rassemblés à Courtrai, il fut conclu entre le roi et les Flamands un traité qui portait que les Flamands paieraient complètement au roi la somme convenue, et feraient démolir leurs forteresses dans un espace de temps fixé, commençant dès ce moment à détruire Bruges et Gand, et continuant jusqu’à l’entière démolition des autres forteresses. Les travaux devaient se faire partout à leurs propres frais et dépens, et sous la direction de gens établis à cet effet par le roi, et experts dans cette partie. Le seigneur Robert, fils du comte de Flandre, et tous les châteaux de Courtrai, avec leurs appartenances, devaient, pour plus grande sûreté et garantie de l’exécution de ces conditions, être remis en otage.

Robert, roi de Sicile, ayant méprisé de comparaître au temps fixé à Arezzo en présence de l’empereur Henri, il le déclara publiquement et ouvertement déchu de son royaume et de sa couronne. Le pape Clément, dans ses statuts, proclama tout-à-fait nulle cette déclaration, parce que la citation contre ledit Robert n’avait pas été faite selon les règles et la justice, Robert n’ayant pas été appelé dans un lieu sûr. Le pape allégua aussi plusieurs autres raisons étrangères au sujet de cet ouvrage. Au mois de juillet, l’empereur ayant levé une armée contre Robert, se fraya un passage à travers le comté des Siennois, soulevés contre lui, jusqu’à un lieu appelé Isola, et causa aux Siennois beaucoup de dommages. Enfin, s’étant approché de Bénévent après beaucoup de glorieuses victoires, attaqué de maladie et de fièvre, ou, comme quelques-uns le disaient, empoisonné dans l’eucharistie qu’il reçut de la main d’un prêtre de l’ordre des frères Prêcheurs, son propre confesseur, lequel avait été séduit par l’argent de Robert, ou, comme on le croit plus vraisemblablement, des Florentins ennemis de l’empereur, il termina le dernier jour de sa vie. Son corps fut porté à Pise et honorablement enterré dans l’église cathédrale.

Vers la fête de la sainte Vierge, Philippe roi de France, voulant ramener à l’ancienne et complète valeur de la monnaie de Paris les petites pièces dites Bourgeois qu’il avait fait fabriquer, et qui avaient eu cours à Paris pendant deux ans, ce qui avait semblé inoui dans le royaume de France, surtout lorsqu’elles équivalaient à peine aux autres monnaies en poids et en valeur…………….33 fit fabriquer des sous parisis et tournois, de la même valeur et du même poids qu’ils avaient été dans le temps de saint Louis, et régla en outre que les florins à l’agnel, qui avaient cours pour vingt-deux sous de ces petits Bourgeois, ne vaudraient plus, jusqu’à une autre disposition à ce sujet, que quinze sous tournois. De plus, le roi Philippe fit défendre expressément, par un édit proclamé publiquement, que personne fît usage secrètement ni publiquement d’une autre monnaie quelconque d’or ou d’argent, ou estimée d’une autre valeur, sous peine de perdre la totalité de ses biens. Ces changemens firent bientôt murmurer hautement les citoyens, parce qu’ils furent pour eux la source de beaucoup de pertes et dommages, surtout pour les marchands, qui furent trompés sur ces monnaies dans plusieurs lieux, et surtout près de Paris, par la ruse des serviteurs chargés de faire exécuter l’ordonnance.

Vers le même temps fut consacrée l’église de Sainte- Marie-d’Escoys, fondée récemment par Enguerrand de Marigny, qui y avait établi des chanoines. Le cardinal Nicolas défendit rigoureusement par l’autorité apostolique, sous peine d’excommunication, de déférer dans les jugemens ou dans les écoles, aux nouveaux statuts, émanés, selon quelques-uns, de la cour apostolique après le concile général, et dont ils disaient avoir copie, lesdits statuts n’étant point émanés de la conscience du souverain pontife, lequel était dans l’intention de pourvoir autrement aux objets en question. Vers la fête de Saint-Denis, il proscrivit généralement et expressément tous les tournois, prononçant une sentence d’excommunication contre ceux qui s’y exerceraient et ceux qui les favoriseraient, et aussi contre les princes qui les permettraient, et soumettant leurs terres à l’interdit ecclésiastique. Ensuite cependant le pape, à la requête des fils du roi et des autres nobles nouvellement armés chevaliers avec eux, accorda cette restriction que, nonobstant la publication de cette défense, il serait permis cette fois de s’exercer dans ces sortes de jeux pendant trois jours qui précéderaient le carême suivant.

Guichard, évêque de Troyes, accusé, comme nous l’avons dit, de la mort de la feue reine Jeanne, fut reconnu innocent, d’après la confession d’un certain Lombard surnommé Nofle, qui fut condamné à mort et pendu à Paris pour ce crime.

Il s’éleva entre le duc de Lorraine et l’évêque de Metz une dissension très-grave, quoique occasionnée par un sujet peu important. Elle eût pu facilement être apaisée dans le principe. Enfin, les armées des deux partis s’étant rassemblées, le jeudi avant la Saint-Martin d’hiver, devant un château appelé Flève, il se livra entre elles un combat très-animé, et quoique l’armée de l’évêque fut supérieure en nombre, en courage et en force à celle du duc, elle fut cependant vaincue par l’adresse et les ruses habiles de ses ennemis. En effet, l’armée de l’évêque marchant par les métairies, les plaines et les défilés, les gens du duc qui dominaient déjà au-dessus de la tête de leurs ennemis, gravirent une montagne, et, descendant aussitôt de cheval, se précipitèrent sur eux avec une telle force et impétuosité, leur lançant des pierres et des cailloux qui abondaient dans cet endroit, et toutes sortes de choses dont se servent les gens de pied, qu’ils en tuèrent environ deux cents ; le reste fut forcé de s’enfuir, et quelques-uns en fuyant se noyèrent dans une rivière qui coulait près de là. Dans ce combat furent pris le comte de Bar, neveu de l’évêque de Metz, le comte de Salm son fils, et d’autres nobles du parti dudit évêqne, qui cependant se rachetèrent plus tard au prix de beaucoup d’argent, seul moyen qu’ils eussent de se délivrer de la longue captivité où les retenait le duc. Gui, évêque de Soissons, et………. évêque de Châlons, étant morts, Gérard de Malmont et Pierre de Latilly, chancelier du roi, furent consacrés, à Pontoise dans une église de nonnes, le premier dimanche de l’Avent, par l’archevêque de Rouen et les évêques diocésains, le premier, évêque de Soissons, et le second, évêque de Châlons. Gui, évêque de Senlis, étant mort, ……………… lui succéda dans l’épiscopat.

Le grand-maître de l’Ordre des Templiers et trois autres Templiers, à savoir le visiteur de l’Ordre en France, et les maîtres d’Aquitaine et de Normandie, sur lesquels le pape s’était réservé de prononcer définitivement, avouèrent tous quatre ouvertement et publiquement les crimes dont on les accusait, en présence de l’archevêque de Sens et de quelques autres prélats et hommes savans en droit canon et en droit divin, assemblés spécialement pour ce sujet, d’après l’ordre du pape, par l’évêque d’Albano et deux autres cardinaux légats, et auxquels fut donné communication de l’avis du conseil des accusés. Comme ils persévérèrent dans leurs aveux, et paraissaient vouloir y persister jusqu’à la fin, après une mûre délibération, sur l’avis dudit conseil, ladite assemblée les condamna, le lundi après la fête de Saint-Grégoire, sur la place publique du parvis de l’église de Paris, à une réclusion perpétuelle. Mais voilà que, comme les cardinaux croyaient avoir définitivement conclu cette affaire, tout-à-coup deux des Templiers, à savoir le grand-maître d’outre-mer et le grand-maître de Normandie, se défendirent opiniâtrement contre un cardinal qui portait alors la parole, et contre l’archevêque de Sens, et sans aucun respect recommencèrent à nier tout ce qu’ils avaient avoué, ce qui causa une grande surprise à beaucoup de gens. Les cardinaux les ayant remis entre les mains du prévôt de Paris alors présent, seulement pour qu’il les gardât jusqu’à ce que le jour suivant ils délibérassent plus amplement à leur égard, aussitôt que le bruit de ces choses parvint aux oreilles du roi qui était alors dans le palais royal, il consulta avec les siens, et, sans en parler aux clercs, par une prudente décision, fit livrer aux flammes les deux Templiers, vers le soir de ce même jour, dans une petite île de la Seine, située entre le jardin royal et l’église des frères Ermites. Ils parurent supporter ce supplice avec tant d’indifférence et de calme, que leur fermeté et leurs dernières dénégations furent pour tous les témoins un sujet d’admiration et de stupeur. Les deux autres Templiers furent renfermés dans un cachot, selon que le portait leur arrêt.

33. Il y a ici une lacune qui rend la phrase inintelligible ; l’ordonnance de Philippe le Bel se trouve dans le Recueil des Ordonnances, tom. 1, page 518.