Chronique de la quinzaine - 31 janvier 1842

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Chronique no 235
31 janvier 1842
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 janvier 1842.


La discussion de l’adresse est terminée. Après une lutte de quinze jours, lutte brillante et laborieuse, la chambre des députés est enfin arrivée à compléter l’expression de sa pensée. Elle a dit à la couronne et au pays son avis sur la situation de la France à l’extérieur et à l’intérieur, ce qu’elle pense des faits désormais accomplis et de ceux que notre politique nous prépare.

Nous ne ramènerons pas nos lecteurs sur les phases et les incidens de ces débats. Ils sont trop connus.

Ce qui importe aujourd’hui, c’est de bien saisir la pensée que la chambre a voulu manifester. Toute illusion, à cet égard, serait d’autant plus fâcheuse que la chambre a prononcé son verdict sous l’inspiration directe et prochaine du pays, en songeant avant tout aux élections, au contrôle que le vote du député subira bientôt de la part de ses commettans. La chambre a sans doute admiré la puissance parlementaire de ses chefs ; mais évidemment il y a eu chez elle plus d’admiration que d’entraînement. Elle se défiait d’elle-même ; elle se défiait de tout le monde, des orateurs de l’opposition, des orateurs du gouvernement. Ni les uns ni les autres ne lui paraissaient rendre, par l’ensemble de leurs opinions, l’expression sincère, complète, des vœux et des opinions du pays. C’est cette expression que la chambre s’est appliquée à chercher avec une constance et une indépendance remarquables, quelque effort qu’on ait fait, de tous les côtés, pour exciter ses passions, pour troubler son jugement, pour la pousser au-delà des limites qu’elle s’était proposé de ne pas franchir.

Tous les efforts ont échoué devant la ferme résolution de l’assemblée. Le ministère n’a pu lui faire dire qu’elle était glorieuse, satisfaite du moins de notre politique extérieure ; l’opposition n’a pu lui arracher un mot de blâme sur l’intérieur, contre la politique de résistance. C’est là, en deux mots, le sens et l’esprit de l’adresse ; sur la politique extérieure, la chambre se résigne ; sur la politique intérieure, elle s’associe aux efforts du gouvernement ; elle veut, comme lui, contenir toutes les factions et défendre envers et contre tous la monarchie de juillet. Sur les questions de l’intérieur, la chambre est disposée à donner au gouvernement des marques de confiance ; sur les questions extérieures, sa confiance n’est pas absolue, sa vigilance est plus éveillée, son contrôle plus sévère.

On a annoncé, dans le discours de la couronne, la clôture, apparente du moins, de la question d’Orient et le traité du 13 juillet. La chambre n’a pas prononcé un blâme, encore moins un éloge ; la commission, quoique ministérielle, n’a pas même osé le proposer. La chambre s’est résignée aux faits accomplis avec une réserve, j’ai presque dit, avec une tristesse qui ne manque pas de dignité. Elle s’est dit qu’il y a eu là une sorte de fatalité, un enchaînement de faits, de circonstances, de fautes, de bonnes intentions, dont il serait difficile de faire pour chacun aujourd’hui la juste part. Lorsque la politique commande à un grand pays de se résigner à un fait accompli, la résignation doit en effet être silencieuse ; se résigner en se plaignant serait une faiblesse, se résigner avec une satisfaction apparente serait une indignité.

Le sentiment que la chambre n’a pas voulu manifester à l’endroit de la question d’Orient a paru tout entier au sujet du droit de visite. Sans doute une convention de cette nature aurait excité en tout temps de vives réclamations ; il y a là quelque chose d’exorbitant, un droit conventionnel à la vérité, mais insolite, dont l’extension n’aurait jamais été acceptée sans répugnance. Il n’est pas moins certain que, si l’alliance anglo-française n’avait pas été brisée par le traité du 15 juillet, le pays aurait peut-être fermé les yeux sur cette nouvelle condescendance aux sollicitations du gouvernement britannique : il est certain du moins que l’opposition n’aurait pas été unanime dans la chambre, unanime au point que les orateurs de la gauche n’ont rien dit de plus décisif et de plus net que ce qui a été dit par l’auteur de l’amendement adopté, par M. Jacques Lefebvre, lorsqu’il s’est écrié que son but était d’empêcher la ratification du traité.

Reconnaissons-le (il ne serait ni digne ni prudent de le méconnaître), c’est le sentiment national, le sentiment national froissé et mécontent, qui a inspiré la chambre, qui l’a inspirée dans son silence comme dans ses manifestations. Résignée sur la question d’Orient comme sur un fait accompli, elle a voulu, sur la question du droit de visite, avertir le gouvernement et lui prêter appui pour écarter une innovation qu’elle ne jugeait pas compatible, dans ce moment surtout, avec la dignité de notre pavillon. Pour la majorité, le vote de la chambre, quelque embarrassant qu’il puisse être pour le ministère, n’avait pas d’autre signification. La chambre ne se proposait pas d’ébranler le cabinet ; elle a voulu seulement lui indiquer une voie plus élevée et plus nationale. On a pu reconnaître les dispositions de la majorité lors du vote sur les affaires d’Espagne. En repoussant l’amendement, la chambre a donné son adhésion à la politique du gouvernement : tout en désirant le maintien de nos relations amicales avec l’Espagne, elle n’a pas voulu donner à croire que notre gouvernement ne trouverait pas appui chez nous dans ses démêlés avec un cabinet étranger.

Ici se présente une réflexion importante, qui n’a pas échappé à ceux qui observent dans les chambres la tactique parlementaire des partis. Quelles qu’aient été les dispositions de la majorité en votant sur le droit de visite, toujours est-il que l’amendement n’était pas accepté par le cabinet ; disons-le, avec le commentaire de M. Lefebvre, l’amendement était un échec pour le ministère. Si l’opposition avait concentré ses efforts sur ce point, si elle avait déclaré que là était pour elle la question de l’adresse tout entière, que les autres paragraphes étaient indifférens ou touchaient à des questions qui devaient être débattues plus tard, le ministère aurait été vaincu dans les débats de l’adresse, vaincu sur une question grave, vaincu avec le concours du parti conservateur. C’est ainsi que les choses se seraient passées en Angleterre. Chez nous au contraire, la discussion de l’adresse est une sorte d’enquête générale sur la situation du pays. Tout homme se croyant quelque valeur parlementaire y cherche un point sur lequel il puisse s’établir et livrer un combat. Chacun se fait juge de l’importance et de l’opportunité de la question qu’il suscite. On se flatte peut-être de réduire le cabinet aux abois en le harcelant sans cesse, en lui présentant tous les jours de nouveaux combats et des combattans nouveaux. On se trompe. Plus on multiplie les questions, et plus on offre au ministère des occasions de succès. C’est ainsi qu’on atténue, qu’on efface même l’impression d’un échec ministériel. En insistant avec la même vivacité sur une foule de questions diverses, on arrive à ce singulier résultat, que les questions sont comptées, au lieu d’être pesées, et comme le ministère, s’il succombe dans une question, triomphe d’ordinaire sur toutes les autres, on lui donne le droit d’en conclure que la discussion de l’adresse lui a été favorable.

Mais il est inutile d’insister davantage sur ce point. Nos habitudes et nos mœurs ne permettent pas, chez nous, aux partis politiques, une tactique plus savante, qui suppose une organisation et une discipline incompatibles avec notre indépendance personnelle et avec notre activité quelque peu impatiente et ambitieuse. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? Peut-être des partis fortement organisés rendraient-ils, chez nous, le gouvernement trop difficile : peut-être aussi, le jour où les partis opposans pourraient se donner cette forte organisation, le parti gouvernemental, par les mêmes causes, se trouverait plus compact et mieux discipliné ; car dans ses rangs aussi le moi exerce ses ravages, moins cependant que dans les rangs de l’opposition, et la raison en est simple : dans le parti gouvernemental, le ministère est un chef avoué, et une certaine discipline est acceptée par cela seul qu’elle paraît une nécessité de position plutôt qu’une injonction individuelle. En général, cependant, il y a chez nous beaucoup de chefs et peu de soldats : aussi assistons-nous plus encore à de nombreux combats singuliers qu’à de grandes batailles.

Quoi qu’il en soit, nous voici au mois de février, et les chambres n’ont pas encore abordé une seule des questions dont le pays attend la solution avec une juste impatience. De nouveaux retards ne sont que trop à craindre. La chambre des députés va se lancer de nouveau dans l’arène des débats politiques. La réforme électorale, les lois de septembre, la question des incompatibilités, préoccupent les hommes politiques plus encore que les questions d’administration et d’affaires. La raison est facile à deviner. Les premières peuvent seules devenir des questions de cabinet et renverser un ministère.

Les débats de l’adresse ont assez montré que la lutte sera vive, ardente, acharnée, comme toutes les luttes qui promettent une grande récompense aux vainqueurs, qui menacent les vaincus d’un grand revers. Le pouvoir pendant les élections, c’est là le prix de la victoire, et, il faut en convenir, ce n’est pas un prix à dédaigner.

Nous ne voulons pas faire ici de pronostics. Nous avons entendu les hommes qui paraissent le mieux connaître la chambre, et qui ne sont pas des hommes de parti, ardens, aveugles, faire sur les dispositions de l’assemblée les conjectures les plus opposées. Les uns croyaient que la chambre n’hésiterait pas à adopter, en partie du moins, l’adjonction des capacités ; les autres pensent que la proposition sera rejetée par une majorité qu’ils estiment de 30 à 40 voix. La même divergence d’opinions, de prévisions, existe à l’égard de la question des incompatibilités. Nous n’en sommes pas étonnés. À cette époque de la législature élective, le problème se complique d’un si grand nombre d’inconnues, que les calculateurs les plus habiles peuvent se tromper. La session aura de l’imprévu.

Ce qu’il y aurait de déplorable pour tous, ce qui indisposerait les électeurs de toutes les opinions, ce serait de voir la session s’écouler sans que le pays eût obtenu les grandes lois d’intérêt matériel qu’on lui fait espérer depuis long-temps, en particulier la loi sur les chemins de fer. Il faut pourtant donner quelque satisfaction non-seulement aux intérêts réels, mais aussi à l’imagination, à l’élan du pays, à cet amour des grandes entreprises, qui vit toujours en France, et qui n’a jamais été impunément méconnu. Le pays veut la paix, mais une paix qui ne manque ni d’activité, ni de grandeur. Une paix chétive, humble, impuissante, il serait bientôt las de l’aimer ; il la repousserait du pied. Ces grandes communications qui paraissent enfanter des miracles, changer la face d’un pays et l’appeler à de nouvelles destinées, ont frappé aujourd’hui l’esprit des populations, et la France se croirait en quelque sorte déshonorée, si, tandis que nos voisins ont mis puissamment la main à l’œuvre, on ne pouvait signaler chez nous que quelques tronçons de chemins de fer, sans importance, sans avenir pour le pays, tant qu’ils ne seront pas rattachés à un grand système. Les départemens, les communes, s’animent à la pensée de ces grands travaux, et ne reculent pas devant les sacrifices qu’ils commandent. Le pays attend une loi, une loi digne de la France. L’aura-t-il ? Hélas ! le ministère paraît vouloir la proposer ; mais les intérêts particuliers se préparent, dit-on, à de rudes combats, à une résistance opiniâtre contre tout projet qui ne leur donnerait pas pleine satisfaction. Et comme il est impossible de les satisfaire tous au même degré, en même temps, on peut tout craindre de leurs passions et de leur aveuglement. Les deux chemins de Versailles sont là pour attester jusqu’où peut aller l’obstination aveugle d’hommes d’ailleurs graves et sérieux, et auxquels du moins nul ne conteste l’habileté du calcul. Nous ne connaissons pas le projet du gouvernement. Si, comme on le dit, il ne présente que deux chemins, il rencontrera d’immenses difficultés. S’il sacrifie le nord au midi, les plaintes du midi, quelques-unes fondées, les autres exagérées, sont déjà si nombreuses, qu’il soulèvera des réclamations violentes, et compromettra le sort du projet. Peut-être vaudrait-il mieux reproduire, en le modifiant, le projet de 1838 : non qu’il y ait possibilité ni convenance de tout commencer à la fois, mais afin que toutes les parties de la France puissent, dès l’abord, connaître le sort qui les attend, et s’y préparer. Plus un projet est partiel, et plus il compte d’adversaires. Il ne faut pas risquer de faire battre les chemins de fer en détail.

Peut-être nos craintes sont-elles excessives. Nous serions heureux de pouvoir nous en convaincre. Mais disons-le sans détours, ce n’est pas aujourd’hui qu’on peut facilement se rassurer sur ce point. Les intérêts particuliers ont-ils fait preuve de modération et de sagesse ? Lorsque le gouvernement, avec une bonté qui était presque de la bonhomie, a bien voulu les consulter sur nos relations commerciales, se sont-ils bornés à lui dire : — Dans vos traités de commerce efforcez-vous de concilier l’intérêt général du pays avec le nôtre, ne nous exposez pas à de brusques et violentes perturbations ? — Non, ils lui ont dit : — Ne faites point de traité de commerce. — Cela du moins est clair et praticable. Notre politique peut en souffrir, mais après tout c’est un isolement auquel nous pouvons nous condamner. Ce qui n’est ni clair ni praticable, c’est la prétention de conclure des traités avec nos voisins sans rien changer chez nous, c’est de se mouvoir sans bouger. C’est pourtant là ce qu’a dit, s’il dit quelque chose, le paragraphe de l’adresse de la chambre des députés sur les négociations commerciales.

En dernier résultat, on ne saurait nier que la chambre, que la majorité n’ait placé, sous certains rapports, le ministère dans une position délicate, on peut même dire très difficile. Le cabinet a maintenu les droits de la couronne ; il les a maintenus, reconnaissons-le avec fermeté, avec mesure, par la bouche de M. Guizot, dont la parole, de l’aveu même de ses adversaires, n’a jamais été plus habile que dans ces débats. C’était là un acte de bon gouvernement et de courage dont il faut savoir gré au cabinet. Au reste, empressons-nous de faire remarquer que les preuves de courage parlementaire, du courage de ses opinions, de ce courage si rare et si beau, n’ont pas manqué dans cette mémorable discussion. N’avons-nous pas entendu M. Thiers développer avec un admirable talent, avec ce talent qui sait revêtir toutes les formes et qui s’est montré tour à tour si facile et si souple, si énergique et si ferme, développer, dis-je, des considérations, des avis, des prévisions qui pourraient demain lui être un obstacle comme candidat au pouvoir ? M. Thiers ne parlait pas au hasard, légèrement, entraîné par la vivacité de sa parole, par le feu de la discussion, comme un conscrit de la tribune. M. Thiers nous a dit lui-même quel pouvait être, au point de vue de ses intérêts personnels, l’effet de ses paroles, et il les a cependant toutes prononcées, toutes maintenues, par cela seul que dans son opinion ces paroles lui étaient dictées par une inspiration patriotique, par son devoir d’homme d’état. On peut ne pas adopter ses opinions, ne pas partager ses prévisions ; mais bien malheureux serait celui qui n’en admirerait pas le désintéressement et le courage.

Dans la question du droit de visite, n’avons-nous pas vu M. de Tracy, lui si passionné pour les droits, pour l’honneur, pour la dignité de son pays, se séparer un moment de ses amis, et appuyer le ministère sur une mesure qui paraissait à M. de Tracy nécessaire pour l’extirpation d’un abominable trafic ?

Enfin, pour ne pas trop multiplier les exemples, nous aimons à rappeler les quelques paroles de M. le maréchal Sébastiani sur la même question. Nul ne s’attendait à le voir aborder la tribune ; son silence n’aurait étonné personne ; c’est un de ces honorables vétérans auxquels la patrie permet le repos. M. Sébastiani n’avait rien à craindre, rien à espérer, il n’avait ni obstacle à écarter, ni marche-pied à se préparer. Le traité de 1831, signé au milieu de circonstances politiques toutes particulières, avait été en quelque sorte couvert et presque effacé par deux traités postérieurs, celui de 1833 et celui de 1841. Les tendances de la chambre étaient manifestes. M. Sébastiani ne s’est pas flatté, n’a pas même essayé de les changer. Non, mais il a dit cependant quelques paroles fermes, nettes comme son esprit ; il les a dites uniquement pour maintenir son avis, pour confirmer son opinion ; c’est une satisfaction morale qu’il se donnait, d’autant plus noble et pure, qu’elle n’avait, qu’elle ne pouvait avoir d’autre but, d’autre résultat, que cette satisfaction elle-même.

Pour en revenir à la situation du ministère vis-à-vis de la chambre, nous ignorons quelles pourront être les déterminations du cabinet au sujet du droit de visite. Là est la difficulté du moment. La solution des autres questions internationales peut être retardée ou modifiée. Sur les questions intérieures, la situation du cabinet s’est momentanément améliorée par la suite des débats. C’est là un fait qu’aucun homme impartial et sérieux ne peut méconnaître. Cette situation se fortifiera-t-elle encore par de nouveaux débats ? Sous le feu de la bataille, une majorité, non pas nombreuse, mais de plus en plus ardente et dévouée, se rattachera-t-elle au cabinet, comme à un général qui mène résolument ses troupes au combat et leur promet de brillantes victoires ? C’est de l’opposition que dépend essentiellement ce résultat. S’il arrivait que ses propositions fussent excessives et ses attaques violentes, si la majorité se sentait vivement menacée dans ses plus chers intérêts, dans ses opinions fondamentales, elle pourrait alors se rallier au cabinet, elle pourrait se rallier sans réserve, et dans ses paroxismes de zèle et de crainte, les yeux fixés sur l’intérieur, elle pourrait finir par tout accepter ou tout excuser.

Évidemment il est de l’intérêt du ministère que la chambre et le pays se coupent en deux, sans intermédiaires, sans nuances, dût-il, dans ce schisme, perdre quelques amis incertains aujourd’hui et flottans. À tort ou à raison, le ministère craint peu que la gauche ne prenne le pouvoir d’assaut ; il ne paraît le craindre ni dans les chambres, ni dans les colléges électoraux. Toutes les fois que la question est posée nettement entre la gauche et la droite, et que les nuances se trouvent absorbées par les deux couleurs dominantes, le cabinet se flatte de pouvoir compter sur la majorité. Le danger, à ses yeux, est ailleurs, il est tout dans les situations intermédiaires ; il ne craint pas les hommes qui veulent monter au pouvoir par la brèche, mais les hommes qui, sans être ministériels, ne sont pas séparés du pouvoir par des abîmes. Bref, c’est le ministère qui est intéressé à ce que la lutte parlementaire devienne de jour en jour plus vive, plus ardente, à ce qu’une sorte de point d’honneur interdise toute opinion mitigée, toute restriction, toute réserve. L’opposition servira-t-elle les intérêts du cabinet ? Nous ne tarderons pas à l’apprendre.

Les bureaux de la chambre viennent d’autoriser la lecture des propositions sur la réforme électorale et sur les incompatibilités. On dit que personne ne s’y est opposé. Évidemment les partis se sont donné rendez-vous sur ce terrain. Le débat sur la prise en considération des deux propositions, en particulier de celle sur la réforme, sera la grande bataille, le combat décisif de la session.

Les nouvelles d’Afrique sont de plus en plus favorables. Un grand nombre de tribus se rallient franchement à notre domination. Espérons que le gouvernement saura profiter de ses succès. La commission chargée d’approfondir la question de la colonisation africaine s’est réunie sous la présidence de M. le duc Decazes. C’est avec une juste impatience que le pays attend les résultats nets et positifs de son travail.


— Chaque année voit augmenter le nombre des cours du collége de France : à la fondation d’une chaire de littérature slave a succédé celle de deux cours, consacrés l’un à la littérature méridionale, l’autre à la littérature du Nord. Après avoir songé à la Pologne et à la Russie, n’était-il pas juste de se rappeler aussi l’Espagne et l’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre ? M. Philarète Chasles a pour sa part toute la littérature septentrionale. Il a choisi l’Angleterre, comme on devait s’y attendre, pour sujet de son cours de cette année, et du premier coup il nous a parlé de Shakspeare. M. Chasles a trouvé l’heureux secret d’allier une érudition solide à des pensées hardies, à un style vif, à une phrase élégante, et le public, accoutumé à payer fort cher le peu de science que lui vendent nos érudits, a écouté le nouveau professeur avec un plaisir mêlé de surprise. M. Chasles n’a cependant pas été lui-même à sa première leçon. Il y avait un apprentissage à faire ; il fallait apprendre son public, et c’est une chose que nul ne devine. On l’apprend plus ou moins vite ; M. Chasles en quelques leçons en aura fini avec ces difficultés matérielles. Déjà à la seconde le progrès se faisait sentir avec évidence, et à la troisième le professeur avait retrouvé dans la chaire toute la souplesse et la netteté de son esprit. Tout assure une grande affluence au cours de M. Chasles.


M. Edgar Quinet vient de publier le livre dont son enseignement de Lyon avait été comme une première ébauche[1]. Ce livre, intitulé Du Génie des religions, est consacré à l’examen d’un grave problème, dont M. Quinet pose nettement les termes dans sa préface. Déduire la société civile de l’institution religieuse, telle est la question qu’il a voulu résoudre. Il passe en revue les cultes qui ont précédé le christianisme ; il interroge tour à tour les religions de l’Inde, de la Chine, de l’Asie occidentale, de la Judée, de la Grèce, pour les comparer aux institutions politiques, au développement intellectuel et social, qu’elles ont, selon lui, fécondés. Le livre de M. Quinet témoigne d’un sentiment profond de la poésie et des religions antiques. L’auteur avoue dans sa préface qu’il lui resterait à tracer le tableau des religions modernes pour compléter son œuvre, et il ajoute qu’il a senti le besoin de prendre haleine avant d’aborder la seconde partie de son travail. Nous espérons qu’après avoir si bien apprécié les cultes du passé, M. Quinet ne reculera pas devant l’impartial examen des religions modernes. Par ses études et les tendances de son esprit, il n’est pas moins bien préparé pour cette nouvelle tâche que pour la première.


  1. Un vol. in-8o, chez l’éditeur Charpentier, rue de Seine.