Chronique de la quinzaine - 14 août 1848

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Chronique n° 392
14 août 1848


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 août 1848.

Nous ne sortons pas des orages ; quand nous ne les avons point sur la tête, nous les avons en perspective. L’histoire de cette quinzaine est uniquement l’histoire de deux difficultés en train, deux grandes difficultés qui se sont produites l’une au dehors, l’autre chez nous, qui de jour en jour, d’heure en heure, se sont compliquées et grossies, qui restent, pour ainsi dire, suspendues dans l’air d’ici à un avenir plus ou moins prochain, qui aboutiront on ne sait à quoi ni par où, qui jusque-là dominent et assombrissent la situation intérieure du pays comme la situation générale de l’Europe. On voit que nous voulons parler de la discussion du rapport présenté par la commission d’enquête et de l’arrangement des affaires d’Italie.

Comment en effet parler d’autre chose, et qui donc maintenant aurait l’esprit ailleurs ? On assure pourtant qu’il y a de nouveau quelques tentatives heureuses d’activité commerciale ; l’emprunt a fini de se placer, et tout le monde rend justice à l’habile décision avec laquelle M. Goudchaux relève ainsi, coûte que coûte, le crédit national ; il n’est personne non plus qui ne reconnaisse comme un motif de confiance l’attitude de la puissante maison dont le concours était si nécessaire à cette opération difficile, et dont l’intelligence financière, dont le sang-froid politique n’a pas un seul instant failli durant une si longue crise. D’autre part, les élections municipales ont amené sur presque tous les points de la France des hommes d’un caractère très rassurant ; la France revient petit à petit de la surprise de février, et elle choisit à loisir entre les personnages passablement hétérogènes et fort souvent extraordinaires dont l’avait pourvu la victoire qu’on lui jurait qu’elle avait gagnée. Enfin notre Paris voudrait reprendre les dehors de sa civilisation d’habitude : les tentes qui couvrent çà et là ses rues ne sont pas encore levées, mais cet appareil militaire ne lui déplaît pas trop ; nous sommes de libres citoyens qui dormons assez volontiers sous la protection du sabre ; puis les étrangers reviennent, les théâtres se sont rouverts et le public y va. Il n’y a pas jusqu’à notre jeune grandesse républicaine qui ne s’essaie à nous faire les honneurs de sa récente élévation ; il est vrai de dire que nous en avons fait un peu les frais. Le président de l’assemblée nationale, qui, par parenthèse, la préside bien, moitié en gentleman et moitié en pédagogue, M. Marrast a donné, non sans succès, ce bon exemple de sociabilité. Ce n’est pas nous qui ne lui pardonnerons pas de ne s’être point abonné au brouet noir. Voilà sans doute de favorables circonstances, de bonnes garanties ; quoi qu’elles valent cependant et quoi qu’elles promettent, l’effet s’en est trouvé tout de suite amoindri par l’imminence d’un débat rétrospectif, qui ne peut à présent manquer d’éclater, et qui va peut-être refouler la révolution à peine rassise, à peine tranquillisée, dans les souvenirs encore si vifs, dans les rivalités toujours ardentes, dans les passions plus que jamais incroyables de ses étranges débuts. Ce retour en arrière est-il un bien ou un mal ? La question n’est pas là. Pouvait-on ou ne pouvait-on point l’empêcher ? Nous pensons qu’on ne le pouvait pas, et c’est là toute la question.

Le rapport de la commission d’enquête est un accident, mais un accident inévitable. Dans des temps comme celui où nous vivons, il y a souvent de ces choses qui pourraient ne pas arriver et qui arrivent quand même, parce qu’elles répondent au besoin, au cri de la conscience universelle, parce qu’elles sont si bien sur le cours et selon la loi des événemens, que l’homme n’y ajoute presque pas et que toute sa prudence n’en ôterait rien. Rappelons-nous seulement en quelles conjonctures naquit la commission dont l’œuvre est aujourd’hui devenue l’objet de si grands soucis. Le canon grondait et le sang coulait dans Paris ; l’insurrection durait depuis trois jours ; la victoire n’était guère assurée que depuis quelques heures ; elle était payée chèrement ; elle coûtait à la patrie ses plus généreux soldats, tués au viser, mutilés, assassinés par une rage si opiniâtre, qu’elle révélait un fanatisme inculqué de longue main. En même temps que l’imagination se révoltait vis-à-vis de ces horreurs, elle était confondue de l’immensité des ressources dont on disposait derrière les barricades, de l’énorme développement qu’on avait pu imprimer à cette audacieuse agression, de la justesse des calculs avec lesquels l’attaque et la défense avaient été préméditées. Il faut bien nous reporter vers ces tristes tableaux, au risque de passer pour avoir l’âme vindicative, car il est de certaines gens qui placent singulièrement leur pitié, tellement qu’aujourd’hui les vaincus de juin enlèvent tout leur intérêt, absolument comme il advient à Rome, où, quand il se donne un coup de couteau, le peuple plaint celui qui le reçoit un peu moins que celui qui l’a donné. Nous ne sommes point, nous l’avouons, des miséricordieux de cette façon-là, et pareille miséricorde nous est aisément suspecte ; nous ne redoutons rien autant que la clémence qui mène à l’impunité. L’assemblée nationale était pour sûr animée de ces sentimens, hors desquels il n’y a ni liberté ni justice, l’assemblée voulait voir clair chez tout le monde et faire la part de chacun, lorsqu’elle décréta qu’une commission prise dans son sein serait chargée d’élucider et de constater les faits qui se rattachaient soit à la préparation soit à l’exécution des événemens de juin, en remontant du même trait jusqu’à l’attentat du 15 mai.

Quels furent ceux de ses membres à qui l’assemblée confia cette mission délicate ? Elle n’alla pas l’offrir à la montagne. Si la montagne eût daigné s’en mêler, elle en aurait probablement beaucoup appris, et l’enquête dirigée par elle eût peut-être été pour elle aussi facile qu’instructive pour les autres ; mais l’assemblée avait ses raisons de croire que la montagne n’en dirait pas autant qu’elle en saurait. Elle fut donc obligée de recourir à des gens qui n’en sauraient pas tant, mais qui diraient tout. Ceux qu’elle choisit n’étaient pas généralement distingués par une ferveur républicaine de très vieille date, nous en convenons ; du moins ils se recommandaient à ses suffrages par des qualités qui lui semblaient avoir de l’à-propos dans ce moment-là. Ils gardaient un amour profond, un culte inébranlable pour ces principes sacrés du droit civil et du droit social que l’on avait à défendre maintenant contre les coups de fusil, après les avoir laissé si complaisamment ébrécher à coups de sophismes. Ils étaient surtout pénétrés d’une aversion sincère pour cette propagande hypocrite qui jette à foison dans les masses des germes de discorde et de violence, qui les couve patiemment, qui se réjouit de les voir éclore, et qui, au moment de l’explosion, se retire à l’écart en protestant qu’elle ne l’a pas voulue, en criant à la folie, en se lavant les mains du sang des fous : quand Pilate lavait les siennes, il avait au moins le courage de proclamer que c’était le sang du juste. Ces dispositions des commissaires étaient alors celles de la grande majorité de l’assemblée. L’assemblée, comme la France, se lassait de ces transes perpétuelles dont la source première échappait sans cesse ; elle entendait remonter du mal à sa cause, et par-delà les instrumens atteindre enfin les personnes. Il n’est pas vrai qu’il y ait jamais au milieu de la foule des idées ou des passions dont nul ne soit responsable, parce qu’elles se sont tout de suite appelées légions. Pour si grands qu’ils soient, les mouvemens populaires ont toujours un auteur qui est quelqu’un et non pas tout le monde. Soyons de bonne foi, c’était quelqu’un que l’assemblée, que la ville entière cherchait dans les jours de juin derrière la fumée de la poudre, derrière les décombres des barricades.

La commission a rempli son devoir et transmis à l’assemblée les résultats de ces recherches. Un homme de cœur, M. Bauchart, a pris sur lui la charge du rapport, une charge qui n’est pas sans péril en un temps où toute discussion de cette nature aboutit infailliblement à des menaces d’assassinat : la montagne a des alliés dont elle ne viendra point à bout de changer les argumens. Ce rapport a tout aussitôt enfanté une émotion prodigieuse ; les tempêtes ont succédé aux tempêtes ; les représentans incriminés se sont levés avec une assurance formidable contre les assertions accusatrices, leurs amis les ont couronnés comme des martyrs et poussés au Capitole comme des triomphateurs ; enfin, on crie dans les rues l’inculpation et la défense du citoyen Ledru-Rollin, à peu près comme on criait jadis la grande trahison du comte de Mirabeau. Quelque chose de plus inattendu, de plus singulier que l’effet du rapport sur ceux qu’il compromet, c’est l’état dans lequel il a mis l’assemblée presque entière. Violemment attaquée, la commission n’est guère, jusqu’à présent, défendue ; on dirait, à voir la situation qu’on lui fait, qu’elle vient du dehors et n’est point sortie du sein même, du libre choix de l’assemblée. Jamais commission parlementaire n’a reçu de ceux qui l’avaient nommée d’accueil aussi peu encourageant. On lui adresse beaucoup de reproches, on lui ménage cruellement l’éloge. Les emportés se promettent de l’attacher au pilori des calomniateurs ; les sages ne la trouvent point assez circonspecte ; les mieux intentionnés pour elle craignent qu’elle n’ait risqué une fausse manœuvre politique. Son rapport n’est pourtant point une manœuvre ; si c’était cela, il y aurait réellement dans sa conduite maladresse et précipitation ; c’est une vindicte morale, c’est une exécution de justice qu’elle ne pouvait pas ne pas faire, du moment où elle était investie de cette tâche scabreuse et rigoureuse.

La commission d’enquête devait être de sa nature une difficulté : on n’y prenait point garde au moment de son origine ; c’était un de ces momens où le sentiment des difficultés s’efface et se perd devant le sentiment, bien plus impérieux encore, de l’éternelle justice. La patrie souffrait dans tous ses membres, elle saignait de toutes ses plaies : on avait besoin, non pas de représailles, mais de réparations, car il n’y aura jamais sur la terre de droit consacré, s’il n’y a point aussi d’exacte et d’équitable réparation pour le droit violé. Cette indispensable réparation devait pourtant devenir un embarras chaque jour plus pénible, à mesure qu’on s’éloignerait davantage de ces heures de résolution active où la conscience est prompte, parce que l’évidence est là. Or, s’il est un caractère propre à l’assemblée nationale de 1848, c’est d’aller le moins possible à la recherche des embarras, c’est d’en avoir une appréhension si instinctive, que cette réserve, obligatoire ou volontaire, finit quelquefois par l’empêcher d’agir. Voilà pourquoi sans doute elle a été si troublée des révélations que sa commission d’enquête lui déférait maintenant bon gré mal gré. Et cependant, preuve bien remarquable de l’empire avec lequel s’imposent les expiations dues, l’assemblée que ce rapport gênait, qu’il mettait à si rude épreuve vis-à-vis de certains de ses membres, qu’il inquiétait dans son esprit de paix et de conciliation, l’assemblée dont la majorité n’eût peut-être demandé qu’à supprimer d’un coup de ciseau cette page de son histoire, l’assemblée tout entière en est arrivée, par une pente irrésistible, à décider d’une manière probablement irrévocable qu’elle ferait de cette page un grand, et qui sait ? un terrible chapitre. Après le rapport de la commission, elle exige maintenant les pièces justificatives et toutes les pièces. Ce sont d’énormes dossiers qui seront livrés à la publicité ; on va délier les outres d’Éole : viennent donc les orages ! Nous devons cette justice aux membres qui paraîtraient le plus menacés : ils ont insisté plus que personne pour tout précipiter vers une solution radicale et nette. « De l’audace ! de l’audace ! et encore de l’audace ! » s’écriait Danton. Danton aussi avait de l’éloquence à ses heures.

Quoi qu’il arrive, et quelles que soient nos convictions particulières, M. Ledru-Rollin, M. Louis Blanc, M. Caussidière, se tromperaient étrangement, s’ils croyaient que l’intérêt de la lutte engagée sur le rapport de l’enquête réside exclusivement dans l’alternative de leur défaite ou de leur triomphe, de leur innocence ou de leur culpabilité. Innocentés ou coupables, ils n’en auront pas moins de toute façon terminé leur rôle, et le verdict qui les justifierait ne pourrait même pas leur servir de piédestal. Il n’y a plus de place nulle part pour un piédestal qui les soutienne. La question politique du procès ne repose point sur leurs têtes ; elle glisse par-dessus et se débat ailleurs entre gens qui ne les comptent plus. Il n’y aurait qu’un moyen pour eux de revenir à la surface, de ressaisir le limon qui s’est brisé dans leurs mains, c’est le moyen qu’ils se défendent aujourd’hui si fièrement d’avoir jamais employé. Où donc est le mobile de cette agitation provoquée par l’enquête, puisque la destinée de ceux qu’elle concerne le plus directement n’a point en soi de si haute importance ? Parlons franchement, nous qui ne compromettons que nous-mêmes et n’engageons personne, parlons tout à notre aise ; c’est notre métier d’écho. Que la montagne seule fulminât ses anathèmes contre M. Bauchart et la commission, ce courroux serait trop naturel pour valoir un bien long commentaire. Au contraire, que des gens beaucoup plus raisonnables, qui n’ont jamais eu de tendresse bien intime à l’endroit des représentans inculpés, qui ont fait quelquefois cause commune avec eux, mais toujours lit à part ; que des gens d’esprit ou d’adresse, devenus sans trop de mal des personnages politiques et des manières d’hommes d’état, se battent les flancs depuis huit jours et se démènent en pure perte pour préserver d’un désagrément les puissances déchues de février, il y a là comme un sous-entendu qui nécessite explication. Disons tout d’abord que l’explication n’est pas neuve ; elle a déjà défrayé bien des mystères dans ces derniers six mois.

Tout le monde aujourd’hui confesse ce que nous avons eu quelque honneur à confesser pour notre part au lendemain de la révolution : c’est que la France n’était pas du tout républicaine quand on lui apprit un matin qu’elle avait déclaré la république. Depuis, sans doute, elle s’est conformée de cœur comme de bouche, et, de fait, elle n’en pouvait mais : la royauté l’avait bel et bien laissée là. Toujours est-il que le peuple français en masse n’était pas le moindrement républicain à la veille de février. M. Goudchaux ne se lasse pas de le répéter du haut de la tribune. La république proclamée, il s’ensuivait pourtant une conséquence qui de prime abord ne semblait point facile à faire accepter : il s’agissait de persuader l’immense majorité de la nation du besoin qu’elle avait d’être exclusivement gouvernée par la minorité, par la très mince minorité dont la république avait été le rêve plus ou moins oisif, plus ou moins tapageur, selon les tempéramens. A quel prix on obtint ce fabuleux succès, et comment on essaya de le perpétuer, voilà probablement ce que vont nous dire les dossiers de la commission d’enquête. Or, il s’est accompli, comme on sait, d’étranges mutations dans le sort des conquérans de février. Les plus intraitables ont cédé la place à ceux qui avaient le bon sens de comprendre qu’ils ne pouvaient, après tout, se donner à eux seuls pour le pays entier. C’était un mérite assurément d’avoir été les hérauts d’un idéal politique sur lequel le pays n’avait pas encore eu le goût de se modeler ; mais c’était aussi un mérite de représenter exactement la condition réelle du pays, son esprit réel, ses réels désirs avant l’avènement officiel de cet idéal. Ces deux mérites se sont peu à peu rapprochés, et républicains de la veille, républicains du lendemain, en sont venus à s’embrasser sur les barricades de juin en face d’un même ennemi. Le gouvernement du général Cavaignac devait être l’image fidèle de cette alliance ; les scrupules mal placés d’une conscience trop ombrageuse ont empêché jusqu’ici cette alliance d’être complète. On a écrit et affiché partout qu’on effaçait la distinction malencontreuse des premiers mois ; on a presque tout de suite eu peur de l’effacer trop et trop tôt. On en veut quand même conserver quelque chose, comme pour se décorer, en petit comité, du privilège spécial d’une meilleure origine. A tout seigneur tout honneur. On est de vieille roche républicaine : où serait l’avantage, si l’on ne tenait un peu la roture à distance ? Il y a beaucoup de ces pensées dans l’ardeur avec laquelle un grand nombre de représentans, qui sont fort loin de siéger sur notre pauvre montagne de 1848, auraient voulu néanmoins en protéger la cime contre les révélations notifiées par M. Bauchart.

La France, qui oublie tant de choses, et les oublie si vite, n’a pas encore oublié cette conduite ambiguë qui a ruiné la fortune et la popularité de M. de Lamartine ; elle se rappelle cette tactique déplorable avec laquelle il s’appuyait sur le désordre pour faire un ordre dont il eût tout seul le secret et l’honneur. Cette tactique est à jamais réprouvée ; le gouvernement actuel ne saurait y descendre, nous en sommes certains ; il a plus de droiture, et il n’aurait pas la fatale industrie des génies romanesques qui compliquent à plaisir les situations simples. Le gouvernement toutefois, qui suppose, vis-à-vis de lui, des prétentions bien plus entreprenantes qu’elles ne sont et bien moins désintéressées, le gouvernement et surtout ses amis les plus proches, ont trop paru craindre de perdre une force, s’ils laissaient découvrir les membres influens de l’extrême gauche. Ils ne se défendent point assez de regarder toujours ces mêmes personnes comme la chair et les os de la révolution. Ils sembleraient toujours tentés de se rattacher à elles comme à la vraie source du républicanisme, donnant ainsi à croire que le républicanisme est menacé d’autre part, que les hommes d’expérience, les hommes de sages et patriotiques antécédens, qui sont à l’autre extrémité de l’assemblée, présentent moins de garanties que cette extrémité violente, qui, victorieuse, les traiterait eux-mêmes en esclaves. Ils ne crient pas, comme l’impétueux citoyen Gambon, que les royalistes assassinent la république ; mais, en honnêtes gens qu’ils sont, ils n’aimeraient pas voir trop de lumière sur nos origines républicaines de cette année-ci, et, voulant rendre l’établissement bon en soi, véridique et vertueux, ils redoutent sincèrement, pour l’effet qui en pourrait sortir, de trouver à son berceau beaucoup de mensonges et pas mal de faiblesses. Ils auraient donc souhaité de grand cœur qu’on étouffât au plus vite une affaire qui s’annonce pour pleine de scandales. Ils auraient voulu supprimer toute délibération sur le rapport de M. Bauchart, empêcher la publication des pièces justificatives, émonder tout au moins et châtrer cette publication une fois résolue. On ne transige point ainsi avec la justice, encore moins avec la curiosité. Il y avait comme une secrète puissance qui poussait l’assemblée vers cet abîme de discussions où elle va tomber la semaine prochaine ; elle résistait, et elle était entraînée. Pourquoi, d’ailleurs, même en admettant les pires hypothèses, pourquoi cette discussion tournerait-elle contre la république ? On sait l’histoire de ce luthérien qui s’en allait à Rome pour contempler et maudire de plus près les abominations de la grande prostituée ; il s’en revint catholique, disant que cette religion était positivement la bonne, puisqu’elle ne périssait pas avec de pareils ministres. La république a beaucoup d’autres argumens qui l’assurent de son éternité : où serait le grand mal, si la discussion de l’enquête lui fournissait celui-là par surcroît ?

Il était bien évident, du reste, que cette discussion ne s’évanouirait pas comme une fumée. L’enquête, que beaucoup se reprochent aujourd’hui d’avoir ordonnée, l’enquête était inévitable. On pouvait sans doute la diriger dans des voies plus générales, non pas pourtant qu’il eût été sérieux de l’égarer dans les méditations humanitaires et dans les statistiques aventureuses des socialistes ; mais, si générales et si compréhensives que fussent les investigations, elles n’auraient point manqué de ramener constamment les mêmes noms propres. Faites d’abord par la justice, aboutissant à la demande d’une autorisation de poursuites, c’est-à-dire à une simple suspicion, comme celle qu’éleva le ministère public à propos de l’attentat du 15 mai, elles exigeaient, de la part de l’assemblée, une contre-épreuve. qui n’eût pas été autre chose que le travail auquel la commission s’est livrée. Ce travail est maintenant tout prêt, et rassemblée, en le renvoyant au ministère de la justice, ne préjugerait rien sur la culpabilité des représentans incriminés. Elle se mettrait seulement elle-même dans l’impossibilité de dire qu’elle n’est point assez éclairée, si par hasard la justice venait à son tour lui demander une autorisation de poursuites ; elle éviterait d’avance la surprise qui lui enleva une absolution précipitée dans cette fameuse séance où M. Crémieux perdit son portefeuille pour avoir été tour à tour ou trop sévère ou trop clément.

Comment, d’un autre côté, renvoyer les pièces au ministre de la justice sans avoir écouté les intéressés, qui réclament hardiment contre le huis-clos judiciaire ? Et comment lire pacifiquement ces pièces, si elles sont le plus souvent, comme on l’assure, originales et chirographaires, si elles dénoncent la très médiocre estime que professaient l’un pour l’autre les premiers gouvernans de la république, si elles entr’ouvrent aussi avant qu’on le dit leur ménage, voire leur alcôve. Le rapport toutefois n’en a pas appris beaucoup plus qu’on n’en savait ; nous avions nous-mêmes parlé, dans le temps, des harangues inédites du Luxembourg, et la platonique Égérie qui écrivait les bulletins du ministère de l’intérieur n’a jamais été de sa vie un mythe pour personne. Nous sommes donc tentés de croire M. Barrot sur parole, quand il nous affirme que le rapport n’est que l’expression adoucie des énonciations contenues dans les pièces, et nous attendons les pièces. Il faut que justice se fasse ; autrement, ce serait bien le cas de dire, en appropriant le sens des mots à la circonstance : Ils veulent être libres, et ils ne savent pas être justes !

Au milieu de ces graves préoccupations, l’intérêt des débats parlementaires de la quinzaine s’est beaucoup amoindri. Le projet d’impôt sur les créances hypothécaires a été retiré. M. Thiers avait prouvé jusqu’à l’évidence que ce projet attaquait le capital et non pas le revenu, les petits capitaux et non pas les grands ; que les 20 millions qu’on en attendait ne valaient pas, pour une seule fois qu’on les percevrait, le dégât qu’ils causeraient. M. Goudchaux, de fort mauvaise humeur, allait néanmoins emporter son projet, grâce aux caresses qu’il adressait à M. Duclerc et aux amertumes dont il abreuvait le comité des finances, le traitant aussi durement qu’avait fait jadis M. Duclerc lui-même, à la grande joie de toutes les gauches. Un amendement inattendu a démonté son succès ; M. Goudchaux, se remettant vite en selle et d’assez bonne mine, a presque eu l’air de se venger, en annonçant l’income tax pour son plus prochain bulletin de victoire. Pendant que le ministre des finances remontait un peu le courant pour donner la main aux théoriciens malheureusement trop présomptueux des premiers jours de la république, le ministre de la justice, M. Marie, l’ancien membre du gouvernement provisoire et de la commission exécutive, faisait amende honorable de « ces idées plus chevaleresques que réelles » avec lesquelles il était naguère entré au pouvoir.

Le discours de M. Marie sur la presse est l’acte courageux d’un honnête homme, et nous lui savons un gré infini de cette éloquente sincérité. Oui, certes, il avait raison : au-dessus de la liberté il faut placer la patrie ; et si le cautionnement peut empêcher des journaux comme le Tocsin, la Carmagnole ou la Canaille, nous ne voyons pas ce qu’y perdra la patrie, nous voyons ce qu’elle y gagne. Le premier devoir des magistrats républicains, c’est de veiller à ces publications incendiaires, qui tournent droit aux coups de fusil aussitôt qu’elles ont amassé des lecteurs et de l’argent. Le premier devoir des hommes d’état de la république, c’est d’opposer une propagande intelligente et honnête à cette propagande sentencieuse ou furieuse du sophisme ou du crime. Le journal de M. Proudhon a reparu avec plus de virulence que jamais ; son discours du 1er août est tiré par cent mille exemplaires. M. Jules Lechevalier, qui, de secte en secte et de conversion en conversion, est devenu provisoirement proudhonien, M. Lechevalier, l’infatigable catéchumène de toutes les rêveries du siècle, installé dans la tribune que lui prête son nouveau dieu, provoque l’Académie des Sciences morales au combat et somme le général Cavaignac de mettre les académiciens aux prises avec un concile de socialistes. En attendant ce duel à outrance, l’Académie poursuit activement l’œuvre de bonnes paroles dont l’honorable général lui a confié sa part. Elle va publier ou rééditer très prochainement une série de petits tracts à la manière anglaise, et nous avons confiance dans cette haute initiative. L’une de ces brochures populaires qui viendra le plus tôt sera tout simplement la première partie du Vicaire savoyard, « Dieu ! retire-toi de ma conscience ! » s’écrie M. Proudhon, charmé de passer pour un monstre aux yeux des bonnes gens, quand il s’amuse à copier les philosophes dont l’Allemagne elle-même ne veut plus. C’est une heureuse inspiration d’emprunter les démonstrations naturelles de l’auteur du Contrat social pour ramener Dieu au sein d’un peuple raisonneur. M. Cousin dit à merveille, dans une belle et courte préface jointe à ce volume, comment il faut, en effet, une forte éducation morale, une vraie culture philosophique proportionnée aux loisirs et à l’intelligence des masses, pour lutter contre le débordement pédantesque et systématique des mauvaises doctrines.

Tous ces détails passagers ou permanens de notre situation intérieure disparaissent en face des grandes circonstances accumulées au dehors, en face de la difficulté étrangère, cette seconde difficulté dont nous parlions en commençant. L’avenir qu’on avait pu rêver un instant pour l’Italie est ajourné, s’il n’est pas perdu : reste à sauver le présent. Il y a des peuples condamnés ; ce sont les peuples chez qui l’on ne sait plus mourir. Chez nous, du moins, on meurt encore d’un bon cœur, et le plus obscur comme le plus illustre ne marchande pas avec sa vie. A travers tous les déboires d’une époque de misères, ce facile abandon de la vie pour une cause bonne ou mauvaise témoigne du moins d’un ressort quelconque dans la fibre nationale. La Pologne non plus n’a pas dit son dernier mot, puisqu’elle garde toujours la même vertu devant les balles sur le champ de bataille et devant la hache sur l’échafaud ; mais l’Irlande ! mais l’Italie ! De ce que ces populations amollies ou débilitées n’ont pas le nerf militaire, la seule garantie sérieuse des nations libres, il ne s’ensuit pas que ce soit leur juste destinée d’être opprimées et malheureuses, il ne s’ensuit pas qu’elles soient indignes d’intérêt et qu’on n’ait plus le devoir de travailler à relever leur condition matérielle ou morale. Il est seulement un devoir plus saint encore et plus sacré que celui-là, c’est de ne les induire jamais en des espérances qui soient au-dessus de leur courage, c’est de ne les point lancer dans des aventures qui ne vont pas à leur taille. Manquer à ce devoir-là, si ce n’est pas un crime de lèse-nation, c’est un crime de lèse-humanité.

Voyez l’Irlande. La grande révolte annoncée avec tant de fracas s’est dénouée comme une épopée burlesque. O’Brien, le chef, le roi de ces aristocrates en guenilles que nos démocrates d’ici prennent de loin pour leurs alliés, O’Brien n’a de rencontre qu’avec un malheureux policeman, dont il emprunte le cheval pour se sauver plus vite, et le parfait gentleman se croit méconnaissable, parce qu’il a dérogé jusqu’à monter dans un wagon de seconde classe. Les journalistes avaient étudié, enseigné, prêché toutes les manières de construire des barricades, tous les procédés destructifs de nos plus infernales émeutes, le verre pilé dans les rues, le vitriol et l’essence brûlante par les fenêtres ; il y avait des armes achetées, de la poudre fabriquée. Tout était prêt, moins les cœurs. Paddy s’amusait de ces belles épouvantes qu’il se faisait à lui-même, sans croire qu’il y risquât jamais beaucoup sa peau. Paddy n’apprendra point à se battre tout de bon tant qu’il ne désapprendra point l’assassinat, et il aura toujours un goût prononcé pour les mauvais coups, tant qu’il aura le dégoût trop prononcé du travail. L’Angleterre a sans doute été bien injuste pour l’Irlande, et l’abrutissement de l’Irlandais la punit aujourd’hui avec usure de ses anciennes iniquités ; mais il y a de l’opiniâtreté de race dans cette incurable paresse, et c’est pourtant le seul vice que tous les réformateurs patriotes de la verte Erin n’aient jamais songé à réformer. La croisade contre la paresse eût été plus féconde pour la liberté de l’Irlande que la croisade des repealers ; celle-là pourtant n’a jamais eu son O’Connell.

La croisade italienne a succombé par un même défaut d’énergie, et elle a compromis dans sa perte cet admirable petit peuple qui s’était jeté en avant pour la couvrir. L’Italie, vaincue sans avoir presque lutté par elle-même, a laissé le Piémont épuisé à la merci des vainqueurs. Nos ardens républicains de Paris, qui se récrient niaisement contre la trahison du roi Charles-Albert, sont bien mal informés ou n’ont guère envie de savoir la vérité : ils ne se donneraient pas le ridicule de pleurer sur le courage malheureux des démagogues italiens ; les Italiens ne se battent point. Ce qu’a souffert l’armée piémontaise dans cette désastreuse retraite, l’orgueil piémontais ne le dira peut-être pas, et cependant ce sont aussi de glorieux bulletins que ces chiffres de mort, que ces comptes funèbres d’héroïques victimes ou de régimens écrasés. Milanais, Vénitiens ou Lombards ne se sont pas exposés de si près. Il n’y a qu’une chose qui ait pu faire autant de mal que leur mollesse sous le feu, c’est la détestable habitude de jalousies, d’intrigues et de déclamations par laquelle ils ont entravé sans cesse la cause commune de l’indépendance. Ce n’est pas seulement en fuyant hier devant les Autrichiens qu’ils ont sacrifié leur patrie, c’est en s’acharnant depuis des mois entiers à de vaines disputes sur leurs places publiques et dans leurs conclaves municipaux ; c’est en préconisant les libertés à conquérir aux dépens des princes ou du roi même qui les sauvait, quand ils n’avaient pas encore conquis la nationalité ; c’est en jouant aux républicains avec une vanité puérile, quand ils n’étaient pas bien sûrs de n’être déjà plus sujets d’Autriche.

Nous sommes obligés de le dire encore, parce que nous en sommes sûrs, quoiqu’on l’ait démenti à la tribune de l’assemblée nationale : la France a malheureusement aidé ce mauvais esprit de l’Italie, et, pour avoir voulu qu’elle devînt tout de suite république, elle a contribué de sa bonne part à la refaire Autrichienne. Il y a eu un moment où le gouvernement français jouait, en Italie, le même jeu qu’en Belgique, ce jeu déplorable, indigne d’un grand pays, et qu’il n’est plus possible de nier, maintenant que la publicité nous permet de lire dans les dossiers de l’affaire de Risquons-Tout. La république avait à l’étranger, à Milan par exemple, des agens secrets qui contrariaient avec autorisation ses agens officiels, quand les agens officiels ne se chargeaient point eux-mêmes, comme à Naples, de la double besogne. La destitution de M. Mignet, dont le motif avoué rompait si singulièrement la direction ostensible de nos rapports avec la royauté sarde, cette destitution, qui fut si vite comprise en Italie, était un encouragement pour tous les ennemis de la Sardaigne en particulier, de la monarchie en général. Au lieu de s’entendre, de s’unir, de s’armer. Milan, Venise, toutes les villes lombardes vivotèrent le plus qu’elle purent de leur patriotisme bâtard, en rêvant leur fameuse indépendance communale. La république fit son 15 mai à Naples comme à Paris, et le roi de Naples rappela ses troupes pour sauver sa couronne. Tout le faix retomba donc sur le Piémont, et maintenant, repoussé du Mincio sur l’Oglio, de l’Oglio sur l’Adda, de l’Adda sur Milan, de Milan sur Novarre, le Piémont se replie en lui-même et se prépare aux derniers efforts, s’il faut les derniers.

La conduite piémontaise n’a pas certes été sans reproches ; mais ce sont de nobles torts que ceux-là. Charles-Albert s’est comporté en roi plus qu’en général, voilà sa faute. La pensée des devoirs que lui imposait, vis-à-vis de ses nouveaux sujets, cette couronne de fer qu’il enlevait à la pointe de l’épée, la préoccupation incessante des services que tous attendaient également de son armée, ne lui a pas permis de distribuer ses troupes selon les lois d’une bonne stratégie. La ligne du Mincio était trop longue, parce qu’il avait voulu trop couvrir. La triste défaillance d’un officier supérieur chargé de la surveiller en a d’ailleurs facilité la rupture. Justice a été faite à la manière piémontaise, et le grand nom du coupable n’a point arrêté l’exécution d’une minute ; mais le mal était consommé. C’était un mal aussi que cette imprudente retraite sur Milan. Les généraux et le ministre au camp s’y opposaient ; le roi savait qu’ils avaient raison, mais il voulait donner aux Milanais un gage de sa fidélité reconnaissante en combattant avec eux sous leurs murs. Milan n’avait préparé ni munitions, ni vivres, et l’on a vu comment Charles-Albert en est sorti. Aujourd’hui, les Autrichiens y sont rentrés. Le vieux maréchal Radetzky a repris toutes ses positions après une campagne qui honore sa tactique et ses soldats ; le général Welden pénètre dans les Légations, annonçant qu’il y vient rétablir l’ordre, et l’on ne dit point encore que l’armistice de quarante-cinq jours conclu sur la médiation anglo-française entre l’Autriche et le Piémont comprenne le reste de l’Italie.

L’armistice est-il le prélude d’un arrangement plus définitif, et quelles seraient alors les conditions de la paix ? Nous ne voulons rien préjuger, dans l’incertitude absolue des événemens ultérieurs qui peuvent, d’un moment à l’autre, compliquer encore davantage toute la situation européenne. Nous croyons seulement que la paix est le besoin et le désir des grandes puissances, la Russie exceptée, qui met trop de luxe à vanter sa modération pour que cette modération soit bien sincère. Lord John Russell adonné, dans un langage simple et cordial, les assurances les plus favorables. Notre Moniteur a répondu d’un ton en soi très débonnaire, sauf quelques mots d’allure triomphante dont on ne démêle pas beaucoup la raison. Le vicaire de l’empire allemand fraternise avec les Francfortois de la façon la plus patriarcale et suspend les hostilités en Danemark. L’Autriche ne s’obstinerait pas toute seule à faire la guerre, si le monde entier voulait faire la paix. Le pourra-t-il, s’il le veut ? C’est cependant un merveilleux phénomène que ce beau concert de protestations pacifiques en un moment où l’Europe est sur pied, l’arme au bras, la mèche plumée. Est-ce la fin d’une crise ou le commencement d’une autre ? la concorde qui revient ou la mêlée qui s’apprête ? Comment le savoir, et qui donc oserait prononcer ? Ce que nous savons bien, quant à nous, c’est que les garnisons allemandes ont été dernièrement renforcées sur notre frontière, c’est que l’on pousse avec une activité fiévreuse les fortifications des places fédérales, prussiennes ou bavaroises sut l’extrême ligne germanique, c’est que les arsenaux y sont pleins et les régimens au complet. Lorsque nous regarderons par-dessus les Alpes, n’oublions pas de tourner quelquefois la tête pour regarder aussi vers le Rhin.




LA GUERRE DES MAGYARS ET DES CROATES.
De l’Esprit publie en Hongrie depuis la révolution française, par M. A. de Gérando.[1]

Si extraordinaire que la situation actuelle de l’Europe orientale puisse paraître aux hommes peu versés dans l’étude de ces contrées, de tout ce qui s’accomplit sous nos yeux, rien n’est plus naturel : c’est la conséquence logique et nécessaire du travail infatigable, des écrits, des paroles et des actes de toute une génération de publicistes, de poètes et d’orateurs éminens. Parmi les événemens de ce temps-ci, il n’en est point qu’il fût plus facile de prédire. C’est en vain pourtant que quelques esprits curieux de l’inconnu, des voyageurs entraînés par le pressentiment ou par le hasard vers ces régions nouvelles pour la géographie politique, appelaient l’attention du gouvernement sur des questions destinées à devenir si graves ; la diplomatie, dupe de la routine, refusait de rien voir en dehors des états créés par les traités de Vienne ; elle niait l’existence d’une lutte entre ces races diverses, entre ces divers élémens sociaux qui se sentaient alors incompatibles, qui tendent aujourd’hui si fortement à se dissoudre, et d’où doit sortir un monde nouveau. Sera-ce au profit du despotisme ou de la liberté ? C’est désormais toute la question, car il n’est plus permis de nier le mouvement : les échos en viennent à chaque instant jusqu’à nous, et nous nous sentons forcés d’y prêter l’oreille, même au milieu de nos vastes et saisissantes préoccupations.

L’Europe orientale est en gestation, chacun le reconnaît. Les uns disent : Elle est menacée de donner naissance à un monstre, le panslavisme ; les autres affirment qu’elle contient le germe de plusieurs jeunes nations, du sein desquelles sortirait à son tour une liberté féconde. L’événement donnera raison à ceux-ci ou à ceux-là, suivant que la question qui contient dans ses flancs cette alternative aura été conduite dans un sens ou dans un autre, suivant qu’une main généreuse et habile lui aura imprimé une impulsion droite et élevée, ou que l’on en aura laissé la direction aux mains de la Russie.

Bien que les révolutions qui s’accomplissent sur les bords du Danube soient inspirées par un sentiment de progrès, bien qu’elles se fassent en haine du despotisme à Agram et à Prague comme à Pesth et à Bucharest, la Russie a su trouver son compte jusqu’à présent dans toutes ces affaires, qui ont été pour elle un instrument précieux de division et de guerre entre des populations dont elle pouvait craindre l’hostilité. Le sang des Tchèques de la Bohême et des


  1. Paris, rue Saint-Honoré, 315, chez Guiraudet, 1 volume in-8o.