Chronique de la quinzaine - 14 avril 1842

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Chronique no 240
14 avril 1842
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 avril 1842.


La chambre des communes vient d’assister à un beau combat. Sir Robert Peel a eu à soutenir de rudes attaques au sujet de l’income-taxe. Lord John Russell, avec sa logique amère et pressante, a essayé de démontrer que rien, dans les circonstances de l’Angleterre, n’autorisait l’emploi d’une mesure aussi violente et aussi extraordinaire que l’impôt nécessairement inquisitorial et vexatoire du revenu ; M. Sheil, en développant ensuite la même thèse avec sa parole véhémente et splendide, paraît avoir soulevé un véritable orage dans la chambre, et amené une de ces situations décisives où il faut terrasser sur l’heure son adversaire ou périr. Sir Robert Peel, loin de faiblir sous l’attaque, l’a repoussée avec une verve, une impétuosité qui ne lui est pas ordinaire ; oubliant cette réserve un peu cérémonieuse qui donne souvent à ses discours un air compassé et froid, il s’est élancé sur l’opposition, il l’a prise corps à corps, et n’a rien ménagé. — Vous me reprochez, leur a-t-il dit, d’exagérer à dessein les embarras de nos finances ; rien ne me fera dissimuler ici la véritable situation du pays. En 1836, après l’avènement du cabinet de lord Melbourne, vous avez trouvé un excédant des recettes sur les dépenses de 3,000,000 de livres sterling, 1,376,000 pour le budget de l’Angleterre, 1,556,000 pour celui de l’Inde. Voilà ce qu’on vous avait laissé. — Et alors, empruntant à Napoléon sa célèbre et terrible apostrophe : « Qu’en avez-vous fait ? » s’est-il écrié. Ai-je donc exagéré nos embarras ? Quoi ! vous avez trouvé un excédant annuel de 3,000,000, vous nous laissez un déficit annuel de 5,000,000 ; vous avez aussi amené par votre administration, à la charge du pays, au préjudice de notre crédit, une différence de 8,000,000 sterling, et vous osez taxer d’exagération mes paroles ! Mais, dites-vous, nul besoin après tout de mesures extraordinaires ; l’Angleterre n’est pas dans les circonstances difficiles où elle se trouvait lorsque Pitt proposa l’income-taxe. Elle n’est pas engagée dans une guerre à mort ; elle n’a pas été frappée d’un désastre. — Il n’y a pas eu de revers, pas de désastres ! Et où trouverez-vous, dans tout le cours de notre histoire, un désastre comparable à celui qui vient de nous frapper dans l’Afghanistan ? Ce revers sera promptement réparé, je l’espère, par l’énergie de vos délibérations et par la bravoure de nos troupes ; mais dans quelle page de nos annales a-t-on lu rien de comparable au carnage que l’on vient de faire de l’une de nos armées ? — Le chancelier de l’échiquier avait déjà dit, en répondant à lord John Russel, que l’Angleterre se trouvait engagée avec la Chine dans une guerre dont personne ne peut dire d’avance quel sera le résultat, ni quelles en seront les dépenses. Sir Robert Peel s’est ensuite appliqué à démontrer que, dans les circonstances où se trouve l’Angleterre, la taxe sur le revenu, malgré les inconvéniens de cette nature d’impôts, était le moyen à la fois le plus facile, le plus sûr et le plus équitable de subvenir aux besoins du pays ; il n’a rien omis en même temps pour prouver que les ressources indiquées par les financiers de l’opposition étaient insuffisantes et illusoires. Chargé de défendre une position difficile et qui présentait à ses adversaires plus d’un côté faible, sir Robert Peel, en habile capitaine, ne s’est pas blotti derrière les murailles ; il a pris l’offensive, et, par des sorties vigoureuses, il a porté la guerre dans le camp de ses ennemis. Auront-ils le temps de se reconnaître, pourront-ils le repousser et faire tourner contre le ministère les chances du combat ? C’est ce que nous apprendrons demain peut-être. Mais, jusqu’ici, nous persistons à croire que la proposition du ministre obtiendra, même dans la chambre des communes, une de ces majorités qui, sans être brillantes, suffisent pour assurer la vie et la durée d’un cabinet.

Le bill des céréales a été définitivement adopté par la chambre des communes. Cette transaction, favorable aux propriétaires fonciers, ne peut rencontrer, dans la chambre des lords, d’autre opposition que celle de quelques ultra-conservateurs. On peut donc tenir pour certain que le bill sera adopté.

Au milieu de ces difficultés et de ces luttes, le ministère anglais ne perd pas de vue un seul instant le but le plus essentiel de sa politique, l’extension des relations commerciales de l’Angleterre, l’ouverture de nouveaux débouchés pour l’industrie nationale. Ces efforts sont naturels ; pourquoi reprocher à un gouvernement étranger de faire de son mieux dans l’intérêt de son pays ? Le reproche serait puéril et peu digne. Au lieu de reprocher aux autres leur habileté et leur activité, mieux vaudrait les imiter. Les plaintes n’ont jamais enrichi personne, et certes elles n’arrêteront pas l’étranger dans ses efforts et dans ses négociations.

Nos relations commerciales avec l’Espagne sont dans un état déplorable. La Belgique, la Suisse, l’Allemagne, la Sardaigne, l’Amérique du Sud, pourraient offrir à nos négociateurs un vaste champ à parcourir ; il ne serait nullement impossible de concilier les intérêts de ces pays avec un plus grand développement des intérêts français. Que faisons-nous ? Que fait le ministère ? Hélas ! que peut-il faire ? Il lui faudrait, pour négocier activement et ne pas tomber, le consentement de quarante ou cinquante producteurs, nos maîtres à tous, et ce consentement, il ne l’aura jamais. Nous resterons les bras croisés, plongés dans l’admiration de notre système protecteur, jusqu’à ce qu’un beau jour nous nous réveillions, n’ayant plus d’autres consommateurs que nous-mêmes, d’autre marché que le marché intérieur. On aura fait du pays le plus expansif par la langue, par les idées, par la civilisation, par les arts, une sorte de Chine, pour l’industrie et pour le commerce. C’est ainsi que nous serons un jour contraints de reprendre le fusil et l’épée. Ce seront nos producteurs privilégiés, les vrais prédicateurs, les défenseurs nés de la paix à tout prix, qui nous auront ramenés à la guerre comme au seul moyen qui nous restera de ne pas étouffer. Il est, en effet, si absurde de stimuler de toutes manières la production, et d’interdire en même temps au gouvernement tout ce qui pourrait nous faire ouvrir de nouveaux débouchés ! Quel est le sort qui attend les pays ainsi gouvernés ? Évidemment ils se trouveront tôt ou tard dans cette alternative, d’étouffer ou de se donner de l’air, de l’espace, par les colonisations ou par la guerre.

Coloniser ! Est-ce là notre penchant, notre espérance, notre habileté ? Nos petites colonies à sucre, hier encore, nous les avons sacrifiées à je ne sais quels intérêts sans légitimité et sans grandeur. Nous possédons un immense territoire à la Guyane. Qu’en faisons-nous ? Il existe, il est vrai, une commission, une commission composée d’hommes habiles, zélés ; ils s’occupent sans relâche de la mission qui leur a été confiée. Ils feront un rapport, un projet, un excellent rapport, un bon projet, je n’en doute pas. Nos archives regorgent de projets utiles et de rapports lumineux.

Nous possédons l’Algérie ; nous voulons la posséder. Il y a, il y aura une Afrique française. Malheureusement c’est là le seul point décidé. Que sera-t-elle ? Quelle en sera l’organisation ? Y aura-t-il une vaste colonisation algérienne ? Sur quels principes, par quels moyens ? Qui le sait ? On ne le sait pas plus aujourd’hui qu’on ne le savait un an après la conquête. Sur ce point encore, nous possédons ce qui nous est octroyé avec une incomparable largesse, une commission, une nombreuse commission, une commission qui compte dans son sein des hommes très recommandables par leurs lumières, par leur expérience, par leur amour du bien. La commission s’est mise au travail depuis long-temps ; elle s’est divisée en plusieurs sous-commissions : la législation, la guerre, la marine, l’agriculture, le commerce et l’industrie ; bref, chaque branche de la chose publique en Algérie a été confiée à des commissaires spéciaux plus ou moins compétens. En attendant, la session s’écoulera, l’année s’écoulera, sans qu’il y ait rien de fait, rien de décidé. Ce ne sera qu’en 1843 que les chambres pourront fixer leur attention sur les travaux des commissaires. Nous disons fixer leur attention, car de l’attention à la résolution, de l’étude à l’action, la distance est grande encore, et il pourra arriver de la question algérienne ce qui arrive de la question des sucres, de celle des bestiaux et de tant d’autres. Qu’on vienne ensuite nous dire que nous sommes une nation irréfléchie, brusque dans ses mouvemens, impétueuse dans ses résolutions !

En attendant encore, nous porterons notre armée d’Afrique à cent mille hommes, on dit que c’est là le nombre que M. le gouverneur-général tient pour nécessaire. La dépense se proportionnera nécessairement à l’effort. Certes nul n’a rendu, nul ne rend plus que nous hommage au courage mille fois éprouvé, à l’admirable patience de nos troupes. Tout ce qui sera possible de faire par la guerre, elles le feront. Le climat, l’ennemi, les privations, les fatigues, rien n’arrêtera l’élan de nos soldats ; ils savent que la patrie les regarde ; ils sont aujourd’hui ce qu’ils ont toujours été, les meilleurs soldats du monde. Mais il n’est pas donné aux hommes de changer la nature des choses ; nul ne fera que l’Afrique soit aujourd’hui une province européenne couverte de villes, de bourgs, de villages, de routes, de pâturages et de moissons ; nul ne transformera les Bédouins en une population douce, industrieuse, sédentaire, pacifique. Aussi que pouvons-nous faire en Afrique, tant qu’il n’y aura que des Arabes d’un côté et des soldats de l’autre ? Des courses plutôt qu’une guerre, une sorte de steeple-chase où Abd-el-Kader, avec ses nomades, ira toujours plus vite que nous avec nos mulets, nos canons, et tout l’attirail d’une nation civilisée qui n’a pas les habitudes des hommes du désert. Nous battrons tous les Arabes que nous pourrons atteindre ; mais nous en atteindrons fort peu. Les uns se déroberont toujours à nos coups ; les autres accepteront notre empire aujourd’hui pour nous trahir demain. Au plus petit revers, au moindre accident défavorable à notre armée, ils nous abandonneraient tous. Irons-nous jusqu’au grand désert ? envahirons-nous l’empire du Maroc ? Si l’on se propose de suivre Abd-el-Kader partout où il pourra se réfugier, il n’y a plus de terme à nos incursions, et le nombre de nos troupes devra de plus en plus s’accroître ; car si, en avançant, nous laissions sans garnisons suffisantes les derrières de l’armée, avec la mobilité physique et morale des Arabes, nous nous exposerions à d’étranges et douloureuses surprises.

La possession de l’Afrique, sans une prompte et large colonisation, serait un non-sens, une énorme et funeste dépense. Quoi ! nous aurons dépensé bientôt un milliard pour posséder en Afrique des terres en friche, quelques méchans bourgs, et pour y gouverner quelques hordes semi-barbares et d’une fidélité suspecte, et cela sans même avoir sur le littoral africain un port militaire qui assure dans tout évènement les communications d’une grande armée avec la métropole !

Encore une fois, la question coloniale n’est plus une question purement spéculative, un thème de théoricien. Tout homme sérieux et conséquent doit reconnaître que, pour toute grande nation industrielle, il ne reste aujourd’hui que deux partis à prendre, ou revenir à la liberté commerciale, ou se donner de nouveaux débouchés, des marchés réservés, à l’aide du système colonial. Que les amis de la liberté commerciale dédaignent les colonies, qu’ils repoussent ces possessions lointaines, souvent si coûteuses et qui exposent la mère-patrie à tant de luttes politiques ; qu’ils se refusent à des tentatives d’une réussite incertaine et qui exigent de grandes avances, cela se conçoit. Pourquoi demanderaient-ils au privilége colonial, à un privilége qui ne peut s’établir et se maintenir sans dépenses, sans efforts, sans dangers, des marchés, des débouchés que la liberté commerciale pourrait ouvrir sans peine sur toute la surface du globe ?

Mais que penser de ceux qui repoussent avec horreur ou avec dédain, c’est-à-dire par intérêt ou par ignorance, toute liberté commerciale, et qui en même temps sont froids, insoucians à l’endroit des colonies, souvent même hostiles, non-seulement à tout accroissement, mais à la conservation de nos possessions coloniales ? On est forcé de le dire, ils ne comprennent pas la question, ils méconnaissent leur propre situation. Ils ouvriront les yeux lorsqu’il sera trop tard, lorsque l’industrie, égarée dans les fausses voies où ces aveugles conseillers l’ont poussée, ne pourra ni revenir sur ses pas, ni trouver une issue. C’est là l’avenir vers lequel elle marche en France et ailleurs, et il est juste d’ajouter, dans certains pays plus rapidement encore que chez nous.

Cependant, soit habileté, soit simplement par d’heureuses combinaisons, la nécessité d’un vaste système colonial est aujourd’hui une vérité démontrée, pratiquée dans plus d’un pays. Parlerai-je de l’Angleterre ? Qui ne connaît ses efforts, ses projets, ses conquêtes dans toutes les parties du monde ? Au fond c’est là toute sa politique. Elle veut des débouchés, et encore des débouchés et toujours des débouchés. Les négociations et la guerre, les caresses et les mauvais procédés, les offres et les refus du gouvernement anglais n’ont, en réalité, qu’un but, le commerce du monde. Ainsi que le disait un homme d’esprit et fort versé en ces matières, les Anglais font servir leur politique à leur commerce ; nous, nous subordonnons notre commerce à notre politique, à notre politique extérieure comme à notre politique intérieure. Nos relations commerciales, nous les donnons souvent comme appoint dans nos négociations, au dedans et au dehors, avec des diplomates et avec des députés, peu importe.

La Belgique, depuis 1830, étouffe dans ses ateliers sans issue. La Néerlande n’étouffe pas ; elle respire à son aise dans ses magnifiques possessions coloniales. La Hollande n’est pas à La Haye ; elle est à Batavia. C’est là que le gouvernement hollandais trouve douze millions de sujets industrieux, actifs, pacifiques, et un revenu net de 100 millions de francs ; il en retirera très probablement 100 millions de florins sous peu d’années. Le gouvernement hollandais avait aussi fait fausse route d’abord ; il avait cru que la force, que la violence suffirait à tout. Heureusement pour lui, il ne lui a pas fallu de longues années pour reconnaître son erreur et revenir en arrière. Il a vite pris son parti, adopté les mesures à la fois les plus sages et les plus énergiques, abandonné la vieille routine pour des voies toutes nouvelles, et obtenu ainsi de magnifiques résultats. Sous peu d’années peut-être, la Hollande fournira à l’Europe une grande partie du thé que nous allons maintenant chercher à la Chine. Ceux qui voudront se former en peu de temps et à peu de frais une juste idée des établissemens hollandais dans les eaux de l’Indo-Chine, ne pourront mieux faire que de lire la brochure de M. Maurice d’Argout, ayant pour titre : Java, Singapour et Manille. Substantiel et lucide, ce petit écrit renferme tous les faits les plus utiles à connaître, et laisse entrevoir des points de vue de la plus haute importance, et sous le rapport commercial et sous le rapport politique. La possession de Java par la Hollande et la rivalité que, par la force même des choses, cette magnifique possession peut un jour susciter entre la Néerlande et l’Angleterre, n’est pas un fait indigne d’attention pour la politique française.

Le roi de Sardaigne, à l’occasion du mariage du prince royal avec une princesse autrichienne, accorde une pleine amnistie aux émigrés politiques. Il est vrai que le gouvernement sarde n’avait pas attendu ce moment pour accorder un assez grand nombre de graces ou amnisties particulières. Il ne faut pas moins le féliciter d’avoir enfin pris une mesure générale et définitive. Il était triste de voir qu’en Italie les gouvernemens italiens non-seulement se laissaient devancer par un gouvernement étranger, par l’Autriche, dans les voies de la clémence, de la modération et de l’oubli, mais qu’ils ne s’empressaient pas même d’en suivre l’exemple. Il en avaient imité et dépassé les sévérités ; ils ne voulaient ou n’osaient en imiter l’indulgence. Cela n’était ni digne ni habile. Ils servaient les intérêts de l’Autriche en ne la suivant pas dans les voies de la clémence, plus encore qu’ils ne les avaient servis par une dure répression.

La chambre des députés était ces jours-ci en belle humeur ; aussi a-t-elle pris la proposition Golbéry pour sujet d’une plaisanterie parlementaire. Il était en effet difficile de la prendre au sérieux. Le moyen d’imaginer sans rire que l’état dépenserait un million pour envoyer à nos trente-sept mille maires je ne sais quel bulletin que personne n’aurait lu, et qui n’aurait été bon à lire pour personne. Concevez-vous en effet tous les Français sachant lire tant bien que mal, occupés tous les jours, pendant six mois de l’année, à déchiffrer, sous le toit de la maison commune, tous les discours de MM. les pairs et de MM. les députés, même ces longs discours écrits que personne n’a écoutés, que personne n’a lus, parce que souvent les orateurs ont eu l’heureuse idée de n’en lire que l’introduction et la fin. La vie humaine est si courte ! C’est bien assez pour ces discours qu’une sépulture honorable dans les colonnes du Moniteur, c’est bien assez que le député puisse écrire à ses électeurs : J’ai fait mon discours ; voyez plutôt le Moniteur d’aujourd’hui. Et si par aventure le mot sensation se trouvait à la fin du manuscrit, le compilateur officiel n’est pas un cerbère impitoyable, qui veuille effacer cette prévision ingénieuse, quoique non accomplie.

Quoi qu’il en soit, la chambre, profitant de ses loisirs, a voulu que le rapporteur de la commission lui donnât lecture pleine et entière du rapport ; elle ne lui a pas fait grace d’une ligne ; elle a voulu qu’on lui explique comme quoi l’orateur qui n’aurait pas achevé ses corrections à onze heures du soir resterait irrémissiblement chargé de tous ses péchés de tribune, comme quoi la chambre des pairs se trouvait réduite à la portion congrue, et ne pourrait parler à l’avenir plus qu’elle n’a parlé en l’an de grace 1840, c’est-à-dire qu’on aurait une parole de pair pour deux paroles de député ; comme quoi, vu la dureté des temps et des murs, cette précieuse denrée, le bulletin Golbéry, serait donnée au rabais à ces méchans journalistes qui osent bien, dans leurs comptes-rendus, préférer les discours de leurs amis aux discours de leurs adversaires, et qui n’ont pas voulu trouver le secret de faire entrer dans deux pages in-4o les dix pages in-folio du Moniteur. Toutes ces belles choses et tant d’autres, la chambre a voulu les entendre exposer, expliquer, défendre, au point de vue des principes, au point de vue de l’exécution, sous le rapport financier, sous le rapport politique, et cela pendant deux grandes heures, sans l’ombre de fatigue, d’ennui, au contraire avec satisfaction et gaieté ; après quoi, de l’avis unanime de la gauche, de la droite et des centres, par l’organe de M. de Beaumont et de M. de Salvandy, la chambre a dit à la commission : — C’est bien, très bien ; nous en parlerons quand je n’existerai plus. — Hélas ! qui l’aurait dit, si près du port ? Sic transit gloria mundi.

La chambre sera dissoute les premiers jours de juin. Les élections se feront dans la première quinzaine de juillet. Tout ce qu’on demande encore sérieusement à la chambre, c’est la loi des chemins de fer et le budget. Nous aurons le budget, aurons-nous les chemins de fer ?

Les intérêts particuliers s’agitent de plus en plus ; ils assiègent, ils harcèlent les ministres, les commissaires de la chambre, les députés ; si le cabinet et la chambre n’y prennent garde, nous pourrons bien avoir sur une grande dimension le pendant de la folie de Versailles. Cela serait aussi ridicule que déplorable. Singulière prétention que de vouloir réparer aux dépens de l’intérêt général les erreurs qu’on a commises et les pertes qu’on a éprouvées ! Tant pis pour ceux que la cupidité a aveuglés. Imputent sibi.

Nous verrons si le gouvernement maintiendra hautement son droit, s’il sentira sa force et osera s’en servir. S’il fait bon marché de son initiative, s’il la livre aux intérêts particuliers, rien ne se fera, ou il ne se fera que des choses désastreuses. Non ; si des projets trop étranges viennent se croiser, la chambre finira par tout rejeter, et si, ce que nous ne pensons pas, quelque mesure imprudente pouvait lui être arrachée, le projet irait expirer dans la chambre des pairs.

« Les chemins de fer sont, comme presque tout le reste, une question de centralisation. Ira-t-on au nord ou au midi, à l’est ou à l’ouest ? Prendra-t-on à droite ou à gauche ? Fera-t-on les chemins de fer par masses, par fractions, par embranchemens ? Y aura-t-il des lignes militaires, des lignes de circulation, des lignes de commerce ? Chaque intérêt parlementaire ou extraparlementaire s’agite, se démène, se rue, ardent à sa proie. Mais l’intérêt de l’état, messieurs, l’intérêt de l’état ! » Nous empruntons ces paroles à l’écrit si remarquable de M. de Cormenin sur la centralisation, à cet écrit qui servait d’introduction au droit administratif, et que Timon vient de faire réimprimer à part en y ajoutant des réflexions sur le même sujet. Jamais principe n’a été défendu avec une sagacité plus pénétrante, avec une conviction plus profonde, ni avec plus de résolution. Esprit éminemment logique, M. de Cormenin doit accepter toutes les conséquences du principe qu’il expose avec une parole si vive, si éloquente, si incisive. « C’est un spectacle misérable et digne de pitié de voir Barcelone, Cadix, Valence, Burgos, Sarragosse, Bilbao, Malaga, lever à chaque secousse leurs têtes rivales, et constituer capricieusement des juntes insurrectionnelles, au lieu de s’unir à la métropole pour comprimer l’anarchie. » Et ailleurs : « Qu’est-ce qui frappe les yeux et l’esprit du peuple dans l’idée de Dieu ? c’est l’unité ; dans l’ordonnance du monde ? c’est l’unité ; dans l’institution d’une monarchie ? c’est l’unité. »

Il est si facile, en lisant l’écrit de M. de Cormenin, de se laisser aller au plaisir de le citer ! Le sujet qu’il a si bien traité est si important pour nous, pour nous qui faisons sur une si vaste échelle une expérience toute nouvelle dans le monde, l’essai de l’établissement d’un grand état unitaire sur la base de l’égalité civile ! La centralisation, c’est le seul lien avec lequel on puisse de nos innombrables élémens démocratiques former un ensemble, de toutes ces molécules faire un seul tout. Elle est, pour ainsi dire, le ciment des grands états démocratiques, de ces immenses édifices tout composés de petits cailloux.

En repoussant avec toute sa vigueur, avec sa logique acérée, les attaques que des esprits superficiels ou passionnés dirigent contre la centralisation, M. de Cormenin sert son pays, et j’ajouterai la monarchie. La centralisation et la monarchie sont deux idées qui, pour tout esprit sérieux, se traduisent l’une par l’autre, dans ce sens du moins que, s’il peut y avoir monarchie sans centralisation, il ne peut y avoir de centralisation forte, régulière et durable sans monarchie. Aussi, après tout et malgré tout, tenons-nous Timon pour l’homme le plus monarchique et le plus gouvernemental de France. Sincères admirateurs de son beau talent, nous avons plus d’une fois regretté que le docte publiciste ne se soit pas toujours placé, pour traiter les hautes questions de notre droit public, à cette hauteur où il lui appartient de se tenir, au-dessus de la région des passions politiques, région orageuse sans doute et bruyante, mais nullement élevée.

Nous ne rappellerons pas les débats, maintenant oubliés, qui ont eu lieu à la chambre des députés sur la question du recensement. Dans le sein de la chambre, ces discussions ne peuvent avoir qu’un seul résultat : c’est de faire que la majorité se tienne sur ses gardes et serre de plus en plus ses rangs autour du ministère. Ces discussions auront-elles une efficacité défavorable au cabinet dans le sein des colléges électoraux ? c’est ce que nous ne voudrions ni nier ni affirmer. Nous sommes de ceux qui tiennent toutes les prédictions électorales pour hasardées. L’histoire prouve que l’élection générale est un problème très compliqué, dont on n’a pu, que dans des cas fort rares, dégager d’avance toutes les inconnues.

À la chambre des pairs, les explications au sujet du droit de visite ne nous ont rien appris de nouveau. Il reste une question de droit, la question relative au navire la Sénégambie, qui n’a été approfondie ni de part ni d’autre. Le droit et le fait auraient exigé d’autres éclaircissemens. M. de Broglie est intervenu dans le débat pour répondre victorieusement aux attaques qui avaient été dirigées contre les traités de 1831 et de 1833 par ces hommes qui, animés d’un zèle posthume, s’emportent contre l’Angleterre, aujourd’hui qu’il n’y a plus occasion ni motif de brûler contre elle une amorce, aujourd’hui que l’Angleterre ne demande à sévir que contre des marchands d’hommes, et qui n’avaient que des paroles mieilleuses et des déférences incroyables pour elle, lorsque le cabinet anglais, par le traité du 15 juillet, avait manqué de franchise et d’égards envers la France.


— Les deux premiers volumes du Cours d’Études historiques, par M. Daunou, viennent de paraître[1] ; ils ne sont que le préliminaire des suivans, qui ne tarderont pas à succéder. MM. Guérard et Natalis de Wailly, de concert avec M. Taillandier, donnent leurs soins à cette publication, qui avait d’ailleurs été préparée par M. Daunou avec toute l’exactitude qu’il apportait à ses travaux. Dire que les deux volumes aujourd’hui publiés embrassent ce que l’auteur appelle l’examen et le choix des faits, et traitent, comme subdivision, de la critique historique, des usages de l’histoire ; ajouter qu’ils entament déjà la seconde partie du cours qui a pour objet la classification des faits, ce serait donner une idée bien abstraite et bien incomplète de ce qu’on y trouvera de varié et d’agréablement instructif. Nous en tirerons, en y revenant bientôt, l’occasion bien naturelle et trop retardée d’apprécier l’écrivain élégant, l’érudit judicieux et l’homme vénérable dont on a mieux compris tous les mérites en le perdant.

  1. Firmin Didot, rue Jacob, 56.