Chronique de la quinzaine - 14 juillet 1860

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Chronique n° 678
14 juillet 1860


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juillet 1860.

Nous tous, hommes de rien, qui n’avons aucune influence sur la direction des affaires publiques, nous qui assistons au spectacle de la politique comme un parterre anonyme émaillé de claqueurs, nous, monades obscures, humble poussière du suffrage universel qui ne prenons la licence de juger les événemens qui se jouent sous nos yeux que parce que nous sommes bien obligés d’en rapporter les conséquences à nos infimes affaires et à nos vils intérêts, nous qui nous permettons tout au plus, dans nos rares audaces, de former au sujet des perspectives de la politique des vœux platoniques, comme don Juan faisait l’aumône, « pour l’amour de l’humanité, » — en nos attentes et en nos déceptions quotidiennes, nous sommes semblables aux amans de Pénélope : nous trouvons chaque matin dénouée la trame que, dans nos rêves bourgeois, nous avions crue terminées la veille. Que de fois n’avons-nous pas été assurés de toucher à la pacification générale et définitive ! que de fois n’avons-nous pas vu avec stupéfaction au réveil que tout était à recommencer ! Si nous nous livrons en ce moment à ces réflexions mélancoliques, nous avouerons ingénument que c’est par pure précaution oratoire. Il nous semble en effet, malgré les apparences, que nous allons commencer un nouveau songe calmant et dans la crainte qu’il ne soit brusquement et tôt interrompu, nous tempérons prudemment notre espérance présente par le souvenir opportun de nos récentes mésaventures.

Les apparences sont contraires, disons-nous, à nos châteaux en Espagne de passagère tranquillité. Les soucis politiques nous viennent de deux côtés, de l’Italie et de l’Orient. Qu’arrivera-t-il à Naples ? quelles seront les conséquences des déplorables troubles de la Syrie ? Certes il y a assez de fermens dans la question italienne pour embraser l’Europe ; il y a assez d’élémens de dissolution et de rivalités en Turquie pour produire un violent déchirement dans l’empire turc et pour brouiller du même coup toutes les puissances entre elles. — Vous prenez bien votre temps, nous dira-t-on, pour rêver de nouveau l’apaisement et pour donner l’essor à vos incorrigibles espérances ! — Notre illusion est plus modeste. Nous croyons qu’en Italie et en Orient les choses ne se presseront pas comme on l’avait d’abord redouté : nous croyons que les deux crises nous accorderont encore des délais ; nous nous emparons de ces délais possibles et probables ; nous enregistrons l’ajournement d’un péril qui avait paru imminent comme un avantage marqué pour la sécurité générale, vis-à-vis duquel on n’a pas le droit de faire le dédaigneux. Voilà tout.

Commençons par l’Italie. Ne vous semble-t-il pas que la révolution italienne manque de tempérament, et qu’elle n’est pas destinée à procéder par ces bonds impétueux qui ont fait à la fois la terreur et l’entraînement irrésistible de la révolution française ? On le sait, les appréciations que nous avons portées sur les affaires d’Italie ont été libres de tout préjugé de parti et de routine diplomatique. Nous avons soutenu de nos vœux les plus énergiques l’affranchissement de l’Italie. Nous avons acquis le droit d’être considérés par les Italiens comme des témoins impartiaux. Nous pouvons donc exprimer en toute franchise les pensées que nous inspire l’état présent de l’Italie.

Lorsqu’on parle de la révolution italienne, il faut écarter toute comparaison avec l’objet, le caractère et les ressources de la révolution française. La révolution française était dans son principe un développement purement intérieur de notre histoire : il s’agissait pour nous de la création de nouvelles institutions politiques intérieures ; notre existence et notre unité nationale étaient puissamment et glorieusement fondées avant la révolution ; c’était même le degré auquel notre unité nationale était parvenue qui rendait mûre, possible et nécessaire la réorganisation de notre régime politique. Il s’en faut que l’Italie soit dans une situation semblable. L’unité nationale n’y existe qu’à l’état d’idée, et cette idée est toute récente ; cette idée est loin d’être le résultat naturel de l’histoire de l’Italie : toute cette histoire y est contraire. L’idée unitaire, au lieu d’être le fruit du développement historique de l’Italie, ne s’est produite que comme le moyen d’atteindre une autre fin. Les Italiens qui étaient hier le plus opposés à l’idée unitaire s’y sont convertis non pas directement par une foi véritable dans l’unité, mais indirectement, parce que l’unité leur a paru être le seul moyen pratique d’arriver à l’affranchissement de la domination étrangère, à l’indépendance de l’Italie. Il résulte de cette situation plusieurs conséquences que les Italiens feraient bien d’envisager de sang-froid. L’unité italienne étant une arme de guerre contre l’étranger, le moyen invoqué pour expulser l’Autriche de la péninsule, tout effort pour réaliser l’unité devient pour l’Italie elle-même un péril extérieur, car chaque tentative unitaire est une menace directe contre l’Autriche. Ce n’est même pas là le seul péril extérieur que rencontre le mouvement unitaire. Les souverainetés que ce mouvement attaque dans la péninsule, celles du roi de Naples et du pape, existent en vertu des traités, et sont étroitement liées au droit public européen. Les coups dirigés contre le roi de Naples et le pape retentissent donc bien au-delà de l’Italie, soulèvent contre l’Italie une multitude d’adversaires redoutables, et créent une commotion européenne. Ces coups mêmes, comment les Italiens peuvent-ils les porter ? Il est visible qu’ils n’ont à leur disposition, dans une telle entreprise, ni cet enthousiasme populaire unanime dont l’expansion indomptable emporte les trônes, ni ces ressources concentrées et organisées qui deviennent le formidable instrument d’une dictature révolutionnaire. Quand la révolution française fut obligée de supporter l’assaut de l’Europe, pour s’affermir au dedans et se défendre au dehors, elle eut à son service l’ardeur des masses, les mœurs guerrières de la nation, et la centralisation dont l’ancien régime lui avait légué le génie et les ressorts. Les Italiens n’ont rien de semblable en leur pouvoir : la passion révolutionnaire n’anime pas leurs masses, leurs populations n’ont pas les mœurs militaires, les hommes d’initiative et de commandement leur manquent. Pour l’attaque et pour la défense, ils ont tout à créer en matière d’organisation.

Dans un tel état de choses, il nous semble que, bien loin de presser la chute du roi des Deux-Siciles et la disparition de l’autonomie napolitaine, les hommes les plus intelligens de l’Italie devraient se féliciter des concessions que vient de faire le roi de Naples comme d’une occasion unique qui leur permet, s’ils en savent profiter, de modérer honorablement et sagement la marche de la révolution, et d’ajourner au moins des compromissions dangereuses. C’est surtout le gouvernement piémontais qui est tenu de se rallier à ces conseils modérés. Le gouvernement piémontais porte devant l’Europe la responsabilité de la révolution italienne ; il est appelé à profiter des bonnes chances de cette révolution, il est destiné à en subir les mauvaises. Sa position n’a jamais été plus critique. S’il travaille au renversement du roi de Naples, il ne fera que hâter l’heure de ses propres périls. Le mouvement unitaire triompherait alors avant que l’Italie eût pu organiser ses ressources offensives et défensives. Or l’on sait que les mouvemens révolutionnaires, une fois lancés, ont peu de souci des moyens pratiques, et vont sans réflexion où la passion les entraîne. Le roi de Naples renversé, l’annexion des Deux-Siciles accomplie, le Piémont serait immédiatement ramené et poussé par ce mouvement vers l’Autriche. Le Piémont cependant n’aurait pas eu le temps de créer l’armée italienne, nous disons à dessein l’armée italienne, car il est évident que la vieille et solide armée piémontaise n’existe plus. On lui a enlevé ses meilleures troupes avec la brigade de Savoie. Les recrues lombardes, romagnoles, toscanes, parmesanes, modenaises, débordant dans les anciens cadres, n’ont pas pu et ne pourront de longtemps composer une armée homogène et s’inspirer d’un solide esprit militaire. Si le Piémont, se laissant aller aux entraînemens de la révolution, se heurtait de nouveau à l’Autriche, le résultat du choc ne serait malheureusement pas douteux. Le gouvernement de Turin se flatterait-il d’entraîner encore une fois la France au-delà des Alpes ? Ce calcul, s’il existait, serait peu patriotique. Que serait pour l’Italie une indépendance deux fois demandée et deux fois due à une intervention étrangère ? Nous savons que bien des Italiens croient avoir acheté le concours perpétuel des armées françaises par la cession de la Savoie et de Nice, et nous regrettons qu’un prétexte ait été donné à une pareille illusion ; mais ce n’est qu’une illusion, et il y aurait à s’y complaire une jactance blessante pour la France. Si le gouvernement piémontais se place, par sa connivence avec les tentatives révolutionnaires dont Naples pourrait être l’objet, dans une situation telle qu’il ne puisse plus résister à l’entraînement révolutionnaire et soit forcé d’attaquer l’Autriche, il ne lui sera pas permis de compter sur le concours de la France. Il n’aura suivi la conduite qui l’amènerait à une telle extrémité qu’au mépris des conseils du gouvernement français, et en cédant à des excitations populacières auxquelles il n’aura eu ni le courage ni la force de résister. Comment supposer que le gouvernement français donne dans l’action son concours à une politique qu’il aura d’avance frappée de son blâme ? comment admettre qu’une nation comme la France puisse aliéner sa liberté d’action au point de se mettre à la remorque des caprices d’une politique née dans les régions qui échappent aux influences régulières, et accorde jamais au Piémont le pouvoir de la compromettre contre son gré ? Le Piémont ne pourrait pas compter davantage, il doit le savoir, sur le concours de l’Angleterre. Sans doute les sympathies individuelles ne lui manqueraient pas parmi les Anglais ; des voix éloquentes s’élèveraient en sa faveur dans.le parlement : quelque vieil Appius britannique tel que lord Ellenborough s’éprendrait d’un enthousiasme patricien pour les chefs de ses corps-francs ; mais jamais, dans les circonstances présentes, lorsque tout est possible en Orient, un gouvernement de la reine n’irait de gaieté de cœur sacrifier à de romanesques sympathies l’utilité pratique de l’alliance de l’Autriche. La marche révolutionnaire conduirait donc le Piémont à une lutte avec l’Autriche. Dans cette lutte, il serait isolé ; isolé, il serait menacé d’un sévère échec. Cet échec serait un désastre pour l’indépendance de l’Italie. Qu’auraient gagné le Piémont et l’Italie, si, ayant rendu de nouvelles interventions nécessaires, les puissances intervenantes exécutaient cette fois, les armes à la main, un nouveau traité de Villafranca ?

Il n’y a pas, nous en sommes sûrs, d’exagération malveillante à recommander au Piémont et à l’Italie la méditation sérieuse de ces perspectives. Nous savons que l’on répondra au nom du Piémont que nos hypothèses sont extrêmes, et que le nouveau royaume italien, accru de Naples, serait assez sage pour ne point attaquer l’Autriche. Nous répliquerons que, s’il veut faire croire à sa sagesse dans l’avenir, le Piémont fera bien de donner le gage de sagesse que nous lui demandons dans le présent. La politique du Piémont est loin d’être glorieuse depuis six mois ; le second ministère de M. de Cavour est loin de justifier les espérances qui avaient accueilli le retour au pouvoir de cet homme d’état. Le soin de sa réputation, l’intérêt de son crédit en Europe devraient engager M. de Cavour à ne point pousser les choses à l’extrême du côté de Naples. Ceux qui estimaient l’initiative intelligente et courageuse dont le ministre piémontais a fait preuve tant de fois ont peine à comprendre sa politique actuelle. M. de Cavour a laissé passer la session du parlement de Turin sans y avoir organisé un parti véritable de gouvernement, et même sans paraître l’avoir essayé. Les difficultés qui l’entourent sont grandes, nous ne le nions point, et nous-mêmes nous n’avons pas dissimulé la gravité des embarras que lui a créés la cession de la Savoie et de Nice. En dehors de ce parlement nouveau ; où il a dédaigné de former un parti de gouvernement, il avait à commencer l’assimilation des provinces récemment annexées. Il ne semble pas que les tentatives accomplies de ce côté aient été heureuses. Les personnes qui reviennent d’Italie rapportent que le Piémont réussit mal dans l’administration des nouvelles provinces, et notamment de la Toscane. On dirait, pour parler sur le ton d’une plaisanterie quasi officielle dont le gouvernement piémontais était l’objet récemment, que la Sardaigne a grand’peine à digérer le fort repas d’annexions qu’elle a fait si allègrement à la fin de l’année dernière. Les collaborateurs appliqués, expérimentés, efficaces, manquent à M. de Cavour. Le ministre piémontais ne semble plus avoir d’autre politique que celle du laisser-aller ; il ne contient ni ne dirige l’esprit public, il ne s’associe pas ouvertement à ses manifestations ; il suit de loin le courant, comme s’il attendait d’un incident l’inspiration qui semble l’avoir abandonné. On ne saurait expliquer autrement son attitude en présence des expéditions des corps-francs pour la Sicile. On peut avoir une certaine sympathie pour Garibaldi et ses volontaires allant affronter, au nom d’une foi patriotique ; des chances et des périls imprévus ; il est impossible d’accorder sa confiance ou son estime à un gouvernement qui tolère l’organisation et le départ de telles expéditions. S’il les approuve secrètement, il manque de franchise ; s’il les subit malgré lui, il manque de force : triste dilemme qui accuse son honnêteté ou dénonce sa faiblesse ! Situation pénible et peu digne, qui ne pourrait se prolonger sans inspirer de sérieuses et légitimes inquiétudes, nous ne dirons pas seulement aux rigoristes du droit public, justement émus d’un spectacle si anarchique et si démoralisant, mais aux plus sincères amis de l’Italie, qui voient avec tristesse le gouvernement abdiqué par ceux à qui il appartient, et devenu le jouet des passions de la multitude, c’est-à-dire en réalité, comme cela arrive toujours lorsque la multitude semble maîtresse, d’une poignée de meneurs ignorés. Un gouvernement déjà si embarrassé de ses dernières acquisitions n’a évidemment rien à gagner à l’annexion de la Sicile et de Naples. Il faut être fort pour pouvoir être modéré ; pouvonsnous croire raisonnablement que l’annexion de Naples donnera au gouvernement du roi Victor-Emmanuel et de M. de Cavour la force qui lui serait nécessaire pour être modéré le jour où le mouvement unitaire aurait triomphé par les voies révolutionnaires dans toute l’Italie ?

Nous regardons en conséquence le rétablissement du régime constitutionnel à Naples comme une occasion dont M. de Cavour, s’il consulte son honneur et ses intérêts, l’honneur et les véritables intérêts de l’Italie, devra profiter pour imprimer un temps d’arrêt au mouvement unitaire trop précipité qui expose le Piémont et la péninsule à de si graves dangers. En parlant ainsi, nous avons le sentiment que nous ne cédons à aucune malveillance ni à aucun préjugé contre l’unité italienne. Si cette unité est dans la nature des choses, on l’assurera bien mieux dans l’avenir en attendant loyalement l’épreuve des nouvelles institutions napolitaines, et en ayant la patience de consolider les résultats acquis avant de tenter de nouvelles aventures. Nous ne sommes ni de ceux qui subordonnent les intérêts des peuples aux droits des souverains, ni de ceux qui veulent mesurer l’essor des autres nations aux convenances égoïstes de leur propre pays. Cependant, au nom du roi de Naples et au nom de la France, de sérieuses considérations recommandent les conseils que nous donnons aux politiques italiens. Le roi de Naples est jeune, et personne ne songe à lui imputer la responsabilité de l’absurde et odieux régime que son père lui avait légué ; plusieurs de ses oncles sont notoirement dévoués aux idées nationales et libérales : il faut surtout nommer parmi ces princes le comte d’Aquila, que nous avions depuis plusieurs mois signalé comme devant exercer une influence heureuse dans la réforme du gouvernement napolitain, et dont la conduite dans les derniers événemens a confirmé toutes nos prévisions. Une révolution ne serait justifiée à Naples que si le roi et les princes de sa famille, dont il écoute aujourd’hui les conseils, manquaient aux garanties libérales et nationales qui viennent d’être données. C’est une politique non-seulement injuste, mais funeste pour un peuple, que de renverser un gouvernement avant d’avoir épuisé toutes les formes et tous les moyens par lesquels il est possible de rendre l’existence de ce gouvernement compatible avec les droits, les intérêts et les progrès populaires. La sagesse et l’honnêteté conseillent donc de donner franc jeu, comme disent les Anglais, a fair trial, à la nouvelle politique du roi de Naples. La France, de son côté, a le droit de demander au Piémont de se prêter avec patience et de bonne foi à cette épreuve. Nous ne réclamons pas ce droit pour la France au nom des services qu’elle a déjà rendus au Piémont, nous l’invoquons au nom même de ceux qu’il attend d’elle encore. Le Piémont doit trouver bon en effet que nous ne négligions rien pour conjurer ou éloigner les périls qu’il affrontera sans crainte, si nous lui tenons compagnie. Si même certaines délicatesses pouvaient être senties de peuple à peuple, nous avertirions les patriotes italiens qu’ils se tromperaient grossièrement, s’ils pensaient flatter la France en poussant un cri brutal de renversement contre les Bourbons de Naples uniquement parce qu’ils sont Bourbons. Nous n’avons pas de fanatisme dynastique, nous savons que la maison de Bourbon a eu des rejetons dégénérés, et que plusieurs de ces princes n’ont que trop travaillé à la décadence de leur race ; mais, Dieu merci ! tous les descendans vivans de ce brave, sensé et gai Gascon qui a fondé la maison royale de Bourbon ne démentent point l’esprit et le sang de leur aimable et glorieux ancêtre. La France en outre se rappelle que ces trônes encore occupés par des Bourbons sont comme des souvenirs vivans des anciennes grandeurs de son passé, et les peuples qui sont vraiment ses amis lui feront plaisir de ne pas remplacer sur ces trônes le nom de Bourbon par un autre nom dynastique tant qu’ils pourront concilier leurs intérêts nationaux et leurs droits avec le respect de notre histoire.

De si fortes raisons prescrivent la réserve aux meneurs officiels du mouvement italien à l’endroit de la nouvelle situation napolitaine, que nous espérons que l’épreuve des nouvelles institutions ne sera point troublée à Naples par des incitations piémontaises. Nous croyons que M. de Cavour promet cette réserve, mais en y mettant des conditions d’une raideur exagérée, qui lui sont peut-être imposées à lui-même par ses relations avec la révolution italienne. Cette réserve, suivant le gouvernement piémontais, sera absolue. S’il témoignait une confiance subite et peu justifiée dans les nouvelles dispositions de la cour de Naples, il se perdrait, dit-il, non-seulement aux yeux des Italiens, mais auprès de l’Angleterre et des amis de l’Italie en France. La dernière interpellation de sir Robert Peel et même la réponse de lord John Russell ne viennent guère à l’appui de cette crainte du Piémont ; quant à la France, le Piémont est libre sans doute d’y choisir ceux qu’il appelle ses amis, mais il court dans ce choix le danger de n’avoir pas la main heureuse. Jusqu’ici d’ailleurs il n’y a eu d’échangé entre Naples et Turin que quelques communications verbales. D’après ses instructions, M. de Villamarina a dit au roi des Deux-Siciles que l’alliance devait reposer sur une parfaite solidarité de politique, sur la pleine liberté laissée à la Sicile de fixer sa destinée, et sur des efforts énergiques du roi de Naples pour obtenir des réformes à Rome. Le Piémont entend d’ailleurs que l’alliance offensive et défensive contractée entre les deux gouvernemens serait en réalité dirigée contre l’Autriche. C’est sur ces bases que seraient conduites les négociations avec la mission napolitaine attendue à Turin. Le Piémont parait disposé au surplus à laisser se produire les symptômes par lesquels se révélera l’état politique du royaume de Naples ; il se dit décidé à ne pas se donner le tort de rien entraver, et se contentera de ne pas ôter toute espérance au grand parti national, c’est-à-dire au parti unitaire. Toute la question est de savoir s’il pourra se former à Naples un parti libéral et dynastique à la fois, un parti vraiment constitutionnel. Un tel parti ne peut se produire que si les classes moyennes du royaume de Naples sont mûres pour la vie politique. Dans tous les cas, c’est à Naples qu’est en ce moment le nœud de la politique italienne. On dit les nouveaux ministres du roi de Naples animés de bonnes dispositions ; le caractère du ministre des affaires étrangères surtout, M. de Martino, est fait pour inspirer une sérieuse confiance. Que ce cabinet réussisse à créer un parti constitutionnel, et la marche précipitée et périlleuse de la révolution italienne pourra être régularisée et modérée.

L’Orient est venu ajouter d’autres soucis aux anxiétés que cause la question italienne ; mais le danger en Orient n’est point précisément du côté où de déplorables événemens ont surtout appelé l’attention publique. La situation anarchique de la montagne de Syrie, les horribles cruautés exercées par les Druses contre les Maronites ont soulevé en Europe un immense cri d’indignation. Il y a là une question d’humanité qui ne laisse place à aucune dissidence politique, à aucune rivalité d’influence entre les grandes puissances qui sont obligées de surveiller sans cesse la Turquie, mais dont la vigilance est si souvent et si malheureusement trompée. Il faut mettre un terme aux boucheries qui ont ensanglanté le Liban, il faut protéger les populations chrétiennes contre le retour de pareilles calamités. Les grandes puissances ont pourvu au premier point en envoyant des vaisseaux de guerre devant Beyrouth. La Porte elle-même s’est hâtée d’expédier sur les lieux son ministre des affaires étrangères, Fuad-Pacha, appuyé de troupes nombreuses. Les cabinets seront d’accord sans doute sur les garanties qu’il faudra chercher pour assurer à l’avenir le bon gouvernement de la montagne de Syrie. Il faut espérer que la triste expérience qui vient de s’accomplir les empêchera de retomber dans des erreurs aussi fatales que celles qu’ils ont commises autrefois en réglant cette difficile question. La responsabilité de la Forte est en effet moins engagée qu’on ne le suppose généralement dans les désordres anarchiques dont la Syrie vient d’être le théâtre. On croit dans le public que les Druses et les Maronites sont sous l’administration directe de la Porte, et on a fait remonter au mauvais gouvernement du sultan la responsabilité des crimes commis. Les Turcs ne sont pas en cette circonstance aussi coupables qu’on le pense. Avant 1840, les populations du Liban, les Druses comme les Maronites, étaient placées sous une administration unique, celle de l’émir Beschir. Cette unité de pouvoir maintenait une paix relative entre ces peuplades ennemies. Après les événemens de 1840, lorsque la Syrie eut été enlevée à la domination énergique de Méhémet-Ali, le vieil émir Beschir, qui avait si longtemps commandé dans le Liban, étant mort, et son autorité n’ayant pu être conservée dans la famille des émirs, les grandes puissances s’occupèrent de constituer une administration spéciale pour les populations de la montagne. Les diplomates qui se chargèrent de régler la question adoptèrent une combinaison logique en apparence, mais viciée par l’ignorance où ils étaient touchant le caractère des hommes et des lieux. Ils crurent assurer la paix entre les Maronites et les Druses en assignant à chacune des deux races et des deux religions une administration distincte et séparée. Malheureusement les auteurs de ce règlement oublièrent ou ignorèrent que, si les Druses et les Maronites sont séparés par la religion et par la race, ils ne le sont point toujours sur les territoires qu’ils occupent. Dans un grand nombre de villages de la montagne, les populations sont mêlées ; la distinction des administrations, au lieu d’y maintenir la paix, devait donc y multiplier les conflits, les causes d’animosité et les luttes. C’est de cet antagonisme irrité par un système mal conçu et mal adapté, que sont nés les troubles qui viennent d’émouvoir l’Europe. La Porte s’est toujours montrée contraire à ce système, qui ne lui appartient pas, qui est l’œuvre de la diplomatie européenne elle aurait voulu l’unité d’administration et gouverner directement la montagne par des pachas. C’eût été peut-être une solution préférable. Le tort de la Porte, dans ces derniers temps, est d’avoir pris une sorte de plaisir à laisser éclater les abus et les inconvéniens de la convention de 1845, afin de ramener par l’expérience l’Europe à son opinion. L’expérience a été terrible. Il n’y avait pas dans la montagne, au moment où les Druses ont commencé les massacres, assez de troupes pour intervenir dans la lutte et rétablir l’ordre. Il ne s’y trouvait, comme l’ambassadeur de Turquie en Angleterre en a fourni la preuve à lord. John Russell, que quatre cents soldats. Les puissances renonceront sans doute d’un commun accord à la combinaison qui a produit des résultats si lamentables ; elles s’entendront sur une question où la politique ne saurait les diviser, où l’humanité les réunit. Aussi cet incident n’est-il point destiné à faire éclater les complications orientales. Les sujets d’alarme, au point de vue politique, sont ailleurs. Ils sont à Constantinople. Les embarras financiers de la Turquie sont devenus un danger imminent pour l’existence de l’empire au sein même de la capitale. Les dilapidations du trésor, les concussions des fonctionnaires, l’appauvrissement des populations, l’absence de contrôle dans les dépenses, ont épuisé les ressources du gouvernement ottoman à tel point que, depuis plusieurs mois, la garnison de Constantinople ne reçoit pas de solde. Le danger d’une situation semblable se révéla par la découverte de la grande conspiration de l’année dernière. Si une insurrection turque venait à éclater à Constantinople, qui peut dire quelles en seraient les conséquences ? Quel trouble un tel événement ne jetterait-il pas dans la politique européenne ! Il faut désirer que la Turquie trouve dans le crédit occidental des ressources qui lui permettent de sortir de cette crise financière, qui prend les proportions d’une crise politique. Il faut espérer que cette garantie que l’existence de l’empire ottoman a trouvée, jusqu’à présent dans le contre-poids que se font les prétentions nivales des puissances européennes, et dans la répugnance quelles semblent toutes éprouver en ce moment pour la guerre, maintiendra encore le statu quo oriental. Cependant, puisque le temps est aux aventures, puisque les croisés et les troupes franches sont à la mode, qui peut dire que nous ne verrons pas un jour, au milieu de l’Europe stupéfaite et forcée d’applaudir, quelque héroïque aventurier escorté d’une bande de volontaires se précipiter à travers la dissolution ottomane, et, comme un nouveau Baudouin, entrer à cheval dans Sainte-Sophie ?

Si nous avions besoin d’une preuve frappante pour montrer le profit que la France peut retirer pour sa politique extérieure de la continuation de la paix, ce serait l’Allemagne qui aujourd’hui nous la fournirait. Dès que l’Allemagne se croit menacée par une entreprise française, elle s’efforce d’oublier ses divisions : elle s’unit. Dès qu’elle se rassure sur nos intentions, elle se remet à se chamailler, et reprend ses querelles sempiternelles avec elle-même. L’entrevue de Bade nous a procuré la représentation de cette double évolution. À en juger par les coups de plume qu’échangent les organes des petites cours, de la Prusse et du parti de Gotha, il faut reconnaître que l’entrevue de Bade a terriblement réussi, et que l’empereur des Français a complètement rassuré les Allemands, puisqu’ils se disputent de si bon cœur sur le caractère et les résultats de cette fameuse entrevue. Quelle est la politique qui à Bade a fait des concessions ? Voilà la question qui s’agite encore. C’est la Prusse qui a cédé, disent les feuilles des cours secondaires ; la Prusse a donné des assurances qui permettent d’espérer que l’entente va régner sur toutes les grandes questions de la politique fédérale. Pas du tout, disent les journaux prussiens : les princes allemands se sont groupés à Bade autour du prince-régent non comme des alliés autour d’un allié, mais comme des serviteurs faibles et pusillanimes autour d’un maître puissant. Nous n’interviendrons pas dans ce débat : nous craindrions de faire cesser aux dépens de la France la discorde où se plaisent les journaux allemands. Nous aimons mieux supposer que les défenseurs des états secondaires n’ont pas tort et que les champions de la Prusse ont raison. Cependant, malgré la haute opinion que nous avons du parti de Gotha, nous avouerons qu’il nous semble manquer souvent d’équité et dans les éloges qu’il décerne à la Prusse et dans les invectives dont il accable les petits états. Ce parti met trop de complaisance à représenter la Prusse comme la terre classique et le seul refuge de la liberté, du progrès, des sentimens nationaux en Allemagne, et trop d’affectation à traiter comme une Béotie le reste de la confédération. En vérité, la Prusse n’a pas le droit de revendiquer pour elle le monopole du libéralisme et des institutions constitutionnelles. Les états secondaires, surtout ceux du midi, ont joui de la vie constitutionnelle depuis quarante ans ; ils ont traversé bien des crises, mais ils ont fini par en sortir avec des institutions solidement établies. Prenons la Bavière par exemple : deux fois étouffée, de 1837 à 1847, par le ministère ultramontain et absolutiste Abel, de 1850 à 1858 par le ministère réactionnaire von der Pfordten, elle a de ses propres forces brisé ses entraves et rétabli la pureté du régime constitutionnel. C’est la persévérance calme et le courage civique des électeurs, réélisant à deux reprises une chambre deux fois dissoute pour son opposition au ministère von der Pfordten, qui ont enfin fait écrouler ce dernier, et forcé le roi Maximilien à déclarer qu’il voulait vivre en paix avec son peuple. Le principe constitutionnel domine en Bavière comme dans tous les états secondaires, à l’exception du Hanovre et de la Hesse électorale, où ses développemens sont retardés par une réaction dont on exagère peut-être les effets, et qui en tout cas ne durera pas plus longtemps que les individualités qui se trouvent au pouvoir. Pour compléter le contraste et rendre justice à qui de droit, nous ajouterons que ce que les peuples du sud de l’Allemagne ont conquis à force de persévérance et de courage, la Prusse l’a obtenu un peu par hasard. La constitution de la Prusse date de dix ans ; mais sa vie constitutionnelle ne dure que depuis deux ans. Sans le coup d’apoplexie qui est venu frapper le roi, la Prusse se trouverait encore dans les mains du cabinet Manteuffel et du parti de la Kreuzzeitung, parti dont les organes occupent d’ailleurs toujours les principaux accès du pouvoir, prêts à le ressaisir, si par hasard le vent venait à tourner dans les régions où se font et se défont les cabinets. Ainsi, que le parti de Gotha soit plus modeste afin d’être plus juste ! Puisqu’il tient tant à l’unité, qu’il ne se montre pas si contraire à l’union ! Autrement, si la tentative de rapprochement commencée à Bade entre les souverains allemands venait à échouer, on dirait que c’est sa faute, et il faudrait ajourner l’espérance de voir les Allemands unis jusqu’au moment où la France recommencerait à leur faire peur.

La session actuelle du parlement anglais aura été marquée par la plus singulière évolution d’opinion qu’il soit possible de voir dans des assemblées politiques. Lorsque M. Gladstone présenta son budget et le traité de commerce avec la France dans ce discours magnifique qui a été si universellement admiré, le chancelier de l’échiquier parut être le héros et le maître de la situation. Le cabinet anglais n’avait assurément pas en ce moment de membre plus important, et le ministère sembla lui devoir même son existence. L’opposition eut l’air de reculer devant un tel ascendant, et M. Disraeli ne put entraîner qu’une portion de son parti à marquer son dissentiment avec la politique ministérielle. Aujourd’hui, à la fin de la session, le prestige de M. Gladstone s’est évanoui. Le chancelier de l’échiquier est devenu le membre le plus impopulaire du cabinet. Un vote de la chambre des lords, ratifié par l’opinion publique, a mutilé son budget en refusant l’abolition de la taxe sur le papier. M. Gladstone et le petit nombre de membres radicaux qui se groupent maintenant autour de lui ont essayé de soulever à cette occasion un conflit entre la chambre des lords et la chambre des communes sous prétexte que la première, en s’opposant à la suppression d’une taxe, s’arrogeait indirectement le droit de fixer un impôt qui appartient exclusivement à la chambre des communes. Il a échoué dans cette tentative devant une commission des communes nommée pour étudier la légalité constitutionnelle du procédé de la chambre des lords, devant ses propres collègues et devant la chambre des communes. Pour vider la question, lord Palmerston a en effet présenté à la chambre des communes une série de résolutions vagues et insignifiantes qui rappellent les droits des communes, mais reconnaissent implicitement le droit qu’avaient les lords de maintenir l’impôt sur le papier. Le discours habile du chef du ministère a justifié au point de vue légal la conduite de la chambre des lords, et a décliné toute pensée de conflit. Le discours de M. Gladstone a été moins heureux. M. Gladstone ; qui ne pouvait pas voter contre son chef a pourtant parlé dans un sens contraire et a reproché maladroitement et amèrement à M. Disraeli et à l’opposition de voter pour les résolutions présentées par lord Palmerston, reproche imprévu venant d’un ministre à l’adresse d’un chef d’opposition. Ce discours n’a pas rendu à M. Gladstone sa popularité perdue. Nous avions remarqué, en analysant son remarquable budget, que M. Gladstone semblait s’être étudié à créer une insuffisance de revenus afin de forcer le parlement à réduire les armemens militaires. L’opinion s’est aperçue de cet artifice et n’a pas pardonné à l’éloquent ministre la violence détournée qu’il1 cherchait à lui faire. Étrange fortune d’un homme si merveilleusement doué, et que l’excès de quelques-unes de ses qualités, l’esprit de système et une subtilité exagérée ; ont plus d’une fois paralysé dans sa carrière ! Tout le monde l’admire et l’applaudit, et il arrive toujours un moment fatal où personne ne veut plus le suivre dans sa marche capricieuse et inquiétante. e. forcade.


REVUE MUSICALE.


François Wild. — Sémiramis à l’Opéra

Au mois de janvier dernier, il est mort à Vienne un artiste de mérite, un chanteur allemand qui a joui d’une assez grande célébrité pendant les quarante premières années de notre siècle. En effet, François Wild a été avec Haitzinger, avec Forti, Vogl, Staudigl, avec Mme Schroeder-Devrient, qui vient aussi de mourirn Mme Milder-Hauptmann et beaucoup d’autres moins connus, l’un des interprètes ; les plus applaudis de la nouvelle école de musique dramatique qui s’est élevée en Allemagne depuis la mort de Mozart. Wild, que i’ai entendu dans ma jeunesse, à Darmstadt où il est resté pendant plusieurs années attaché au théâtre grand-ducal, a été mêlé à beaucoup d’événemens intéressans. Il a connu Beethoven, Weber, Spohr, Spontini, Rossini, qui lui a donné des conseils, et sa vie de virtuose, qu’il a racontée lui-même avec une certaine complaisance, se rattache à une époque brillante de l’art musical. Communiquée à un journal de Vienne (Recensionen) peu de jours avant sa mort, l’autobiographie de Wild nous a paru renfermer des détails assez piquans pour mériter d’être recueillis.

François Wild est né le 31 décembre 1792 à Nieder-Hollabrun, village de la Basse-Autriche. Resté seul de vingt et un enfans, Wild apprit les lémens de la musique du maître d’école de son village, qui prédit à son jeune élève un bel avenir. À l’âge de sept ans, il fut admis comme enfant de chœur dans le couvent de Neubourg, près de Vienne. Son père, qui exerçait la profession de cabaretier, habitait une terre appartenant à cette riche abbaye. Wild raconte que le maître de chant qui était chargé de les instruire et de leur apprendre à ménager leur respiration leur faisait traverser en courant trois ou quatre fois la salle où ils se réunissaient. Cette singulière leçon de chant ne dut pas contribuer beaucoup à former le futur et célèbre virtuose. En 1804, Wild, ayant atteint l’âge de douze ans, concourut pour une place d’enfant de chœur à la chapelle impériale de Vienne, qui était dirigée par Salieri et Eibler. Dans cette nouvelle position, Wild eut l’occasion d’entendre les meilleurs chanteurs italiens et allemands qu’il y eût alors à Vienne, tels que Crescentini, les deux Sessi, Vogl et Weinmüller, une des plus belles voix de basse qui aient existé, et qui était surtout remarquable dans le rôle de Zarastro de la Flûte enchantée. L’exemple de ces virtuoses, l’excellente musique qu’ils étaient chargés d’exécuter, eurent une si bonne influence sur le goût croissant de l’enfant de chœur, qu’on le jugea digne de chanter un solo devant l’empereur Napoléon. Cette épreuve si importante pour Wild eut lieu en 1805, dans la chapelle de Schœnbrunn. Quelques actes d’insubordination, trop sévèrement punis par ses maîtres, contraignirent Wild à quitter la chapelle impériale et à retourner dans son village. Pendant ce temps, la mue s’étant opérée, Wild revint à Vienne et s’engagea comme choriste d’abord au théâtre de Josephstadt, puis à celui de Léopold. Un jour, le premier ténor s’étant trouvé subitement enrhumé, Wild fut prié de chanter à sa place un chant national qui devait figurer sur le programme d’une représentation extraordinaire. La tentative eut un plein succès, et Wild fut vivement applaudi. Hummel, qui dirigeait alors la musique du prince Esterhazy, engagea le jeune ténor pour chanter les solos à la chapelle de la petite cour d’Eisenstadt. Enfin en 1810 Wild, qui était âgé de dix-huit ans, fit ses premiers débuts au théâtre An der Wien par le rôle de Ramiro dans l’opéra Cendrillon, de Nicolo. Favorablement accueilli par le public, Wild aborda successivement les principaux rôles de son répertoire, et se fit particulièrement remarquer dans celui de don Juan, qu’il chantait avec beaucoup de vigueur, surtout l’air fin che dal vino, que le public lui faisait toujours répéter. C’est pendant la période brillante de 1815 à 1816, où le congrès attirait à Vienne les plus grands artistes de l’Europe, que Wild fit la connaissance de Beethoven, et voici à quelle occasion.

L’empereur d’Autriche François II avait ordonné qu’on organisât un grand concert pour distraire les hôtes illustres qui étaient réunis dans sa capitale. L’empereur avait désigné lui-même les morceaux, qu’on devait y exécuter. Wild avait choisi un air de la Jérusalem délivrée, opéra de l’abbé Stadler, qu’après la répétition générale l’empereur n’avait pas trouvé de son goût. Wild proposa alors à l’empereur de chanter l’admirable mélodie de Beethoven connue sous le nom d’Adélaïde. Ce choix ayant obtenu l’approbation du souverain, Wild chanta avec un très grand succès le chef-d’œuvre que nous venons de nommer. Beethoven fut très sensible à la préférence que le virtuose avait donnée à sa belle inspiration ; il désira faire la connaissance de Wild, l’entendit et conçut même le projet, qu’il n’a pas exécuté, d’écrire un accompagnement d’orchestre pour cette mélodie sublime, qui vaut à elle seule tout un long poème. Beethoven témoigna sa reconnaissance au virtuose en composant pour lui une cantate que Wild chanta à une matinée musicale, accompagné au piano par Beethoven lui-même.

Wild quitta Vienne en 1816 ; il parcourut une partie de l’Allemagne, et après avoir chanté avec succès à Leipzig, à Berlin, Hambourg, Francfort et dans d’autres villes moins importantes, il fut engagé au théâtre de Darmstadt, qui était l’un des meilleurs de toute la confédération. Il arriva dans cette résidence au mois de novembre 1817, et fut accueilli avec une extrême faveur par le grand-duc et la masse du public. On sait que le grand-duc de Hesse-Darmstadt Louis Ier, qui est mort le 6 avril 1830, avait fait une étude approfondie de la musique. Son théâtre, qui lui coûtait des sommes considérables pour un si petit pays, était le plus beau fleuron de sa couronne, et faisait l’unique occupation de sa vie. Wild raconte d’assez curieuses anecdotes sur la discipline toute militaire avec laquelle ce petit prince traitait les musiciens et les artistes de sa cour. Il présidait lui-même à toutes les répétitions, qui avaient lieu quatre fois par semaine. Le duc, en grand costume, la poitrine chargée de croix et d’ordres militaires, se tenait debout sur le théâtre, un bâton de mesure à la main. Il était expressément défendu, dit Wild, d’étudier un morceau soit au piano, soit avec l’accompagnement du quatuor : il fallait toujours la présence de tout l’orchestre ; aussi les répétitions étaient-elles interminables et duraient-elles des mois entiers, même pour les ouvrages connus qui faisaient partie du répertoire. « La mise à l’étude de l’Olympie de Spontini, dit Wild, nous valut quatre-vingts répétitions avec orchestre et chœurs, ce qui faisait une réunion de deux cents personnes. » Le prince ne permettait pas aux chanteurs la moindre modification à la musique qu’ils étaient chargés d’interpréter. Un jour que Wild répétait Jean de Paris, il voulut transposer la romance le Troubadour, qui est écrite dans le ton de mi majeur, en mi bémol. — Si le compositeur, répliqua le duc, avait voulu que cela fût ainsi, il l’aurait marqué. Chantez la romance dans le ton où elle est écrite, ou bien laissez-la de côté. — Le prince mélomane était à la fois chef d’orchestre, régisseur, directeur et maître tout puissant de son théâtre, où il ne supportait que des sujets humbles et toujours obéissans. Ce régime finit par fatiguer Wild, et en 1824 il rompit son engagement avec le grand-duc de Hesse-Darmstadt et vint à Paris. Le ténor allemand qui ne possédait aucune des qualités vocales qu’exige la musique de Rossini et de son école, aurait voulu cependant s’essayer au Théâtre-Italien de Paris. Il ne semble pas, d’après l’autobiographie que nous a laissée Wild, qu’il ait pu réaliser son désir, bien que M. Fétis affirme le contraire dans l’article de sa Biographie universelle des Musiciens consacré à ce virtuose. Wild dit positivement qu’il n’a jamais chanté une seule fois en public, et que toute son activité d’artiste à Paris s’est bornée à paraître dans quelques salons particuliers. L’administration du Théâtre-Italien aurait bien désiré engager Wild, mais on exigeait qu’il fît un voyage en Italie, pour y étudier : pendant une année la langue du pays. Le chanteur allemand trouva la condition un peu dure pour un homme de son âge, et d’après les sages conseils de Hummel, qui se trouvait alors à Paris, il résolut de retourner dans son pays. Wild ne rapporta de son séjour dans la capitale de la France que le plaisir d’avoir fait la connaissance de Rossini, et celui d’entendre Donzelli dans Otello, qui devait être plus tard l’un de ses meilleurs rôles.

De retour en Allemagne, Wild, après avoir chanté successivement à Strasbourg et à Carlsruhe, où il s’essaya pour la première fois dans le rôle d’Otello, qu’il venait d’entendre si bien interprété par Donzelli, fut engagé pour plusieurs années au théâtre de Cassel, en septembre 1825. C’est là que Wild fit la connaissance de Spohr, homme considérable, compositeur d’un vrai mérite, mais dont le goût exclusif et tout allemand n’admettait d’autre expression du génie musical que celle qui provenait du pays de Beethoven et de Mozart. Maître de chapelle et directeur de la musique du grand-duc de Hesse-Cassel, Spohr repoussait du répertoire tous les opéras qui n’étaient pas composés par des musiciens allemands. Cet aveugle patriotisme d’un maître fort estimé a porté malheur à ses propres productions, qui pèchent précisément par le manque de variété et de grâce. Parvenu presque au premier rang des compositeurs dramatiques de son pays, Spohr a été subitement détrôné par l’avènement de Weber, comme le compositeur italien Paër l’a été par l’apparition de Rossini.

Pendant un congé que Wild prit en 1826, il se rendit à Berlin, où il renouvela connaissance avec Spontini, qui occupait la place importante de directeur-général de la musique du roi de Prusse. « Je n’ai pas rencontré dans ma vie, dit Wild, un chef d’orchestre plus imposant et plus obéi que Spontini. » Lorsque ce maître jaloux, susceptible et très irritable apprit que Wild voulait commencer la série de ses représentations par le rôle de Max du Freyschütz : « Mon cher Wild, lui dit-il, vous êtes fait pour chanter de grands ouvrages et non pas de petites cochonneries comme le Freyschütz. » Les mots soulignés sont extraits textuellement du récit de Wild. Voilà l’opinion de Spontini sur le chef-d’œuvre dramatique de la nouvelle école allemande, qui avait considérablement affaibli l’importance de l’auteur illustre de la Vestale et de Fernand Cortez ! N’est-ce pas de la même manière que Weber a jugé Beethoven et que Beethoven a jugé Weber, qu’Haydn a apprécié Beethoven comme Michel-Ange a parlé de Raphaël ? Si la critique n’existait pas pour faire la police et établir la justice entre ces demi-dieux de l’art qui restent enfermés jalousement dans les limites de leur propre génie, ils s’égorgeraient entre eux.

Après un séjour de cinq années à la cour de Cassel, Wild, malgré les instances que lui fit le grand-duc pour renouveler son engagement, retourna à Vienne. En 1839, il fit un voyage à Saint-Pétersbourg ; puis il se rendit à Londres, où se trouvait une compagnie de chanteurs allemands, sous la direction d’un certain Schumann. Il s’y fit particulièrement remarquer dans la Jessunda de Spohr. De retour en Allemagne, Wild visita de nouveau plusieurs villes importantes, telles que Berlin, Strelitz dans le duché de Mecklembourg, Pesth en Hongrie, Zurich en Suisse, et il alla terminer sa carrière dramatique à Vienne, où il a chanté pour la dernière fois, en 1845, le rôle d’Abayaldos de Dom Sébastien de Donizetti. Wild est mort dans cette ville le {{1er janvier 1860, âgé de soixante-huit ans.

Wild était un homme d’une taille moyenne et bien proportionnée, d’une physionomie expressive et intelligente. Sa voix était un franc ténor d’une étendue de deux octaves, du sol au-dessous de la portée au la supérieur. Dépourvue de flexibilité naturelle, mais d’un timbre chaud et métallique, la voix de Wild avait acquis par le travail et les conseils que lui donna Rossini à Paris quelques notes super-laryngiennes, dites notes de fausset, qui permirent à l’artiste de s’étendre jusqu’à l’ut supérieur. Jamais cependant ce ténor d’outre-Rhin, dont l’éducation purement vocale avait été très négligée, comme celle de presque tous les chanteurs de son pays, n’aurait pu réussir ni dans la musique fleurie de l’école italienne, ni dans le style tempéré et divin qui caractérise les opéras de Mozart. Wild était avant tout un chanteur dramatique dans le sens un peu restreint qu’on attache de nos jours à ce mot, c’est-à-dire qu’il brillait dans les rôles qui exigent de la vigueur et plus d’éclat de voix que de délicatesse de sentiment. Il avoue lui-même qu’il a fort peu vocalisé dans sa jeunesse, et qu’au sortir de la mue, qui s’est faite très promptement, il a abordé le théâtre et s’est mis à jouer et à chanter d’instinct les rôles qui ont plus tard assuré sa réputation, tels que celui de don Juan, de Licinius dans la Vestale, de Florestan dans Fidelio, etc. Successivement Wild a ajouté à son répertoire presque toutes les parties de ténor des opéras français qui se jouaient sur tous les théâtres de l’Allemagne, Richard Cœur-de-Lion de Grétry, Joseph de Méhul, Jean de Paris de Boïeldieu, Joconde et Cendrillon de Nicolo, Zampa d’Hérold, où il semble que Wild a été fort remarquable. Ajoutez à ces ouvrages de l’école française les chefs-d’œuvre de Gluck, ceux de Weber, Jessunda de Spohr, et quelques opéras moins importans des imitateurs de l’auteur du Freyschütz : on aura une idée de la variété de rôles et de styles auxquels doivent se prêter la mémoire et l’intelligence d’un chanteur allemand.

Dès le commencement du XVIIIe siècle, alors que Keyser, Handel, Mattheson et quelques autres compositeurs moins célèbres s’essayèrent dans la ville de Hambourg à créer avant l’heure un opéra national qui ne devait naître que cent ans plus tard, les chanteurs de ce grand pays de la musique chorale et instrumentale n’étaient que de mauvais imitateurs des célèbres virtuoses de l’Italie qu’on admirait dans les cours princières, telles que Dresde, Munich, Vienne, Stuttgart et Berlin. Un maître habile, le vieux Hiller, qui avait entendu dans sa jeunesse à Dresde un grand nombre de chanteurs italiens, comme Carestini, Salinbeni, Martinelli et la célèbre Faustina, élève de Marcello et femme de Hasse, fonda à Leipzig, vers 1760, une école de chant d’où est sortie la Marra, qui a émerveillé l’Europe pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, Goethe, aimait à se rappeler que dans sa jeunesse, pendant qu’il étudiait à l’université de Leipzig, il avait eu le plaisir d’entendre chanter à la Marra, dans une visite qu’il fit au vieux Hiller, deux airs d’un opéra de Hasse, Hélène : Sul terren piagata a morte et Par che di giubilo. La Marra, la Mingotti, élève de Porpora, et de nos jours Mme Sontag sont les trois cantatrices allemandes les plus célèbres qui aient réussi à s’approprier le style et la manière de l’école italienne. Les chanteurs pour qui Mozart a écrit ses principaux chefs-d’œuvre, comme Don Juan, le Nozze di Figaro, Idomeneo, Cosi fan tutte, la Clemenza di Tito, étaient presque tous Italiens ou des élèves de maîtres italiens. Ce n’est guère qu’au commencement de notre siècle, alors que Beethoven, Spohr et surtout Weber dégagèrent le génie national de l’influence toute-puissante des Italiens, que des chanteurs dramatiques animés de l’esprit de ces maîtres s’élevèrent en Allemagne pour interpréter les chefs-d’œuvre de la nouvelle école. Fidelio de Beethoven, Faust de Spohr et surtout le Freyschütz de Weber suscitèrent toute une génération de chanteurs parmi lesquels on remarque la Sohroeder-Devrient, la Milder-Hauptrmnn, Forti, admirable baryton ; Vogl, Haitzinger, qu’on a admiré à Paris, Staudigl et le brillant artiste dont nous venons de raconter la longue carrière. Les qualités et les défauts qui distinguaient ces chanteurs de mérites différens, c’est une grande vérité d’expression, plus de vigueur que de grâce, un grand respect pour la pensée du maître de la passion, de la force, souvent de la naïveté, mais peu de goût et aucune flexibilité vocale. L’art de chanter proprement dit, qui est indépendant de l’application qu’on peut en faire plus tard, cet art précieux et délicat d’assouplir l’organe vocal par des exercices gradués qui en augmentent les ressources et en consolident la durée, est presque ignoré des chanteurs allemands de la nouvelle école. De la voix, l’intelligence de la scène et quelques connaissances musicales, voilà tout ce qu’on exige aujourd’hui en Allemagne, malheureusement aussi en Italie, d’un artiste chargé d’interpréter les divers sentimens qui forment le fond d’un drame lyrique : encore faut-il de la flexibilité, de la souplesse d’accent et de l’élégance dans le style, pour rendre les grands et admirables effets du Freyschütz, d’Euryanthe et d’Oberon ; mais pour des œuvres comme le Tannhauser et le Lohengrin, il n’est besoin que de bons poumons et de nerfs vigoureux. Wild, qui a connu personnellement Mme Milder-Hauptmann, une des grandes cantatrices allemandes de la nouvelle école, pour qui Beethoven a écrit le rôle important de Leonora dans Fidelio, assure qu’elle n’était pas plus musicienne que la Catalani, ce bel oiseau du pays de l’aurore. Grande, bien faite, d’une noble prestance, douée d’une magnifique voix de soprano aussi étendue que vibrante et vigoureusement timbrée la Milder-Hauptmann paraissait destinée par la nature à représenter des personnages héroïques comme Iphigénie, Armide, Médée, Fidelio ou la Vestale ; Elle avait peu étudié l’art de chanter proprement dit, mais un instinct dramatique de premier ordre lui révélait des nuances et lui faisait rencontrer des accens qui remuaient la foule. Ce qui peut nous donner une idée du talent de Mme Milder-Hauptmann, qui a quitté le théâtre vers 1836, c’est celui de Mme Schroeder-Devrient, qu’on a entendue à Paris en 1831 avec le fameux ténor Haitzinger, qui acheva sa brillante carrière hélas ! dans une maison de fous à Carlsruhe.

L’artiste dont nous venons de résumer les souvenirs, François Wild, a été en définitive un chanteur de mérite, dont le public a vivement apprécié pendant quarante années la belle voix de ténor, l’intelligence dramatique, la chaleur communicative et le goût relativement plus pur que celui de la plupart de ses compatriotes. Né en Autriche comme Haitzinger, dont la voix splendide et le talent n’étaient pas moins remarquables, François Wild a été, avec la Milder-Hauptmann et la Schroeder-Devrient, l’un des interprètes les plus admirés des chefs-d’œuvre dramatiques de la nouvelle école allemande. À ce titre, le nom de Wild appartient à l’histoire de l’art.

L’événement que le théâtre de l’Opéra préparait à grands frais depuis plusieurs mois, nous voulons parler de l’exhibition de la Sémiramis de Rossini, traduite en français pour servir de début à deux cantatrices italiennes, les sœurs Marchisio, a eu lieu le 9 juillet. Cet événement prouvera une fois de plus qu’il n’y a pas de bonnes traductions possibles, et que toute tentative pour approprier à la grande scène lyrique de la France une œuvre musicale qui a été composée dans une langue étrangère ne peut être que malheureuse. Nous avons entendu Rossini dire plusieurs fois devant nous, avec ce grand sens plein de finesse qui caractérise son esprit : « Sémiramis ne réussira pas à l’Opéra. J’ai écrit cette partition dans un temps, pour un public et des chanteurs qui ne sont plus. Je m’en lave les mains comme Pilate. » Le grand maestro a tenu parole, en laissant faire de son chef-d’œuvre tout ce que l’on a voulu. Nous n’avons pas à juger la musique de Sémiramis, qui est connue de l’Europe entière depuis trente-sept ans. La partition a été mise en quatre actes, avec un ballet pour lequel M. Carafa, un vieil ami de Rossini, a évoqué les souvenirs de sa vieille muse. L’exécution générale de l’œuvre a laissé beaucoup à désirer, et il n’y a eu de remarquable qu’un spectacle magnifique et des décors vraiment babyloniens.

Comme on devait s’y attendre, l’attention du public s’est immédiatement fixée sur les deux cantatrices italiennes, Carlotta et Barbara Marchisio, pour qui cette fête avait été préparée. Ni la première, qui possède une voix de soprano et qui chante le rôle de Sémiramis, l’un des plus redoutables du Théâtre-Italien, ni la seconde, qui chante le rôle d’Arsace, écrit pour un contralto, ne se distinguent tout d’abord par les avantages extérieurs. La peur inséparable d’un début avait tellement paralysé les moyens de Carlotta Marchisio, que, dans l’air et la belle introduction du premier acte, on a eu de la peine à se rendre compte de la nature de sa voix et des qualités réelles de son talent. Dans le fameux duo du second acte, entre Sémiramis et Arsace, les deux sœurs, habituées depuis des années à chanter ensemble, ont été vivement applaudies, et le morceau a dû être recommencé. La représentation s’est terminée avec assez d’ensemble.

Nous nous abstiendrons aujourd’hui de juger le talent de ces deux femmes, qui ont dû faire de si grands efforts pour, chanter dans une langue étrangère et devant un public aussi redoutable que celui de Paris. Laissons-les s’acclimater un peu sur les planches de l’Opéra, et donnons-leur le temps nécessaire d’émettre sans trop d’émotion leurs qualités distinctives : notre jugement sera d’autant plus équitable qu’il sera moins précipité ; mais nous n’avons pas besoin d’aussi longues méditations pour prédire que la Sémiramis de Rossini ne restera pas plus au répertoire de l’Opéra que n’y sont restés Don Juan, le Freychütz, la Flûte enchantée, et d’autres chefs-d’œuvre étrangers qu’on a voulu y transporter.

P. Scudo.

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