Chronique de la quinzaine - 14 mars 1840

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Chronique no 190
14 mars 1840
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 mars 1840.


Le ministère du 1er mars n’a pas encore quinze jours d’existence, il n’a pas encore eu l’occasion de dire une parole décisive, le temps de faire un acte significatif, que déjà il se trouve entouré d’ennemis, attaqué avec fureur, menacé de mort. On lui prépare, dit-on, un coup fourré dans le parlement, une chute ignominieuse ; on veut venger sur lui l’étranglement silencieux du 12 mai.

Ces projets ne sont pas des chimères ; le danger est réel ; l’existence du cabinet est sérieusement menacée. Tout le prouve ; les attaques de la presse, les propos de tous les hommes qui se mêlent de politique, la réorganisation de la réunion Jacqueminot, le langage du ministère lui-même. En proposant la loi des fonds secrets, le cabinet n’a point cherché à éluder la question, il n’a pas essayé de l’ajourner ; il le pouvait à la rigueur, en demandant à la chambre un vote de nécessité plutôt qu’un vote de confiance ; il ne l’a pas fait, et nous l’approuvons fort, dans son propre intérêt du moins ; il est allé au-devant de la question ; il l’a franchement acceptée telle qu’on veut la poser ; il a formellement reconnu que son avenir dépendrait du vote de la chambre. Ainsi, dans dix jours, plus d’incertitudes : ou le cabinet du 1er mars sera accepté et soutenu par la chambre, ou le ministère se retire, en laissant à d’autres le soin de chercher s’il reste quelque chose de possible après lui. Je me trompe ; il est une troisième issue, la dissolution de la chambre par le ministère du 1er mars et à son profit.

Dans cette situation, il est une chose qui nous paraît, à nous, étonnante, prodigieuse ; nous voulons dire le courage et la tranquillité d’esprit et de conscience des hommes pour qui ce jeu parlementaire n’a rien d’inconnu, rien d’obscur. Ceux-là ne peuvent pas en méconnaître les dangers, ni se méprendre sur la gravité des suites irréparables qu’il peut avoir. Ils savent, comme nous, que jamais, depuis 1830, la situation n’a été plus grave, ni le péril plus réel, ni le remède plus incertain, plus hasardeux.

De 1830 à 1835, l’établissement de juillet était, il est vrai, ouvertement menacé, violemment attaqué ; mais toutes les forces gouvernementales se trouvaient réunies, tous les hommes ayant quelque intelligence des conditions du pouvoir se donnaient la main. L’anarchie rugissait aux portes du parlement, du conseil, du pouvoir ; mais il ne lui était pas donné de franchir l’enceinte : des défenseurs nombreux, unanimes, intelligens, dévoués, n’ont jamais manqué aux nécessités des temps ; ils se préoccupaient profondément de la France, de la royauté, de notre avenir, de l’avenir de nos enfans ; ils se préoccupaient aussi de leur propre gloire. Aussi tout se consolidait, tout se raffermissait à vue d’œil : le jeu des ressorts constitutionnels devenait de plus en plus régulier, et tout paraissait annoncer que nous verrions bientôt disparaître ces frottemens un peu rudes et ces légères secousses qui sont inévitables dans toute machine nouvellement réorganisée.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? L’ennemi extérieur a posé les armes ; il est fatigué de ses défaites. La France pourrait être forte, calme, prospère, jouir hardiment du présent, et espérer un avenir plus brillant encore. Hélas ! ce n’est là qu’une utopie, qu’un rêve. Le présent décourage ; l’avenir effraie ; tout le monde se demande où l’on va, ce qu’on veut, et nul ne le sait. Toute confiance a disparu ; on est incertain sur toute chose, sceptique sur tous les principes, et, quant aux personnes, il n’est plus de sentiment honorable, digne, dans les rapports d’homme à homme. Il n’y a plus qu’un lieu, des haines communes ; qu’un gage de fidélité, les mêmes intérêts personnels : il n’y a plus qu’un moyen commun d’action, qui est de dénigrer, de calomnier, de renverser son adversaire, de prendre sa place.

Le désordre des esprits a pénétré dans l’enceinte même du pouvoir. Il n’y a pas de majorité dans la chambre, et les ministères sont culbutés par des majorités faites à la main, par des majorités ad hoc ; elles se forment aujourd’hui et renversent un cabinet, elles ne sont plus demain : on dirait une mine qui fait explosion ; on voit le terrain bouleversé, mais où est la poudre qui a produit tout ce ravage ? C’est une armée d’amateurs ; elle enfonce les portes d’un fort et se débande ; elle reviendra à la charge lorsqu’une nouvelle garnison aura remplacé la garnison égorgée. C’est la guerre pour la guerre, sans espoir ni souci de conquête. Je le crois bien. Pour faire des conquêtes, des conquêtes sérieuses, durables, il faut une armée organisée, des intentions communes, des vues générales, des chefs reconnus de tous, un drapeau, un plan, un système ; il faut tout ce que la chambre n’a pas, tout ce qu’elle pourrait, tout ce qu’elle devrait avoir, tout ce que le pays lui demande, tout ce qu’elle aura le jour où elle voudra imposer silence aux coteries et fixer les yeux sur la France.

En attendant, le gouvernement représentatif se trouve attaqué dans sa base. Une chambre n’ayant de majorité que pour renverser, n’en ayant pas une pour gouverner, une chambre qui ne serait ainsi qu’un obstacle pour toutes les améliorations que le pays attend avec une juste impatience, assumerait sur elle une immense responsabilité morale. Que veut-on ? Prouver à la France que le gouvernement représentatif est incompatible avec notre ordre social ? Non : la France sait que ce gouvernement est possible, facile même, pourvu que les hommes ne se laissent pas entièrement asservir par leurs petites passions, et qu’ils ne ferment pas complaisamment les yeux sur l’intérêt général.

Ces réflexions, sévères peut-être, mais justes, s’offrent naturellement à l’esprit de tout homme impartial. Il est impossible que le pays ne s’en pénètre pas, qu’il n’y puise pas des règles pour apprécier les hommes et les choses.

Nous n’avons certes ni désiré ni approuvé la chute du 15 avril ; quant au 12 mai, ce que nous désirions, c’était une réforme du cabinet qui lui donnât plus de force et un meilleur agencement de ses parties. Au lieu de se réformer, il s’est laissé surprendre et étrangler silencieusement sur une question délicate, fâcheuse, qu’il ne fallait pas soulever, ou qu’il fallait défendre vivement, noblement, de haut. Paix aux morts. Le 12 mai réformé pouvait rendre de grands services au pays ; sa chute est un malheur. Mais sur qui doit en peser la responsabilité ? Nous l’avons déjà dit, et c’est un fait qui n’est point contesté : il y a eu des muets dans tous les camps.

Ce sont donc, il faut bien le reconnaître, les conservateurs, les hommes monarchiques par excellence, les 221, nos amis, qui ont renversé le 12 mai, et qui l’ont renversé en refusant une dot à un prince français. Le ministère qui présentait la loi, sur quels suffrages devait-il compter ? Sur les voix de la gauche, des légitimistes, des républicains ? Nul ne le dira. Sur les amis de M. Thiers ? de l’homme avec qui le 12 mai était en guerre ouverte par la rupture du centre gauche en deux fractions opposées ? Il eût été peu raisonnable d’y compter. C’était essentiellement sur les voix des centres que comptait, que devait compter le ministère ; ces voix, avec celles des amis de MM. Dufaure et Passy, de la plupart des doctrinaires et de quelques amis de M. Thiers, lui donnaient la majorité.

On n’est jamais renversé par les voix sur lesquelles on ne compte pas. Un ministère établi ne perd ses batailles que par la défection. Le 12 mai a trouvé dans ses rangs des Saxons. Seulement, au lieu de faire tonner leur artillerie, ils lui ont porté un coup fourré. Ils ont tué le 12 mai, mais par cela même ils ont donné naissance au cabinet de M. Thiers. Le 12 mai, en se maintenant et en se fortifiant, pouvait seul fermer au centre gauche les avenues du pouvoir. La lutte était difficile, elle n’était pas même sans quelque danger ; mais le succès était possible, probable même, du moins pendant toute cette législature. La force était dans l’alliance des 221 avec une partie du centre gauche et les doctrinaires ; mais le scrutin a prouvé que l’alliance était loin d’être sincère ; il n’y avait pas de pensée, de direction commune. Les 221 toléraient le 12 mai ; et le toléraient avec impatience et dédain. L’union apparente n’était en réalité qu’un mensonge, une comédie ; faute énorme des 221, que d’avoir écouté leurs préjugés, leurs antipathies, leurs passions, au lieu de cimenter leur union avec les doctrinaires et les amis de MM. Dufaure et Passy ; faute irréparable. En politique, les occasions perdues ne se retrouvent jamais. Les faits se chargeront de prouver que nous ne nous trompons pas.

Une fois le 12 mai dissous, l’avénement de M. Thiers était tellement indiqué, tellement nécessaire, que nul n’a sérieusement imaginé un ministère sans lui. On se demandait seulement quels seraient les hommes, quelles seraient les fractions de la chambre qui contribueraient à la formation de la nouvelle administration.

Il serait inutile de rechercher ici comment on est arrivé, assez promptement du reste, au terme de la crise ministérielle, à ce cabinet du 1er mars, qu’on se propose aujourd’hui de renverser. Le renverser ! Pourquoi ? Pas du moins à cause de son origine. Eh quoi ! on a renversé par embuscade et guet-apens le 12 mai, on a rendu par cela même l’avénement de M. Thiers indispensable, et les mêmes hommes voudraient, le jour d’après, venger sur le cabinet Thiers les coups qu’ils ont eux-mêmes portés au cabinet Soult ! Et les hommes du 12 mai, encore tout meurtris de leur chute, tendraient la main à ceux qui les ont renversés, pour renverser à leur tour le seul cabinet possible aujourd’hui !

Ce n’est pas, dit-on, à cause de son origine, c’est à cause de ses tendances qu’il importe de le renverser au plus tôt. Il est impossible d’accorder un vote de confiance à un ministère centre gauche s’appuyant sur la gauche, impossible aussi d’endurer les dédains, les provocations, l’outrecuidance des journaux pour la première fois ministériels. Plier vers la gauche, serait une manœuvre parlementaire aussi déshonorante pour les centres que désastreuse pour le pays. Faut-il, pour éviter une nouvelle crise ministérielle, aider M. Thiers à élever M. Barrot à la présidence de la chambre, et lui laisser le soin de préparer la dissolution dans l’intérêt du centre gauche, peut-être même de la gauche ?

C’est là le résumé fidèle de tout ce qui se dit, de tout ce qui s’écrit contre le ministère du 1er mars, et pour préparer sa chute dans la discussion des fonds secrets.

Ces accusations sont très graves, et certes, si c’étaient là les vues, les projets du cabinet, s’il était vrai qu’il inspire ou qu’il avoue tout ce que ses amis disent ou écrivent, on pourrait demander un compte plus sévère encore de leur conduite politique aux hommes des centres qui ont aidé au renversement du 12 mai et rendu inévitable l’avénement de M. Thiers. Prévoyaient-ils ce qui est arrivé ? Leur vote aurait été un acte de légèreté bien coupable. S’ils n’ont rien prévu de ce qui est arrivé, qu’ils renoncent donc, une fois pour toutes, à la prétention de passer pour des hommes politiques ; le plus léger soupçon de l’avénement de la gauche aux affaires devait les déterminer à soutenir de toutes leurs forces le ministère du 12 mai, qui était nécessairement conservateur.

Mais tout en blâmant leur conduite, nous croyons qu’ils ont droit à plus d’indulgence. Au fait, ils n’ont jamais cru, ils ne croient pas aujourd’hui encore que M. Thiers prépare l’avénement de la gauche aux affaires, qu’il médite de nous ramener à la constitution de 1791. Cela se dit, cela se répète, c’est là l’expression obligée de la colère des partis ; mais au fond nul ne le pense c’est un langage de convention pour dire qu’on regrette le ministère qu’on n’a pas, et qu’on déteste celui qui existe.

M. Thiers nous ramener à 1791 ! Il a donc oublié tous ses antécédens, le ministère du 11 octobre, et même celui du 22 février ; il a donc perdu son esprit positif, son admirable bon sens, son génie gouvernemental, qui, certes, pourrait plutôt donner quelque inquiétude à la liberté que la moindre espérance à la licence ! Il acceptait hier la présidence de M. de Broglie au conseil, et voudrait aujourd’hui inféoder la France aux hommes de la gauche ; se faire, lui M. Thiers, l’instrument de leurs utopies, pour être bientôt après la victime de leurs exagérations ! Et c’est dans ces vues qu’il a accepté pour collègues des hommes modérés, prudens, timides même, et des hommes hautement connus comme des hommes de la résistance ? C’est pour évoquer de son antre le génie des révolutions, qu’il s’est associé MM. de Rémusat, Cubières, Cousin, Jaubert ?

Nous ne voulons nous porter garans pour personne, dans ce temps-ci moins que jamais. La maladie du temps nous gagne aussi. Notre foi est ébranlée ; nous croyons toujours à nos principes, nous croyons fort peu aux hommes, à leur sincérité, à leur désintéressement, à leur prudence. Mais dans notre réserve, nous conservons cependant assez d’impartialité, assez d’équité, pour ne pas condamner sans preuves ; et avant de rejeter du giron du pouvoir un homme éminent qui a rendu de grands services au pays, qui peut en rendre encore, nous croyons qu’il faut attendre ses actes, ses déclarations officielles, et ne pas se hâter de le juger sur des propos colportés, commentés, et qui, très probablement, se dénaturent et s’enveniment en passant de bouche en bouche.

Au surplus, nous éprouvons ici le besoin d’expliquer notre pensée tout entière, et de dire comment nous concevons, dans l’intérêt du pays et de la royauté, le grand drame qui va se jouer à la chambre des députés.

C’est un fait irrécusable que, depuis le 6 septembre, M. Thiers, exclu du pouvoir, s’est trouvé tout naturellement placé plus à gauche qu’il ne l’était auparavant. Les hommes du centre gauche et de la gauche, leurs amis, leurs journaux, ont adopté avec empressement M. Thiers, bien heureux qu’ils étaient de pouvoir dire d’un aussi beau talent : Il est des nôtres ! M. Thiers, qui, en homme politique, voulait, avant tout, ne pas se trouver isolé, les a laissés dire. Mais qu’a-t-il fait, qu’a-t-il dit lui-même pour qu’on puisse aujourd’hui affirmer que M. Thiers est tout juste l’opposé d’un conservateur ? Il a gardé le silence, il a été aux eaux des Pyrénées, il a visité l’Italie, et commencé deux livres d’histoire. A-t-il pour cela trompé la gauche ? Non, pas plus que M. Barrot n’a trompé les doctrinaires lors de la coalition. Sans être de la gauche, M. Duvergier de Hauranne était moins éloigné de M. Barrot que M. Jacques Lefèvre ; sans être de la gauche, M. Thiers en est moins éloigné que M. Martin du Nord. Le jour où une portion de la gauche, fatiguée d’une opposition sans résultat, voudrait prendre rang au nombre des partis gouvernementaux, elle le pourrait avec M. Thiers, elle ne le pourrait pas avec M. Salvandy. C’est ainsi qu’une fraction du centre gauche s’est ralliée au parti gouvernemental avec MM. Passy et Dufaure ; aurait-elle suivi MM. Lacave et Cunin-Gridaine ?

Ainsi les amis politiques de M. Thiers, nous voulons bien le reconnaître, sont aujourd’hui à gauche et au centre gauche : sa force parlementaire est là. Certes, le langage des 221 et de leurs journaux ne peut pas lui laisser le moindre doute à cet égard. Ils ne sont occupés qu’à lui prouver qu’il a planté son drapeau au milieu de la gauche, qu’il est condamné à l’y laisser, qu’il n’y a pour lui dans les centres ni confiance ni affection, qu’il n’a rien à espérer d’eux, qu’eux n’espèrent rien de lui.

Tels sont les antécédens, les dispositions des partis. Et cependant que disent à M. Thiers les conservateurs modérés, impartiaux, et ceux qui voudraient passer pour tels ? — Rien n’est plus facile au cabinet que de se maintenir ; il n’a qu’à planter son drapeau parmi nous, qu’à faire à la tribune des déclarations officielles qui le séparent à tout jamais de la gauche. À ces conditions il vivra, nous lui apporterons la majorité. — Eh ! non, quoi qu’il dise à la tribune, vous ne lui apporterez pas la majorité, d’abord parce que vous, 221, vous ne l’avez pas, en second lieu parce que si vous l’aviez, ce n’est pas à lui que vous l’apporteriez, et vous auriez raison ; il y aurait niaiserie à ne pas la donner à vos chefs naturels.

On parle de majorité, tandis que pour renverser le 12 mai on a dû recourir à une coalition tacite dix fois plus étrange que la coalition formelle de l’an dernier. On parle de majorité, et quand on a convoqué le ban et l’arrière-ban, on est loin d’atteindre le chiffre de 200. Répétons-le, il importe de l’apprendre à la France : il n’y a pas de majorité dans la chambre, il n’y en a pour personne ; aucune des grandes fractions de la chambre ne s’y trouve en majorité.

Les circonstances, et surtout les préjugés, les haines, ont bien servi les doctrinaires. Séparés de la gauche par leurs opinions, et des 221 un peu par leurs opinions et beaucoup plus par l’antipathie qu’on s’est plu à leur témoigner, ils se trouvent ainsi, en guise de bataillon volant, placés entre les deux corps d’armée, et maîtres, s’ils restent unis, de la majorité dans toutes les grandes questions.

Cela étant, quel conseil donnent à M. Thiers les conservateurs ? « Quittez vos amis, quittez-les solennellement, brusquement, avec éclat, et venez à nous, seul, désarmé, comme un humble varlet ; nous daignerons ouvrir nos rangs ; nous vous promettons une majorité que nous n’avons pas, et que, certes, nous ne mettrions pas à votre service, si elle était en notre pouvoir.

Cela n’est pas sérieux, ce n’est qu’une comédie mal jouée. On veut à tout prix préparer la chute du ministère, amener une nouvelle crise, une crise dangereuse, imprudente, mais sans en encourir la responsabilité morale. On veut pouvoir dire : La faute en est à M. Thiers, qui n’a pas suivi nos conseils.

Quels conseils ! Refuse-t-il les déclarations qu’on se propose de lui demander, cherche-t-il à éluder les difficultés, à glisser entre les écueils : on criera à l’homme de la gauche, à l’envahissement de la gauche, au triomphe de la gauche ; et réveillant chez les doctrinaires les souvenirs des uns, les passions des autres, on parviendra à former une majorité telle quelle contre le ministère. M. Thiers se prête-t-il aux désirs des centres : brouillé avec ses amis, on l’acceptera peut-être un moment avec défiance, en vainqueurs ; à l’aide des doctrinaires, on lui prêtera pendant quelque temps une majorité dédaigneuse, on l’abandonnera ensuite avec éclat.

De deux choses l’une : veut-on amener demain une nouvelle crise ministérielle ? Rien n’est plus facile. Que le cabinet du 12 mai tende la main à la réunion Jacqueminot, et le ministère est renversé, pour peu que MM. Dufaure, Passy et Duchâtel puissent mener à l’assaut un certain nombre de leurs amis.

S’alarme-t-on, au contraire, de ces crises réitérées et du désordre qu’elles mettent dans tous les rouages de l’administration publique ? Il n’est qu’un moyen sûr et honorable de les éviter. C’est de ne pas faire de la tribune un confessionnal. Qu’importent à la France les opinions intimes, les tendances instinctives de tel ou tel homme ? Ce qui lui importe, ce sont les actes ministériels, ce sont les faits du gouvernement. M. Thiers abandonnerait-il par ses actes les saines traditions du pouvoir, chercherait-il à affaiblir les garanties données à nos institutions et à l’ordre publie ? Qu’on n’hésite pas alors à lui refuser tout concours ; nous applaudirons les premiers. Jusque-là toute tentative de renversement, tout moyen imaginé pour l’embarrasser et le faire tomber n’est qu’une témérité, et peut-être une folie.

Deux partis paraissent s’être donné le mot pour faire de M. Thiers un homme exclusif, passionné, extrême. Le bon sens nous dit que M. Thiers ne se prêtera à aucune de ces impérieuses alternatives. Il laissera dire, il laissera faire, convaincu qu’au moment décisif tous les amis de l’ordre reculeront devant les conséquences d’un vote imprudent, et qu’en tout cas mieux vaut tomber en conservant son bon sens et toute sa valeur personnelle, que de se rabaisser en se mettant à la suite d’une opinion exagérée, quelle qu’elle soit. Nous parlons d’exagération, parce que la polémique de nos jours rappelle malheureusement, par son acrimonie, ses violences et ses injustices, ces époques fatales où il n’y avait plus d’asile nulle part pour la modération et le bon sens. Spectacle d’autant plus affligeant que s’il y a du calcul partout, il n’y a, au fond, nulle part une passion vraie, une conviction profonde. Que resterait-il de toutes ces luttes si les intérêts personnels et les vanités ne se mêlaient pas au débat ? Et cependant ces luttes, qu’aucune pensée élevée n’anime et dont l’intérêt général n’est que le prétexte, ces luttes ont déjà coûté fort cher au pays, et probablement lui coûteront encore davantage.

En effet, supposons que les espérances des adversaires de M. Thiers se réalisent, que la question de cabinet, posée à l’occasion des fonds secrets, se trouve décidée dans l’urne parlementaire contre le ministère, qu’arrivera-t-il ? Il vaut la peine de parcourir les diverses hypothèses ; il n’en est pas une seule qui ne soit un péril pour la France.

Repoussé par la chambre avant d’avoir rien fait, condamné à priori par une opposition systématique, le cabinet ne s’écartera nullement des règles du gouvernement représentatif, en demandant à la couronne la dissolution de la chambre, et en insistant respectueusement pour l’obtenir. Que pourra-t-on lui opposer ? que, composé d’hommes nouveaux, inconnus, le cabinet trouverait dans le pays les mêmes résistances qu’il trouve dans la chambre, la même répugnance à lui livrer la conduite des affaires ? Non ; M. Thiers a été long-temps ministre, il a déjà été le chef d’un cabinet ; il a été un des principaux membres de ce ministère glorieux qui a pris Anvers, désarmé la Vendée et réprimé l’insurrection à Paris, à Lyon ; il a, dans les temps les plus difficiles, dirigé la police du royaume comme ministre de l’intérieur, déployé la plus grande énergie, payé de sa personne. Non, le pays connaît M. Thiers et le cabinet du 1er mars. La question entre lui et la chambre se trouvera donc nettement, clairement posée devant le pays. Ce n’est pas entre le connu et l’inconnu, mais entre une chambre et un ministère également bien connus que le pays serait appelé à décider. Comment refuser cette épreuve au cabinet qu’on a choisi hier après une crise ministérielle des plus courtes, à un cabinet qui n’a rien fait encore, et que la chambre condamne par préjugé, à priori ?

La dissolution est-elle accordée ? Qu’on en pèse les conséquences. M. Thiers lui-même pourrait-il retenir les électeurs dans la ligne de modération et de sagesse dont sans doute il ne voudrait pas les voir s’écarter ? Il est permis d’en douter. Qu’a fait la chambre, qu’a fait le parti conservateur pour ne pas redouter l’épreuve électorale ? Il y a bientôt deux ans que le pays attend en vain de la législature les mesures les plus urgentes, les lois les plus utiles, et qu’il n’obtient que des débats parlementaires et des crises ministérielles. Le ministère pourrait-il décemment seconder la réélection des hommes qui l’auront condamné avant d’attendre ses actes ? Pourrait-il combattre l’élection de leurs adversaires ? Quand on dira aux électeurs que cette chambre était impuissante, qu’il n’y avait pas en elle de majorité possible, qu’elle n’était propre qu’à tout empêcher, seront-ce là de pures calomnies, des accusations faciles à repousser ? Quand on leur dira qu’après avoir amené la crise, on a, par une bizarre contradiction, voulu, le jour d’après, en détruire les résultats, que penseront les électeurs ? Et une fois l’impulsion donnée contre les 221, où s’arrêtera-t-elle ? où s’arrêtera-t-elle dans un pays comme le nôtre ?

Ces considérations graves, très graves, déterminent-elles à refuser au ministère l’ordonnance de dissolution, à ne pas lui accorder une fois ce qu’on a accordé deux fois au 15 avril ? Nous serions loin de blâmer ce refus ; mais ici encore il importe de peser les conséquences.

Il faut alors un nouveau ministère, Lequel ? Un amalgame quelconque du 12 mai avec le 15 avril. C’est la seule combinaison qui offre les apparences de la vitalité. Elle ne serait cependant pas viable. Où serait sa majorité ? Comment la former ? À l’aide des amis de MM. Dufaure et Passy et des doctrinaires ? Base trop fragile, si ces fractions de la chambre n’obtenaient pas dans les affaires une part disproportionnée à leur nombre ! Base plus fragile encore si elles l’obtenaient, car on perdrait, dans les centres, plus de boules qu’on n’en gagnerait de l’autre côté, et des boules qui tuent à bout portant, coûte que coûte : témoin le rejet de la dotation.

Ce serait une pure illusion que celle d’un ministère succédant au cabinet du 1er mars et se flattant de pouvoir gouverner avec la chambre actuelle. Aussi est-il juste d’ajouter qu’il n’est pas un seul des hommes politiques que cette combinaison pourrait appeler aux affaires qui le pense sérieusement. Ils sont trop éclairés, trop habiles, trop versés dans le maniement des affaires publiques et dans les combinaisons parlementaires, pour qu’il leur reste à cet égard le moindre doute. Ils savent et ils ne cachent pas que la première mesure à prendre, ce serait la dissolution de la chambre.

Ce qu’on dit moins, ce qu’on ne peut cependant pas ignorer, c’est que la dissolution ne serait prononcée qu’après l’avoir refusée à M. Thiers, qu’après l’avoir contraint à se lier de plus en plus avec la gauche, qu’après lui avoir donné aux yeux du pays un nouveau relief, qu’après avoir fourni à ses amis des armes bien dangereuses, et dont il est plus facile de désirer que d’espérer que par sagesse et par patriotisme ils ne voudront pas faire usage.

Quelle lutte ! quels combats ! quelle agitation ! Et cela dans un moment où tous les besoins matériels du pays n’ont pu encore être satisfaits, et où les vicissitudes ministérielles et parlementaires ont enlevé au pouvoir une si grande partie de sa force, de son influence, de son crédit !

Ceux qui peuvent de sang-froid arrêter leurs regards sur une pareille situation sont doués, nous nous empressons de le reconnaître, d’un courage auquel nous ne saurions atteindre. Ils aiment, eux, les grosses aventures ; nous, nous aimons les sages résolutions ; ils préfèrent à toutes choses le triomphe de leur parti ; nous, nous préférons le maintien de nos principes. Or, certes, rien ne serait plus propre à les compromettre et à nous jeter dans un avenir pour le moins fort incertain, que des mesures téméraires, une lutte poussée jusqu’aux dernières extrémités entre les deux grandes fractions de la chambre. Le calme des esprits est si trompeur dans notre pays ! et c’est avec une si grande rapidité que la chute de la moindre pierre y produit une avalanche !

L’erreur capitale serait de se persuader qu’il ne peut être question dans la crise qu’on prépare que d’un changement de ministère, qu’il ne s’agit que de ramener aux affaires un parti politique offrant à nos principes, à nos idées, plus de garanties. Certes nous pourrions applaudir à un pareil résultat. Nous n’avons pas abandonné nos principes, nos tendances restent les mêmes. Nous avons toujours déploré les circonstances politiques qui ont éloigné M. Thiers des centres pour le rapprocher de la gauche. Les tendances, les idées, la capacité gouvernementale de la gauche, sont loin de nous rassurer. Si nous comptons sur la sagesse politique de M. Thiers et du cabinet actuel, ce n’est pas parce que, mais quoique. Nous espérons que tout en laissant aux hommes et aux journaux de la gauche cette intempérance de paroles qu’il lui est impossible de réfréner, et dont il ne faut ni trop s’irriter ni trop s’alarmer, le cabinet du 1er mars ne songe nullement à jeter le trouble dans nos institutions et à tenter des expériences insensées. Au surplus, si nous croyons qu’il serait téméraire de le renverser avant de l’avoir mis à l’épreuve, nous ne demandons pas non plus pour lui une confiance aveugle, un concours illimité. Un homme éminent a résumé le rôle du parti conservateur à l’égard du ministère en deux mots qui nous paraissent parfaitement justes : il faut le soutenir et le contenir. C’est dire que le parti conservateur doit à la fois appuyer et observer le ministère ; lui prêter son concours en connaissance de cause pour toutes les mesures conformes aux principes et à l’esprit de notre gouvernement, le lui refuser le jour où il deviendrait manifeste qu’il prétend dévier de ces principes, et qu’il est, comme on dit, à la remorque de la gauche. Mais serait-il juste, sage, prudent de tenir ce fait pour établi avant d’en avoir eu la moindre preuve, et par cela seul que les journaux de la gauche ont battu des mains à l’avènement ? C’était habile à eux : la preuve en est la colère qu’ils ont excitée chez les conservateurs, et qui, si elle devait produire tous les résultats qu’on en attend, aurait pour résultat nécessaire de faire de plus en plus de M. Thiers et de ses amis des hommes de la gauche. Est-ce à nous de seconder la tactique de la gauche et de lui amener, bon gré, mal gré, par nos emportemens, nos injures, nos dédains, un renfort si puissant, un chef si éminent ?

Le rôle que le parti conservateur doit jouer dans la chambre est un rôle difficile, et plus difficile que brillant, nous n’en disconvenons point. — Il est plus simple, plus hardi, plus décisif de monter à l’assaut et de renverser un ministère. — Là est la question. Que ce fût là le parti le plus décisif, le plus hardi, nul ne le conteste ; que ce fût en même temps le plus simple, nous sommes loin, très loin d’en convenir. Pour nous, la conséquence inévitable de ces hardiesses est la dissolution très prochaine, immédiate peut-être de la chambre. Un seul doute peut rester dans notre esprit : cette dissolution, par qui et au profit de qui sera-t-elle faite ? Qu’on réponde comme on voudra, à nos yeux le péril est toujours immense, plus encore redoutable peut-être, si la dissolution est faite contre M. Thiers que si elle était faite pour lui. Faite contre lui, il doit nécessairement abandonner les élections à toutes les influences irrégulières et désordonnées qui viendront se mettre à son service ; faite pour lui, nous ne croyons pas que M. Thiers, disposant des influences gouvernementales, voulût, de gaieté de cœur, travailler à devenir l’instrument servile d’un parti qui, arrivant en majorité à la chambre, le briserait sans façon le jour où il résisterait à la moindre de ses prétentions. Sans doute plusieurs des membres de la chambre pourraient ne pas être réélus ; le gouvernement n’appuierait pas leur réélection, mais il travaillerait, nous le croyons, à les faire remplacer par des hommes modérés.

Quoi qu’il en soit, nous repoussons de toutes nos forces l’idée de la dissolution, de quelque côté qu’elle vienne. Nous n’applaudirons jamais à ceux qui voudraient jouer l’avenir du pays sur un coup de dés. Or la dissolution ne peut être évitée qu’en soutenant le ministère et en s’appliquant à le contenir, sans rancune, sans dédain, dans les limites que M. Thiers lui-même a posées dans les ministères du 11 octobre et du 22 février.


La réunion constitutionnelle a été convoquée hier sous la présidence de M. de Nogaret, pour procéder à la désignation de ceux de ses membres qu’elle désirerait faire entrer dans la commission des fonds secrets. Si nous sommes bien informés, l’assemblée était calme, grave, presque morne. Nous le croyons sans peine. Il est impossible que des hommes d’ordre et de gouvernement ne se sentent pas profondément pénétrés de la gravité des circonstances ; pourraient-ils méconnaître l’immense responsabilité qui s’attache dans ce moment à toute mesure décisive ? S’il ne leur est pas donné de ressaisir les rênes du gouvernement, ils peuvent rendre tout gouvernement impossible : ils ne peuvent pas édifier, il leur est facile de renverser. C’est à eux de sonder leurs cœurs, et de juger s’il appartient au parti conservateur de précipiter une nouvelle crise avant d’avoir acquis la preuve irrécusable de l’incompatibilité du nouveau cabinet avec les principes d’ordre et de stabilité dont ils sont les défenseurs naturels et dévoués.


Les affaires extérieures n’ont rien offert de remarquable dans cette quinzaine. Et d’ailleurs, qui se donne la peine d’y regarder ? Y a-t-il d’autres questions à l’ordre du jour que celle de savoir si le nouveau cabinet obtiendra les fonds secrets sans amendement ?

La question d’Orient n’a présenté aucun incident nouveau. L’Angleterre est toujours fort jalouse, fort inquiète de l’accroissement et de la consolidation de la puissance égyptienne. L’Angleterre ne voit que l’Inde. C’est pour elle une question de vie et de mort. Le pacha, de son côté, arme, se fortifie et ne renoncera pas à des conquêtes, qui ont été le travail et le but de toute sa vie. Et la France pourrait-elle sans déshonneur livrer le pacha aux colères calculées de la Grande-Bretagne ? Telle est la question dans toute sa gravité. Nous ne désespérons pas cependant d’un arrangement amiable.

D’un côté, l’Angleterre a trop d’affaires sur les bras pour vouloir pousser les choses trop loin ; de l’autre, ce qu’il faut à l’Angleterre, ce n’est pas un territoire, une souveraineté en Égypte et en Syrie, mais des sûretés, des garanties pour la libre communication avec l’Inde..

Il doit suffire que les portes, dont le souverain de l’Égypte tient les clés, ne puissent jamais être fermées à l’Angleterre. La diplomatie ne trouvera-t-elle pas un moyen de concilier dans une juste mesure les droits de Méhémet-Ali avec les intérêts légitimes de l’Angleterre et de toutes les puissances commerçantes de l’Europe ?

La vigueur que le gouvernement de Madrid a déployée paraît avoir produit des effets salutaires. Il a intimidé la minorité et rassuré la grande majorité des cortès et du pays. C’est là le grand secret des révolutions qui ne veulent pas dépasser leurs justes limites. Les révolutions accomplies, comme celles de l’Espagne, ne périssent que par de nouvelles révolutions qu’une minorité exaltée veut greffer sur la première révolution, au mépris du vœu national, et en opprimant la majorité.

La rupture de l’Angleterre avec la Chine ne manque pas de gravité. C’est une expédition dans toute la force du mot, une expédition longue et coûteuse que l’Angleterre se croit obligée d’entreprendre contre le céleste empire. Nous sommes loin de blâmer cette mesure énergique. L’Angleterre veut que le nom et le pavillon anglais soient partout honorés et respectés ; c’est bien. Seulement il serait équitable, lorsqu’on attaque la Chine par cela seul qu’elle ne veut pas recevoir l’opium des Anglais, de ne pas trouver à redire sur les expéditions que la France a dû diriger contre ceux des états américains qui, au mépris du droit des gens, s’étaient permis, au préjudice du commerce français et de nos compatriotes, les faits les plus condamnables et des violences de sauvages.


La reprise de Chatterton au Théâtre-Français a été l’occasion d’un beau triomphe pour M. Alfred de Vigny. Ce drame si élevé et si pathétique ne pouvait manquer d’être accueilli avec une faveur unanime. Tous ceux qui s’intéressent aux œuvres vraiment littéraires féliciteront le Théâtre-Français de cette tentative, à laquelle il donnera suite, il faut l’espérer. Il est à désirer aussi que M. Alfred de Vigny ne se contente pas du succès d’une reprise. Nous n’avons jamais regretté plus vivement son silence qu’après avoir entendu Chatterton.


Correspondance du comte Capodistrias, président de la Grèce, recueillie par les soins de ses frères, et publiée par M. Bétant, l’un de ses secrétaires[1]. — Cette publication importante et depuis long-temps désirée rappellera l’attention sur une des figures politiques les plus considérables et les plus intéressantes dont la destinée à la fin s’est dérobée comme dans un sanglant nuage. Né à Corfou, dans ce berceau d’Ulysse, Capodistrias témoigna de bonne heure les qualités de finesse et d’habileté unies à un patriotisme sincère. Ayant dû quitter cette patrie mobile qui ne s’appartenait plus, il passa au service de la Russie et s’acquit la confiance d’Alexandre. Nul mieux que lui n’entra dans les intentions de ce monarque, aux heures de politique généreuse ; la France lui dut, en 1815, plus d’un bon office, dont Louis XVIII et le duc de Richelieu ont emporté le souvenir. Détaché de la Russie lors du soulèvement de la Grèce, et bientôt porté à la présidence de cette nation à peine émancipée, il eut à lutter contre des difficultés de tout genre, et les plus nobles intentions ne le sauvèrent pas. Il tomba en octobre 1831, sous le poignard. La publication actuelle est tout-à-fait propre à éclaircir les idées sur son administration, sur la ligne qu’il voulut suivre, les efforts qu’il prodigua, et à répondre aux calomnies qui ne lui furent pas épargnées. Une notice biographique, due à la plume affectueuse et éloquente de M. de Stourdza, nous le montre tel qu’il est resté au cœur de ceux qui l’ont aimé. Nous ne faisons qu’annoncer aujourd’hui cet ouvrage, qui, contrôlé par d’autres écrits, deviendra pour quelqu’un d’entre nous, nous l’espérons, l’occasion et le texte d’une étude plus approfondie et d’un portrait de l’homme d’état même.


Les récits des temps mérovingiens[2], de M. Augustin Thierry, ont paru il y a quelques jours. C’est le premier ouvrage suivi et étendu que l’illustre écrivain ait publié depuis ce déplorable accident qui, selon le mot de M. de Châteaubriand, l’a assimilé à Milton et à Homère. On retrouve dans ce livre toutes les éminentes qualités de l’Histoire de la conquête de l’Angleterre, avec les perfections nouvelles d’un génie mûri encore et maintenant dans toute sa plénitude. Nos lecteurs sont initiés d’avance à ces tableaux des temps barbares où les mœurs du vie siècle se trouvent reproduites avec un art si simple à la fois et si admirable. Les Récits des temps mérovingiens sont précédés d’une vaste introduction qui est, à elle seule, un livre. Ces considérations, tout-à-fait neuves et pleines de sagacité et d’élévation, embrassent le développement des systèmes historiques, depuis le xvie siècle jusqu’à nos jours. C’est un morceau tout-à-fait capital. Nous reviendrons bientôt, et avec détails, sur les Récits des temps mérovingiens.



  1. Quatre vol. in-8o. Genève et Paris, Cherbuliez.
  2. Deux vol. in-8o, chez Just Tessier, quai des Augustins, 37.