Chronique de la quinzaine - 28 février 1887

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Chronique n° 1317
28 février 1887


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




28 février.

Puisque la fortune a fait de la volonté d’un homme l’arbitre de la paix universelle, et d’un acte tout intérieur d’un grand empire, des élections de l’Allemagne, un événement européen, on attendait naturellement avec une assez légitime anxiété cet énigmatique scrutin. On était impatient de savoir ce qu’il serait, ce qu’il signifierait dans la situation du continent, quelle influence il aurait sur les résolutions de celui qui décide de tout, qui est arrivé à ce point de dangereuse puissance où il ne peut plus faire un mouvement sans secouer le monde. C’est aujourd’hui un fait accompli; le scrutin a dit son secret, les résultats sont à peu près tous connus, sauf les ballottages, qui ne changeront guère l’ensemble de cette manifestation demandée à l’Allemagne. Le chancelier de Berlin aura ce qu’il voulait, il aura son septennat, son « armée de l’empereur » fortifiée, soustraite pour longtemps au contrôle parlementaire; il a dès ce moment une majorité ralliée à ses desseins. Sous ce rapport, il a gagné la partie qu’il a si audacieusement engagée, sans craindre de remuer toutes les passions en Allemagne et d’agiter l’Europe, réduite à un perpétuel qui-vive.

Telles qu’elles sont, il est vrai, ces élections allemandes ne laissent point certainement d’offrir par elles-mêmes plus d’une particularité curieuse. Le résultat essentiel est obtenu sans doute, puisqu’il y a une majorité pour le septennat, premier objet de la politique du chancelier; il n’a cependant pas été conquis sans peine. Le gouvernement a eu visiblement à déployer toutes les ressources de la pression la plus savante, depuis l’intervention du souverain-pontife jusqu’aux excitations patriotiques, depuis les captations clandestines jusqu’à l’intimidation violente et avouée, pour échapper à une défaite. Les progressistes, qui ont particulièrement le don d’irriter M. de Bismarck, sont les principales victimes de l’action officielle et les disgraciés du dernier scrutin; ils ont été presque partout battus et reviennent singulièrement diminués au Reichstag. Le centre catholique, malgré le désavantage de paraître résister aux conseils venus de Rome, n’a essuyé que quelques pertes et forme encore un bataillon assez compact, sous le commandement de M. Windthorst. Il n’est point impossible seulement que beaucoup de ces catholiques du centre, qui viennent d’être réélus, qui ont paru d’abord récalcitrans au mot d’ordre du Vatican, ne se résignent eux-mêmes aujourd’hui à voter le septennat. Ceux qui ont eu le plus de succès sont les nationaux-libéraux, qui regagnent ce que les progressistes ont perdu, et retrouvent leur ancienne importance parlementaire. Il y a surtout dans ces élections allemandes, qui restent nécessairement encore un peu obscures, qui ne s’éclairciront définitivement qu’à la prochaine réunion du Reichstag, il y a deux faits caractéristiques qui n’entraient peut-être pas dans les prévisions de M. de Bismarck, qui ne sont pas de nature à adoucir son humeur hautaine et irascible.

Le premier, c’est l’étrange progrès que font partout les socialistes en dépit des lois répressives, des poursuites, de tous les procédés que permet à leur égard le petit état de siège. Ils n’auront pas, si l’on veut, autant de représentans dans le nouveau parlement que dans l’ancien; ils ne cessent néanmoins de gagner des partisans et de s’étendre dans le pays. A Berlin même, où les seuls députés nommés jusqu’ici sont des socialistes, ils sont arrivés à rallier près de 100,000 suffrages; dans la Saxe, leurs candidats ont réuni plus de 150,000 voix. A Munich comme à Kœnigsberg et à Hambourg, ils croissent en nombre d’élection eu élection. On a beau faire, le socialisme révolutionnaire monte en Allemagne; il sera bientôt peut-être au point où M. de Bismarck ne pourra plus se contenter de lui opposer son socialisme d’état. D’un autre côté, c’est en vain qu’on a prodigué les rigueurs, les menaces, les visites domiciliaires, les vexations de toute sorte dans l’Alsace-Lorraine : ces populations ne se sont pas laissé ébranler, elles ont choisi d’un vote spontané, silencieux, presque unanime, et avec une persévérance plus énergique peut-être que jamais, les députés qui représentaient le mieux leurs sentimens. On dira sans doute encore que c’est la France qui a encouragé mystérieusement ce vote, qui est sans cesse occupée à fomenter dans l’Alsace-Lorraine la conspiration des souvenirs de la fidélité à l’ancienne patrie. La France n’y peut malheureusement rien ; elle est obligée à une extrême réserve, qui est pour elle de la dignité, et tout ce que prouvent une fois de plus les dernières élections de l’Alsace-Lorraine, c’est l’impuissance de la force, c’est l’éternel embarras des conquérans aux prises avec leur conquête. On ne peut rien à cela : M. de Bismarck aurait beau s’en irriter, il s’est créé lui-même la difficulté et il la subit ; il est exposé à la voir reparaître devant lui toutes les fois qu’il interrogera ces fortes et saines populations qui ne conspirent pas, qui restent ce qu’elles sont, dont la foi touchante autant que sérieuse défie les compressions et même les séductions.

Assurément ces deux faits, — D’un ordre bien différent, il faut se hâter de le dire, — Le mouvement socialiste qui s’étend et le vote généreusement résolu, tranquillement irrésistible de l’Alsace-Lorraine, ont leur signification et leur gravité dans les élections allemandes. Ils sont un symptôme, ils rappellent aux puissans de l’Allemagne nouvelle que tous les dangers révolutionnaires ne sont pas en France, et que tout ce qu’on peut conquérir par les armes n’est pas facile à garder. Ils sont, si l’on veut, un avertissement pour les victorieux ; mais en fin de compte, quelle que soit l’importance de ces faits, quelle que soit aussi l’irritation que M. de Bismarck puisse en ressentir sur le moment, le scrutin du 21 février, dans son ensemble, ne reste pas moins ce qu’il est, avec ses caractères généraux et ses conséquences. Il est une victoire pour le gouvernement allemand, ou pour celui qui le dirige, qui en est l’âme et la force ; il lui assure ce qu’il souhaitait. Le chancelier, dédaignant le « triennat » qu’on lui offrait, voulait le « septennat, » faute de pouvoir aller jusqu’à « l’éternat, » comme il l’a dit dans son pittoresque langage ; il aura ce qu’il désirait, il aura son supplément d’effectifs permanens et ses cadres, son accroissement de puissance militaire, son armée toujours prête. Il n’aurait point hésité, il ne l’a pas caché, à se passer du vote du parlement et même du pays, s’il l’avait fallu, pour sauvegarder comme il l’entend la sûreté de l’empire ; il avait déjà pris ses mesures pour agir en dépit de toutes les oppositions dont on aurait pu l’embarrasser : il a désormais l’avantage d’être dispensé de renouveler ses anciennes luttes avec le parlement, d’avoir une majorité pour faire légalement ce qu’il aurait fait dans tous les cas. Il avait présenté le septennat au peuple allemand comme une condition de paix par l’organisation d’une force défensive inexpugnable pour l’empire ; le peuple allemand lui a répondu en lui envoyant une majorité favorable au septennat et en témoignant par son vote même que lui aussi il était pour la paix. Que faut-il de plus ? Le chancelier a ce qu’il désirait ; la masse de la nation allemande ne demande sûrement pas mieux que de rester eu paix ; les élections du 21 février, en tranchant la question la plus délicate du moment, devraient avoir pour effet d’enlever tout prétexte aux agitations belliqueuses. C’est ce qui semblerait évident au premier abord. Il est certain que, si M. de Bismarck était sincère comme il l’a été si souvent, s’il n’avait pas d’autres vues, d’autres desseins, d’autres arrière-pensées, on pourrait espérer voir bientôt se dissiper quelques-uns de ces gros et lourds nuages qui ont passé sur l’Europe, et rentrer par degrés dans des conditions plus calmes. C’est possible ; il n’est pas une nation qui ne désire sortir de cette atmosphère troublée.

Ce qu’il y aura eu d’étrange, ce qui restera toujours vrai, c’est que dans cette crise, dont les élections allemandes n’ont été qu’un incident ou un prétexte, le terrible chancelier de Berlin aura certainement joué un très redoutable jeu. Pendant trois mois, sans qu’on ait jamais bien su pourquoi, sans qu’il y ait eu une raison saisissable de conflit, pour un vote qui ne méritait pas sans doute de si grands efforts, il aura tenu le monde dans la fièvre et dans l’attente. Sans l’avouer ouvertement, en disant même quelquefois le contraire, il aura laissé croire que l’Allemagne avait besoin de s’armer contre une agression ou des provocations de la France, En prétendant toujours être le gardien de la paix, il aura joué avec toutes les allumettes chimiques répandues sur le continent. Il aura offert, en un mot, le spectacle du plus puissant des hommes déconcertant tous les calculs, troublant tous les intérêts, et finissant par fatiguer l’Europe du poids de sa débordante personnalité. Il n’en est peut-être pas à le sentir lui-même, à s’apercevoir qu’il a trop forcé les ressorts, et il a sûrement assez de sagacité pour comprendre que des crises de ce genre ne pourraient pas se renouveler impunément. Elles mettent toutes les politiques, tous les intérêts, tous les patriotismes, et on pourrait dire toutes les patiences, à de trop sérieuses et de trop délicates épreuves pour pouvoir se reproduire deux fois sans un péril certain et inévitable pour la paix universelle.

Que cette expérience imposée au continent ait été et puisse être encore redoutable, en effet, c’est ce qui n’est point douteux ; qu’elle finisse heureusement, sans trouble et sans conflit, c’est ce qu’on peut désirer de mieux. Elle n’aura peut-être pas été après tout absolument inutile pour la France, qui a eu là une rare et décisive occasion de s’interroger elle-même sur sa politique extérieure ou intérieure, de se demander où serait le danger, où pourrait être la force pour elle, de montrer par son esprit de conduite qu’elle est toujours faite pour garder sa place et son crédit dans le monde. Évidemment, on peut le dire sans illusion et sans vanité, un des phénomènes les plus curieux, les plus imprévus du temps, est ce contraste presque dramatique qui a éclaté en quelque sorte depuis quelques semaines entre l’Allemagne et la France. — D’un côté, il y a eu l’agitation, une agitation en partie factice ou calculée, si l’on veut, dans tous les cas fort bruyante. Il y a eu les menaces, les démonstrations, les sommations impérieuses, les actes d’accusation passionnés et retentissans contre tout ce que fait ou ce que pense notre pays. Les déclarations officielles du chancelier lui-même étaient, il est vrai, en contradiction avec tout ce bruit ; mais pendant ce temps, la guerre des soupçons, des polémiques acrimonieuses continuait, et sur nos frontières mêmes on faisait tout ce qu’il fallait pour émouvoir les susceptibilités françaises par toute sorte de mesures extraordinaires, comme si on allait entrer en campagne ou si l’on s’attendait à être attaqué. C’est là le spectacle qu’a offert l’Allemagne dans ces dernières semaines, en s’étourdissant elle-même du bruit qu’elle faisait. — D’un autre côté, la France n’a opposé que le calme à toutes les manifestations. Ce n’est pas qu’elle se méprît sur le danger, ou que ce calme dans lequel elle se renfermait cachât une défaillance : il est bien clair, personne n’en a douté, que la nation française, le jour où elle aurait été attaquée, aurait marché comme un seul homme ; mais elle a laissé passer tout le reste, et les polémiques accusatrices, et les provocations, et même les démonstrations qui auraient pu la blesser, aussi bien que les mesures ou les témoignages de défiance dont on aurait pu se dispenser. Elle a gardé, sous les coups d’aiguillon qui ne lui ont pas été épargnés, une impassibilité assez nouvelle pour son ardente et impétueuse nature. La France a donné d’elle-même cette idée que, si elle était froidement résolue à désavouer la responsabilité d’une effroyable guerre, elle était certainement en état d’opposer à toute agression une résistance dont on n’aurait pas facilement raison. C’est précisément cette attitude simple et mesurée qui a été une force pour elle, qui lui a valu l’estime du monde, qui a eu peut-être son influence en Europe, en laissant aux gouvernemens le temps de s’éclairer et de réfléchir.

Ce n’est point assurément, il faut bien voir les choses comme elles sont, Que les cabinets européens éprouvent un prodigieux intérêt pour la France. Ils sont trop accoutumés à nos instabilités ; ils ont vu trop souvent les passions de parti se substituer à la prévoyance et à l’esprit de suite dans nos affaires. Les malheurs de notre généreuse nation avaient pu réveiller chez quelques-uns d’entre eux des sympathies que nos gouvernemens ont refroidies ou dont ils n’ont su tirer aucun avantage. Bref, il faut en prendre son parti, nous ne sommes ni les enfans gâtés ni les enfans terribles de l’Europe. Il n’est point douteux cependant que cette attitude de simple et calme fermeté que la France s’est donnée, pour ainsi dire spontanément depuis quelques semaines, n’a pas tardé à produire son effet. Dans beaucoup de pays où l’on commence toujours par donner tort à notre nation, on a fini par convenir que ce n’était plus cette fois la France qui était le trouble-fête universel, qu’elle n’avait rien fait pour provoquer la crise où l’Europe est encore aujourd’hui engagée, qu’elle donnait l’exemple de la modération, de la tenue, dans les circonstances les plus difficiles. On a bien voulu reconnaître pour le coup que, s’il y avait des provocateurs, des organisateurs de conflits, ils n’étaient pas à Paris, que si la paix du monde se trouvait en péril, elle n’avait pas été menacée par nous. Les gouvernemens eux-mêmes ont senti ce qu’il y avait de droiture et de force dans la position de notre pays, et quelques-uns en sont peut-être venus bientôt à ne plus considérer avec indifférence l’éventualité d’une nouvelle guerre d’invasion et de conquête tentée contre la France. C’est là certainement un fait nouveau qui a son importance. Et qu’on ne parle pas aussitôt de révolutions dans les alliances, de combinaisons mystérieuses, de rapprochemens soudains et imprévus, par exemple entre la France et la Russie. Ce ne sont là que des thèmes de polémique, où l’on se plaît à passer en revue toutes les relations, à bouleverser ce qu’on appelle l’échiquier de l’Europe, à nouer et à dénouer les alliances. Ce qui reste vrai, c’est qu’il y a quelque chose de plus fort que tous les artifices de la diplomatie, c’est le sentiment de solidarité qui rapproche dans des circonstances déterminées de grandes nations, qui fait qu’elles sont également intéressées à ne pas laisser porter atteinte à une certaine situation du monde. Si la Russie semble détourner un moment ses regards de l’Orient pour fixer ton attention sur l’Occident, ce n’est pas parce qu’elle s’est engagée dans un nouveau système d’alliances ; c’est parce qu’elle ne peut être insensible dans son intérêt même à tout ce qui affecterait l’ordre européen, c’est parce qu’elle comprend bien que, si la France devait être la victime d’une guerre nouvelle qu’elle n’aurait pas provoquée, elle laisserait un redoutable vide en Europe, et qu’il ne resterait plus qu’une puissance démesurée et formidable sur le continent, La Russie a de longues vues sans doute. Elle ne renonce pas à poursuivre ses desseins sur l’Orient ; elle n’ignore pas non plus les difficultés qu’elle rencontrerait, les rivalités qui lui disputeraient le passage, les complications qui pourraient naître et où elle n’aurait que des alliés douteux. Elle semble assez disposée à ne rien brusquer, à ne rien hâter dans les régions orientales. Pour le moment, la politique russe tend visiblement à empêcher les grands conflits, à maintenir la paix dans l’Occident, parce qu’elle y est intéressée ; c’est tout le secret de ses récentes évolutions.

Est-ce que toutes les autres puissances, à commencer par l’Angleterre elle-même, en dépit de sa politique égyptienne, ne sont pas également intéressées à détourner des événemens dont la conséquence pourrait être d’élever au centre du continent une prépondérance qui ne reconnaîtrait plus d’alliés, qui ne compterait que des cliens et des complices ? Le protectorat de la Russie dans les Balkans, le protectorat de l’Angleterre en Égypte, est-ce que cela compenserait encore pour ces puissances les dangers d’une décomposition du monde occidental, qui pourrait être la suite d’une guerre d’ambition et de conquête ? Le malheur de M. de Bismarck est de soulever tous ces problèmes, qui ne reparaissent qu’aux époques des grandes dictatures, qui touchent à toutes les indépendances, à tous les intérêts, à toutes les susceptibilités des peuples et des gouvernemens. L’avantage, le simple avantage de la France, c’est de représenter ce qui reste de l’équilibre de l’Europe. On ne lui porte pas un grand intérêt, on ne l’aime pas pour elle-même, c’est entendu, on ne nous le cache pas. Elle ne retrouverait des alliés que si elle était victorieuse, elle est, en attendant, assez isolée. On ne s’est pas moins aperçu, à la lumière des derniers événemens, qu’elle restait un des ressorts essentiels de l’ordre occidental, que sa puissance était une garantie nécessaire de la sécurité universelle ; on a reconnu aussi qu’elle méritait l’estime du monde, et c’est face qu’elle a gagné par sa bonne conduite dans une crise qui a ramené toutes les politiques en face des plus saisissantes réalités. C’est ce qu’on pourrait appeler un avantage de dignité extérieure pour la France.

Une autre conséquence profitable de cette pénible crise, si on voulait l’accepter avec un simple et viril bon sens, c’est d’avoir démontré une fois de plus la nécessité pressante, impérieuse, d’en revenir enfin à des conditions de politique intérieure et de gouvernement sans lesquelles il ne peut y avoir une politique extérieure suivie et efficace. Chose curieuse et rare ! on pourrait dire que c’est d’un mouvement instinctif et spontané, par une sorte d’inspiration soudaine et irrésistible de prudence nationale, sans direction et sans guide, que notre généreux et malheureux pays a pris sa sage attitude dans les circonstances critiques que nous traversons. Il n’a pas eu à suivre un mot d’ordre qui ne lui a pas été donné, ni à observer une discipline qui ne lui a pas été imposée. Il s’est conduit de lui-même, sans autre conseil ou avertissement que celui du danger ; il n’a reçu aucune impulsion, il eût été moins habile, moins bien inspiré s’il s’était laissé diriger par ceux qui sont censés le représenter. Ce n’est pas que nos politiques officiels, ceux qui sont chargés du gouvernement, aient manqué de bonnes intentions : ils ont fait en général, on peut en convenir sans difficulté, ce qu’ils ont pu, pour se défendre des explications périlleuses ou inutiles, pour éviter tout ce qui pouvait inquiéter ou animer l’opinion. Ils auraient pu, ils auraient dû sans aucun doute diriger avec une vigilance plus active, plus directe, plus utile pour le pays : c’était leur devoir et leur rôle. Malheureusement, s’il est un fait avéré, c’est qu’il n’y a qu’une apparence de gouvernement, et que, dans ce qui reste de gouvernement, il n’y a ni une sérieuse sûreté, ni souvent le sentiment juste des circonstances. M. Léon Say disait spirituellement l’autre jour devant le sénat, à propos de l’éternelle discussion du budget, qu’il n’y avait pas de vrai ministère, qu’il n’y avait que des ministres qui représentaient les différens groupes parlementaires et qui se réunissaient de temps à autre, comme des plénipotentiaires de ces groupes autour d’une table de conseil sur laquelle on aurait placé « une tour Eiffel ou une tour de Babel, symbole de la confusion ! » Et ce qui ajoute encore à la confusion, c’est que, le conseil une fois fini, chacun reprend plus que jamais sa liberté et porte dans les affaires son humeur indépendante, sa légèreté, son inexpérience, ses fantaisies.

On ne s’entend pas dans le conseil, on s’entend encore moins hors du conseil, et tout cela ressemble un peu à une parodie de gouvernement. Ce n’est pas sérieux, ce n’est pas non plus toujours sans danger. Il peut en résulter des aventures assez étranges qui, heureusement, ne sont quelquefois que plaisantes, qui pourraient aussi, selon les momens, avoir quelque gravité. M. le ministre de la guerre, par exemple, aurait eu dernièrement, dit-on, l’idée de disposer d’un de nos attachés militaires à l’ambassade de Saint-Pétersbourg et de le charger, sans consulter ses collègues, d’une lettre autographe pour le ministre de la guerre de l’empereur de Russie. La démarche, on en conviendra, était passablement bizarre ; elle aurait pu exciter quelque surprise, être surtout mal interprétée, et M. le ministre des affaires étrangères avait certes tous les droits possibles de se montrer offusqué, de porter même ses plaintes devant M. le président de la république. Jusque-là, le chef de notre diplomatie n’a fait que son devoir en réprimant les impatiences épistolaires de son terrible collègue. Malheureusement, M. le ministre des affaires étrangères, qui est à ce qu’il paraît un homme de famille, n’a eu rien de plus pressé que de s’entretenir de ses querelles avec M. le ministre de la guerre au coin de son foyer, — Et de là l’histoire de la lettre est allée droit aux ambassades ; elle a couru partout, commentée, brodée et peut-être un peu exagérée. Le dénoûment n’a eu par bonheur rien de plus grave. La lettre paraît avoir été supprimée avant d’être partie. Le pays seulement doit être bien édifié, bien tranquillisé de savoir ses affaires en des mains si sûres et les secrets de l’état si bien gardés ! M. le ministre de l’instruction publique, quant à lui, est un savant chimiste qui traite la politique et l’histoire à sa manière. Il y a quelques semaines, il faisait devant la chambre une conférence vraiment fort libre et qui a un peu prêté à rire, sur Aristophane et Socrate, — Le tout pour arriver à réclamer la conservation de la censure des ouvrages de théâtre. Hier encore, à l’occasion du traitement de quelques instituteurs, il a fait un voyage à travers l’histoire, en passant par Philippe le Bel, Boniface VIII, la renaissance, l’inquisition, les jésuites, Napoléon et la loi de 1850, pour finir par un singulier à-propos. Au moment même où le gouvernement refuse de se prêter à la séparation de l’église et de l’état, M. le ministre de l’instruction publique, qui ne connaît pas d’obstacles, ne trouve rien de mieux que de dénoncer le concordat dans ses discours ! M. le ministre de l’agriculture, plus modeste, plaide pour la surtaxe des céréales que les autres membres du cabinet combattent. M. le président du conseil défend énergiquement les crédits de son ministère et abandonne ceux de son collègue des finances. Pendant ce temps, M. le ministre du commerce Lockroy ouvre des dialogues caustiques avec les pétitionnaires qui réclament contre la tour Eiffel, ou bien va à la place Monge, à l’inauguration de la statue de M. Louis Blanc, saluer au nom du cabinet « le défenseur des damnés de l’enfer social ! » c’est ainsi que marchent les affaires ministérielles, avec cet esprit de conduite, avec cette sûreté et cet accord de vues, tandis que le pays reste livré à sa propre inspiration, ne trouvant qu’en lui-même sa sagesse, au milieu d’une d(s crises les plus sérieuses de son histoire contemporaine. Et voilà pourquoi se manifeste de toutes parts le besoin, le désir, l’impatience de retrouver un gouvernement plus conforme à la gravité des choses.

Oui, sans doute, il faut un gouvernement à la France ; tout ce qui se passe depuis quelque temps en a démontré plus que jamais la nécessité, et c’est justement un des profits les plus clairs des dernières crises d’avoir mieux fait comprendre qu’un pays comme le nôtre, en échange de la bonne volonté dont il est prodigue, a le droit de se sentir dirigé et protégé, qu’il a surtout besoin d’avoir confiance en ceux qui le conduisent. On le sent, on le répète sur tous les tons, en se lamentant ; mais ce serait une illusion par trop singulière de se figurer qu’on peut réussir à refaire un gouvernement dans les conditions où l’on s’est placé jusqu’ici, avec des ministères de la « tour de Babel, » selon le mot de M. Léon Say, en livrant tous les intérêts publics, les finances, l’administration, la magistrature, l’armée à des partis, à des groupes dont on croit avoir besoin pour se faire une majorité incohérente. Avec cela, on n’arrive qu’à l’anarchie et à l’impuissance vainement déguisées sous une série d’expédiens ruineux ou puérils. On vient d’en avoir la preuve une fois de plus, pas plus tard qu’hier, par ce qui s’est passé à l’occasion de ce budget disputé, marchandé, bouleversé et, en définitive, voté de lassitude à la dernière heure, pour éviter de recourir à l’humiliante extrémité d’un nouveau douzième provisoire. La chambre des députés, aussi imprévoyante dans sa passion nouvelle d’économies que dans ses prodigalités des dernières années, avait commencé par tailler dans ce malheureux budget, désorganisant les services, supprimant ou diminuant arbitrairement des crédits essentiels. Quand le budget ainsi mis à mal est arrivé au Luxembourg, le sénat s’est hâté de remettre un peu d’ordre dans cette confusion, de rétablir quelques- uns des crédits supprimés, et il l’a fait d’accord avec le gouvernement lui-même, particulièrement avec M. le ministre des finances, qui déclarait que sans cela ses services ne pouvaient marcher. Fort bien ; mais ce n’était pas tout, il fallait maintenant que la chambre acceptât ce qu’avait fait le sénat, et si elle s’est résignée, elle a impitoyablement biffé encore une fois quelques-uns des articles rétablis, même les plus importans. Nouveau voyage au Luxembourg ! Le temps pressait, que faire ? M. le ministre des finances est allé bravement supplier le sénat de ne pas s’obstiner, d’en passer par ce que voulait la chambre, en ajoutant comme consolation que cet argent qu’on lui refusait au Palais-Bourbon, dont il avait besoin, il le demanderait par des crédits supplémentaires.

Ainsi, voilà des crédits qu’on déclare nécessaires pour le service public, qui ont évidemment leur place dans le budget ordinaire : on craint de les maintenir d’accord avec le sénat, de peur de se brouiller avec la chambre ; on les relègue dans le domaine des crédits extraordinaires, au risque de ne les avoir pas du tout, — Et là-dessus M. le président du conseil improvise une théorie constitutionnelle au moins imprévue, dont le dernier mot serait de subordonner les droits du sénat au bon plaisir des ministres arbitres entre les deux chambres. C’est, dit-on, pour éviter un conflit parlementaire ! Mais dans tous les conflits entre des pouvoirs qui se respectent, il y a inévitablement un moyen de conciliation, — Et le gâchis reste toujours le gâchis. Le ministère a pu obtenir son budget, budget d’attente et de confusion s’il en fut, il n’en est pas plus fort avec ses théories, ses légèretés, ses contradictions, ses incohérences. Eh bien ! c’est de cette situation qu’il faut sortir pour le bien comme pour l’honneur de la France, et on ne le peut évidemment qu’en revenant sans subterfuge et sans hésitation à des conditions plus vraies et plus sincères de gouvernement, en allant chercher l’autorité et la force là où elles sont, dans ces sentimens de modération qui sont en quelque sorte l’essence du pays. Qui pourrait dire aujourd’hui, après l’expérience de ces dernières années, dans l’état présent du monde, qu’un ministère pourrait se former et vivre en s’alliant décidément avec les radicaux, en avouant la politique radicale ? Qu’on suppose un instant le radicalisme à l’œuvre, avec la séparation de l’église et de l’état, avec des redoublemens de persécution religieuse, avec la suppression du sénat, avec l’impôt progressif et la désorganisation des budgets : le résultat est clair et certain, c’est l’agitation en permanence et, par suite, l’affaiblissement de la France dans les crises qu’elle peut avoir encore à traverser. Il n’y a donc d’autre gouvernement sérieux, possible, que celui qui cherchera son appui dans les forces modérées du pays, qui s’attachera d’abord à ces deux œuvres réparatrices, la pacification morale de la France et une réorganisation énergique des finances nationales. Tout le reste n’est qu’expédient ou ruineuse chimère.

Le moment, il faut en convenir, n’est pas trop favorable pour les pays de régime parlementaire. Pendant que le ministère anglais en est toujours à se débattre contre l’agitation irlandaise, qu’il ne peut ni apaiser ni réprimer, dont il ne peut pas même faire condamner les chefs, le ministère italien en est encore à prendre une figure et un nom. L’œuvre, à vrai dire, semble singulièrement laborieuse. Depuis que le dernier cabinet, présidé par M. Depretis, a cru devoir donner sa démission sous le coup de cette malheureuse affaire de Massouah, si justement pénible au patriotisme italien, et du vote parlementaire qui en a été la suite, les négociations ont passé par une série de péripéties intimes sans arriver à un dénoûment ; elles ont l’air de tourner sur elles-mêmes. Vainement le roi Humbert, en vrai souverain constitutionnel, a tour à tour appelé auprès de lui tous les personnages publics, les présidens des deux chambres, ceux qui étaient ministres hier et ceux qui ne demanderaient pas mieux que d’être les ministres de demain, les chefs de partis et de groupes : il n’est encore rien sorti de toutes ces consultations du Quirinal. Un instant, il est vrai, M. Depretis a paru avoir réussi à reconstituer son cabinet avec M. de Robilant, avec M. Magliani, M. Saracco et quelques membres nouveaux. On croyait déjà tout arrangé, tout décidé, lorsque tout s’est de nouveau disloqué, et le problème ministériel est redevenu plus difficile que jamais, d’autant plus qu’au bout de toutes les combinaisons il y a une dissolution éventuelle de la chambre, que le roi semble juger dangereuse ou inopportune dans les circonstances présentes. Au demeurant, les combinaisons possibles, vraisemblables, se réduisent à deux ou trois. Les chefs des diverses nuances de la gauche, M. Crispi, M. Nicotera, M. Cairoli, seraient certainement tout prêts à reprendre le pouvoir, si on le leur offrait ; à l’extrémité opposée de droite, M. de Hobilant est visiblement le candidat préféré du roi, tout au moins comme ministre des affaires étrangères. Entre les deux camps, M. Depretis, le vieux et rusé tacticien, qui depuis longtemps ne sort des cabinets que pour y rentrer aussitôt, reste toujours la grande ressource. Mais, dans tous les cas, quel que soit le ministère qui se forme, il rencontrera plus ou moins les mêmes difficultés parlementaires dans une chambre où les anciens partis sont décomposés, où ni la droite, ni la gauche, ni le centre n’ont une majorité, où rien, en un mot, n’est possible que par des alliances et des transactions auxquelles l’esprit italien se prête, d’ailleurs, toujours aisément.

Ce qui complique tout visiblement, c’est une considération de politique extérieure, c’est la question du renouvellement de l’alliance de l’Italie avec l’Allemagne et avec l’Autriche, que le ministre des affaires étrangères du dernier cabinet, M. de Robilant, était occupé à négocier et qui reste en suspens. La question est grave sans doute. Au fond, cependant, peut-être s’agite-t-on un peu trop au-delà des Alpes, à la poursuite de combinaisons qui pourraient être dangereuses si elles ne sont pas tout simplement chimériques. Quel intérêt si pressant a donc l’Italie à rechercher de si puissantes alliances ? Son intégrité et son indépendance sont-elles en péril ? par qui est-elle menacée ? On ne saisit pas bien à quel propos et pour quelles fins elle est si occupée de resserrer ses liens avec les deux empires, à moins que ce ne soit pour se trouver en grande compagnie. On nous expliquait récemment, avec l’intention évidente de nous rassurer, que si l’Italie ne pouvait changer la direction de ses alliances, la France n’avait pas à s’en émouvoir ; que, dans telle ou telle éventualité, l’Italie pouvait sans doute être conduite à ne consulter que ses intérêts, mais qu’elle ne ferait jamais rien contre notre pays. C’est fort obligeant ! On voudrait, c’est assez apparent, bien vivre avec la France en nouant des alliances qui peuvent avoir leurs avantages, c’est possible, qui pourraient aussi conduire fort loin. Ce qu’il y a de plus clair, c’est qu’avec tout cela, l’Italie se place forcément dans une situation un peu fausse et assez embarrassée, lorsqu’il lui serait si facile de ne pas se compromettre dans des alliances dont elle n’est pas maîtresse, de garder la liberté de ses relations, l’indépendance de son action. Aujourd’hui comme hier, c’est la plus sûre politique pour elle, parce qu’elle ne l’enchaîne pas à des calculs et à des intérêts qui lui sont étrangers, qui peuvent l’entraîner dans des crises où elle aurait peut-être plus à perdre qu’à gagner,


CH. DE MAZADE.


LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

Les élections pour le nouveau Reichstag allemand ont eu lieu le 21. Elles ont abouti à la constitution d’une majorité pour le septennat militaire. M. de Bismarck a donc obtenu gain de cause auprès du corps électoral d’Allemagne, et aussitôt les rumeurs belliqueuses se sont évanouies. La presse officieuse d’outre-Rhin a cessé brusquement sa campagne d’insinuations contre la prétendue soif de revanche qui devait entraîner la France à se précipiter contre l’empire voisin. On a même vu la Post, qui naguère avait déclaré la guerre prochaine, inévitable, publier un long article trois jours après les élections, pour démontrer qu’un conflit franco-allemand paraissait improbable depuis le 21.

Le caractère des imputations dirigées pendant plusieurs semaines contre la nation française est ainsi nettement établi. Elles ne cachaient aucune inquiétude sérieuse et constituaient une pure manœuvre électorale. On l’avait bien prévu, et les faits ont justifié les prévisions.

M. de Bismarck, toutefois, le résultat des élections le prouve, a réussi à intimider les électeurs allemands. Ceux-ci se sont laissé persuader en grand nombre que, si le nouveau Reichstag ne possédait pas une majorité disposée à sanctionner docilement les mesures militaires arrêtées par le grand état-major et le gouvernement, la France serait invinciblement poussée à déclarer la guerre. La population a protesté en masse, en élisant une majorité de septennalistes, qu’elle voulait le maintien de la paix. Comme la nation française ne le désire pas moins ardemment, il ne reste plus de motif sérieux de redouter l’accomplissement des sinistres prédictions qui, il y a quinze jours encore, terrifiaient la spéculation sur tous les marchés financiers.

Aussi les bourses du continent commencent-elles à se remettre peu à peu d’une si chaude alarme. La spéculation et les capitaux de placement se rassurent. Les fonds d’état, précipités, au plus fort de la crise, à des cours ridiculement bas, se sont déjà sensiblement relevés. On est encore très loin des prix cotés au commencement de décembre, mais la double crise des liquidations de fin décembre et fin janvier a désorganisé notre place et causé des ruines qui ne sauraient être de longtemps réparées. Pendant toute la première quinzaine de février, les transactions ont été comme suspendues; les carnets des intermédiaires restaient fermés; une défiance réciproque paralysait tout effort de réaction contre les effets de la panique. Depuis le 15, au contraire, les choses ont repris une allure plus régulière, les capitaux ont donné largement leur concours au moment de la liquidation bi-mensuelle. Un revirement favorable s’est aussitôt produit dans les dispositions, et les acheteurs ont reparu sur le marché. Le découvert, peu étendu d’ailleurs, qui s’était formé dans l’intervalle, a pensé que le moment était venu de procéder à des rachats. On peut apprécier par le tableau suivant l’importance de l’amélioration déjà obtenue et qui, tout le fait espérer, s’accentuera vivement le mois prochain :


15 février. 26 février. Différences.
Rente 3 pour 100 77.02 79.07 + 2.05
Rente amortissable 81.10 82.75 + 1.65
Rente 4 1/2 106.30 107.80 + 1.50
Italien 5 pour 100 92.95 95.05 + 2.10
Hongrois 4 pour 100 76.35 77.25 + 0.90
Extérieure 4 pour 100 60.80 63.45 + 2.65
Portugais 3 pour 100 51.62 53.62 + 2. » »
Unifiée 4 pour 100 358.75 363. » » + 4.25


C’est, avons-nous dit, la liquidation du 15 qui a donné le signal de cette volte-face. Grâce aux rachats et à l’impulsion de la force acquise, le 3 pour 100 français a été porté un moment à 79 fr. 75 et l’Italien à 96 francs. C’était aller un peu vile, d’autant plus que, sur ce dernier fonds, la prolongation de la crise ministérielle provoquée par l’affaire de Massouah et la nouvelle des désastres produits sur la côte de Ligurie par le tremblement de terre de mercredi dernier ont enrayé l’ardeur de la spéculation. Le découvert est alors revenu à la charge, le 3 pour 100 étant ramené à 78 fr. 75 et l’Italien à 94.75. Une oscillation en sens contraire a relevé les deux fonds un peu au-dessus de 70 francs et de 95. C’est là sans doute que les trouvera la réponse des primes.

Il est peut-être intéressant de noter que les fonds allemands, dont ou ne s’occupe d’ailleurs nullement chez nous et qui ne se négocient ou ne se cotent qu’à Berlin, n’ont subi pendant toute la crise que d’insignifiantes variations. lien a été de même pour les Consolidés anglais, qui se sont tenus entre 100 1/2 et 101.

La rente espagnole n’était qu’indirectement intéressée dans les éventualités de complications entre la France et l’Allemagne. Mais comme la spéculation était très chargée à la hausse sur ce fonds à Berlin et à Paris, la chute avait été lourde. Le relèvement s’effectue du même pas que sur les autres fonds publics. Il est facilité par le calme qui règne dans la Péninsule et par les laborieux efforts auxquels se livre le ministre des finances pour parer au déficit chronique des budgets espagnols.

Les mêmes raisons avaient déterminé la baisse du 3 pour 100 portugais, bien que le Portugal soit encore bien plus désintéressé que le pays voisin des affaires générales du continent. Le dernier emprunt du Portugal flotte encore sur les marchés émetteurs, et c’est la progression seule du classement qui pourra déterminer le relèvement des cours.

La rente hongroise ne réussit pas à reprendre ses anciens prix. On cotait 87 il y a trois ou quatre mois, on n’est plus qu’à 77. La place de Vienne n’essaie même pas de réagir contre l’influence des charges écrasantes dont sont menacés les budgets de l’Autriche et de la Hongrie déjà si obérés. Les deux parlemens ont dû voter des crédits extraordinaires pour la landsturm. Les délégations vont se réunir dans quelques jours pour voter d’autres crédits destinés à assurer la sécurité de l’empire. Tant pour couvrir les dépenses d’armemens que pour parer aux déficits antérieurement existans, les deux moitiés de la monarchie austro-hongroise ont bien près de 300 millions de francs à demander à l’emprunt. Les fonds russes avaient peu baissé, ils se sont aisément relevés. L’Unifiée a regagné 5 francs à la faveur des bonnes dispositions générales. La situation financière de l’Egypte est prospère, mais les porteurs attendent toujours le remboursement de la retenue de 5 pour 100 effectuée depuis deux ans sur les coupons. Le Turc a oscillé de 13 à 13.50, sans affaires sérieuses. Les obligations privilégiées et les nouveaux titres garantis par les douanes ne se sont pas relevés.

Les obligations du Crédit foncier et de nos grandes compagnies de chemins de fer n’ont encore regagné qu’une faible partie du terrain perdu depuis la crise. A mesure que l’agitation se calmera, les capitaux recommenceront à se porter avec ardeur du côté de ces placemens favoris.

La reprise a été très vive, au contraire, sur les actions des établissemens de crédit : 50 francs sur la Banque de France à 4,125, 50 sur le Crédit foncier à 1,335,40 sur la Banque de Paris, 25 sur la Banque d’escompte, cette valeur suivant fidèlement les fluctuations de la rente italienne, au sort de laquelle l’établissement est étroitement intéressé, 10 francs sur le Crédit lyonnais, 50 sur le Crédit mobilier, 7 sur la Société générale, 7 sur la Banque franco-égyptienne, 30 sur la Banque parisienne, 25 sur la Banque des pays autrichiens, 10 sur la Banque ottomane. Tout ce groupe avait fléchi en même temps que les fonds publics et s’est relevé avec eux, obéissant à la même impulsion, celle des rachats du découvert.

La hausse a été également importante sur les actions de chemins de fer. Le Lyon a regagné 20 francs à 1,230, le Nord 20 également à 1,530, le Midi 12 à 1,130, l’Orléans 20 à 1,315, les Autrichiens 15 à 480, les Méridionaux 20 à 732, le Nord de l’Espagne 12 à 365, le Saragosse 20 à 318.

Le Suez s’est relevé de 30 francs à 1,957, le Gaz de 30 à 1,445, la Compagnie des voitures de 15 à 660, le Panama de 8 à 400.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.