Chronique de la quinzaine - 30 juin 1891

La bibliothèque libre.

Chronique n° 1421
30 juin 1891


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 juin.

S’il ne fallait que des discours et des consultations pour guérir les plaies de l’humanité, pour remettre la paix morale parmi les peuples, pour éclairer et dénouer tous ces problèmes du travail qui obsèdent les sociétés contemporaines, oh ! certes, ce serait déjà fait, rien ne manquerait.

De toutes parts, dans presque tous les pays, ce ne sont que discours, démonstrations et programmes. Depuis le jeune empereur d’Allemagne jusqu’au vieux pontife du Vatican, depuis les ministres et les députés jusqu’aux réformateurs des clubs et des syndicats, depuis le catholique jusqu’au socialiste, tout le monde est à l’œuvre ; tout le monde parle et pérore. Malheureusement, s’il n’est pas vrai, comme l’a dit un maître fourbe, que la parole ait été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée, elle ne lui a pas été donnée non plus pour être toujours infaillible, et si la parole peut répandre le bien et la paix, elle peut aussi faire beaucoup de mal. Elle sert souvent à tout obscurcir, à tout exagérer, à tout dénaturer, — et voilà ce qui arrive ! On soulève dans les discours plus de questions qu’on n’en peut résoudre, on encourage des espérances chimériques par des flatteries qu’on croit habiles ou par des promesses qu’on ne pourra tenir. On parle sans façon, par une tactique d’éloquence, du « quatrième état, » et on fait même des lois pour donner une sorte d’authenticité à ce « quatrième état » d’imagination. On craindrait de n’être pas de son temps, de paraître rétrograde en refusant de se prêter aux expériences les plus risquées, en résistant à des revendications qui ne sont pas toujours fondées. On est naïvement révolutionnaire pour la circonstance, sans regarder aux résultats de tout ce qu’on dit ou de tout ce qu’on vote. On s’accoutume, en un mot, à vivre dans une atmosphère d’excitations et d’illusions où tout finit par être confondu. Puis un jour on se réveille en face d’une réalité importune, avec des passions irritées et un gouvernement qu’on s’étudie à désarmer, qui se désarme quelquefois . C’est notre histoire ; ce sera, si on n’y prend garde, de plus en plus notre histoire !

Évidemment, c’est bien entendu, on ne peut désormais détourner les yeux de ce mouvement ouvrier qui s’étend chaque jour, qui est comme la loi du temps. C’est le premier devoir des assemblées et des gouvernemens de s’occuper sans cesse des nécessités et des misères du travail, de mettre l’équité là où elle n’est pas encore, d’introduire la justice et l’humanité dans les rapports des hommes, d’assurer la liberté, les droits, les intérêts de ceux qui vivent de leur industrie. On le sait bien puisqu’on ne cesse de faire des lois protectrices, bienveillantes, ou, si l’on veut, simplement équitables, et qu’on en prépare encore ; mais ce serait certainement le plus redoutable danger de confondre ce qui est légitime et ce qui ne serait ni juste ni possible, de rester dans un vague favorable à toutes les entreprises de faction, de créer pour ainsi dire des privilèges à rebours. Ce serait le signe d’un singulier trouble moral de laisser croire que toutes ces lois qu’on fait peuvent devenir, entre les mains de populations égarées ou perfidement poussées au combat, des armes de guerre contre la liberté des autres, contre les chefs d’industrie, contre l’ordre public, contre la société tout entière. Que signifient cependant toutes ces grèves qui se succèdent, qui ont commencé il y a quelques jours par la grève des omnibus à Paris, et qui se propagent comme une traînée de poudre ? À Lyon, à Bordeaux, à Marseille, c’est la grève des tramways, interrompant brusquement le service de ces grandes villes. Hier encore, à Paris, c’était la grève de ce qu’on appelle les « ouvriers de l’alimentation » ou, pour mieux dire, des boulangers, — en attendant les autres. Il n’y a pas si longtemps encore, on a laissé entrevoir la possibilité d’une grève des ouvriers des chemins de fer. Cela paraît tout simple ! C’est la loi !

Oui, sans doute, la grève est un droit que les ouvriers ou les employés de toutes les industries peuvent exercer de leur propre mouvement ou par les syndicats qu’ils chargent plus ou moins volontairement de leurs intérêts. Ils peuvent s’associer, se mettre en grève, défendre d’un commun effort leurs intérêts : c’est la loi ! mais d’abord ce n’est plus apparemment un droit de troubler la rue qui appartient à tout le monde, de briser des kiosques, des voitures, de brutaliser des voyageurs comme on l’a fait à Bordeaux, de violenter dans leur liberté ceux qui veulent travailler comme on le fait partout. C’est là un premier excès ! Il y a de plus une question qui peut être délicate si l’on veut et qui n’est pas moins grave par tout ce qu’elle implique et laisse prévoir. Qu’on aille jusqu’au bout : s’il est des industries où une suspension de travail n’est qu’une crise partielle, limitée, il est des grèves qui n’ont aucun sens, qui ne peuvent conduire à rien ou qui deviennent forcément un danger, une menace pour des intérêts universels, pour l’ordre public, pour la paix sociale. Imagine-t-on une grève des agens des chemins de fer poussée à fond, interrompant brusquement tous les services, suspendant les affaires, arrêtant l’industrie et le commerce dans leurs échanges, dans leurs vastes opérations, paralysant les approvisionnemens d’une partie de la France ? Imagine-t-on aussi une grève des ouvriers boulangers avouant la pensée, — on l’a avouée, — d’affamer Paris pour avoir raison de toutes les résistances ? Et notez que les organisateurs de cette dernière grève parisienne n’avaient pas même pour prétexte un différend avec les patrons, un conflit pour les salaires, pour les heures de travail ; ils n’ont fait cette tentative que pour obtenir la suppression des bureaux de placement, auxquels ils sont d’ailleurs parfaitement libres de ne pas s’adresser, — et c’est pour les bureaux de placement qu’ils ont parlé lestement de laisser Paris sans pain ! Ce n’est pas sérieux, ce n’est pas un danger, dira-t-on ; le gouvernement y pourvoira, il y a pourvu ces jours passés. M. le ministre de l’intérieur, qui est un homme plein de philanthropie et de prévoyance, a bien voulu informer la grande cité qu’elle ne serait pas exposée par la faute des boulangers parisiens à revoir les épreuves du siège, qu’elle aurait son pain, que les manutentions militaires au besoin suffiraient à tout. C’est possible, c’est fort heureux ! Il y a seulement ici un fait curieux. Voilà le gouvernement obligé lui-même de s’armer contre une situation que les pouvoirs publics ont créée, qui peut produire de tels résultats ! Voilà une guerre ouvrière légale, sans doute, mais devenue menaçante, née après tout des idées fausses auxquelles on se laisse aller, favorisée par une sorte d’imprévoyante complaisance pour tout ce qui prend le nom de revendications sociales.

C’est justement ce qui fait l’intérêt de cette discussion récente du sénat sur les syndicats professionnels, de cette belle et forte discussion où se sont rencontrés les plus habiles orateurs, — les uns M. Trarieux, M. de Marcère défendant la liberté, le droit, les garanties sociales, — les autres, M. Goblet, M. Tolain, M. le garde des sceaux lui-même croyant encore à la nécessité de concessions nouvelles. Au fond, de quoi s’agit-il ? La loi de 1884, en créant l’institution des syndicats professionnels, a donné aux ouvriers le droit de s’associer, de s’entendre, de peser de tout le poids de ces vastes affiliations sur les rapports du travail. Si cette loi a suscité au premier moment une certaine inquiétude, d’assez vives défiances, elle a cessé d’être contestée ; elle entre par degrés dans les mœurs, et personne n’en demande plus l’abrogation. Que demande-t-on aujourd’hui ? On veut ajouter à la loi ce qu’on pourrait appeler un supplément de suspicion et de coercition contre les patrons, en les soumettant à des contraintes nouvelles, en les menaçant d’une pénalité correctionnelle s’ils étaient tentés de renvoyer un ouvrier familier des syndicats. On crée un délit nouveau, spécial pour le patronat ! Ce qu’il y a d’exorbitant dans ces prétentions, M. de Marcère, M. Trarieux l’ont mis dans une saisissante évidence en montrant que c’était une flagrante atteinte à la liberté du travail, à l’égalité entre patrons et ouvriers, même aux principes du droit pénal. — On veut garantir la position des ouvriers, c’est fort bien ; mais enfin que fait-on de la liberté, des droits, des intérêts, de l’honneur des chefs d’industrie ? Voilà un patron qui, depuis des années, a mis sa peine, son intelligence, sa fortune dans une entreprise où il emploie un nombreux personnel d’ouvriers. Son intérêt est apparemment son meilleur guide dans le choix de ses coopérateurs. N’importe, il n’est plus libre, même chez lui, dans sa maison. S’il renvoie un ouvrier affilié à un syndicat, il est aussitôt suspect : on scrutera ses intentions, on lui fera pour le moins un procès de tendance, on le traînera devant les tribunaux ; il sera jugé, peut-être condamné, et pendant ce temps, son industrie subira le contre-coup, le discrédit des contestations judiciaires !

Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’au moment où les patrons sont mis en suspicion, menacés, les syndicats eux-mêmes ne s’interdisent ni les pressions, ni les violences, pour imposer leur domination à la population ouvrière. On a pu citer ce fait récent qui s’est passé à Grenoble : un ouvrier, qui avait refusé de s’affilier au syndicat de sa profession, avait trouvé du travail dans une usine ; les chefs du syndicat se sont rendus chez le patron et l’ont menacé de mettre sa maison en interdit s’il ne renvoyait pas le faux frère. Et le patron a cédé ; le malheureux dissident a été renvoyé. Chose plus curieuse ! Ce criant abus a été l’objet d’un procès engagé au nom de l’ouvrier privé de son travail, — et le tribunal s’est déclaré désarmé ! Il a répondu que c’était la loi, qu’il n’y avait rien à faire ! De sorte que, dans cette étrange justice distributive, c’est le patronat qui est l’ennemi ou la victime, — ce sont les syndicats qui règnent et qui, d’après la loi nouvelle, auraient pu donner à leurs affiliés une sorte d’inviolabilité. C’est ce que la chambre des députés a voté, par une de ces faiblesses dont on ne sait pas se défendre ; c’est ce que le sénat, pour sa part, a arrêté au passage en jetant un vote de raison et de prévoyance au milieu de tous ces entraînemens périlleux pour la paix sociale, pour l’industrie, pour les ouvriers eux-mêmes.

Qu’est-ce à dire, en effet ? À quoi peut conduire tout ce mouvement de grèves, de prétentions confuses ou démesurées, de revendications tumultueuses, qui ont l’air de menacer tout le monde ? Que ceux qui cherchent un rôle, ne fût-ce qu’une petite place dans ces agitations, dans les comités grévistes, dans les syndicats, à la Bourse du travail, s’efforcent de prolonger le mouvement, c’est leur intérêt, c’est leur affaire ; mais les ouvriers eux-mêmes, ceux qui travaillent réellement, que peuvent-ils gagner ? Ils ne peuvent pas même se promettre d’être longtemps soutenus par l’opinion. Il se peut, sans doute, que, pour un instant, une certaine foule, qui aime le bruit, s’amuse de leurs algarades et les aide à dételer quelques voitures, à renverser quelques omnibus : c’est une distraction comme une autre. Ils s’apercevraient bientôt, — ils peuvent s’en apercevoir déjà, — qu’ils seraient seuls, délaissés par l’opinion, le jour où ils commenceraient à troubler la masse de la population dans ses habitudes, dans ses besoins. Éternelles dupes de quelques meneurs, ils ne feraient que compromettre leur propre cause, et M. le ministre des travaux publics a pu dire récemment à Tours, avec vérité : « Si la loi sur les syndicats donne des droits, elle ne saurait donner celui de désorganiser les services publics, de faire de l’indiscipline. Si les syndiqués en arrivent à commettre des abus, à troubler leurs camarades dans le travail, eh bien ! les syndicats se condamneront eux-mêmes, et bientôt ils ne seront plus ! » Ce n’est pas tout : cette guerre qu’on prétend engager contre le patronat, eût-elle quelque apparence de succès, à quoi aboutirait-elle ? M. de Bismarck a dit un jour qu’il ne redoutait pas les grèves, qu’il craignait beaucoup plus le découragement des chefs d’industrie. Il est possible, en effet, que les patrons, traqués, pressurés, menacés, finissent par se fatiguer et par renoncer à une lutte devenue impossible, où ils risqueraient leur fortune sans compensation. Qu’arriverait-il alors ? Quel profit y trouveraient les ouvriers ? Ils auraient tari le travail dans ses sources et auraient porté un coup peut-être pour longtemps irréparable à l’industrie qui les fait vivre, qui est une des formes de la puissance de la France. Ils se seraient préparé une longue misère par leurs illusions et leurs prétentions d’un jour. C’est la moralité de ces crises, où la guerre ne conduit qu’à la ruine commune, où la paix seule peut concilier tous les intérêts.

Cependant, tout ne se réduit pas à ces agitations ouvrières dans la vie publique du pays ; tout ne se borne même pas à ces discussions douanières qui se prolongent au Palais-Bourbon, où le protectionnisme poursuit ses victoires. Il y a de temps à autre des incidens qui sont des diversions pénibles, comme cette louche aventure de semi-trahison qui a été ces jours derniers l’objet d’une interpellation de parlement. Quoi donc ! Il s’est trouvé deux inventeurs ou industriels en matière d’engins de guerre et de mélinite, qui ont eu des démêlés entre eux, après en avoir eu avec le gouvernement, après avoir même promené leur marchandise dans plus d’un pays, et qui sont allés échouer devant la police correctionnelle où ils ont été frappés d’une condamnation. Aussitôt on a cru devoir suppléer au huis-clos du tribunal par le retentissement de la tribune et porter devant la chambre cette triste affaire qui touche, c’est bien certain, à des secrets de défense nationale et d’armement. On est entré dans tous les détails, on a cherché des responsabilités. Il n’y a qu’un malheur, c’est que les débats de ce genre sont le plus souvent sans issue et qu’ils ont plus d’inconvéniens que d’utilité. Sans doute, il a été constaté qu’il y a toujours des intrigans rôdant autour de notre gouvernement comme autour de tous les gouvernemens, que ceux qui viennent d’être jugés ont fait tout ce qu’ils ont pu pour capter la confiance de notre administration et qu’ils en ont abusé, qu’ils ont pu surprendre quelques secrets de nos fabrications et qu’ils en ont trafiqué avec des maisons étrangères. C’est une vilaine histoire assurément, ce sont des faits coupables justement punis ; mais ce qu’il y aurait de plus fâcheux, ce serait d’exagérer la portée d’un incident qui laisse heureusement notre défense intacte, de confondre les responsabilités, de faire de la chambre une sorte de comité d’enquête générale on ne sait sur quoi, — sur toute notre administration militaire. Car enfin à quoi cela peut-il servir ? On ne pouvait pas décemment mettre en cause l’intégrité du gouvernement : M. le président du conseil, ministre de la guerre, a déclaré avec une juste fierté qu’il ne supporterait pas un instant une apparence de suspicion, et on lui a répondu par un vote de confiance. La question politique était tranchée. Le malheur de tels débats seulement est de faire supposer des mystères, de laisser s’égarer les soupçons sur des chefs militaires, d’émouvoir l’opinion, — de créer en un mot une vague inquiétude, là où on devrait avant tout s’étudier à maintenir la fermeté et la confiance pour l’honneur et la sûreté de la France.

Sans se laisser aller à un vain et puéril optimisme qui ne servirait à rien, on pourrait dire cependant qu’en Europe, à l’heure qu’il est, en dépit des armemens et des inventions meurtrières, qu’on se dispute, les chances de la paix restent toujours assez sérieuses. Ce n’est point, en vérité, parce que la triple alliance, cette triple ou quadruple alliance dont on ne cesse de parler, serait renouvelée ou étendue ou combinée dans d’autres conditions, que la paix reste vraisemblable : si elle n’avait que cette garantie, elle serait fort en péril. Si la paix dure, si elle se prolonge, c’est qu’elle répond à un vœu universel, c’est qu’il n’y a pas de volonté assez hardie ou assez imprévoyante pour déchaîner l’orage de feu et de fer dans l’Europe civilisée ; c’est aussi parce qu’il y a dans presque tous les pays assez d’affaires pour donner du travail aux assemblées et aux gouvernemens. Pour le moment, on paraît plus porté à s’occuper des sessions laborieuses qui s’achèvent et des vacances qui s’approchent, du repos promis aux parlemens et des voyages médités par les souverains, que de la préparation de crises prochaines. L’empereur Guillaume II donne le signal. Il ne se repose guère, le jeune et impétueux souverain. Il est partout, il visite des cercles d’étudians, il change ; chemin faisant, quelques-uns de ses ministres. Il agit et il parle en prince qui veut bien qu’on sache, comme il le disait récemment encore, qu’il n’y a qu’un maître, que ce maître, c’est lui et qu’il n’y en a pas d’autre. Aujourd’hui, il boucle ses valises pour commencer ses voyages, et, en attendant, après avoir congédié il y a quelques jours le parlement de l’empire, il vient de clore ces jours derniers le parlement prussien, son Landtag, par un discours où il se retrouve tout entier avec son geste, son allure décidée, son accent d’impérial et impérieux réformateur.

Cette session qui vient de se clore, en effet, elle a été marquée par les deux réformes auxquelles Guillaume II attachait le plus de prix, qu’il a proposées et réalisées par les ministres de son choix, le nouveau ministre des finances, M. Miquel, et le nouveau ministre de l’intérieur, M. Herrfurth. L’une de ces réformes n’est qu’un commencement, elle a pour objet une réorganisation ou un remaniement des impôts dans la pensée d’une répartition plus équitable, peut-être aussi plus profitable des charges publiques ; l’autre est une réorganisation du régime municipal conçue et poursuivie dans l’intention d’affranchir les populations rurales des vieilles tutelles féodales et de les rattacher plus directement à l’État. Ce qui fait le caractère commun de ces réformes, ce qui a plu à l’empereur ou ce qui ne l’a pas arrêté, c’est qu’elles procèdent d’une idée de démocratie césarienne ; c’est ce qui explique aussi la résistance que la réforme municipale, tout au moins, a rencontrée parmi les vieux propriétaires, dans l’aristocratie terrienne, résistance qui a pris la forme d’une animosité acerbe, injurieuse, personnelle, contre le ministre de l’intérieur, traité en parvenu révolutionnaire. Un des membres de la chambre des seigneurs, le comte Hohenthal, s’est notamment emporté à de véritables outrages contre M. Herrfurth. Loin de laisser soupçonner quelque complaisance pour cette opposition, le souverain s’est plu, au contraire, à soutenir son ministre de l’intérieur et la mesure qu’il a fait triompher, — « cette mesure, a-t-il dit, qui rattache mon peuple à ma maison, à ma monarchie. » Il a même honoré publiquement de ses faveurs le comte Schulenburg, qui avait vivement relevé les injures du comte Hohenthal. Il a fait de la cause de M. Herrfurth sa propre cause. Ainsi, la réorganisation communale, la réforme des impôts, la paix religieuse rétablie par la restitution définitive au clergé catholique de ses traitemens confisqués, c’est là l’œuvre saillante de cette session que l’empereur s’est plu à relever. S’il y a des ombres au tableau, s’il reste dans la situation économique de l’Allemagne des difficultés que le maintien du droit sur les blés n’est pas propre à adoucir, le jeune souverain n’en a voulu rien voir. Il a tenu à n’exprimer qu’une pensée de satisfaction et de confiance, à se séparer de son parlement en lui faisant ses complimens ; il les a faits !

Cela dit, Guillaume II n’a plus qu’à suivre ses désirs, à entreprendre ses excursions. Il a son programme tout tracé, il est prêt à partir, et cette fois il voyage en grand appareil, avec l’impératrice, avec tout un cortège officiel. Il commence, à ce qu’il paraît, par s’arrêter en Hollande, pour visiter la régente et la petite reine à Amsterdam, où des fêtes l’attendent. Puis il cinglera vers l’Angleterre, où il doit passer quelques jours, où il aura ses galas à Windsor, sa réception à la cité de Londres, ses revues, ses banquets. Ce sera complet ! Le jeune empereur a certainement le goût des voyages et de la représentation ; il trouve son plaisir à paraître à Amsterdam et à Londres. On peut cependant augurer que tout n’est pas pour le plaisir dans ces voyages, qu’il doit bien y avoir aussi quelque calcul, quelque arrière-pensée. Assurément, Guillaume II ne va pas dévorer la Hollande au pas de course et l’annexer d’un seul coup à l’empire allemand ; il trouverait de la résistance même en Hollande. Il ne se propose pas non plus vraisemblablement de faire entrer l’Angleterre dans quelque vaste plan de politique européenne ; mais il cherche des amitiés, des rapprochemens, des alliances commerciales, et il se flatte sans doute que les illusions qu’il emporte dans ses voyages deviendront un jour ou l’autre des réalités.

Depuis que le régime des parlemens s’est établi plus ou moins dans la plupart des états de l’Europe, il y a bien des manières de le comprendre et de le pratiquer ; il y a même des manières de ne pas le comprendre du tout. Évidemment le régime parlementaire n’est ni en Allemagne ni en Autriche ce qu’il est en Angleterre. Les assemblées ont sans doute toujours leur importance parce qu’en définitive elles restent une dernière garantie pour les peuples ; elles n’ont pas la même puissance partout ni la même influence sur la politique générale, sur les affaires extérieures pas plus que sur les affaires intérieures. Elles n’ont qu’une action très limitée, à peu près insignifiante sur les ministères qui, à Vienne comme à Berlin, ne dépendent que des souverains et n’ont besoin d’une majorité que pour la forme, pour le décorum constitutionnel. Ce qui s’est passé depuis quelque temps en Autriche, ce qui vient de se passer ces jours derniers encore, est certes un des plus curieux spécimens de vie parlementaire dans ce vieil empire dévoré de luttes intestines entre des traditions disparates, des élémens multiples, des nationalités divergentes et le plus souvent ennemies.

Voilà douze ans déjà que le comte Taaffe est à Vienne le premier ministre de l’empereur François-Joseph, le chef habile et heureux du gouvernement dans cette partie de l’empire qu’on appelle la Cisleithanie. Il a passé ces douze années à n’avoir guère pour toute politique que l’art des subterfuges et des évolutions intéressées, affectant de n’être dans ses actes et dans ses discours ni Allemand, ni Slave, ni centraliste, ni fédéraliste, ni conservateur, ni libéral, s’étudiant à concilier Polonais, Allemands, Tchèques, Slovènes, pour tirer de cet amalgame des majorités artificielles et variables. Tout ce qu’on peut dire, c’est que dans cette première partie de sa carrière, sans avoir jamais une politique bien tranchée, il a paru toujours préférer à l’alliance des libéraux du centralisme allemand, l’appui des nationalistes modérés, des conservateurs et des catholiques. Il a réussi d’abord et même assez longtemps, puisqu’il est depuis douze ans aux affaires et qu’il a eu à traverser plus d’une crise. Il a fini cependant par épuiser ses combinaisons et ses tactiques, par se sentir exposé à n’avoir plus même une apparence de majorité dans son Reichsrath. Le compromis qu’il avait essayé de négocier l’an dernier entre Tchèques et Allemands, sur lequel il comptait pour prolonger son règne, venait de rencontrer en Bohême une invincible résistance. Lorsqu’il y a quelques mois, pour raffermir son pouvoir, il a voulu tenter la fortune du scrutin et renouveler son parlement par des élections décidées presque à l’improviste, il s’est bientôt aperçu que ces élections trompaient ses calculs, que la situation allait rester la même. Il n’y avait qu’une différence : c’est que les partis extrêmes revenaient plus forts dans le nouveau Reichsrath. Le chef du cabinet avait perdu les vieux Tchèques qui étaient ses alliés les plus sûrs et qui venaient d’être vaincus en Bohême par les jeunes Tchèques, plus impatiens dans leurs revendications nationales. Les élémens d’une majorité, comme il la voulait, manquaient de plus en plus au comte Taaffe dans le nouveau parlement. Qu’allait-il faire ? C’est ici que cet homme d’esprit a montré une fois de plus sa souplesse dans l’art des évolutions, et l’idée assez singulière qu’il se fait du régime parlementaire. C’est l’intérêt de cette session du Reichsrath, qui n’est pas encore achevée à Vienne, et qui compte déjà de curieux incidens.

Au premier moment, il y a bien eu quelques embarras : on craignait la confusion et la véhémence des discours à l’occasion des débats de l’adresse, et comme on voulait en finir au plus vite, on a tout simplement par un tour subtil supprimé la discussion ; on y a suppléé par les hommages très respectueux du Reichsrath que le président, le vieux M. Smolka, est allé porter en guise d’adresse à l’empereur. Le tour a été lestement joué ; mais ce n’était pas une solution ; les explications n’étaient qu’ajournées, et en attendant, la question essentielle, délicate, restait entière : comment le président du conseil allait-il se tirer d’affaire et se donner au moins une apparence de correction parlementaire ? Oh ! ce n’était pas difficile. Le comte Taaffe s’est éclairé depuis les élections ; il a tout examiné, il a négocié avec le comte Hohenwart, avec le comte Coronini, avec tous les chefs de partis ; il a vu qu’avec ses anciens alliés il ne pourrait pas arriver à avoir une majorité, et en opportuniste expert il a eu bientôt pris son parti. Dans les dernières sessions, il marchait avec les conservateurs, les nationalistes, les cléricaux, parce que tel était son intérêt ; aujourd’hui, par une volte-face soudaine, il va au-devant des chefs, du centralisme allemand, de M. de Chlumecki, de M. de Plener, à qui les Polonais viennent se joindre pour former une majorité nouvelle. Le chef du cabinet impérial avait déjà donné un premier gage aux Allemands en éloignant des affaires M. Dunajewski qui était l’objet de leur antipathie ; maintenant, il va plus loin, il cherche à les gagner en les flattant, il est prêt à accepter leur concours. C’est ce qui résulte de la discussion du budget qui s’est ouverte il y a quelques jours, où se sont succédé et le prince Schwarzenberg, un des chefs de l’aristocratie de Bohême, et le prince Lichtenstein, naguère encore clérical, aujourd’hui socialiste, antisémite, et les jeunes Tchèques. Tout le monde a parlé cette fois, mais le point caractéristique de cette discussion est l’alliance avouée, déclarée, acceptée, du chef du ministère avec les centralistes allemands.

Au fond, dans sa sphère, le comte Taaffe imite M. de Bismarck, qui a eu tour à tour pour alliés les conservateurs, les nationaux-libéraux, le centre catholique, les libre-échangistes, les protectionnistes, sans se croire obligé de quitter le pouvoir. Le premier ministre de l’empereur François-Joseph fait de même. Après cela, il ne faudrait pas s’y fier, et le comte Taaffe, comme M. de Bismarck, est peut-être pour ses nouveaux alliés ce qu’il a été pour les anciens. Il ne leur promet pas une fidélité éternelle ; mais il fait face aux circonstances, — et c’est ainsi que le régime parlementaire triomphe en Autriche !

Tout ne se passe pas aussi aisément en Angleterre, pays de vieilles traditions parlementaires, de vieilles libertés et de vieilles mœurs, où la responsabilité n’est pas un vain mot, où les partis, les ministères, les princes eux-mêmes sont sous le contrôle incessant de l’opinion. Pour le moment il y a deux faits dans cette vie anglaise. Il y a d’abord la position du ministère conservateur qui reste aux prises avec de singulières difficultés et entre peut-être de plus en plus dans la phase critique.

On ne peut pas dire que rien soit changé, que le ministère de lord Salisbury soit menacé d’une fin prochaine. Il n’y a pas moins un mouvement sensible, régulier, persistant, qui semble s’accentuer à mesure qu’on approche du renouvellement de la chambre des communes. Dans presque toutes les élections partielles, depuis quelque temps, les victoires de l’opposition se succèdent. Les libéraux gardent leurs positions ou gagnent des sièges sur les conservateurs. Récemment encore, le même phénomène s’est reproduit à Paisley, et si M. Gladstone, malgré son grand âge, garde assez de force pour conduire son parti au scrutin, il a des chances pour clore sa carrière par un dernier succès. Lord Salisbury n’est peut-être pas sans se préoccuper du danger de ce mouvement croissant d’opinion, sans s’inquiéter de ce point noir. Si le ministère tory a encore assez d’autorité pour vivre ; si, dans les affaires d’Irlande, il est toujours sûr d’avoir sa majorité, comme il l’a eue récemment pour le rachat des terres ; si, dans les affaires extérieures, il peut se tirer d’embarras en se dérobant, en ne disant que ce qu’il veut dire, il n’a pas moins une vie laborieuse jusque dans le parlement. Toutes les fois qu’il essaie d’aborder des questions délicates, il sent sa faiblesse. Il a voulu dernièrement, pour entrer, lui aussi, dans le mouvement social, affecter un excédent budgétaire à l’établissement de l’instruction gratuite. Malheureusement, il n’a réussi qu’à mettre en défiance les conservateurs, ses amis, et les libéraux qui l’accusent, — les uns de ne tenter qu’une réforme équivoque, les autres de porter atteinte à l’influence de l’Église. Il a proposé un bill sur le travail des manufactures, et, de peur de blesser les industriels du Lancashire, du Yorkshire, oubliant les engagemens qu’il avait pris à la conférence de Berlin, il avait évité de rien innover au sujet de l’admission des enfans. De grands manufacturiers, libéraux ou conservateurs, M. Sidney Buxton, M. William Houldsworth, ont proposé un amendement par lequel les enfans ne peuvent être admis au-dessous de l’âge de onze ans dans les manufactures. Vainement le ministre de l’intérieur, M. Matthews, a résisté : l’amendement Buxton-Houldsworth a été voté. Ce qui a ajouté à la défaite du ministère, c’est qu’un des sous-secrétaires d’État, homme d’esprit, qui s’est distingué depuis quelque temps par des discours embarrassans et qui a représenté l’Angleterre à la conférence de Berlin, sir John Gorst, ami de lord Randolph Churchill, s’est abstenu dans le vote. Ce n’est donc pas une situation des meilleures pour le ministère. C’est là un premier fait ; mais il y a un autre fait qui a occupé depuis quelques jours l’Angleterre : c’est la mésaventure survenue au prince de Galles à l’occasion d’une triste affaire de jeu où s’est trouvé compromis un officier de l’armée, brillant soldat d’ailleurs des guerres du Soudan, sir William Gordon Cumming.

Qu’est-ce que cette méchante histoire ? La vérité toute simple, toute nue, c’est que dans un château appartenant à des parvenus d’une renommée douteuse, où il y avait brillante compagnie et où se trouvait le prince de Galles lui-même, sir William Gordon Cumming a été surpris trichant au jeu. Le prince de Galles a voulu, non pas innocenter un coupable, mais ménager une retraite à un ancien ami et éviter le scandale. Malheureusement le secret n’a pas été bien gardé. Le prince n’a pas réussi à étouffer l’affaire, et il est resté lui-même exposé aux interprétations malveillantes. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à la suite d’une série de péripéties, sir William Gordon Cumming, après avoir tenté de se débattre contre les bruits accusateurs, a été puni de ses tricheries et que le prince de Galles s’est vu assailli par tous les rigoristes puritains qui l’ont accusé de vivre dans un monde équivoque, de courir les tripots, d’être perdu de mœurs et de dettes. Le ministère lui-même, interpellé dans le parlement, s’est vu obligé d’avouer que le prince avait commis une « erreur de jugement » en essayant, lui feld-maréchal, de dérober un officier déshonoré aux sévérités de ses chefs. L’héritier de la reine Victoria a passé un mauvais moment. Les Anglais sont en vérité assez singuliers et même peu logiques dans leurs rigueurs : ils prétendent interdire à leur futur souverain la plus simple immixtion dans la politique, et ils s’étonnent qu’un prince qui ne peut pas s’occuper d’affaires sérieuses se laisse entraîner parfois dans des aventures légères ! heureusement le loyalisme britannique a été en d’autre temps soumis à de bien autres épreuves, et il a survécu. Il a peut-être déjà pardonné au prince de Galles, mettant d’accord son rigorisme et son intérêt. Il ne faudrait pas croire cependant que des affaires de ce genre, si elles se renouvelaient trop souvent, soient sans péril, et qu’au temps de démocratie ascendante où nous vivons elles soient bien propres à relever ou à maintenir le prestige des couronnes.

CH. DE MAZADE.


LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE.




La rente française 3 pour 100 a détaché le 16 courant son coupon trimestriel sur le cours de 95.85, le prix ressortant ainsi à 95.10. Pendant toute la seconde quinzaine du mois, le 3 pour 100 ne s’est plus éloigné de ce niveau que de 10 à 15 centimes en hausse ou en réaction. Le plus haut cours coté a été 95.22, puis des réalisations sont survenues dans la dernière semaine et la rente a fléchi jusqu’à 94.95, mais pour se relever bientôt à 95.12. Les transactions ont été très peu actives, et les cours du comptant ont indiqué un certain ralentissement des achats de la Caisse des Dépôts et Consignations.

Ces achats restent le grand facteur de la situation de notre marché. Depuis le dépôt, sur le bureau de la chambre, du rapport rédigé par M. Aynard au nom de la commission chargée d’examiner les propositions émanant du gouvernement et de l’initiative privée relativement à la réforme des caisses d’épargne, il ne peut plus échapper à personne que les achats effectués par la Caisse des Dépôts et Consignations, pendant ces deux dernières années, ont faussé le marché des fonds français, et, par voie de conséquence, celui de la grande généralité des valeurs.

« Rien ne s’élève et ne s’agrandit impunément, dit ce rapport, et c’est précisément en raison des immenses progrès accomplis par les caisses d’épargne, que les problèmes les plus compliqués se posent à leur égard ; ils sont plus graves en France que partout ailleurs, en raison de la concentration énorme et croissante des capitaux d’épargne entre les mains de l’État, qui les emploie en valeurs de l’État. De ce côté, une double question se présente : l’État est-il en mesure de rembourser les capitaux exigibles à vue qu’on lui confie, et l’emploi qu’il en fait est-il le plus profitable pour le développement de la richesse du pays ? »

À la première question, le rapport répond nettement par la négative : « D’après les précédens de 1848 et de 1870, il est évident que l’État se trouve dans l’impossibilité absolue de rembourser à vue les capitaux des caisses d’épargne. » Là est le grand danger de la situation, et il est inexplicable que le parlement n’en soit pas frappé au point de chercher à y parer, toute affaire cessante. « Il y a là, dit encore le rapport, une question grave, terrible, qui ne s’est jamais présentée avec une pareille importance dans nos grandes secousses antérieures et qui mérite les plus profondes réflexions. »

On peut mesurer la grandeur du péril en songeant que l’Etat, qui devait aux caisses d’épargne 354 millions en 1848 et 633 millions en 1870, leur en doit aujourd’hui 3 milliards 373 millions, et que, si rien n’est modifié dans la législation qui régit les caisses d’épargne et la Caisse des dépôts et consignations, on peut prévoir que, dans dix ou quinze années, cette dernière caisse aura à gérer, en sommes appartenant au public déposant et remboursables à vue, le total formidable de 6 à 8 milliards.

Ce sont les achats de la Caisse des Dépôts et Consignations, bien plus que le développement de la richesse publique ou la perspective d’une longue paix, qui ont porté la rente 3 pour 100 à 95 francs et modifié, par ce seul fait, le taux de capitalisation de toutes les valeurs. Or ce résultat a été obtenu par une déviation complète des règles qui devraient régir le marché financier, c’est-à-dire par la suppression de la loi de l’offre et de la demande. D’après les termes mêmes du rapport, l’intervention, sur le marché de notre rente nationale, de cet acheteur perpétuel qui s’appelle la Caisse des Dépôts et Consignations, a exercé une influence heureuse sur le crédit public et a contribué à l’amener au point qu’il occupe aujourd’hui, c’est-à-dire le plus haut qu’il ait jamais atteint. On est, d’un autre côté, en droit de se demander quelle influence exercerait sur le crédit l’intervention de ce même mécanisme, transformé en vendeur perpétuel, le jour où une crise provoquerait de la part des déposans des retraits assez importans pour faire pencher la balance dans le sens des remboursemens, devenus plus considérables que les dépôts nouveaux.

Il semble que, dans ces derniers temps, le sentiment du péril que recèle la situation actuelle ait commencé à pénétrer dans l’opinion publique. D’une manière générale, on estime que toutes les valeurs sont arrivées à des prix qu’elles ne peuvent plus que difficilement dépasser, et que, pour un grand nombre de titres, ces prix sont dès maintenant excessifs, quoi que l’on puisse arguer de l’abondance incontestable des capitaux disponibles et de la diffusion de la richesse.

Depuis le milieu du mois, malgré l’abaissement du taux de l’escompte à Londres à 3 pour 100 et une affluence d’or sans précédent aux banques d’Angleterre et de France, les prix des fonds d’État ont peu varié. Mais si la rente française s’élève en liquidation par suite d’une nouvelle capitulation forcée des vendeurs, le reste de la cote sera encore entraîné, en quelque méfiance que des incidens récens doivent engager à tenir désormais des fonds comme la rente 4-34 pour 100 d’Italie, le 4 pour 100 extérieur d’Espagne et le 3 pour 100 portugais.

Le 3 pour 100 français est donc aujourd’hui à 95.12 comme il y a quinze jours, ex-coupon de 0 fr. 75 détaché. L’emprunt, sur lequel un versement de 140 millions devra être effectué le mois prochain, a reculé de 0 fr. 10 à 93.75, l’Amortissable est au même cours, à 0 fr. 05 près, 95.95, le 4 1/2 a fléchi de 0 fr. 17 à 105.17.

Bien que les efforts du ministre des finances du Portugal pour trouver les fonds nécessaires au paiement du coupon de juillet de la dette 3 pour 100 aient abouti in extremis, ce fonds d’État, qui avait si vivement repris sur les cours de panique du mois dernier, a rétrogradé de deux unités de 48 à 46. Les Cortès ont voté sans discussion toutes les propositions financières du cabinet et la loi de finances pour 1891-92.

Les propositions de M. Marianno de Carvalho comprennent l’établissement du monopole des allumettes et de celui des alcools, la réorganisation de la Banque du Portugal, l’adoption du double étalon monétaire, le paiement en rentes des entrepreneurs et des sociétés jouissant de garanties, enfin des économies. La rumeur qui prêtait au gouvernement l’intention de vendre quelques-unes des colonies a été démentie.

L’Extérieure est restée immobile à 74. La chambre des députés à Madrid a voté le projet de loi étendant à 1,500 millions de pesetas la circulation fiduciaire de la Banque d’Espagne et prorogeant le privilège de cet établissement. Ce projet est actuellement en discussion au sénat, où il se heurte à une très vive opposition.

La rente italienne s’est élevée de 93.77 à 94.15, puis a été ramenée à 93.75, sous la fâcheuse impression produite par les deux dernières séances du parlement du royaume. La situation financière demeure fort peu satisfaisante. Les ministres ont réalisé des économies pour 45 millions environ, mais les recettes ont diminué dans une proportion presque égale par rapport aux évaluations, de sorte que le gouvernement se trouve aux prises avec le même déficit sans pouvoir trouver d’économies nouvelles.

Le rouble a constamment fléchi depuis le milieu du mois, l’insuffisance probable de la récolte en Russie devant déterminer de grands achats au dehors. Les fonds russes ont reculé d’une demi-unité, le 4 pour 100 1880 de 98.50 à 98 et le Consolidé de 99 à 98.50. L’opération de conversion du second emprunt oriental 5 pour 100 en obligations 4 pour 100 devait avoir lieu en juin ; l’opération a été ajournée. Le 4 pour 100 hongrois a été ramené de 93 à 92 3/4.

Le groupe des valeurs ottomanes a faibli très sensiblement, le 1 pour 100 de 18.87 à 18.55, la Banque ottomane de 598.75 à 582.50, l’obligation douanes de 465 à 460, les Tabacs de 352.50 à 348.75. L’assemblée générale des actionnaires de la Banque ottomane, tenue à Londres le 24 courant, a fixé le dividende de 1890 à 17 fr. 50. Il n’avait été réparti que 12 fr. 50 pour 1889.

Une forte réaction s’est produite sur les obligations helléniques 5 pour 100 qui, de 455, cours du 13 juin, ont été précipitées à 425. Les rentes brésiliennes se sont brillamment relevées, à 75.50 le 4 pour 100 et 80.50 le 4 1/2, à cause de l’amélioration du change déterminée par la perspective d’une très belle récolte de cafés.

La Banque de France a fixé le dividende de ses actions, pour le premier semestre de 1891, à 85 fr. net, chiffre supérieur de 8 fr. à celui de la même période de 1890. L’abaissement du taux de l’escompte à Londres a déterminé, au moment du détachement du coupon, quelques ventes qui ont fait perdre une cinquantaine de francs à l’action. Celle-ci, de 4,535, a fléchi à 4,395 ex-coupon.

Les difficultés qui avaient retardé la constitution définitive de la nouvelle Société de dépôts ont été aplanies. Les administrateurs désignés sont MM. Devès, Méliodon, Mercet et Chalvet.

L’assemblée générale de la Banque d’escompte, tenue le 27, a décidé la réduction du capital actuel de la société, qui est de 65 millions, représentés par 130,000 actions libérées de 250 francs, à 25 millions, représentés par 50,000 actions libérées de 500 francs.

Le Suez a été poussé par la spéculation au-dessus de 2,800 et finit encore à 2,790.

Les actions de la Compagnie royale des chemins de fer portugais ont reculé de 277.50 à 237.50. Pendant quelques années, cette société ne pourra distribuer aucun dividende à ses actionnaires, et, même en ce moment, elle éprouve une grande difficulté à trouver les fonds nécessaires pour le paiement du coupon de juillet sur ses obligations. Dans l’assemblée générale, tenue il y a peu de jours, le conseil d’administration a donné sa démission, et l’assemblée a approuvé le transfert au Nord de l’Espagne de l’exploitation des lignes de Madrid-Cacèrès et de l’Ouest de l’Espagne.

La Compagnie des omnibus a vu ses titres reculer de nouveau après le succès de la grève ; la réaction, pendant la quinzaine, a été de 75 francs. Les actionnaires, dans l’assemblée du 4 juillet, apprendront sans doute quels sacrifices leur imposent les concessions que la Compagnie a dû faire à son personnel.


Le directeur-gérant : CH. BULOZ.