Chronique de la quinzaine - 30 septembre 1834

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Chronique no 60
30 septembre 1834


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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30 septembre 1834.


La magnificence de la saison éloigne encore pour quelque temps les affaires. La cour voyage, les ministres se promènent ou se marient, les chambres sont absentes, et en France comme en Angleterre, les hommes d’état, les juges, et tous ceux qui dépendent du pouvoir prennent leurs vacances. Aussi, faute d’évènemens, le seul fait intérieur qui a eu lieu pendant cette quinzaine a occupé toute la presse, nous parlons de la nomination de M. Decazes à la dignité de grand référendaire de la chambre des pairs. Nous ne répéterons pas toutes les suppositions qui ont été faites là dessus.

La seule circonstance qui méritait d’être remarquée dans cette nomination, c’est la manière dont elle s’est faite. L’ordonnance qui nommait M. Decazes en remplacement de M. de Sémonville, et celle qui instituait vice-présidens de la chambre des pairs, MM. Portalis, de Broglie et Molé, étaient contresignées par M. Persil. De tout temps, la chambre des pairs a été dans les attributions spéciales du président du conseil des ministres. Cette innovation est un empiétement.

Cette petite usurpation se rattache à une pensée d’une plus haute importance. M. de Sémonville, homme trop entendu pour commettre une faute contre les convenances, avait officiellement adressé au maréchal Gérard sa démission, dont nous ne voulons pas rechercher les causes. D’accord avec le roi, le maréchal se rendit le lendemain au château, et apporta, déjà contresignée par lui, l’ordonnance qui nommait le duc Decazes. Le roi y apposa sa signature.

M. Persil arriva quelques momens après, avec l’ordonnance qui nommait les vice-présidens. Le roi lui fit remarquer que les deux ordonnances, étant relatives à la chambre des pairs, devaient être contresignées par le même ministre, et pria le maréchal de s’arranger avec M. Persil. Il y eut un débat. Le maréchal soutint son droit, M. Persil allégua quelques ordonnances de ce genre contresignées par M. Barthe, sous le ministère du maréchal Soult, et finit par l’emporter à force de faconde. Le maréchal, qui tient peu à ses attributions, consentit, de guerre lasse, à laisser à M. Persil les rapports directs avec la chambre des pairs, que le ministre de la justice avait tant à cœur de retenir.

Le but de M. Persil, en retenant les pairs sous sa main, c’était d’avoir plus d’influence dans la discussion qui s’ouvrira encore prochainement au sujet de l’amnistie. Dans ses rapports avec la pairie, M. Persil espère convertir quelques membres de la chambre haute qui se sont déjà prononcés plusieurs fois ouvertement en faveur de cette mesure, et entre autres M. Decazes et M. Pasquier, qui n’ont cessé, depuis plusieurs mois, de la réclamer avec instance. Il importe tant à M. Persil que l’amnistie n’ait pas lieu, qu’il a offert sa démission, si la majorité du conseil faisait adopter cette mesure. On ne peut se figurer avec quel acharnement M. Persil s’oppose à l’amnistie. Dans le conseil, il a invoqué tour à tour la chambre qui va s’assembler, la magistrature, et jusqu’à la garde nationale, qui, disait-il, s’y opposerait les armes à la main. M. Persil déclare avec effroi que le salut de la France dépend de la rigueur qu’on montrera ; il voit le pays perdu, et la fortune publique compromise, si une centaine de malheureux détenus ne continuent pas de pourrir dans les prisons.

Pour mieux faire triompher son opinion, M. Persil en avait appelé, il y a peu de jours, à M. Dupin, qui est absent, et dont les vues politiques sont fort équivoques, comme chacun sait. Personne n’osa contredire M. Persil devant le conseil, car qui pouvait savoir ce que M. Dupin pensait la veille et ce qu’il penserait le lendemain ? On voulut cependant s’assurer de l’opinion du président de la chambre, on écrivit à Clamecy, dans tous les vignobles de la Bourgogne où M. Dupin goûte en ce moment le vin nouveau, et l’on apprit bientôt que M. Dupin ne mettait pas d’empêchement à la clémence royale, si clémence il y a toutefois.

La garde nationale, consultée, répondrait sans doute aussi de la sorte, au risque de voir M. Persil et M. Thiers donner leur démission, car M. Thiers, qui, dans son voyage à Dieppe, a fait beaucoup de caresses à quelques hommes de l’opposition anti-dynastique, M. Thiers est, avec M. Persil, l’un des verrous qui ferment en ce moment les portes des cachots sur les imprudentes victimes de cette opinion.

On assure au reste que le président invisible du conseil, cédant à une bénigne influence, s’est relâché de l’inflexibilité qu’il avait toujours montrée depuis quatre ans, lorsqu’il avait été question des détenus politiques, et qu’il a parlé de remettre l’amnistie générale jusqu’à l’époque du mariage d’un prince ou d’une princesse de la famille royale ; comme si nous vivions dans un temps où les actes politiques peuvent dépendre de pareilles circonstances. Il est certain toutefois, soit que les princes se marient, soit que M. Persil reste ministre, que la cour des pairs se déclarera compétente, si les accusés sont traduits devant elle. La chambre des pairs aurait l’occasion de prendre un beau rôle en cette circonstance, si elle prononçait elle-même judiciairement l’amnistie.

Le refus de M. Molé d’accepter la vice-présidence de la chambre des pairs qui lui était offerte, a causé un léger trouble au château. M. Molé avait adressé, à ce sujet, une lettre au Moniteur dont on a refusé l’insertion. Il paraît que M. Molé trouvait avec raison qu’il ne lui convenait pas d’être placé comme vice-président en quatrième ligne, après M. de Portalis et M. de Broglie. Les dissentimens qui existent entre M. Guizot et M. Molé expliquent encore mieux le refus de ce dernier.

Le ministère constitue les chambres en attendant que les chambres constituent le ministère. Il est question de rapprocher l’époque de leur convocation ; c’est un acte généreux de la part des ministres qui rapprochent ainsi pour la plupart l’époque où cesseront leur fonctions. Jusqu’à ce moment, le ministère se traînera sans doute tel qu’il est, à moins que le maréchal Gérard n’ait la velléité de remplir les fonctions que lui donne son titre, et de se dérober à la tyrannie de M. Thiers et de M. Persil. Mais il est peu probable que le maréchal Gérard, tout vaillant soldat qu’il soit, se décide à cet acte de courage.

La nomination de M. Rivet, ancien préfet du Gard, à la direction politique du cabinet du ministère de l’intérieur, va, dit-on, entraîner quelques changemens dans ce ministère. On parle de le diviser en quatre grandes directions : les chefs de division travailleraient avec les directeurs qui prendraient seuls les ordres du ministre, et termineraient les affaires sans sa signature. Dans cette nouvelle répartition, M. de Guizard, qu’on dit rempli de vues très droites, aurait sous sa direction les travaux et les théâtres. Cette mesure aurait pour but d’accélérer les décisions, et de les rendre indépendantes des absences ou des occupations du ministre ; en ce sens, elle serait une véritable amélioration.

L’arrivée de l’ambassadeur turc, et le départ de M. Sébastiani pour Naples, tels sont les grands événemens diplomatiques qui ont eu lieu dans la dernière quinzaine de ce mois. M. Sébastiani va, dit-on, traiter du mariage d’une princesse avec le frère du roi de Naples ; mais le fait est que sa présence à Paris devenait importune, et que la manie qu’il a de vouloir rentrer au ministère des affaires étrangères où il a laissé de si misérables souvenirs, fatiguait tous ses amis du château. Peut-être aussi M. Sébastiani a-t-il jugé à propos de s’éloigner à l’arrivée de Moustapha-Rechid, dont l’interprète, ancien drogman de la Porte, passe pour savoir, sur l’ambassade de M. Sébastiani, d’étranges histoires qui pourraient faire suite à la lettre que la Revue des Deux Mondes a publiée sur ce grand général.


— Une phrase de l’article de M. Sainte-Beuve sur M. Ballanche, inséré dans notre dernier numéro, a donné lieu à une réclamation fort vive, à propos de laquelle nous croyons devoir donner quelques explications.

En parlant des systèmes philosophiques et religieux que M. Ballanche avait, pour ainsi dire, côtoyés sans y entrer, et des penseurs contemporains qu’il avait visités à diverses époques sans se faire leur disciple, on disait :

« Il (M. Ballanche) lut les Neuf Livres de Coëssin dès 1809 ; et dans un voyage qu’il fit à Paris, il visita ce prophète d’une époque pontificale ; mais l’esprit envahissant du sectaire le mit d’abord sur ses gardes, M. Ballanche voulait avant tout rester lui-même. »

M. Coëssin a adressé à ce sujet à l’auteur de l’article une lettre dont il réclamait l’insertion textuelle, et sans aucune addition, changement ou retranchement, dans notre plus prochain numéro. Notre impartialité nous eût fait un devoir d’accéder à cette demande, si quelques passages et expressions de la lettre ne nous avaient paru d’une convenance contestable par rapport à l’auteur de l’article, à M. Ballanche, et au recueil que nous dirigeons.

Quant au fond même et à l’objet spécial de la lettre, nous eussions d’autant plus souhaité satisfaire M. Coëssin, que le mot sur lequel portait directement sa dénégation formelle et positive, le mot de sectaire, n’avait pas, dans la pensée de l’auteur de l’article, le sens selon lequel M. Coëssin en désavoue l’application à lui-même.

L’auteur de l’article croit devoir déclarer qu’il n’a nullement voulu dire, en employant l’expression de sectaire, que M. Coëssin fût sectateur ou fondateur d’une secte quelconque condamnée par l’Église, ce qu’il ignore tout-à-fait.

Il a simplement voulu, par cette expression, désigner l’ardeur et le prosélytisme d’un homme qui a formé autour de lui un groupe religieux dont la direction lui appartient.

Qu’après cela cette expression de sectaire implique avec elle l’idée défavorable d’un zèle erroné, excessif, d’un zèle qui s’exerce à côté de la vérité ; que le sens général de la phrase indique cette intention chez l’écrivain, c’est ce qui est hors de doute. Mais en s’exprimant de la sorte, au sujet de l’auteur des Neuf Livres et des Bulletins des enfans de Dieu, M. Sainte-Beuve n’a fait que porter un jugement que M. Coëssin est dans son droit de ne pas adopter, qui peut être admis ou rejeté ou discuté, mais un jugement qui rentre dans le droit commun de la presse et de la liberté d’examen.

Lundi matin. — La note précédente était écrite lorsque de nouvelles démarches, faites au nom de M. Coëssin, et d’une espèce toute différente des premières, nous obligent à des explications nouvelles. Nous maintenons pourtant ce qui était écrit pour prouver jusqu’où allait notre désir d’impartialité et de rectification.

Les réclamations de M. Coëssin, durant cette affaire de la quinzaine, se firent par lettres qu’apportait quelqu’un de ses disciples ; car le maître ne parut pas. Le premier envoyé se conduisit avec beaucoup de politesse et des formes parfaites de convenance. Mais il arriva bientôt au nom de M. Coëssin une autre personne d’une trentaine d’années environ, à la parole impétueuse, M. A. de Beauterne. Le nouvel envoyé commença par tâcher d’être poli ; mais l’indignation violente qu’il éprouvait de la phrase écrite sur son maître le poussait aisément hors des bornes. Le ton de sa demande devenait très vite un ton d’injonction, de sommation, et cela s’entremêlait de parenthèses assurément fort permises, sur les vertus éminentes de M. Coëssin. Quoique s’annonçant pour traiter l’affaire à l’amiable, M. A. de Beauterne n’avait pouvoir pour modifier en rien les termes de la première lettre de M. Coëssin, et il exigeait l’insertion pure et simple. Lui ou le précédent envoyé avait commencé par expliquer, au nom de M. Coëssin, comment cette expression de sectaire était fâcheuse, et quels graves effets elle pouvait entraîner, par exemple, de faire entendre que M. Coëssin était hors de l’orthodoxie de l’Église, de faire refuser la communion à ses disciples qui communiaient chaque semaine, d’alarmer en province les familles dont les fils étaient chez M. Coëssin. Puis, tout aussitôt après ces considérations presque touchantes et pieuses, venaient des menaces couvertes et une perspective de duel jetée çà et là. M. de Beauterne, n’ayant pas d’abord rencontré M. Sainte-Beuve, lui annonça sa visite pour dimanche neuf heures du matin. L’entretien eut lieu au bureau de la Revue des Deux Mondes : M. de Beauterne arriva seul ; les personnes présentes d’ailleurs étaient, outre M. Buloz et l’un des rédacteurs habituels de la Revue, M. P. Leroux de la Revue Encyclopédique et M. le docteur Paulin. Sans entrer dans les détails de cette conversation sur lesquels le témoignage des personnes assistantes pourrait être invoqué, M. de Beauterne y fut tel qu’il s’était montré dans les précédens entretiens avec le directeur de la Revue, commençant d’abord par un effort évident pour être poli, et s’exaltant bien vite, grâce à son imagination abusée, jusqu’à des paroles véritablement violentes, tellement que M. Sainte-Beuve dut rompre un entretien qui n’avait plus de solution ni de but. Quelques heures après, M. de Beauterne adressait une demande en réparation à M. Sainte-Beuve pour la manière dont celui-ci avait cru devoir rompre l’entretien, et aussi à cause de l’atroce calomnie dirigée par lui contre M. Coëssin, avec lequel M. de Beauterne déclare ne faire qu’un. M. Sainte-Beuve a refusé nettement cette satisfaction à M. de Beauterne, et il persiste à voir dans l’affaire qui a tant ému le disciple de M. Coëssin, un point de liberté de presse et de droit d’examen philosophique. Nous n’avons aucunement lieu de craindre le résultat devant les tribunaux, si l’affaire s’y porte. La conduite même du disciple de M. Coëssin nous est acquise comme la meilleure pièce justificative de la phrase contestée et de l’expression sectaire, dans le sens évident où elle a été prise. À une époque d’ailleurs où tous les noms sont remis au ballottage, où toutes les réputations se refont, se défont, se contestent, où tous les systèmes se combattent et se portent défi, où la gloire, le génie, la vertu, tout ce qu’il y a de plus honoré, est chaque jour rentraîné en cause, il serait par trop extraordinaire qu’un homme seul, un auteur qui a écrit des livres, prétendît faire exception à la destinée commune ; que cet homme ne voulût qu’on parlât de lui qu’en un certain sens. La raison du public et celle des tribunaux, si on les invoque, feront justice de cette prétention.

Mardi soir. — De nouvelles demandes en réparation sont adressées à M. Sainte-Beuve au sujet du même article, si pacifique en apparence, sur le pacifique M. Ballanche. Ces demandes en réparation, venant d’ailleurs d’hommes fort honorables, mais abusés, ne vont à rien moins qu’à transformer la question en une affaire politique, et M. Sainte-Beuve est accusé d’avoir insulté dans son article à des sentimens nationaux et patriotiques, chers à tous les cœurs généreux. M. Sainte-Beuve répondra à loisir à ces nouvelles attaques, il y répondra de la seule manière que sa conscience lui dicte, c’est-à-dire avec sa plume. Il se croit plus que jamais dans une position de droit et de conscience qu’il n’est pas au pouvoir d’hommes même les plus honorables, mais abusés, d’entamer et de flétrir.


M. Jules Sandeau vient de débuter heureusement. Madame de Sommerville[1] est un récit très simple, inventé naturellement, et d’un style très pur. La fable et les épisodes du roman s’enchaînent sans effort. Chose rare en ce temps-ci ! dans le volume entier, il n’y a pas trois pages inutiles. C’est un grand mérite assurément : nous reparlerons de ce livre.


  1. Un vol. in-8o, chez Henri Dupuy, rue de la Monnaie.