Chronique de la quinzaine - 30 septembre 1846

La bibliothèque libre.

Chronique no 347
30 septembre 1846


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


Séparateur


30 septembre 1846.


Nous voudrions, au milieu des élémens divers et de tous les incidens dont se compose la question d’Espagne, démêler et établir le vrai. Peu d’affaires diplomatiques ont fait autant de bruit que ce double mariage, qui a surtout soulevé les vivacités de la presse anglaise. Quelle explosion de clameurs et de récriminations ! Cependant il ne saurait être donné à la polémique, si ardente qu’elle soit, de faire prendre le change sur le fond des choses aux esprits sérieux et de bonne foi. Laissons donc de côté tout ce que la passion et la fantaisie ont pu imaginer pour ne considérer que les faits. Les filles de Ferdinand VII épousent deux Bourbons, dont l’un est Espagnol et l’autre Français. Y a-t-il là quelque chose d’alarmant pour l’équilibre européen ? Sur le continent, cette nouvelle n’a produit aucune rumeur. Les cabinets de Vienne, de Berlin et de Saint-Pétersbourg, qui n’ont pas encore reconnu le gouvernement de la reine Isabelle, restent spectateurs silencieux. Ils n’ont pas qualité pour intervenir dans des négociations matrimoniales qui d’ailleurs ne les blessent en rien ; ils regardent, ils attendent, ils semblent même mieux disposés à reconnaître le gouvernement de la jeune reine. L’Angleterre a naturellement une autre attitude : elle a contribué, avec la France, à établir, à consolider l’ordre de choses qui depuis treize ans existe en Espagne. La France et l’Espagne devaient donc, dans des limites raisonnables, prendre en considération ce qui pouvait convenir au cabinet de Londres, ce qui pouvait lui déplaire. Il nous semble qu’il a été satisfait à cette obligation largement le jour où la France a renoncé à donner un mari à la reine d’Espagne. Ce jour-là, on a été bien au-delà du traité d’Utrecht. On pouvait, en effet, sans violer ni l’esprit ni la lettre de ce traité célèbre, céder aux vœux des Espagnols, qui appelaient, il y a quelques années, M. le duc d’Aumale, pour recevoir la main de la reine Isabelle. On ne l’a pas fait ; mais, pour cela, avait-on renoncé à toute alliance entre les Bourbons de France et d’Espagne ? Toute union était-elle désormais impossible entre les princes et les princesses des deux maisons ? C’est ce qu’il faut soutenir, si l’on veut trouver quelque fondement aux accusations de la presse anglaise. Il y a plus d’un siècle qu’après une longue lutte il a été convenu entre les puissances de l’Europe que le petit-fils de Louis XIV et ses descendans occuperaient légitimement le trône d’Espagne, et c’est alors qu’il fut posé en principe qu’en aucun cas les couronnes de France et d’Espagne ne seraient réunies sur la même tête. Des renonciations réciproques, faites solennellement tant à Madrid qu’à Versailles, sanctionnèrent cette condition fondamentale du traité d’Utrecht. C’est tout ce que voulait alors l’Angleterre ; aussi, dès qu’elle eut la conviction que Louis XIV consentait sincèrement à la séparation perpétuelle des deux monarchies, elle travailla activement à la pacification générale. Dès le commencement des négociations, la reine Anne avait dit au plénipotentiaire français : « Je n’aime point la guerre, et je contribuerai de tout mon pouvoir à la terminer au plus tôt. » Aujourd’hui tout le monde pense comme la reine Anne ; personne n’aime la guerre. Il serait vraiment étrange que, dans cette disposition commune à tous les esprits, notre gouvernement se fût abandonné à une témérité qui pût compromettre la paix.

La France reste donc fidèle à l’esprit des anciens traités ; elle a le droit de son côté, quand elle donne un de ses princes pour époux à la sœur de la reine Isabelle. Maintenant était-il d’une meilleure politique de se montrer indifférent dans une semblable affaire, d’abandonner au hasard ou à l’action de l’Angleterre la question du double mariage ? Nul ne le pensera. La France trouvait dans le mariage de la reine Isabelle et de l’infante une occasion naturelle d’assurer en Espagne son influence, ou plutôt de l’y rétablir, et cela d’une manière qui n’avait rien de blessant pour les justes susceptibilités d’une nation généreuse. Il ne s’agissait ici ni de conquête ni d’intervention armée. C’étaient précisément ces allures violentes qui, depuis le commencement du siècle, nous avaient aliéné l’Espagne. Napoléon ne déserta pas les traditions de Louis XIV ; mais, tombant dans une de ces exagérations qui le perdirent, il voulut faire d’un de ses frères un autre Philippe V, et il eut l’inexcusable tort d’offenser gravement la nationalité espagnole, qui se vengea en lui portant de terribles coups. En 1823, la branche aînée des Bourbons crut devoir intervenir à main armée dans les affaires intérieures de la Péninsule, et, avec quelque modération que se conduisissent nos soldats au-delà des Pyrénées, leur présence, tout en triomphant des ennemis de Ferdinand VII, ne nous ramena pas les esprits. N’avons-nous pas vu, dans ces dernières années, Espartero chercher sa popularité dans une hostilité systématique contre la France ? La reine Christine et le parti modéré s’étaient appuyés sur l’influence française ; il chassa d’Espagne la reine Christine et proscrivit les modérés. Que devait donc se proposer notre politique, sinon de reconquérir tout le terrain que nous avions perdu, et de consolider l’union des deux pays ? Pour y parvenir, quelle occasion plus favorable que le double mariage de la reine et de sa sœur ? Certains politiques parlent avec mépris des mariages des princes et de l’alliance des maisons royales. Il faudra néanmoins, tant que l’Europe ne sera pas changée, tant qu’elle sera monarchique et gouvernée par d’anciennes dynasties, reconnaître à ces mariages, à ces alliances, une valeur, une portée. Dans l’état actuel des affaires, notre influence en Espagne n’eût-elle pas été irréparablement compromise, si la diplomatie de lord Palmerston eût triomphé, si un prince de Cobourg eût épousé la reine Isabelle ? Le gouvernement français a su échapper à une aussi triste disgrace. En vérité, ce n’est pas dans un cas pareil que nous aurons pour lui des paroles de blâme.

Il y a plus, l’Angleterre elle-même, lorsque son gouvernement était animé du désir sincère de maintenir l’entente cordiale, a reconnu l’intérêt et le droit qu’avait la France de porter toute son attention, toute sa sollicitude, dans la question du mariage de la reine Isabelle et de sa sœur. Il importe, pour éclairer tout ce débat, de se remettre en mémoire qu’à l’époque où lord Aberdeen accompagna au château d’Eu la reine Victoria, il y eut entre lui et M. Guizot de sérieuses conversations sur les affaires d’Espagne. On se fit de part et d’autre des concessions. En ce qui touchait le mariage de la reine Isabelle, l’Angleterre renonçait à présenter un Cobourg, et la France le duc de Montpensier. Il était convenu que la jeune reine épouserait un descendant de Philippe V. Quant au second mariage, le gouvernement français s’engageait à ajourner l’union du duc de Montpensier avec l’infante jusqu’au moment où la reine aurait donné un héritier à la couronne ; mais aussi il avait été entendu que, dans le cas où la France verrait reparaître la candidature d’un Cobourg, elle reprendrait toute sa liberté. De cette manière, on arrivait à une solution qui assurait l’avenir de l’Espagne, sans altérer en rien la bonne harmonie de la France et de l’Angleterre. C’est à ce but que lord Aberdeen, esprit sage et loyal, voulait marcher avec une entière sincérité.

Cependant il y avait une personne fort intéressée dans ces négociations matrimoniales, que cet arrangement ne satisfaisait pas entièrement. La reine Christine était convaincue qu’il y avait de grands inconvéniens à ne pas conclure en même temps les deux mariages de la reine et de l’infante, qu’en ajournant le second, on laissait toujours une porte ouverte à des éventualités fâcheuses. On sait de reste quels empêchemens rencontra la candidature du comte de Trapani. Il y eut dans la question du mariage un temps d’arrêt. Ce sont sans doute ces difficultés sans cesse renaissantes qui déterminèrent, il y a quelques mois, la reine Christine à envoyer un agent au prince Ferdinand de Cobourg, qui se trouvait alors à Lisbonne avec son fils Léopold. On peut juger si les ouvertures de cet agent furent accueillies. Si nous sommes bien informés, le représentant de l’Angleterre à Madrid entra dans le projet de la reine-mère. M. Bulwer est un homme d’esprit qui a toujours mis son amour-propre à contrarier la France, même au plus fort de la bonne harmonie entre les deux pays. Il travailla au succès de la candidature du prince de Cobourg avec une vivacité qui, assure-t-on, lui attira un blâme de la part de lord Aberdeen. Lord Aberdeen se souvenait de ce qui avait été dit au château d’Eu, et il condamnait, dans sa loyauté, des tentatives qu’il sentait devoir compromettre le bon accord de l’Angleterre et de la France. M. Bulwer fut si sensible à la désapprobation exprimée par son chef, qu’il alla jusqu’à offrir sa démission. C’est sur ces entrefaites que sir Robert Peel et ses collègues se retirèrent.

Quand lord Palmerston fut installé au département des affaires étrangères, on assure que le gouvernement français lui fit successivement plusieurs communications sur les affaires d’Espagne. A des questions multipliées sur ce sujet, lord Palmerston ne répondit que par le silence ou par des généralités évasives. Il professait un respect sans bornes pour la liberté absolue de l’Espagne, et en même temps il mandait à M. Bulwer qu’à ses yeux il n’y avait que trois candidats possibles pour la main de la reine : le prince de Cobourg, le duc de Cadix et don Enrique. C’est ainsi que lord Palmerston respectait l’indépendance de l’Espagne, et faisait la part de la France, qui se serait vue de la sorte privée de toutes garanties. Cette situation humiliante, notre diplomatie ne pouvait pas l’accepter. Une lutte s’est engagée entre M. Bulwer et M. Bresson, dans laquelle ce dernier est resté vainqueur. Notre ambassadeur a su ramener complètement la reine Christine à la véritable politique de l’Espagne, en lui offrant de conclure en même temps les deux mariages de la reine Isabelle et de sa sœur, et en lui montrant une volonté ferme de ne pas se laisser vaincre dans ce conflit d’intrigues.

Nous sommes loin des termes de conciliation et de bonne entente dans lesquels on se trouvait au château d’Eu ; mais à qui la faute ? Il est évident, pour tout homme impartial, que lord Palmerston a porté dans la question d’Espagne un autre esprit, d’autres pensées, que lord Aberdeen. Il n’a pas eu surtout en vue, comme son prédécesseur, de n’agir dans cette affaire délicate que de concert et d’accord avec la France : n’est-on pas autorisé à penser qu’il a eu l’ambition d’agir seul et de substituer brusquement une autre solution à celle qui avait été loyalement concertée entre les deux gouvernemens ? Il se proposait aussi, par un coup décisif, d’entrer tout-à-fait dans les bonnes graces de la reine Victoria, qui avait le désir assez naturel de voir la reine Isabelle donner sa nain au cousin-germain du prince Albert. Auprès de toutes ces considérations, l’inconvénient de compromettre l’alliance anglo-française a disparu pour lord Palmerston. Sommes-nous donc destinés à retrouver en 1846 absolument le même homme qu’en 1840 ? Les leçons du passé seront-elles perdues pour un esprit aussi distingué ? S’il est vrai que, dans la note lue par lord Normanby à M. Guizot, lord Palmerston se plaigne de la conduite du gouvernement français, comme décelant un certain dédain de l’entente cordiale, le reproche n’est pas difficile à rétorquer : il n’y a qu’à remettre sous les yeux du ministre anglais tout ce qu’il a fait depuis quelques mois pour changer les termes dans lesquels lord Aberdeen avait laissé la question.

C’est là en effet que le gouvernement français devait chercher sa justification. Quand la nouvelle du double mariage fut devenue officielle, et qu’on eut commencé à s’en préoccuper des deux côtés du détroit, on comprend que le ministère ne fût pas sans inquiétude au sujet de l’impression qu’elle devait produire sur le gouvernement anglais. Nous ne sommes pas surpris qu’il ait essayé d’adoucir le mécontentement que devait éprouver lord Palmerston. A cette époque, le ministre whig n’était pas à Londres ; il accompagnait la reine Victoria dans ses excursions. Sitôt qu’il fut de retour, notre représentant, M. de Jarnac, dut le voir pour lui expliquer les motifs de la conduite du gouvernement français. Il dut surtout, à ce qu’on assure, insister sur ce qui avait été dit et arrêté entre le gouvernement français et lord Aberdeen. Tous ces faits, qui ont précédé la rentrée de lord Palmerston aux affaires, ont bien leur importance. Est-il vrai néanmoins que le ministre whig ait déclaré ignorer complètement les conversations et les engagemens réciproques du château d’Eu, qui ne seraient d’ailleurs à ses yeux que de simples paroles et non pas des actes ? Cependant des paroles sérieuses échangées entre les ministres de deux gouvernemens ont une valeur qu’il n’est pas permis de méconnaître au gré de sa fantaisie.

Nous en tombons d’accord, l’irritation de lord Palmerston est naturelle : il voulait surprendre et humilier notre diplomatie par un coup éclatant, et cette tentative a échoué. Cependant, si vif que fût son dépit, il ne pouvait songer à élever l’affaire du double mariage à la hauteur d’un de ces griefs qui amènent nécessairement une rupture entre deux pays. Qui ne sent, en effet, que ce n’est pas tant l’Angleterre qui est ici, en jeu que la personne de lord Palmerston et celle de M. Bulwer ? Lord Palmerston s’est décidé à adresser une note à lord Normanby en l’invitant à la communiquer à M. Guizot. On avait dit, il y a quelques jours, que ce document devait recevoir, par le fait du gouvernement anglais, une publicité assez inusitée dans les négociations diplomatiques, surtout quand le cabinet auquel on s’adresse n’a pas encore eu le temps de faire connaître sa réponse. Ce serait donner un nouvel aliment aux discussions de la presse. Il paraît certain, de l’aveu même des feuilles anglaises, que la note adressée à lord Normanby est rédigée avec des ménagemens remarquables. On y rappelle les relations amicales des deux pays ; on y déplore qu’un pareil différend se soit élevé entre les deux cours. C’est une série d’observations qui n’aboutissent à aucune conclusion formelle. Le Standard affirme expressément que la note non-seulement ne contient aucune menace directe ou indirecte, mais qu’on n’y lit aucune demande de renonciation, soit de la part du duc de Montpensier, soit de la part de l’infante, pour eux ou leurs enfans, à la couronne d’Espagne, dans le cas où la succession au trône deviendrait vacante. Une pareille prétention était en effet insoutenable, et nous ne sommes pas surpris qu’elle n’ait pas été consignée dans un document sérieux.

Quant au fond des choses, lord Palmerston aurait surtout concentré ses observations sur cinq points principaux. Dans sa note, il rappellerait les stipulations du traité d’Utrecht, et s’attacherait à démontrer que le mariage du duc de Montpensier avec l’infante tend à en violer l’esprit. Ce mariage serait aussi une grave atteinte à l’indépendance de l’Espagne : c’est là le second point. Le ministre whig reprocherait, en troisième lieu, au gouvernement français, de n’avoir pas tenu compte de l’entente cordiale ; puis il se plaindrait du froissement que doivent recevoir d’une telle conclusion les intérêts anglais ; enfin il montrerait dans l’avenir les longs malheurs d’une nouvelle guerre de succession. Nous avons déjà, chemin faisant, répondu à deux des griefs de lord Palmerston. Le traité d’Utrecht est respecté par le double mariage dans son esprit et dans sa lettre, et, quant à l’entente cordiale, n’est-ce pas le ministre anglais qui a pris l’initiative des atteintes qui lui sont portées aujourd’hui ? A qui persuadera-t-on en Europe que l’indépendance espagnole est blessée par une alliance entre les Bourbons d’Espagne et de France ? C’est au contraire de la force que doit trouver dans cette union la monarchie de Philippe V. Il est permis d’espérer que ce résultat pourra s’obtenir sans une guerre de succession, et sans recopier d’une manière sanglante l’histoire du passé. Pour les intérêts légitimes de l’Angleterre, ils trouveront toujours satisfaction au sein de l’Espagne constitutionnelle et libre. Seulement l’Angleterre ne saurait oublier qu’il y a dans l’énergie de la nationalité espagnole des obstacles insurmontables à ce qu’elle fasse de l’Espagne un autre Portugal. Espartero, créature des Anglais, a voulu, au plus fort de sa puissance, leur livrer le commerce de son pays : il ne l’a pas pu.

La note de lord Palmerston, quoique à notre sens elle porte sur des griefs sans fondement, a cependant une gravité qu’on ne peut méconnaître : elle tend en effet à convaincre devant l’Europe le gouvernement français d’inconséquence et de légèreté ; elle l’accuse de faire bon marché, pour atteindre un but particulier, tant de l’alliance anglaise que de la tranquillité européenne. Ces reproches, le gouvernement français les acceptera-t-il ? On assure qu’en ce moment M. le ministre des affaires étrangères est occupé à rédiger une réponse à la note de lord Palmerston, et que cette réponse ne tardera pas à parvenir à Londres. Si M. Guizot est en mesure de démontrer que le refroidissement survenu entre la France et l’Angleterre n’est pas de son fait, et que, sans provocation comme sans étourderie, il a pris le parti que lui commandaient les véritables intérêts de la France, il devra se féliciter de pouvoir consigner ses explications dans un document qui ne saurait bien long-temps rester secret. De graves devoirs sont imposés au cabinet par les circonstances. Il doit prouver aux amis sincères de la paix européenne que, de pacifique qu’elle était, sa politique n’est pas devenue brusquement aventureuse, et d’un autre côté il doit, par une habile et persévérante fermeté dans sa conduite, répondre aux défiances des esprits qui sont surtout jaloux de la dignité nationale. Ceux-là, loin de se laisser éblouir par les derniers actes du cabinet, ne cachent pas leur crainte de voir bientôt quelque faiblesse servir comme d’expiation à.la politique résolue qu’on a adoptée dans les affaires d’Espagne. Là, en effet, est l’écueil. Il n’y a que l’avenir qui puisse nous apprendre si le cabinet est destiné à l’éviter. Nous n’avons pas refusé notre approbation au gouvernement, quand il a su, par une habileté heureuse, empêcher la reine d’Espagne d’épouser un prince allemand, élevé, à ce qu’on assure, dans un esprit hostile à la France et dans les principes de la politique autrichienne. L’union de M. le duc de Montpensier avec la sœur de la reine Isabelle nous a paru de nature à resserrer les liens de deux pays que rapprochent non-seulement leurs frontières, mais leurs intérêts bien entendus. Maintenant il faut embrasser par une sage prévoyance toutes les éventualités que ces derniers actes peuvent amener dans la politique européenne. La paix générale, nous l’espérons, ne sera pas troublée, mais les conditions sur lesquelles elle repose pourront être modifiées. Il n’y aura pas de guerre entre la France et l’Angleterre ; mais pendant un temps leurs relations seront plus délicates. Pendant un temps, on sera sur le qui vive, et sous la crainte d’une représaille. Tout cela demande beaucoup de vigilance, et, dans l’occasion, beaucoup de fermeté. C’est à cette épreuve que le jugement du pays doit attendre le ministère du 29 octobre.

L’Espagne, dont les affaires provoquent aujourd’hui tant de discussions et de conjectures, n’a pas réalisé jusqu’à présent toutes les prophéties dont elle a été l’objet. On avait annoncé que dans quelques semaines elle serait en révolution nous la trouvons calme et soumise aux lois, et tout autorise à penser que les princes français arriveront à Madrid après avoir traversé des populations bienveillantes et pacifiques. Les cortès ont donné au double mariage une adhésion unanime ; il y a eu dans les débats auxquels se sont livrés le congrès et le sénat de la gravité et de l’indépendance. Deux incidens ont occupé un moment l’attention à Madrid, la fuite du comte de Montemolin et la protestation de don Enrique. Cette protestation est une étourderie de jeune homme qui n’a pas compris tout ce qu’il y avait de ridicule à se plaindre de n’être pas épousé. Quant au fils aîné de don Carlos, il a ouvert à Londres un emprunt qui n’a produit jusqu’à présent qu’environ 25,000 livres sterling. Il faut de plus grandes ressources pour reconquérir un royaume, surtout quand dans ce royaume vous comptez à peine quelques partisans. On assure que Cabrera, interrogé à Londres sur les chances que pouvait avoir la cause carliste, n’a pas caché la vérité, qui, à ses yeux, était fort triste ; toutefois Cabrera est homme à commencer la guerre civile, même sans espoir. On le dit en ce moment en route pour Cadix. Il est un autre personnage qu’on a considéré comme pouvant à l’improviste insurger l’Espagne : c’est Espartero. Nous doutons que l’ex-duc de la Victoire soit bien pressé de s’exposer à de nouveaux hasards. Il ne peut ignorer le sort qui lui serait réservé si la fortune des armes lui était encore une fois contraire, et s’il était fait prisonnier. Il a en Espagne trois ennemis mortels qui ne sauraient lui pardonner : la reine Christine, les généraux Concha et Narvaez. On peut penser qu’Espartero ne quittera pas l’Angleterre. En parlant de la tranquillité de l’Espagne, nous ne prétendons pas que rien dans l’avenir ne doive la compromettre. Les factions n’abdiquent pas facilement ; la faction carliste surtout n’a pas renoncé à agiter un pays qu’elle ne saurait reconquérir et gouverner ; mais à cette heure la Péninsule est paisible, et toute tentative d’y troubler l’ordre y aurait peu de succès.

La situation intérieure de l’Angleterre se trouve chargée de difficultés assez grosses pour la gêner beaucoup, quant à présent, dans les manifestations de sa politique extérieure. Les combinaisons parlementaires qui menaçaient l’existence du cabinet whig n’étaient rien à côté du terrible embarras qui l’assiége aujourd’hui. La disette ravage l’Irlande. Les mariages espagnols devaient nécessairement passionner les esprits ; mais toute autre préoccupation politique s’est effacée des deux côtés du canal devant cette terrible préoccupation de la faim. Les protectionistes s’appliquent assez silencieusement à réviser les listes électorales, parce qu’ils se tiennent pour battus dans les chambres ; il n’est plus question d’organiser cette ligue qui devait rivaliser avec la ligue de M. Cobden et protester par des démonstrations populaires contre le pain à bon marché. Si lord Bentink accuse maintenant sir Robert Peel de n’avoir réalisé ni d’augmentation dans les apports, ni de réduction dans les prix, s’il se plaint de la rareté des vivres après l’introduction du libre échange, que serait-il donc arrivé du triomphe de lord Bentink et du maintien des droits d’entrée ? Le nouveau leader se tire pourtant d’affaire en assurant que la disette de pommes de terre, qui a servi de prétexte aux mesures libérales de sir Robert Peel, était l’année dernière aussi factice qu’elle est cette année malheureusement véritable ; or, cette année même, à croire lord Bentink, le fléau ne s’est ainsi produit que par un juste jugement de Dieu, qui punit le gouvernement d’avoir calomnié la bonne récolte dont sa providence avait d’abord favorisé l’Irlande. Ex machina Deus : ce n’était pas seulement lord Bentink, c’était le Tout-Puissant qui ne voulait pas du corn-bill ; chacun se venge à sa manière.

En Irlande, l’agitation purement politique ne fait pas plus de bruit qu’en Angleterre ; les orangistes ont oublié les inquiétudes que leur donne la bonne intelligence d’O’Connell avec les whigs ; la jeune Irlande, à peu près anéantie du premier coup, se réserve et se ménage ; à peine quelques déclarations publiques sont-elles venues çà et là révéler ce fonds caché de dissidence. O’Connell lui-même n’a pas causé de joie bien éclatante en annonçant la condamnation prononcée par le pape contre les collèges athées, fausse nouvelle qu’il prétendait arrivée de Rome. La rente hebdomadaire du rappel, qu’il n’a pas voulu suspendre, est tombée jusqu’à 61 liv. 3 shill. et 2 pence, et rien n’est triste comme les lettres de ces prêtres de paroisse qui, au nom d’une cause chimérique, abandonnée maintenant de ses chefs, épuisent encore la substance de leurs paysans affamés. « Je vous envoie 15 livres, écrit l’un d’eux, et je regrette qu’il nous soit impossible de faire maintenant davantage, mais, en un moment où il n’y a plus une seule pomme de terre dans la paroisse, ce peu suffira pour manifester l’attachement du peuple envers le libérateur. « Un autre ajoute : « Nous sommes entourés de cris de malheur, et nous avons devant nous le plus terrible aspect. La désolation de nos champs est certainement une marque de la colère divine : mais j’espère que pour dernier effet elle aura le soulagement du pauvre : tous les gens de bien révèrent en secret le fléau comme une juste visitation du ciel irrité contre les oppresseurs du peuple. » Responsable de tant d’aveuglement, de tant d’argent dissipé, de tant de ressources perdues, qui seraient aujourd’hui si précieuses, M. O’Connell a beaucoup de bien à faire pour réparer les inconvéniens de sa politique. Disons tout de suite qu’il applique heureusement son admirable bon sens aux dures nécessités de cette année, et prête au vice-roi, lord Besboroug, l’appui le plus efficace. Jamais l’Irlande n’avait eu si grand besoin d’un accord si nouveau.

On conçoit que, dans cette anxiété, le gouvernement anglais s’attache à remédier autant que possible à l’impuissance absolue qui empêche les Irlandais de s’aider eux-mêmes. Il faut que cinq millions de mendians trouvent à manger demain, et la propriété irlandaise est organisée pour long-temps de telle façon, qu’une même saison peut ramener des extrémités toutes pareilles. Il faut donc à la fois pourvoir à l’urgence du moment, et tâcher d’améliorer l’avenir. C’est ce qu’on a fait au moyen de deux actes passés au parlement : le labour-rate-act et le million-act. Ces deux actes sont maintenant l’objet d’une discussion publique dans toutes les baronnies et tous les comtés d’Irlande. Comme l’un et l’autre pèsent sur la bourse et attaquent l’inertie des propriétaires, il est juste de dire que ceux-ci ont accepté généralement cette nécessité avec plus de sang-froid et de résignation qu’on ne l’aurait cru. Quelques-uns ont bien réclamé ; ils auraient voulu qu’au lieu de leur prêter de l’argent, on leur en donnât : les aumônes de l’Angleterre ne semblent jamais à leur orgueil que des restitutions ; ils auraient bien aussi désiré que leurs créanciers gagistes, que les veuves et les orphelins pourvus de pensions assignées sur leurs domaines partageassent le faix de ces nouvelles charges ; mais ces exigences étaient trop déplacées en face du péril universel. La plupart l’ont envisagé de sang-froid, et ont assez nettement délibéré ; voici à peu près où en sont les choses. Le labour-rate-act autorise le lord-lieutenant à faire entreprendre des travaux publics sans montant limité dans tous les endroits où les magistrats lui signaleront la détresse ; ces travaux, routes, canaux, ponts-et-chaussées, seront rétribués d’après des conditions un peu moins avantageuses que les travaux particuliers, pour ne point détourner les bras des services où ils sont déjà employés ; ils seront payés avec des fonds avancés par le gouvernement et remboursables dans un an par les tenanciers, mais sous cette réserve, que les tenanciers qui n’auront pas une ferme de 5 livres ne paieront rien du tout, et qu’au-dessus de 5 livres, les propriétaires entreront pour les cinq huitièmes dans le paiement. En dehors de l’utilité immédiate de ces grands travaux comme moyen d’occupation et de sustentation pour des misérables aux abois, il est permis d’en contester l’avantage ultérieur ; l’Irlande a déjà bien assez de beaux chemins sans maisons bâties et sans champs cultivés. La montagne une fois ouverte ou la vallée comblée, le pain du lendemain cesse d’être assuré. Le million-act, qui date déjà de plus loin que la crise actuelle, présenterait du moins des ressources permanentes, s’il était mis pleinement en cours d’exécution. Le gouvernement offre des fonds aux propriétaires irlandais, jusqu’à concurrence d’un million sterling, avec garantie prise sur leurs terres, à la seule condition de dépenser tout cet argent pour les mettre en valeur. Assez long-temps insensibles à cette proposition, les landlords l’ont enfin examinée avec plus de sérieux, et il faut espérer qu’elle contribuera pour une part à soutenir leur malheureux pays dans cette effroyable épreuve.

La diète helvétique vient de clore sa session ; le spectacle qu’elle a donné n’est pas précisément à l’avantage des républiques fédérales, et, quelles que soient les difficultés qui entraveraient un gouvernement unitaire en Suisse, il faut bien convenir qu’elles sont au moins compensées par l’immobilité à laquelle aboutissent les gouvernemens cantonaux. Il semblerait que les cantons dussent envoyer leurs députés en diète afin de parvenir à concerter des mesures d’intérêt général ; c’est justement le contraire qui se passe, et le plus grand succès politique pour ces petits états ainsi agglomérés, sous prétexte d’en former un seul, c’est de se tenir tous en échec. Les circonstances et les intrigues aidant, les voix se trouvent également partagées sur les questions importantes, et il arrive ainsi ce qui n’arrive peut-être dans aucune autre constitution : grace aux fictions du système fédéral, l’immense majorité de la population suisse se heurte inutilement contre la résistance d’une faible minorité, elle n’a point d’action sur la patrie commune. Les cinq sixièmes du pays ne font pas plus de cantons et par conséquent ne fournissent pas plus de votans en diète que l’autre sixième encore celui-ci se compose-t-il principalement des parties les moins éclairées ; on sait ce que valent les écoles populaires dans Uri, Schwitz et Unterwald ; l’ignorance des montagnards est proverbiale, et toutes leurs institutions particulières se ressentent de cette infériorité. Leur capacité légale, leur droit représentatif ; n’en sont pas amoindris : ils en usent à leur guise, ou, pour mieux dire, au gré des habiles qui les mènent. La diète n’a donc encore rien fait cette fois-ci : on s’y attendait, mais à qui s’en prendre ? A la diète elle-même, au peuple suisse ? Il n’y a pas d’institution qui le représente effectivement tout entier ; la diète en corps n’a point de responsabilité, elle se résout en vingt-cinq cantons dont chacun a sa responsabilité propre. Chacun, étant souverain chez lui, se refuse à subir le jugement des autres, et s’abandonne sans partage à l’ascendant des personnes influentes qui le dirigent : c’est ainsi que quelques députés tiennent dans leurs mains les destinées de la Suisse, et que ses institutions s’effacent derrière des individus. Personne n’ignore que ces députés rédigent souvent eux-mêmes les instructions cantonales qu’ils sont supposés recevoir pour les apporter en diète ; ils se donnent à eux-mêmes leur mandat impératif ; Saint-Gall et Genève, par exemple, sont entièrement absorbés dans la personne de M. Baumgartner et de M. Demole, et la neutralité plus ou moins sincère de ces représentans tout puissans a seule empêché la diète d’avoir 11 2/2 voix contre cette ligue particulière qui s’est formée au sein de la confédération helvétique. La ligue subsistera donc. Le conseil d’état de Genève a même reconnu, tout en déclarant l’association illégale, que les sept cantons catholiques avaient eu pour s’associer des raisons plausibles, et il a soumis au grand conseil la question de savoir s’il ne conviendrait pas de leur donner des garanties. Condamner les principes et accepter les conséquences, c’est de la politique doctrinaire à la façon de Genève. Quoi qu’il en soit, d’autre part, les cantons libéraux se sont trouvés d’autant plus solidement unis, qu’ils étaient en face d’adversaires mieux disciplinés : 10 2/2 voix ont voté constamment d’accord. Dissoudre la ligue de Rothen, déclarer l’affaire des jésuites affaire fédérale, retirer définitivement la question des couvens du nombre des tractanda, tels sont les points auxquels s’attache par ses représentans directs la majorité du peuple suisse, majorité impuissante en face d’un équilibre organisé par le pacte fédéral au profit de la minorité. Il serait difficile de prévoir comment on sortira de ce défilé, où d’un côté comme de l’autre on ne peut plus faire un pas. Il est à craindre qu’à lutter ainsi front contre front les partis ne s’enveniment beaucoup : c’est là le trait distinctif de la dernière diète. Il s’y est proféré plus d’injures qu’on ne l’avait jamais osé.

Pendant que les états de la vieille Europe se consument ainsi en discordes infécondes, le jeune royaume fondé par les traités européens au seuil de l’Orient prend chaque jour de nouvelles forces, et s’affermit sous l’administration d’un patriote homme de bien. La Grèce doit beaucoup de reconnaissance à M. Colettis, et la France s’honore d’avoir si heureusement placé ses amitiés. Il y a maintenant deux ans passés que M. Colettis a pris les rênes de l’administration hellénique, en face d’un sénat presque tout révolutionnaire, d’une seconde chambre toujours inquiète et mobile : tout ce qu’il a dû vaincre de passions, d’intérêts égoïstes, pour ramener l’ordre et la paix, pour servir la cause du progrès matériel et intellectuel, il faudrait le dire plus longuement que nous ne le pouvons ici. En somme et pour résultat, une opposition d’une violence presque barbare demeure désormais impuissante, parce qu’elle a été dépopularisée. M. Colettis l’a désarmée par son sang-froid et ses dédains, en même temps qu’il pacifiait tout le pays par la confiance qu’il inspire. La session des chambres se termine avec la discussion du budget des dépenses ; la majorité s’est trouvée presque constamment acquise au ministère ; le bon sens et les nobles paroles de M. Colettis l’ont partout emporté. Ces discussions ont été généralement assez régulières, sauf quelques violences d’anciens palikares, trop semblables aux batailles peu parlementaires des membres du congrès américain. Nous avons surtout remarqué une belle séance : la commission du budget, soutenue par l’opposition, ne voulait plus faire les frais des ambassades, sous prétexte que la Grèce était trop pauvre pour employer la sueur du peuple à payer tout le faste qu’on étalait devant les étrangers. M. Colettis répondit admirablement à ces pauvres objections d’une politique sans grandeur : il ne fallait pas prendre la Grèce pour un état si inférieur ; elle avait son avenir, elle avait une place considérable entre l’Orient et l’Occident ; le gouvernement devait regarder au loin, s’il voulait écarter à l’avance les obstacles qui pouvaient arrêter le développement national ; veiller au bien et à l’intérêt du pays, ce n’était pas seulement administrer au jour le jour, correspondre avec les éparques et les démarques, poursuivre les brigands : c’était entretenir au dehors des relations nécessaires à la dignité de l’état. Que le gouvernement grec continue toujours à prendre les affaires d’un point de vue aussi relevé, il réussira sûrement à préparer les destinées nouvelles d’une nation qui a certes mérité de vivre deux fois.



REVUE LITTÉRAIRE.

Nous assistons depuis quelque temps à un déplacement de la vie littéraire L’activité des intelligences se porte en des voies sérieuses où elle se concentre de plus en plus et s’acclimate. L’histoire, la critique, l’érudition, gagnent des forces nouvelles au moment même où l’imagination lutte avec peine contre l’influence persistante et funeste de l’improvisation quotidienne. En France surtout, le contraste que nous indiquons se prononce avec une netteté croissante. Le roman-feuilleton n’a pas cessé, il est vrai, d’être le rendez-vous des folles prétentions et des grossiers appétits ; mais ces infatigables voyageurs, que le public s’est plu quelquefois à suivre dans leurs courses aventureuses, continuent aujourd’hui au milieu d’une indifférence générale leur interminable odyssée. Il semble que l’improvisation ait aussi ses limites, et que la lassitude gagne enfin jusqu’aux plus déterminés émules de ces Epidydymes aux entrailles de fer dont nous parlait dernièrement un savant et spirituel écrivain. Au théâtre, les talens qui étaient les soutiens de la scène ont disparu ou se retirent de l’arène. Parmi ceux-là, M. Scribe seul paraît se préparer encore à courir vaillamment la fortune ; mais l’auteur d’Hernani garde le silence, et M. Dumas est depuis long-temps perdu pour ce qu’il appelle l’art sérieux. Au lieu d’une joute glorieuse, nous assistons au conflit des ambitions vulgaires ; on se donne misérablement en spectacle au public, sans doute parce qu’on n’a plus la force de le convier à de plus nobles jeux. Le théâtre attend des lutteurs nouveaux, qui nous délivrent de ces puérilités fanfaronnes, de ces vanteries de mauvais goût, dont toute la tactique voudrait déguiser un appauvrissement incurable et des dépits profonds, mais qui ne trompent personne, même lorsqu’on les croit le plus ingénieusement trouvées. Le public est plus clairvoyant que vous ne le voudriez ; rien, croyez-le, ne peut masquer vos chutes récemment accumulées au théâtre. Il vaudrait mieux avouer qu’on va chercher sur des scènes inférieures des succès que refuse obstinément la scène littéraire. Les lettres sont d’ailleurs toutes consolées d’un abandon qui ne date pas d’hier. D’heureux symptômes se manifestent ; de jeunes esprits, éclairés par une chute si profonde, sont déjà entrés en lice, et tout fait espérer un meilleur avenir.

Pendant que se trahit de plus en plus la fatigue des bruyans héros du drame et du roman-feuilleton, sur un autre point du domaine littéraire la vie semble prendre une nouvelle activité. Les études historiques continuent leur mouvement sous l’influence des esprits éminens qu’elles retiennent ou qu’elles attirent. M. Thiers met la dernière main à son Histoire du Consulat et de l’Empire, noble et sévère monument que nous pourrons bientôt contempler dans toutes ses parties. M. Mignet achève le grand ouvrage qui l’occupe depuis si long-temps, et où il retrace les destinées de la réformation. C’est à l’histoire aussi que M. Mérimée va demander un nouveau succès. M. Ampère revient d’Égypte, et on sait déjà quelle précieuse moisson il en rapporte. A côté de ces nouveautés sérieuses s’offrent d’intéressantes réimpressions. M. Cousin donne une forme nouvelle et définitive à ces leçons dont l’influence est restée si féconde, et dont il nous rend, encore agrandi, le majestueux ensemble. En littérature comme en philosophie, notre époque a de brillans souvenirs qu’elle aime à évoquer. Nous nommerons, entre autres, une heureuse et discrète application du cadre romanesque à l’histoire, le Cinq-Mars de M. de Vigny, qui vient d’être réimprimé pour la neuvième fois ; l’essai sur le Dix-huitième siècle en Angleterre, de M. Chasles, et les Portraits littéraires de M. Sainte-Beuve, deux ordres de travaux que nous aurions mauvaise grace à louer ici, devant des lecteurs qui ne les ont pas oubliés.

En Angleterre, l’avantage appartient pour le moment à cette littérature essentiellement pratique et d’un caractère tout spécial, qui se compose non-seulement de récits de voyages, mais de toute espèce de compilations et de documens. Dans cette dernière catégorie se range une vaste publication, qui sera bientôt dans cette Revue l’objet d’un travail approfondi. La correspondance de l’amiral Nelson éclaire à la fois d’une vive lumière les derniers triomphes de la marine britannique et l’histoire générale des marines européennes. — Quant à l’armée des touristes, loin de diminuer, elle se fortifie sans cesse, et voit même des romanciers comme Charles Dickens passer dans ses rangs. A la relation de son voyage en Amérique a succédé le récit d’un tour en Italie. Si la littérature d’imagination compte encore au-delà du détroit quelques productions aimables, ce sont des exceptions bien rares qui ne font que mieux ressortir la stérilité régnante. L’Amérique n’est guère plus heureuse : de temps en temps seulement Cooper se réveille. Le titre de son dernier roman, Ravensnest ou les Peaux Rouges, indique un retour à ces tableaux de la vie indienne qui firent le succès de ses premiers écrits. La littérature américaine a des intermittences d’activité plutôt qu’une vie régulière et continue.

Ce ne sont pas les forces littéraires qui manquent à l’Allemagne, c’est l’ordre, c’est l’unité. Les imaginations sont égarées ; elles cherchent leur voie, mais elles luttent avec courage. En présence des tâtonnemens de la poésie et du roman, l’érudition germanique a gardé les belles qualités qui font sa force ; elle trouve parmi les poètes mêmes d’illustres auxiliaires. Uhland publie en ce moment un travail précieux sur l’ancienne poésie allemande, et Rückert, dans le recueil lyrique intitulé Hamâsa, applique son imagination flexible à traduire, à commenter les poésies populaires des Arabes. — Ce sont là de nobles exemples, et il nous a paru intéressant de constater cette nouvelle situation des lettres dans trois grands pays avant d’aborder l’analyse des publications récentes.


I. — Œuvres françaises de M. G. Schlegel.[1]
II. — Briefe Schillers und Goethes an W. Sehlegel (Lettres de Schiller et de Goethe à G. Schiegel.[2]

L’héritage littéraire de M. Schlegel est en ce moment l’objet d’un de ces dépouillemens minutieux où brille la patience plutôt que le tact de la critique allemande. Parmi les publications récentes qui viennent de rappeler l’attention sur le célèbre écrivain, il en est une qui s’adresse particulièrement aux lecteurs français, et qui, mal interprétée, fournirait une ample matière aux railleries des esprits prévenus, si l’on ne se hâtait d’entrer, à cet égard, dans quelques explications. Est-ce donc à dire que, parce qu’on est un homme doué de rares facultés, on ne pourra jamais échapper aux exigences de son rôle, qu’il ne sera pas permis d’avoir ses heures de loisir et de laisser-aller ? M. Schlegel, on le sait, n’était pas un ami de la France. Au moment où le goût français, amoindri par une culture trop raffinée, régnait sans contestation en Europe, cette hostilité un peu jalouse put avoir d’heureux effets ; elle stimula la sagacité du critique et aida peut-être à l’affranchissement de la poésie allemande. Plus tard elle dégénéra en une passion aveugle. Souvent, à Bonn, dans la solitude sévère qui avait succédé pour lui à une vie agitée, M. Schlegel cherchait une distraction à ses travaux en composant des épigrammes en français contre notre littérature, notre politique, notre histoire. M. Schlegel, qui connaissait toutes les ressources sérieuses de notre langue et savait s’en servir utilement, ne savait pas jouer avec elle. Ses vers étaient mauvais : cela ne l’empêchait pas de les réciter volontiers aux personnes qui le visitaient. En l’écoutant, on souriait, sans bien s’expliquer pourquoi, et l’auteur pouvait croire qu’on applaudissait à ses saillies. Il y avait quelque chose de triste dans ces méprises ; elles troublaient souvent l’impression que l’on eût voulu emporter d’un si grand esprit ; mais du moins tout se passait en conversations. Aujourd’hui on peut lire, si l’on en a le courage, les épigrammes et les logogriphes de M. Schlegel. Nous nous sommes enquis avec soin des dernières instructions qu’il avait pu laisser, bien que le choix judicieux que lui-même a fait dans ses écrits français, peu d’années avant sa mort, ne laissât guère de doute à cet égard. C’est sur son désir présumé, et assurément mal compris, que ces frivolités ont été rendues publiques. Il est à notre connaissance que M. Schlegel, ferme et recueilli en face de la mort, fut occupé à ses derniers momens de plus graves intérêts, et que la vie d’un critique si éminent ne se termina pas par une faute de goût si choquante.

Nous prions instamment tous ceux que peut toucher le souvenir de M. Schlegel de ne pas lire les cent premières pages du premier volume publié par M. Boecking, et d’oublier qu’elles existent. Le reste du livre se compose en grande partie de pensées détachées sur la religion : ce sont de nouvelles objections à joindre à celles de Voltaire, de Gibbon, de Lessing. Il est douteux encore que l’auteur ait eu le projet de faire imprimer ces pensées, du moins dans la forme où elles sont restées. Une personne pieuse, dont M. Schlegel avait autrefois cultivé l’esprit et avec laquelle il conserva toute sa vie de précieuses relations, avait paru, en diverses circonstances, affligée de son scepticisme. Il voulut s’en expliquer une fois avec elle, et lui envoya ces notes un peu confuses. Il avait à l’avance écrit une lettre intéressante dans laquelle est expliquée, avec plus de détails que nulle part ailleurs, la nature de ce christianisme poétique qui ne fut jamais pour lui qu’une prédilection d’artiste. Il raconte comment toujours les rêves s’évanouissent devant les argumens tirés de la philosophie et de l’histoire. M. Schlegel, d’ailleurs, prétend être incrédule par piété ; il adopte le fonds commun de toutes les religions, il ne repousse que les dogmes exclusifs qui voudraient enchaîner la liberté de la pensée. Aussi ne put-il jamais pardonner à son frère Frédéric sa conversion et ses doctrines absolutistes. Pour lui, son culte embrasse toute la nature agissante ; il ne saurait se contenter de temples moins vastes que la voûte des cieux, ou, s’il revient aux religions positives, sa pensée erre flottante du paganisme grec jusqu’au mysticisme indien.

Le panthéisme idéaliste de M. Schlegel se trouve exposé à l’état de système dans un écrit remarquable intitulé : de la Civilisation en général, qui, bien qu’inédit, date de l’année 1805. L’auteur recherche quel doit être l’état primitif du genre humain ; il admet la tradition de l’âge d’or, tout en repoussant les images trop molles sous lesquelles les poètes l’ont dépeint. L’âge d’or lui représente, dans l’ordre intellectuel et physique, une perfection originelle d’où seraient partis les premiers hommes, non pour s’élever, mais pour descendre jusqu’à la civilisation. Dans les œuvres du Créateur comme dans celles du génie, c’est le premier jet qui est le plus heureux ; les ancêtres du genre humain, nés du sein de la terre fécondée par les astres, durent venir au monde avec des organes supérieurs aux nôtres. Ils ne furent pas d’ailleurs abandonnés à eux-mêmes ; d’après Platon et Aristote, M. Schlegel conçoit dans les astres des intelligences motrices, qui ont présidé au développement de la vie morale. Nous n’avons pas à discuter ici ces hardies hypothèses ; il suffit de dire que les spéculations de cette nature, alors même que les conséquences donnent trop facilement prise aux objections, impriment toujours à la pensée une secousse salutaire. L’esprit s’agrandit et s’élève en s’égarant dans ces espaces.

Il n’y a lieu à aucune observation sur les deux derniers volumes des écrits français de M. Schlegel, qui n’ont pas encore paru et ne contiendront rien ou presque rien de nouveau. On pourrait de même parcourir l’édition complète de ses œuvres allemandes, publiée aussi par M. Boecking, sans trouver l’occasion d’ajouter beaucoup de choses, ni du moins de rien changer au jugement déjà émis dans cette Revue sur le célèbre critique. Dans ses dernières années, M. Schlegel se proposait de donner lui-même une nouvelle édition de son Cours de littérature dramatique. La part qu’il prit à la publication des œuvres de Frédéric II le détourna de son projet. Il eut le temps cependant de revoir les premières leçons et d’écrire un appendice d’un grand intérêt sur la disposition et la décoration du théâtre antique. Tout en recueillant les témoignages des scholiastes et des commentateurs, M. Schlegel interroge de préférence les poètes dramatiques eux-mêmes, et il surprend des secrets qui auraient pu échapper long-temps aux érudits de profession. A part ce travail qui est resté inachevé, il n’y a guère d’inédit dans la nouvelle collection de ses œuvres que des vers. Parmi ces vers, il y a bien encore des épigrammes, mais là du moins M. Schlegel est à l’aise, et la gaieté de ses plaisanteries peut faire oublier ce qu’elles ont d’implacable. On regrette toutefois, au milieu de traits dirigés contre la jeune Allemagne, d’en trouver qui remontent jusqu’à Schiller et Chamisso, ou qui s’attaquent à des hommes tels que Niebuhr, MM. Arndt et Welcker. Il est vrai de dire que M. Schlegel choisit ses victimes ; ses satires sont encore un hommage, et, dans d’autres circonstances, il a rendu pleine justice à ceux qu’il immole à ses railleries. Il y a aussi dans le nouveau recueil de ses poésies un grand nombre de pièces dictées par un sentiment plus sérieux. Toutes se recommandent par la souplesse du rhythme et la rare perfection du style. La plus intéressante est un sonnet dans lequel M. Schlegel, parlant d’avance le langage de la postérité, se rend à lui-même un magnifique hommage. Il n’y a d’ailleurs rien que de vrai dans cet éloge ; tout le monde serait prêt à y souscrire si l’on pouvait oublier quel en est l’auteur.

Les relations de M. Schlegel avec Schiller et Goethe viennent d’être éclairées d’un nouveau jour par une publication due également à M. Boecking, dont on ne peut méconnaître le zèle désintéressé. Schiller, directeur de l’Almanach des Muses et des Heures, fait à M. Schlegel, bien jeune encore, de flatteuses avances pour s’assurer son concours. Ses lettres, qui se bornent d’abord à traiter de leurs affaires communes, deviennent bientôt plus intimes ; puis cette amitié se trouve brusquement rompue. Schiller avait en des démêlés désagréables avec Frédéric Schlegel ; il craignit de l’avoir toujours en tiers entre lui et Guillaume. Il signifia à ce dernier, en termes un peu durs, la détermination de rompre tous rapports. M. Schlegel se justifia ; il exposa comment, à ses yeux, chaque amitié avait ses droits distincts qui ne devaient être sacrifiés à aucune autre. La correspondance recommença ; mais la confiance, une fois atteinte, ne renaît guère. Les lettres de Schiller témoignent dès-lors d’une grande réserve. De là, sans doute aussi, datent la sévérité et les injustices de M. Schlegel. Les lettres de Goethe, moins familières, sont écrites sur un ton plus égal. Les relations avec M. Schlegel sont souvent interrompues, mais des deux parts on saisit avec plaisir l’occasion de les renouer. Un billet de Goethe nous apprend que ce fut lui qui servit d’intermédiaire entre Mme de Staël et M. Schlegel. Il n’est pas sans intérêt de voir naître une telle liaison. « Mme de Staël, écrit Goethe, désire vous voir de plus près ; elle pense que quelques lignes de moi pourront rendre le premier abord plus facile. Je les écris avec plaisir, bien sûr d’obtenir des remerciemens des deux côtés pour une chose qui eût pu se faire d’elle-même. Ailleurs, Goethe se montre dans ses fonctions de directeur du théâtre de Weimar ; il paraît prendre à cœur la représentation de la tragédie d’Ion, celle de la traduction de Jules César. Souvent aussi il s’occupe de ses propres affaires. A plusieurs reprises, il envoie ses poésies à M. Schlegel pour lui demander des avis, et, qui plus est, des corrections. Nous n’insisterons pas sur la portée que prend ce dernier mot sous la plume de Goethe. En général, on retrouve dans cette correspondance l’éminent critique tel qu’on aime à se le figurer, prenant part tour à tour comme acteur et comme juge au mouvement littéraire de son temps. Si la publication des Œuvres françaises de M. Schlegel avait pu porter quelque atteinte à cette grande renommée, de pareils témoignages suffiraient amplement pour la réparer.


— MES VACANCES EN ESPAGNE, par M. E. Quinet. — Les vacances finies, tandis que M. Quinet, pour tromper l’ennui d’une traversée monotone, achevait de rassembler ses notes, de transcrire ses tablettes et de rédiger ses impressions, un dernier fantôme se dressa devant lui. A travers la brume des côtes de Provence, il vit avec horreur la silhouette fantastique d’un article consciencieux qui l’attendait accroupi sur la grève, « semblable à l’ange exterminateur aux portes de l’Éden, » prêt à le saisir à la douane et à l’exécuter sans miséricorde dans un journal grave. À cette vision effroyable, l’auteur d’Ahasvérus se sentit troublé, lui si familier avec le monde surnaturel, et qui, pendant deux mois de séjour sur la terre classique des revenans, avait évoqué les esprits soir et matin, à chaque carrefour et derrière chaque pan de muraille écroulée. Pour un homme qui s’est trouvé face à face, au clair de la lune, avec le commandeur de pierre, qui a passé une semaine entière en tête à tête avec les spectres de l’Escurial, c’était, il faut en convenir, un bien mince sujet d’effroi qu’une semblable apparition. M. Quinet, néanmoins, jugea nécessaire de la conjurer et de la prévenir. Par un tour des plus malicieux, il s’est avisé de faire lui-même d’avance, en manière d’épilogue, la critique de son livre. Nous laissons à penser le ton de ce morceau, les choses réjouissantes dont il est semé, et les énormités mises dans la bouche du journal grave pour fournir au bon sens révolté du public impartial le soin d’en faire justice. M. Quinet s’exerce, non sans quelque succès, à manier le sarcasme ; il prend un accent ironique, et, dans cette défense préventive, il déploie toutes les ressources d’une adresse… jésuitique. Évidemment, la lutte contre les fils de Loyola l’a façonné aux ruses de guerre ; mais ces sortes de jeux ne sont pas toujours sans danger. Bien souvent, en pareille occasion, la caricature diffère peu du portrait, et, en cherchant la parodie, on rencontre la vérité. C’est ce qui est un peu arrivé à M. Quinet. Entre autres remarques qui ne manquent pas de justesse, il définit son livre une fantaisie fébrile. Comme nous trouverions difficilement une expression plus exactement applicable à cette œuvre incohérente, nous demanderons à l’auteur la permission de la prendre au sérieux. Le mot résume parfaitement, selon nous, l’impression que laissent ses Vacances en Espagne.

M. Quinet, nous le savons, n’a pas continué de se renfermer dans les termes de son programme. C’est chez lui un péché d’habitude, et il n’a pas encore cette fois songé à se corriger. Ne lui en faisons pas une trop grosse querelle ; il est bon quelquefois de faire la part des circonstances. Pourquoi réclamer plus d’exactitude du professeur en vacances que du professeur dans l’exercice de ses fonctions ? Nous nous contentons de signaler le fait et de prévenir les lecteurs trop exigeans qui, sur la foi du titre et de la table des matières, s’aviseraient de demander à l’auteur la description des lieux qu’il a traversés. Ne vous y laissez pas tromper. Tel chapitre est daté de Burgos, tel autre de Cordoue ; celui-ci a été écrit dans une cellule de l’Escurial, celui-là sur les terrasses de l’Alhambra. Erreur : M. Quinet les avait apportés tout faits dans sa valise ; vous avez même pu, sur les banquettes du Collège de France, en entendre de notables fragmens et des tirades élaborées, soyez-en sûr, ailleurs que dans la posada d’Illescas. Dans les récits de voyage, la réalité est pourtant une condition nécessaire et indispensable. Les pages les plus éloquentes, les plus brillans tableaux composés d’avance ou après coup ne remplacent jamais l’esquisse rapide crayonnée sur le revers du chemin, et les mille incidens de la route contés simplement et sans commentaires ambitieux. L’auteur excite un intérêt d’autant plus vif, qu’il ne cherche pas à le commander. Il n’affiche pas la prétention de nous imposer ses impressions personnelles et nous conduit tout bonnement par les rues de Tolède et de Madrid, au lieu de nous laisser perdu dans le labyrinthe inextricable de son imagination. M. Quinet s’est jeté dans une voie contraire, et mal lui en a pris en vérité, car, s’il est dans son livre quelques passages où le lecteur se sente allégé de l’insurmontable ennui que fait peser sur lui la rhétorique nébuleuse du professeur, c’est précisément lorsque celui-ci daigne raconter sans emphase une aventure d’hôtellerie ou une excursion à travers les sierras qui séparent Grenade de Cordoue ; comment, par exemple, il se trouva, à sa grande stupéfaction, commis malgré lui à l’escorte d’une caravane de mules chargées d’épiceries, vu la haute opinion qu’avait inspirée son courage ; comme quoi, pressé par la soif dans les gorges arides d’Alcala, il fut obligé, pour demander une pomme à son guide, d’entamer avec ce Grenadin obtus une dissertation théologique des plus amusantes, etc. Le chapitre intitulé : Voyage à vol d’oiseau, une brillante description de Cadix et quelques morceaux épars çà et là, en trop petit nombre, nous font vivement regretter que M. Quinet n’ait pas laissé en-deçà des Pyrénées tout son bagage déclamatoire et ses philippiques cent fois répétées. Malgré les airs de tribun qu’il s’efforce en toute circonstance de se donner, il est et demeure artiste. Pourquoi renier sa nature ? Oublie-t-il parfois le rôle qu’il s’est imposé, ce qu’il cherche alors, c’est l’Espagne du moyen-âge ; ce qu’il évoque, c’est le souvenir des preux, la mémoire du Cid Campeador et des Abencerrages ; ce qui le ravit, ce sont les ogives festonnées, les arabesques d’or capricieusement entrelacées sur un fond d’azur. Pour un prédicant politique, il a même parfois de terribles distractions. Qu’est devenu l’ayuntamiento de 1840 ? lui dit son ami Celio, le progressiste. — Que sont devenues les cinq cents mosquées, les trois cent mille habitans, les écoles d’Avicenne et d’Averroès, et les légions de poètes dans la cour des califes ? — Ah ! reprend Celio, je n’attends rien de bon de la Christina… — Je lui préférerais à tous égards votre sultane Fatime… — Quelle est du moins votre opinion sur le capitaine-général ? — Parlons du grand capitaine Gonzalve, dont voici la paroisse. — Malheureusement M. Quinet revient bien vite à son rôle ; il se drape de nouveau dans son manteau noir, assombrit sa voix, et, de crainte d’une nouvelle distraction, a soin de se remettre à lui-même sous les yeux, en marge, des citations de l’Ultramontanisme, du Christianisme et la Révolution française, et de ses autres ouvrages ; il réfrène les accès d’enthousiasme naïf auxquels il s’est un instant abandonné, et nous entretient, soixante pages durant, des malheurs que la chute du ministère Olozaga prépare à l’Espagne.

M. Quinet est arrivé en Espagne avec des idées préconçues et une opinion faite sur les hommes et les choses. Ce parti pris se trahit dès le départ ; les plus sombres pensées l’assiégent. À Bayonne, il a déjà vu des brigands, pressenti les jésuites et l’inquisition. De là cette propension à exagérer les moindres accidens, à chercher des causes extraordinaires aux effets les plus simples. La veille, par un temps d’orage, le voyageur a traversé le midi de la France ; il a vu les monumens d’Arles et de Nîmes à travers un nuage de pluie, partant l’ennui le gagne : quoi de plus naturel ? Le lendemain, un rayon de soleil a lui ; il entre à Irun en compagnie de deux jeunes filles rieuses, dont la folle gaieté le déride ; chose étrange ! comment expliquer un tel changement ? C’est qu’hier il obéissait à la fatalité ; aujourd’hui un charme l’attire, il sent dans l’air le mirage et la fascination d’un esprit éloigné. Avec une disposition semblable, on conçoit que le monde extérieur ne soit pour lui qu’une chose tout-à-fait secondaire. Il suit sa route sans beaucoup interrompre le fil de ses rêveries. Sommes-nous à Burgos ou à Valladolid ? nous n’en savons pas grand’chose, et n’était le cliquetis obligé de guitares et d’escopettes, de castagnettes et de rapières qui résonne à nos oreilles, nous ne nous douterions guère que nous foulons la terre d’Espagne. D’un saut, M. Quinet nous fait franchir la Vieille-Castille ; on voit qu’il a hâte d’arriver à Madrid : il ne veut pas manquer la discussion de l’adresse aux cortès. A peine a-t-il le loisir de donner en passant un coup d’œil à la cathédrale de Burgos. Il paraît évident que la précipitation du voyage, les graves préoccupations de la politique, peut-être aussi la bise froide de décembre, ne lui ont pas laissé la liberté d’esprit nécessaire pour admirer ce merveilleux édifice. Le croirait-on ? il trouve l’aridité de la Castille sur la face de sa métropole ! Ces délicates dentelles de pierre, cette luxuriante végétation qui s’épanouit, se tord, s’enroule et grimpe jusqu’à la cime des flèches aiguës, brodées et découpées à jour, des soleils séculaires en ont, dit-il, tari la sève ; il n’a vu que quelques rares statues sur ces galeries où la vie humaine fourmille.

A Madrid, il ne s’occupe guère que de politique ; nous le trouvons plus assidu aux tribunes de la salle du congrès que sur les gradins du Cirque. Il est vrai que la révolution était alors en permanence ; l’état de siège qui avait accueilli l’auteur au Prado, qu’il retrouve à Cadix et qui le poursuit jusqu’à Lisbonne, est un incident de nature à motiver les digressions auxquelles il n’était déjà que trop disposé. Partout du reste il porte avec lui cette même préoccupation de la pensée cachée sous les pierres ; partout il voit des symboles et des emblèmes. Les murs de Tolède, la Giralda de Séville, lui fournissent les rapprochemens les plus inattendus. Loin de nous de méconnaître le côté élevé du talent de M. Quinet ; mais sa brillante imagination l’égare bien souvent : cette passion de tout interpréter, de donner une ame et une voix à toute la nature, le conduit directement à l’hallucination. Il n’est pas de masure où il n’entende des voix mystérieuses ; chaque touffe de bruyère exhale un soupir ; des deux côtés de la route sortent, à son passage, des gémissemens et des plaintes funèbres, qui, pour l’oreille moins délicate de l’arriero, son guide, représentent tout simplement le cri des poulies et le grincement des puits à roues dont les maraîchers de l’endroit se servent pour arroser leurs concombres. A Cordoue, deux voix passent sur sa tête : c’est la causerie de la mosquée vide avec les églises des couveras. Le moindre clocheton lui dit son mot à la volée, et, si par aventure les galériens de Tolède chantent en s’accompagnant en cadence du bruit de leurs chaînes, cette sauvage mélodie suffit à faire sortir de leurs tombes une légion d’hidalgos montés sur des chevaux invisibles, et à faire défiler sous les yeux du voyageur don Sanche, Padilla, le roi maure Abdallah, et tout le cortège des antiques légendes.

Comme on le voit, c’est la rêverie qui joue ici le plus grand rôle ; le style de M. Quinet ne pouvait manquer de porter l’empreinte de cette perpétuelle exaltation et de cette emphase continue. Sa phrase est fiévreuse, tendue et saccadée ; en vain sous la période sonore vous cherchez l’idée : l’abondance de la forme et la diffusion des images masquent trop souvent ce que la pensée peut avoir quelquefois d’élevé et d’original. Il en résulte pour le lecteur une lassitude véritable : le style de l’Apocalypse n’est pas supportable dans un ouvrage de longue haleine. On se fatigue d’entendre M. Quinet prophétiser sur les landes d’Aragon et invoquer à tout instant Allah, Jéhovah, Élohim. Au milieu de ce débordement d’épithètes et d’antithèses, remarquons aussi un léger abus de citations espagnoles. Serait-ce une réponse aux insinuations de quelques esprits malveillans ? L’auteur se plaît à entremêler dans ses périodes de petites phrases dont la traduction ne soit pas trop compromettante : — C’est l’hôtellerie des chevaliers, de los caballeros ; dix-sept preux tous à cheval, todos a caballo ; il passait auprès de moi, comme une flèche, pasa como una saeta ; vous êtes soldat, sois soldado. — Ainsi à chaque page. Ce n’est pas difficile à comprendre, et cela donne un air d’érudition qui ne messied pas à un professeur de langues méridionales.

Nous nous sommes à regret montré sévère pour un écrivain dont nous aimons le talent, et dont nous regrettons de voir les poétiques élans détournés au profit de théories infécondes. En effet, dans aucun des derniers ouvrages de M. Quinet, on ne retrouve plus marquée la différence qui sépare l’inspiration vraie de l’exaltation factice produite par des influences étrangères à l’art. Les Vacances en Espagne contiennent une quarantaine de pages vraiment charmantes et qui contrastent agréablement avec le ton général de l’ouvrage. Ici M. Quinet s’est montré vif, élégant, attachant, et les élucubrations du publiciste donnent, s’il se peut, plus de prix à cette fantaisie de l’artiste. Si un tel vœu était possible, nous exprimerions le souhait de voir détacher du reste de l’ouvrage le récit et les fragmens dont nous avons parlé plus haut. Réduit ainsi des deux tiers, le livre, à coup sûr, n’y perdrait rien.


— LES ARTS EN PORTUGAL, lettres adressées à la Société artistique et scientifique de Berlin, par le comte H. Raczynski[3]. — Les productions de la peinture et de la sculpture portugaises sont à peu près inconnues non-seulement en France, mais dans les autres pays de l’Europe. Les musées les plus riches en renferment à peine quelques faibles échantillons ; le Louvre, entre autres, ne contient que deux tableaux (un Ecce homo et une Communion de saint Paul), dus à un Portugais, Vasco Pereyra. Encore cet artiste, ayant passé une partie de sa vie à Séville, où il mourut en 1618, doit plutôt être rattaché à l’école espagnole. En outre, les biographies les plus complètes ne mentionnent guère d’autres noms que ceux de Gaspar Diaz et de Campello. M. de Raczynski, auquel on doit déjà une Histoire de l’art moderne en Allemagne, a donc rempli une tâche utile en publiant les documens et les notes qu’un séjour prolongé en Portugal lui a permis de recueillir sur l’histoire des arts dans ce royaume. Nous allons donner un résumé rapide des faits les plus importans consignés dans son livre.

Quelques miniatures, un tableau d’autel représentant le roi Denis (mort en 1325) et sa famille, les décorations maintes fois retouchées du palais de Cintra, telles sont à peu près les seules productions connues de la peinture portugaise jusqu’au milieu du XIVe siècle. « Avant Emmanuel, dit M. Raczynski, nous rencontrons bien quelques noms isolés ; mais jusqu’ici je ne puis encore me persuader que la peinture ait été florissante avant 1500, et elle ne l’a été ni en Espagne ni en Portugal. » Mais tout changea de face sous le règne brillant d’Emmanuel-le-Fortuné (1495-1521). Alors les arts prirent un développement en rapport avec la civilisation du reste de l’Europe, et, pendant que les Portugais allaient étudier sous Raphaël et Michel-Ange, des artistes italiens, et surtout des Allemands, des Flamands et des Hollandais, vinrent se fixer en Portugal. Le mouvement imprimé par Emmanuel se continua sous ses successeurs, et ce fut dans les dernières années du règne de dom Sébastien (mort en 1578) et pendant la première moitié de la domination espagnole que vécut le peintre dont le nom, à peine connu en France, est resté populaire en Portugal : nous voulons parler de Vasco Fernandez, surnommé Gran-Vasco, qui naquit en 1552 à Vizeu, où se trouvent conservés un grand nombre de ses ouvrages. « Il me serait difficile, dit M. Raczynski, de déterminer quels sont les tableaux qu’à Lisbonne on attribue à Gran-Vasco. Il me semble que cette dénomination, dans l’idée qu’on y attache généralement, désigne plutôt une catégorie de vieux panneaux, envisagée sous le point de vue d’un certain air gothique qui lui est propre, qu’une origine, un nom d’auteur et même une nationalité distincte. Il y a des personnes qui vont jusqu’à dire qu’on rencontre des Gran-Vasco en très grand nombre en Allemagne ; d’autres donnent ce nom indistinctement à tous les tableaux du Portugal qui appartiennent au commencement du XVIe siècle ; d’autres enfin établissent des distinctions : ce qui leur parait bien fait est toujours l’œuvre de Gran-Vasco, ce qui est moins bien est de son école. « C’est à Vizeu que M. Raczynski a pu examiner des tableaux qui lui ont paru être réellement de la main de ce maître. Ces tableaux se rattachent non pas à l’école italienne, mais à celle d’Albert Dürer, qui a eu en Portugal une influence bien plus remarquable et bien plus féconde en résultats.

La peinture portugaise paraît avoir atteint son apogée au XVIe siècle, et, bien que les artistes deviennent plus nombreux aux siècles suivans, ils semblent être restés fort inférieurs à leurs devanciers ; du moins c’est ce qu’on peut conclure à tous les faits rapportés par M. Raczynski, qui nous a transmis en outre des renseignemens précis sur l’état actuel de la peinture en Portugal. A en juger par son compte-rendu de l’exposition triennale de 1843, on voit que, malgré les éloges prodigués aux artistes par les journaux de Lisbonne, il est peu enthousiasmé des productions de l’école moderne, et franchement, d’après la situation politique du pays, il n’y a guère lieu de s’en étonner.

Raczynski a consacré aussi plusieurs lettres à l’histoire de la sculpture et de l’architecture. La sculpture ne commença guère à se perfectionner qu’au XVIIe siècle, et, suivant lui, elle n’a rien produit qui puisse rehausser la gloire du Portugal. Les œuvres des sculpteurs de ce siècle et du siècle suivant sont presque toutes en bois et en terre cuite ; les statues en pierre sont dues pour la plupart à des étrangers. L’architecture gothique fut introduite en Portugal sous Jean Ier, dit le Grand (1383-1433), par suite des relations actives qui existaient entre ce prince et les rois d’Angleterre, et, sous Emmanuel, il se forma un style particulier tenant à la fois du gothique et de la renaissance. L’influence italienne domina pendant tout le XVIIIe siècle et le commencement du XIXe ; mais les monumens appartenant à l’époque de Pombal offrent un style particulier que M. Raczynski regarde comme vraiment national.

Le livre de M. Raczynski est une source de précieux renseignemens. L’auteur, ayant parcouru les diverses provinces du Portugal, a mentionné avec le plus grand soin les objets d’art épars dans les localités qu’il a visitées et les artistes auxquels ils sont attribués ; il a en outre publié des documens et des mémoires historiques conservés dans des bibliothèques ou dans des archives : nous citerons, entre autres, plusieurs traités sur la peinture composés vers le milieu du XVIe siècle par François de Hollande, architecte et enlumineur, que Jean III avait envoyé en Italie. François paraît avoir vécu assez intimement avec Michel-Ange, sur lequel il donne quelques détails qui ne sont pas sans intérêt. Nous regrettons seulement que M. Raczynski ait mis aussi peu d’ordre dans l’arrangement des notes qu’il a publiées. Les faits de même nature se trouvent dispersés çà et là, et il est fort difficile de les retrouver. De plus, il y a dans certaines lettres des assertions hasardées ou même fausses qu’il a tenu à y conserver, tout en prévenant qu’il les rectifierait plus loin. Cette confusion rend fort pénible la lecture de son livre, et c’est là un reproche sérieux que nous ne pouvons nous empêcher de lui adresser.


— THE BILIAD, OR HOW TO CRITICIZE, par M. Hughes[4]. — C’est le coup de boutoir d’un poète irritable dont les critiques avaient d’abord caressé, dont ils froissent aujourd’hui l’orgueil. Comme le cerf traqué par une vile meute, le superbe écrivain se retourne, lui fait tête, et distribue aux limiers les plus ardens quelques coups de plume qu’il voudrait rendre mortels. Ces révoltes de l’amour-propre poétique n’ont jamais fait peur à personne, et, pour ce qui nous concerne, elles nous trouveront toujours fort enclins à y applaudir, quand la vengeance du poète sera éloquente, passionnée, spirituelle ; mais la Biliade, hélas ! ne rappelle que par le titre les épigrammes de Pope et de Gifford ou la véhémente imprécation de lord Byron. Ce dernier disait de la Revue d’Édimbourg : « Il faudrait un Hercule pour écraser cette hydre. » Quand on s’en prend à l’Athenaeum (désigné dans la satire de M. Hughes sous le nom d’Atrabilarian) et à M. Dilk, son rédacteur en chef (le poète n’a changé que la première lettre de ce nom) ; quand on répond aux boutades improvisées du Morning Post, il n’est pas besoin de tant de vigueur, mais au moins faudrait-il manier avec une certaine milité le fouet iambique, et ne pas s’exposer sur place à de terribles représailles. Or, M. Hughes, qui relève avec fureur chez ses antagonistes les plus légères fautes d’orthographe commises dans des noms italiens ou portugais, nous a laissé voir en quoi consiste sa connaissance des idiomes étrangers, quand il s’est permis, entre autres facéties de mauvais goût, un distique français contre les repealers, ses compatriotes. Voici, dans toute sa gloire, cette grossière épigramme :

Avec un bruit de guerre un tambour est si bel,
Et c’est aux fanfarons de battre le rappel.


Plus loin nous trouvons O’Connell insulté dans un langage soi-disant homérique : — O le plus philocteané des démagogues, tempête polyphloisbée des tourbières, brailleur hibernoloïme et brotologue ! aboyeur hécatonglotte et arrectophone ! — » Ces invectives pédantes ne sont de mise dans aucune langue, si ce n’est peut-être dans celle qu’on parle à Billingsgate, et c’est là justement que M. Hughes renvoie brutalement les journalistes assez malheureux pour avoir relevé quelques fautes de prosodie dans son poème sur Madère (The Ocean Flower).

Ce qu’il leur reproche en vers assez plats est d’étaler un savoir d’emprunt, de dénigrer autrui pour établir leur supériorité, de juger à tort et à travers suivant qu’ils ont dîné bien ou mal, de se laisser attendrir par des offrandes gastronomiques, d’être indulgens pour les inconnus, implacables pour leurs confrères en littérature.

Ô vous qui souhaitez le renom littéraire,
Soyez duc, cuisinier, pair, savetier, portière,
Tailleur, cabaretier, grenadier, drouineur,
Polonais, Cafre, Affghan, blanc, noir ou de couleur,
Tout ce qu’il vous plaira, si ce n’est journaliste !


À coup sûr, voilà une tirade qui étonnera nos aristarques parisiens si remplis de ménagemens les uns pour les autres. M. Hughes ne nous a pas semblé beaucoup mieux inspiré quand il attaque la chrysolatrie anglaise et l’indifférence dont les hommes de génie sont victimes dans un pays où la richesse et les parchemins classent les hommes. — La France, dit-il,

La France a maintenant pour honneur et sagesse
De tenir en mépris l’argent et la richesse ;
L’intelligence est reine en cet heureux pays,
Et met à leur vrai rang ces ignorans beaux-fils,
Qui n’ont que des aïeux, une grandeur transmise,
Et l’écho d’une gloire en d’autres temps conquise.


Suivent deux vers que nous ne voulons pas nous risquer à traduire, et qui, s’ils n’ont pas la valeur d’un argument péremptoire, sont trop curieux pour être omis :

Bugeaud his Marquisate in boyhood spurns,
And now victorious from a Dukedom turns.

Nous regrettons de ne pouvoir, en terminant, racheter par quelque restriction louangeuse la sévérité de notre jugement sommaire ; mais, si la colère des critiqués a ses droits, il faut en reconnaître d’équivalens à l’ennui des critiques, surtout envers un aussi déterminé champion que ce pourfendeur hibernien, mauvais avocat d’une assez belle et même d’une assez bonne cause.


— Un de nos collaborateurs, M. Ch. Coquelin, dont les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les remarquables travaux sur l’industrie linière, a publié récemment un Nouveau traité de la filature mécanique du lin et du chanvre[5], dans lequel, suivant pas à pas le travail de la filature dans toutes ses phases, il donne une description complète et pratique des opérations qui le précèdent et l’accompagnent, indiquant les progrès accomplis depuis sept ans dans cette importante industrie, et en particulier les perfectionnemens que doit amener l’introduction d’un nouveau métier à filer dû à M. Decoster. M. Decoster a joint à cet ouvrage une série de planches où sont reproduites, sur une échelle étendue et avec une rigoureuse précision, les diverses machines employées jusqu’à présent. Cette utile publication ne peut manquer d’être accueillie avec faveur dans le monde industriel.



  1. Publiées par M. Boecking, 3 vol. in-12 ; Leipzig, 1846.
  2. Leipzig, 1846.
  3. Un vol. in-8e, chez Renouard, à Paris.
  4. Londres, 1846.
  5. 1 vol. in-8o, avec un atlas, chez Roret, 10 bis, rue Hautefeuille.