Chronique de la quinzaine - 31 mai 1881

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Chronique n° 1179
31 mai 1881


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 mai 1881.

On ne peut pas dire que le moment présent soit tout au repos et au plaisir pour les nations de l’Europe. Sans qu’il y ait des menaces apparentes de prochaines et sérieuses complications, il y a bien assez d’affaires et de difficultés pour occuper les peuples et les gouvernemens. L’Angleterre a l’Irlande à pacifier ou à désarmer par sa politique réformatrice mêlée de mesures de coercition. La Russie reste avec les embarras d’un nouveau règne assombri par une catastrophe sanglante, paralysé par des conspirations insaisissables, par des agitations intestines. Le tout-puissant chancelier d’Allemagne lui-même a ses querelles avec son parlement, avec des partis dont il n’a pas facilement raison, et l’Italie a ses crises ministérielles nées de ses mécomptes d’ambition, de ses calculs trompés. La France, quant à elle, passe aujourd’hui par une phase singulière qui ne laisse pas d’être un peu compliquée, qui peut être décisive sous plus d’un rapport. Pour la première fois depuis dix ans, la France se trouve engagée par les armes, par sa diplomatie, dans une entreprise qui nécessite de sa part autant de prudence que de fermeté, qui met en jeu sa politique extérieure, ses relations avec d’autres puissances, ses intérêts méditerranéens. Elle ne pouvait reculer sans manquer à son rôle, elle est maintenant dans cette affaire de Tunis, elle est tenue de s’en tirer à son honneur. D’un autre côté, la France se sent à la veille d’une épreuve intérieure toujours délicate, d’un grand scrutin d’où sortira une nouvelle chambre des députés, et cette crise qui se prépare peut avoir d’autant plus d’importance qu’elle a commencé par se compliquer d’une proposition de réforme du système d’élection, d’une substitution du scrutin de liste au scrutin d’arrondissement. Ainsi, en même temps qu’elle a devant elle cette question à la fois militaire et diplomatique de Tunis qui est peut-être encore loin d’être finie, la France entre dans la période des complications, des agitations, des combinaisons électorales. Qu’en sera-t-il de cette expérience nouvelle ? C’est là justement le secret de cette phase où nous sommes, qui peut certainement être décisive pour nos affaires intérieures et extérieures, pour la politique tout entière du pays.

Et d’abord qu’on se représente à peu près la situation intérieure telle qu’elle est aujourd’hui, telle que l’ont faite les plus récens incidens. Ce qu’il y a d’évident, c’est que la lutte électorale, avant même d’être légalement ouverte, est désormais engagée.

Elle est un peu partout. Elle est dans ce voyage que M. le président de la chambre des députés vient de faire à Cahors, sa ville natale, et qui n’a d’autre tort que de ressembler par certains détails à quelque épisode du Roman comique. Elle était hier encore dans le discours, d’ailleurs vigoureux et sensé, par lequel M. le président du conseil s’est efforcé de rassurer les sentimens religieux du pays en défendant contre les passions anticléricales les intérêts du recrutement du clergé, en essayant d’obtenir pour les étudians ecclésiastiques un adoucissement des rigueurs du service militaire. Cette lutte électorale, elle a été particulièrement engagée, il y a quelques jours, par cette discussion qui a un instant passionné la chambre, qui a désorganisé la résistance des partisans du scrutin d’arrondissement et a fait triompher le scrutin de liste. La campagne a été du reste vivement conduite par un habile stratégiste. À peine le parlement a-t-il été de nouveau réuni après ses dernières vacances que la question s’est imposée en quelque sorte. M. le président de la chambre, qui depuis longtemps a fait du scrutin de liste son affaire personnelle, s’est jeté aussitôt dans la mêlée, et le discours qu’il a prononcé a décidé la victoire en mettant un au combat. Jusqu’au bout, il est vrai, même après le discours de M. Gambetta, le dénoûment semblait singulièrement incertain. Au premier vote secret, la chambre s’est presque partagée, il n’y a eu qu’une différence de huit voix entre les deux camps. Au second vote, qui a été public, tout avait déjà changé, et si dès lors la majorité n’a cessé de grandir, c’est que beaucoup de vaincus du premier scrutin ont dû s’empresser de se réconcilier avec le vainqueur, c’est que rien ne réussit comme le succès, selon le mot vulgaire ; c’est qu’aussi on a tâché de laisser l’espérance à ceux qui pouvaient se sentir menacés dans leurs intérêts électoraux. On leur a laissé une porte ouverte ; on n’a pas seulement maintenu le nombre des députés tel qu’il existe aujourd’hui, on a augmenté considérablement ce nombre sans s’inquiéter si ces combinaisons de fantaisie, ces expédiées de circonstance, n’auraient pas pour résultat de troubler l’équilibre des pouvoirs publics. Tout cela a été fait en quelques heures, au pas de course, par une sorte de mouvement qui, une fois décidé, s’est précipité vers le but comme si on avait hâte d’en finir.

Reste à savoir maintenant si ce qui a été fait par la chambre des députés sera ratifié par le sénat, et si cette réforme du système électoral habilement préparée depuis quelques mois, éloquemment soutenue au Palais-Bourbon, ne va pas décidément échouer au Luxembourg. Il n’est point douteux qu’au sénat comme dans l’autre chambre, le scrutin d’arrondissement compte des partisans nombreux, même parmi les républicains, et il y a une raison de plus pour qu’on y regarde de près au Luxembourg. La réforme nouvelle ne soulève pas, à proprement parler, une question constitutionnelle sans doute, puisque la constitution n’a rien prévu, rien fixé sur ce point. Les pouvoirs publics cependant ont été établis dans certaines conditions d’équilibre, ils sont appelés à se réunir en congrès, à concourir ensemble à des actes de puissance souveraine dans des circonstances déterminées. Si l’un de ces pouvoirs cherche dans dès modifications organiques une force nouvelle, des élémens nouveaux de prépondérance, n’en résulte-t-il pas aussitôt et par cela même un affaiblissement relatif de l’autre pouvoir ? Si l’on réforme le système électoral avec l’intention avouée de créer par des manifestations concentrées du suffrage universel un instrument de règne, si de plus le nombre des députés est sensiblement augmenté, n’est-ce pas une révolution dans les rapports des deux assemblées ? Il s’ensuit que les prérogatives ordinaires des deux pouvoirs restent ce qu’elles étaient et que l’équilibre n’est plus le même, que la constitution, sans être méconnue ou altérée en apparence, peut être atteinte dans son essence, dans son esprit. Pour ceux qui veulent supprimer le sénat ou le réduire à un rôle subordonné et impuissant, c’est tout simple. Pour ceux qui croient à la nécessité d’une assemblée représentant avec autorité la réflexion et la prévoyance, c’est une autre question. Il y a dans les combinaisons récemment adoptées un danger, tout au moins une anomalie dont certains membres du sénat se sont déjà préoccupés, et l’augmentation du nombre des députés, par exemple, pourrait bien rencontrer de vives résistances au Luxembourg. Il y a des chances pour que cette augmentation soit sérieusement contestée. Ira-t-on au-delà ? Poussera-t-on l’opposition jusqu’à mettre en doute d’autres parties de la loi nouvelle, le principe même de cette loi, comme semblerait l’indiquer un premier vote des bureaux ? Ce serait alors une affaire bien autrement grave, et le sénat, eût-il peu de goût pour la réforme qui lui est soumise, pourrait hésiter à prendre l’initiative et la responsabilité d’un vote qui créerait une situation singulièrement difficile, puisqu’on se trouverait entre un système repoussé au Luxembourg et un système désavoué au Palais-Bourbon. Le sénat n’ira pas peut-être jusqu’à cette extrémité ; dans tous les cas, il ne votera la loi que parce qu’il ne pourra guère faire autrement, et ce qu’il y a de plus clair en tout cela, c’est qu’en définitive on va à cette réforme avec peu d’entrain, avec une conviction médiocre, et des idées passablement confuses sur les conséquences possibles de cette révolution nouvelle du régime électoral.

A quoi tiennent ces confusions, ces hésitations ou ces résistances qui se reproduisent dans le sénat comme elles se sont produites dans la chambre des députés, qui sont dans l’opinion, et que toutes les discussions, tous les artifices de parole n’ont pu entièrement dissiper ? Il faut voir les choses comme elles sont. La vérité est que, dans tous ces débats, il n’y a aucune de ces questions supérieures qui peuvent passionner ou diviser les esprits, mais qui les animent et les relèvent en leur offrant un but précis et distinct. Il ne s’agit nullement d’un principe de droit public, pas même de la valeur comparative du scrutin de liste et du scrutin d’arrondissement. Il s’agit d’une tactique, d’une stratégie dont on ne démêle pas toujours les secrets. Ce scrutin de liste auquel on revient aujourd’hui, il n’a rien de nouveau ni rien d’inquiétant. Depuis que le suffrage universel existe, il a été souvent pratiqué et il a cela de particulier qu’il a profité alternativement à tous les partis. Il peut avoir l’avantage de dégager les élections de la vulgarité des influences locales, de leur imprimer un caractère plus politique, et dans un autre moment ou dans d’autres conditions, il eût été sans doute moins contesté. Non, ce n’est pas l’idée elle-même qui est en question. Cette idée, reprise il y a quelques mois en toute sincérité par un esprit aussi distingué que bienveillant, aurait pu être étudiée ; elle aurait pu être réalisée avec maturité et traduite dans une législation sérieuse, prévoyante. Ce qui l’a compromise et rendue assez suspecte, c’est qu’elle n’a pas tardé à se compliquer, et à prendre la forme, le caractère d’un expédient conçu pour faire en quelque sorte violence à toute une situation. Parlons franchement. Quelle que soit la valeur théorique du scrutin de liste, la réforme pour laquelle on a livré l’autre jour une si ardente bataille, cette réforme, par la signification qu’elle a prise, par les circonstances dans lesquelles elles s’est produite, avait des inconvéniens de diverse nature qui ne pouvaient manquer de donner à réfléchir, qui devaient frapper des esprits sérieux ou, si l’on veut, défians.

Le premier de ces inconvéniens, c’était que la réforme nouvelle avait évidemment quelque chose d’artificiel et d’arbitraire. Elle ne naissait pas de la situation même. Elle a pu être examinée, débattue dans des polémiques plus ou moins habiles, plus ou moins ingénieuses ; elle ne répondait à aucun mouvement sensible d’opinion, à aucune sollicitation, à aucun désir saisissable du pays. Depuis quelques mois, tous les conseils locaux, départementaux, ont eu l’occasion de se réunir, ils ont pu émettre des vœux ? il n’y a eu en réalité aucune apparence de manifestation. Il a pu y avoir un certain bruit de discussion, une certaine agitation dans ce monde où les questions factices se succèdent, où tout est livré, matin et soir, à l’ardeur des polémiques ; la masse nationale est restée à peu près indifférente.

Bien mieux : l’idée d’une réforme de ce genre qui a toujours sa gravité ne se produit d’habitude que lorsqu’on croit avoir à se plaindre d’un régime, lorsqu’on a souffert dans ses opinions ou dans ses intérêts d’une législation. Chose étrange ! ici au contraire la légalité existante a comblé et dépassé les espérances de ceux qui ont, à l’heure qu’il est, la prépondérance dans le parlement et qui ne trouvent rien de mieux que de briser l’instrument auquel ils ont dû la puissance. Cette légalité, elle a produit des chambres républicaines, non-seulement, comme on le dit, en 1877, sous. le coup d’un retour offensif de réaction qui provoquait l’unité des efforts de résistance, mais en 1876, lorsque la première expérience de la loi électorale s’accomplissait sous les auspices d’un ministère conservateur. Juge-t-on que les fruits de l’expérience aient été amers ? trouve-t-on que cette chambre de 1876 et de 1877, bien que réunissant la fleur du parti républicain, ait été décidément insuffisante, pleine de préjugés, vulgairement agitatrice et stérile ? Ce serait un peu sévère de la part d’ennemis avérés. Qu’est-ce donc lorsque ce sont des amis, des membres de la majorité elle-même qui, pour justifier leurs projets de réforme, sont obligés de sous-entendre qu’un certain nombre de leurs collègues ne représentent qu’une médiocrité incohérente, lorsque c’est un président qui descend exprès de son fauteuil pour offrir de si gracieux complimens à ceux qui lui ont donné son autorité ? Le spectacle est au moins nouveau. M. Gambetta sait relever les questions, sans doute. Il nous assure que la chambre a été ce qu’elle pouvait être avec son origine, et que le moment est venu où le scrutin de liste est nécessaire pour donner plus de cohésion à la majorité, plus de force au gouvernement, pour créer Une situation où l’on puisse pratiquer avec suite, avec autorité, la politique de l’état républicain. Eh bien ! soit, la chambre qui va mourir n’a point suffi à son rôle ; mais est-on sûr que le scrutin d’arrondissement soit le seul Ou le principal coupable, que sous le régime du scrutin de liste, même avec les candidatures parisiennes qui iront chercher fortune en province, le résultat sera sensiblement différent, que dans ce parlement nouveau il y aura des capacités inconnues jusqu’ici, un esprit politique supérieur ? Croit-on que le scrutin de liste suffira pour créer des majorités qui ne soient plus subordonnées à des intérêts locaux ou personnels, pour susciter des ministères à l’intelligence résolue, pour donner à la république la politique que M. Gambetta invoque pour elle ? S’il n’y avait qu’à modifier un article de loi et à transporter une boîte de scrutin de l’arrondissement au département, ce serait trop facile. Ne voit-on pas que tenter les expériences et braver l’inconnu dans ces conditions sans plus de garanties, sans aucune sollicitation du pays, c’est tout simplement avoir l’air de changer pour changer, et cacher sous de grands mots, sous une apparence de progrès, un sentiment inavoué de malaise et d’instabilité ? Que le scrutin de liste soit bon ou mauvais en lui-même, il ramène pour le moment là mobilité dans les lois fondamentales et il risque fort de n’être pas un remède à tous les maux, comme on le suppose complaisamment. Un autre inconvénient caractéristique de cette réforme, c’est qu’elle a par trop l’air d’être la victoire d’un homme, l’affaire personnelle de M. le président de la chambre des députés. M. le président de la république paraît avoir eu des doutes sur l’opportunité de la loi nouvelle ; il n’a rien dit, réfugié qu’il est dans son irresponsabilité. Le ministère, qui n’est pas irresponsable quant à lui, qui est censé être le chef de la majorité, le ministère n’a rien dit non plus, paralysé qu’il est par des divisions d’opinions. M. le président de la chambre a seul triomphé : c’est son œuvre et son succès ! M. Gambetta, cela est bien clair, cherche, dans ce qu’il appelle une « concentration du suffrage universel, » des forces nouvelles dont il compte se servir un jour ou l’autre, et il n’a même pas caché que ce qu’il aime dans le scrutin de liste, c’est sa ressemblance avec le plébiscite. Il faut à M. le président de la chambre les grands moyens dignes des grandes ambitions ! Assurément M. Gambetta est désormais un personnage dans la république, et cette position qu’il a aujourd’hui il l’a conquise pas à pas depuis dix ans par la parole, par la dextérité, par ses interventions décisives dans les momens les plus difficiles, par l’habileté avec laquelle il a su maintenir et agrandir sans cesse son influence dans le parlement et hors du parlement. Son importance est un de ces faits avec lesquels il faut toujours compter en politique. Malheureusement, avec toutes les qualités qui expliquent ses succès et sa marche ascendante, M. Gambetta laisse voir à tout instant, dans sa forte et souple nature, de singulières lacunes. Avec lui, les observateurs désintéressés ne savent jamais bien où ils en sont. Un jour, il parle en politique avisé, en homme de gouvernement, presque en sage ; le lendemain, il a le langage, les procédés, les vulgaires brutalités d’un sectaire. Tantôt il se montre conciliant, à peu près modéré, — tantôt il se laisse aller aux passions les plus exclusives, aux plus violentes intolérances de parti. Au moment où il désavoue toute pensée d’antagonisme vis-à-vis de M. le président de la république, il se laisse traiter en chef de l’état, il parle en chef de l’état, et sa bonhomie assez ronde s’accommode parfois d’une ostentation qui ressemble à de la comédie. M. Gambetta a de la popularité, on le voit bien ; il n’en est pas encore à inspirer cette confiance sérieuse sans laquelle un homme public ne peut rien, et ce qui lui manque, il ne l’aura certainement pas trouvé dans son récent voyage à Cahors, au milieu des fêtes et des galas qui lui ont été prodigués.

Rien certes de plus simple que le sentiment qui ramenait M. Gambetta dans sa ville natale, après dix ans d’absence, et rien de plus naturel aussi que l’empressement des habitans de Cahors à recevoir, à fêter un si brillant compatriote. On conviendra bien pourtant que la réception a manqué un peu de simplicité, qu’il y a eu un peu trop de carillons sur le passage du triomphateur, trop de pompes, trop de mise en scène, trop de préfets des départemens circonvoisins, trop de députations, trop d’adulations, trop d’historiographes à la suite pour raconter le mémorable événement, — et qu’au bout du compte tout cela n’a pas été exempt d’un certain ridicule. On n’a pas porté M. Gambetta sur un char, et c’est bien heureux : sauf ce détail, le gala a été complet. Tenez, au milieu de toutes ces exubérances assez souvent puériles, il n’y a qu’un fait sérieux et touchant, plus touchant et plus sérieux que toutes les démonstrations. On a profité de la circonstance pour inaugurer un monument funèbre destiné à honorer les mobiles du Lot morts pendant la guerre. C’est une histoire peu connue, et cependant parmi ces braves gens de toute classe, de tout rang, appelés du soir au lendemain sous le drapeau, improvisés soldats, les actes d’intrépidité, les dévoûmens héroïques, les généreux sacrifices, n’ont pas manqué. Au pied de ce monument, élevé sur les coteaux de Cahors, un officier de l’armée territoriale a lu les états de service des mobiles du Lot ; il a raconté que ce vaillant régiment attaché à l’armée de la Loire avait pris part à quatorze combats jusqu’à la retraite du Mans, qu’il avait perdu bien près de mille hommes de son effectif, qu’il avait eu dix officiers tués et quinze blessés. Saisissant et viril témoignage de ce qu’on pouvait attendre de cette jeunesse dévouée qui, dans son inexpérience de la guerre, a su mourir, qui a reçu l’autre jour, le général Appert a eu raison de le dire, un tardif hommage ! Convenez qu’auprès de ce bulletin, les discours prononcés par M. le président de la chambre ou les discours qui lui ont été adressés pâlissent singulièrement, et qu’en songeant à ces morts obscurs, on s’intéresse un peu moins aux promenades de M. Gambetta, au récit des ovations que le grand homme en voyage a reçues des femmes du marché de Cahors !

Maintenant le président de la chambre des députés est rentré pour son repos à Paris, et ce qu’il a de mieux à faire, c’est d’oublier les banalités qui n’ont manqué à aucune fortune nouvelle pour ne se souvenir que des paroles plus sérieuses qu’il a prononcées, avec intention sans doute, qui de sa part ressemblent à un engagement. Une fois de plus il a désavoué avec énergie toute pensée de rivalité avec M. le président de la république : la sanction la plus décisive qu’il puisse donner à son langage, c’est de ne pas se prêter à ce rôle de protecteur ou d’inspirateur irresponsable du gouvernement qu’on lui fait trop souvent, de n’avoir pas l’air d’opposer pouvoir à pouvoir, présidence à présidence. M. Gambetta a chaleureusement démontré à ses compatriotes la nécessité de ne pas « mettre à la fois tout en question, » particulièrement de ne pas toucher à la constitution, de lui obéir avec fidélité : le gage le plus efficace qu’il puisse donner de sa sincérité, c’est, non-seulement de défendre cette constitution contre ce qu’il appelle des « révisions prématurées, » mais de la respecter et de la faire respecter dans son esprit, dans ses conditions essentielles, de ne pas paraître renouveler pour le sénat l’alternative de se soumettre ou de se démettre. M. le président de la chambre, parlant, lui aussi, devant le monument des mobiles du Lot, a témoigné le regret que le concours d’efforts patriotiques, de bonnes volontés, de dévoûmens qui s’était manifesté pendant la guerre n’ait pas pu « se poursuivre sur le champ de bataille pacifique de la discussion, dans la recherche des progrès à accomplir, dans l’éducation, dans la question de la forme politique de gouvernement… » Fort bien ! on ne peut pas se flatter sans doute que cet accord fût facile à réaliser et à maintenir longtemps ; mais dans tous les cas le meilleur moyen d’y travailler sérieusement, d’approcher de la réalisation de cette pensée, ce serait de faire en sorte que la république ne devînt pas une domination départi, de ne pas rendre impossibles les alliances, les rapprocherons par les exclusions passionnées, par la guerre aux croyances, aux intérêts, aux situations. M. le président de la chambre, en parlant de cette union qui n’est qu’un rêve rétrospectif et en témoignant assez platoniquement le regret qu’elle n’ait pas pu devenir une réalité bienfaisante, s’écrie dans son discours de Cahors : « Ah ! que la France serait grande ! » Elle serait grande, en effet, à la condition de ne pas perdre son temps et ses forces dans de stériles conflits de partis, à la condition de ne pas mettre tout en question à la fois, comme le dit M. Gambetta, et de pouvoir suivre avec persévérance une politique de sérieuse et libérale modération dans ses affaires extérieures comme dans ses affaires intérieures.

La France d’aujourd’hui a deux sentimens également vifs. Si par ses instincts les plus profonds elle appelle, elle réclame la sécurité intérieure, elle n’est pas moins attachée à la paix extérieure, et la vivacité même de ce sentiment pacifique est une garantie de plus de la modération qu’elle doit porter dans une affaire comme cette question de Tunis qu’elle n’a point recherchée, qu’elle a dû accepter, qu’elle est tenue maintenant de conduire jusqu’à un dénouaient propre à sauvegarder ses intérêts. Ou en est-elle aujourd’hui, cette campagne à la fois diplomatique et militaire entreprise par nécessité, par une raison supérieure de sûreté ? Évidemment, rien n’est encore terminé. Les forces françaises, réunies sous le général Forgemol, continuent, dans ces régions abruptes de l’ouest de la régence, leurs opérations laborieuses, le plus souvent sans rencontrer un ennemi toujours fuyant, sans avoir eu jusqu’ici à livrer des combats bien sérieux. Elles cernent les montagnes, elles occupent les points principaux sur la côte comme dans la vallée de la Medjerda. C’est à la faveur de Ce développement militaire étendu par degrés jusqu’aux portes de Tunis que le gouvernement français a pu imposer au bey le traité de garantie qui établit, dans des conditions nouvelles, nos rapports avec la régence, et ce traité a été, il y a peu de jours, soumis aux chambres, qui se sont empressées de le ratifier. Le traité du Bardo a toute l’autorité diplomatique qu’il peut avoir. Il reste maintenant à l’exécuter, à imprimer une certaine fixité à la situation nouvelle, à prendre des mesures pour que l’ordre que nous allons créer soit à l’abri de toute subversion, et c’est là justement la difficulté. Non sans doute, tout n’est pas fini en Tunisie, L’exécution même de ce traité récemment signé peut soulever des questions assez graves ou tout au moins assez inextricables. Il n’est point douteux que le gouvernement français, en se constituant le représentant du bey à l’étranger et en garantissant les conventions des autres puissances avec la régence, s’est créé une série d’embarras éventuels. Il s’est imposé auprès du bey des obligations aussi épineuses que variées qu’il aura peut-être parfois quelque peine à remplir. Comment va-t-il procéder ? S’il se décide à s’éloigner des abords de Tunis, à rappeler nos troupes de la régence, tout peut recommencer à mesure que notre retraite s’exécutera. Si on reste indéfiniment, si l’on s’établit dans une série de postes sur la côte et dans l’intérieur jusqu’aux portes de Tunis, on touche à une annexion à peu près complète dont le gouvernement désavoue jusqu’ici la pensée.

Ce qu’il y a de plus apparent, c’est que dans l’intérêt de notre autorité à Tunis, comme dans l’intérêt des opérations qui restent à accomplir et de notre sûreté en Algérie, la nécessité d’une occupation assez prolongée semble dès ce moment démontrée. Puisque l’entreprise est engagée, il n’y a plus qu’à aller jusqu’au bout, et on ne peut désormais songer sérieusement à quitter la régence que lorsque les résultats qu’on s’est proposé d’obtenir seront définitivement et irrévocablement acquis, lorsque l’esprit d’intrigue et de résistance qui nous a appelés à Tunis se sera décidé à se soumettre aux faits accomplis. Les difficultés sont évidentes, sans doute ; elles ne sont point insurmontables pour une politique patiente, mesurée et résolue, attentive à ne rien brusquer, à concilier tous les intérêts, à montrer que, dans cette œuvre de la France en pays barbaresque, il n’y a rien qui puisse motiver cette étrange, explosion de susceptibilités dont le dernier traité a été l’occasion.

Que la Porte, encore toute meurtrie des défaites et des pertes qu’elle n’a point apparemment à reprocher à la France, essaie de consoler son orgueil avec des circulaires et des protestations au sujet d’une régence depuis longtemps détachée de l’empire ottoman, c’est peut-être étrange, ce n’est pas bien grave. Les protestations de la Porte vont se perdre dans les archives des chancelleries, et ses velléités d’intervention plus active se sont calmées devant un mot de notre ambassadeur à Constantinople. Ce qu’il y a de plus singulier et de plus triste, c’est l’émotion un peu extraordinaire qui s’est manifestée dans des pays comme l’Angleterre et l’Italie, qui s’était révélée dès l’entrée de nos troupes en Tunisie et qui, sous la première impression du traité du Bardo, est devenue un instant une espèce d’animosité contre la France. Il y a une distinction à faire sang doute. Les gouvernemens eux-mêmes, dans des pays qui passent pour amis, n’ont rien fait ni rien dit contre notre entreprise tunisienne. Il y a peu de jours, le chef du cabinet de Londres, M. Gladstone, saisissant l’occasion qui lui était offerte dans le parlement, n’a point hésité à reconnaître plus ou moins implicitement les droits de la France à rappeler qu’on ne pouvait pas reprocher à un gouvernement ami de faire ce que l’Angleterre a fait plus d’une fois ; il a insisté sur l’intérêt qu’il y avait pour les deux nations à ne pas se laisser détourner de l’alliance qui les unit a depuis plus d’une génération. » Le gouvernement anglais a pu faire diplomatiquement ses réserves sur certains points réglés par le dernier traité tunisien et prendre acte des déclarations, des engagemens de notre cabinet. Il n’a rien fait de plus et il n’a visiblement l’intention de rien faire de plus dans une question où il se sent d’ailleurs lié par la politique de ses prédécesseurs, de lord Salisbury ; mais en dehors des gouvernemens, il est bien clair qu’il y a une certaine opinion qu’on a cherché à émouvoir. La mauvaise humeur ne se cache pas. On n’est pas allé sans doute jusqu’à nous mettre complètement en accusation et à solliciter la réunion d’une conférence pour nous juger ; on n’est pas allé non plus jusqu’à encourager le bey dans ses résistances et la Porte dans ses protestations, dans ses velléités d’intervention. On ne s’est pas du moins interdit les mauvais propos, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que toute cette mauvaise humeur prend soin de se déguiser sous la forme d’une sollicitude sympathique et inquiète. Quoi donc ! depuis dix ans, la France était si sage, si peu embarrassante ; elle laissait tout faire, et la voilà se lançant de nouveau dans les aventures, perdant d’un seul coup sa bonne renommée de modération, inquiétant ses amis, — qui sait ? menaçant peut-être déjà la paix de l’Europe ! Et les Italiens se joignant aux Anglais assurent, eux aussi, que nous nous exposons à perdre leur amitié !

Ce sont là, pour parler franchement et sans mauvaise pensée, d’étranges amis des grandes occasions. Quelle idée se font-ils donc de notre pays et quel est le rôle que leur amitié veut bien nous permettre ? Tant que la France, éprouvée par les plus grands malheurs, abandonnée de tous, se fait du recueillement une politique, évitant toute démarche indiscrète, se prêtant à tout ce qui peut maintenir la paix, laissant les autres suivre leurs ambitions, oh ! alors, on n’a pas assez de louanges et de complimens pour elle. Le jour où, ne consultant que son intérêt et son droit, sans troubler ni menacer personne, elle croit le moment venu de songer à ses propres affaires, elle redevient aussitôt la nation remuante et ambitieuse. Il faudrait pourtant en finir avec ces vaines récriminations et voir la vérité ! La vérité vraie, c’est que si la France, pendant bien des années, s’est tenue dans une réserve absolue, nécessaire, cette réserve ne pouvait être une abdication, et que si elle s’est décidée aujourd’hui à aller chercher à Tunis la sûreté de ses possessions algériennes, elle ne songe ni à menacer la paix du continent ni à se jeter dans des aventures. Les Anglais sont des esprits assez vigoureusement sensés et assez pratiques pour comprendre que la puissance qui a Gibraltar, Malte et Chypre, n’a pas à disputer un poste à Tunis. Les Italiens eux-mêmes, après avoir eu la tête un peu troublée, en tarderont pas sans doute à retrouver le calme et à s’apercevoir que ce qu’ils ont de mieux à faire, c’est de revenir à une politique de bon sens, de bonne entente avec la France. Aider à ce retour, c’est après tout la seule mission que puisse avoir le cabinet qui vient enfin de se former sous la direction de M. Depretis, après une longue crise ministérielle pendant laquelle les esprits auront eu le temps de se calmer.

Dans le tourbillon des événemens ou des incidens qui se succèdent un peu partout, en France comme dans tous les autres pays, les hommes qui ont eu leur moment d’éclat et leur rôle disparaissent. Les derniers représentans des générations anciennes s’en vont après avoir vu le monde se renouveler plusieurs fois dans leur longue existence. On compte désormais ceux qui sont entrés dans la carrière au déclin du premier empire et qui ont vécu au temps de la restauration. Ceux qui ont vu la révolution de 1830 et qui ont rempli la scène publique sous le gouvernement de juillet, ceux-là mêmes commencent à devenir rares ; la mort emporte ces témoins du siècle. C’est à ces générations actives et fortes d’autrefois qu’appartenait M. Duvergier de Hauranne, qui vient de s’éteindre dans sa propriété du Berry. M. Duvergier de Hauranne datait de l’autre siècle, il était plus qu’octogénaire. Depuis quelques années déjà, il vivait retiré de ce monde de la politique, où il avait eu son jour, sa part d’action et de renommée. Môle aux événemens de la fin de la restauration et du régime de juillet comme écrivain et comme député, il avait été le compagnon, l’émule des Thiers, des Rémusat, des Duchâtel, des Vitet. Ami ardent pour ceux dont il épousait la cause, adversaire redoutable pour ceux qu’il combattait, il avait été un des politiques les plus actifs jusqu’au 2 décembre 1851. Le jour où la liberté disparaissait, il occupait sa retraite à raconter ce qu’il savait si bien, à écrire l’Histoire du gouvernement parlementaire en France. Sans reprendre un rôle après les douloureux événemens de 1870, il avait, comme M. de Montalivet, accompagné de ses vœux M. Thiers dans sa tentative pour fonder une république conservatrice, qui lui apparaissait comme le seul régime possible. Il était né libéral et parlementaire, il est mort libéral et parlementaire, et si ces sentimens virils ne suffisent pas toujours pour sauver les gouvernemens, ils laissent du moins l’honneur à ceux qui ont su s’en inspirer.


CH. DE MAZADE.

LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE


Le règlement simultané de la question turco-grecque et de la question tunisienne devait nécessairement exercer une heureuse influencé sur le marché financier pendant la seconde quinzaine de mai. C’est, en effet, ce qui a eu lieu. En général, la tenue des fonds publics en Europe a été très ferme, quoique très calme. Le 5 pour 100 français seul a fait exception : il s’était un instant relevé à 120 francs. De grosses ventes effectuées, dit-on, pour le compte des Compagnies d’assurances, et le bruit habilement répandu de la conversion, l’ont ramené au-dessous de 119.50.

Le mouvement que nous faisions pressentir dans notre dernière chronique sur les chemins français s’est produit avec une violence que nous ne saurions trop déplorer. Nous tenons ces titres du Lyon, du Nord, du Midi et de l’Orléans pour un placement de premier ordre ; mais nous ne pouvons considérer comme justifiée une hausse de plus de 200 francs en quelques jours. Le Nord vaudra assurément 2,200 francs, mais ce n’est pas en moins d’une semaine qu’il aurait dû arriver à ce niveau.

Si les chemins français ont beaucoup monté, les titres des compagnies étrangères ont suivi leur exemple, l’Autrichien surtout, que l’on a poussé jusqu’à 780, en escomptant la part que la société pourra prendre dans la construction et l’exploitation des chemins bulgares.

De toutes les actions des institutions de crédit, une seule a eu un marché très animé pendant là quinzaine, l’action de la Banque de France. Une brochure, toujours annoncée et qui ne paraît jamais, démontrera, dit-on, que ce titre vaut 8,000 francs. Une préface, déjà parue, donne une assez pâle ébauche de la démonstration. Pendant quatre mois les bénéfices de la Banque ont doublé ; donc ils doubleront encore pendant le reste de l’année ; le dividende de 154 francs pour 1880 se transformera en un dividende de 250 à 300 francs ; donc l’action doit monter de 4,000 à 8,000. Ce raisonnement repose sur de pures hypothèses ; la hausse peut s’étayer sur de meilleurs argumens. La Banque de France réalise de nombreuses et importantes réformes ; ces transformations vont faire jaillir de nouvelles sources de profit. C’est à ce compte seulement que la Banque de France pourra être cotée avant peu au-dessus de 6,000 francs.

Les autres actions de banque ont peu fait parler d’elles et leurs cours sont restés pour la plupart à peu près immobiles. L’occasion se présente d’elle-même de revenir sur leur passé et de constater, d’après les rapports lus aux assemblées, les résultats de l’exercice 1880 pour les plus importantes d’entre elles.

Le Crédit Lyonnais (assemblée du 12 mars) a procédé au doublement de son capital, qui s’élève maintenant à 200 millions, dont 100 millions versés. Le montant des réserves est de 80 millions. Le Crédit Lyonnais disposé en outre d’un chiffré énorme de dépôts à vue ou à échéance fixe. C’est une machiné de guerre d’une puissance incomparable. Mais le portefeuille de l’établissement contient un grand nombre d’actions de la Foncière Lyonnaise, de la Société lyonnaise des eaux et de l’éclairage et des compagnies d’assurances le Monde et la Caisse paternelle. De plus, le Crédit Lyonnais a fait des avances sur une grosse partie de ses actions anciennes pour les versemens à opérer sur les nouvelles. La marche du mécanisme social se trouve par là fort embarrassée. Le cours de 900 francs ne sera dépassé que lorsque cette situation se sera éclaircie.

Le Comptoir d’escompte (assemblée du 31 janvier) a gagné 3,778,800 francs dans le premier semestre de 1880 et 4,595,435 francs dans le deuxième. Il a pu ainsi donner un dividende de 46 francs à chacune de ses cent soixante mille actions, qui valent aujourd’hui plus de 1,000 francs. Le Comptoir d’escompte a participé à diverses émissions. Il lance en ce moment, de concert avec la Banque de Paris, un emprunt 6 pour 100 de la république argentine au cours de 91, alors que les deux emprunts 6 pour 100 déjà existans de cet état sont cotés à Londres 101 1/2 et 97 1/2.

La Société générale (assemblée du 26 mars) a gagné en 1880 5,726,110 francs de bénéfices nets, somme qui lui a permis de distribuer à chacune de ses deux cent quarante mille actions un dividende de 20fr. 61. Les réserves de la Générale atteignent le chiffre de 14 millions, soit 58 francs environ par action. Quand cet établissement se sera débarrassé du boulet péruvien, il pourra donner de très beaux dividendes à ses actionnaires.

Au Crédit foncier (assemblée du 6 avril), de magnifiques résultats ont été annoncés aux actionnaires : développement considérable des prêts, liquidation extrêmement heureuse du portefeuille égyptien, dégagement de colossales réservés. Tout étant pour le mieux, on a pu donner un dividende de 42 fr. 50. Si le conseil d’état autorise la création des actions nouvelles au moyen de la répartition des réserves, on verra les titres monter encore, malgré la maigreur forcée du dividende.

La Banque de Paris (assemblée du 7 mai), avec un capital de 62,500,000 francs entièrement libéré, présente un produit net de 12,222,220 francs, dont 7,500,000 francs ont servi à fournir un dividende de 60 francs par action. Les réserves s’élèvent à un total de 21millions, représentant plus du tiers du capital social. De tels résultats sont dus à une incessante activité ; à un choix toujours heureux des entreprises et des opérations. Nous rappellerons seulement l’émission des obligations de la Banque Hypothécaire de Suède, la conversion de trois emprunts suédois, la réunion et le développement du réseau ferré de l’Andalousie, l’emprunt de Québec, la création du Crédit foncier canadien, rémission des obligations roumaines 6 pour 100, enfin la part plus ou moins importante prise par la Banque de Paris dans l’emprunt norvégien, l’emprunt indien, l’emprunt de la ville de Lyon, le Crédit foncier égyptien, la Compagnie générale du gaz pour la France et pour l’étranger, le Panama, etc.

La Banque d’Escompte (assemblée du 24 mai 1881) a pris part en 1880 à l’émission de divers emprunts d’état et à la création de sociétés nouvelles en France et au dehors, notamment à la constitution du Crédit foncier égyptien. On sait de plus combien active a été la participation du même établissement dans la création de la Banque Hypothécaire, dont le succès commence à s’affirmer, et dans la constitution de la Foncière-Vie, de la Foncière-Transports, des deux sociétés Fondiaria-Vie et Fondiaria-Incendie en Italie et de la Foncière austro-hongroise en Autriche. Les opérations engagées et liquidées en 1880 ont laissé un bénéfice net de 7,228,000 francs qui a permis la distribution d’un dividende de 31 fr. 25, c’est-à-dire égal à celui de l’année précédente. Ce résultat est d’autant plus remarquable que la Banque d’Escompte paraît s’être attachée, l’année dernière, à développer les élémens de bénéfices des opérations courantes plutôt qu’à multiplier les fondations nouvelles.

L’Union générale (assemblée du 30 avril 1881) a pu offrir à ses actionnaires un compte de profits et pertes s’élevant net à 11,466,000 fr. et représentant plus de 90 pour 100 du capital social effectif. Dans ce chiffre de bénéfices ne figurent pas ceux que l’Union générale a retirés de la création de la Banque priviligée des pays autrichiens. On sait qu’en décembre 1880, le capital de l’Union générale a été doublé, les actionnaires ont reçu pour chacun de leurs titres anciens ou nouveaux un dividende de 40 francs. Quant à la société, elle dispose désormais d’un capital effectif de 25 millions, d’un ensemble de réserves s’élevant à 27 millions et de 100 millions environ de dépôts. Voilà pour le passé. L’avenir s’annonce plus prospère encore, grâce aux entreprises considérables dont l’Union générale a pris l’initiative et qui devront avant peu opérer une véritable révolution économique dans l’Europe orientale. Dans quelques jours, la Skoupchtina serbe donnera son approbation au contrat passé entre le gouvernement du prince Milan et l’Union générale pour la concession d’une Banque nationale. Ainsi l’Union générale en quelques mois aura créé trois établissemens, à Vienne, à Pesth et à Belgrade, qui lui prêteront un concours constant dans ses opérations et constitueront avec elles un faisceau d’une grande puissance.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.