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Chronique de la quinzaine - 31 mars 1835

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Chronique no 71
31 mars 1835


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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31 mars 1835.


Il y a aujourd’hui vingt jours que la France a été sauvée par MM. Fulchiron, Jacqueminot et Lechatellier. Grace à eux, M. Thiers est encore ministre, M. Guizot et M. Persil ministres, et M. de Broglie, président du conseil : ministère fondé sur deux bases vraiment nobles et honorables, le procès d’avril et l’allocation des fonds secrets. À l’extérieur, le traité des vingt-cinq millions, voté sous l’impression des insolentes bravades du président Jackson et de son envoyé ; voilà sous toutes ses faces le système politique du cabinet doctrinaire, reconstitué le 16 mars, pour la gloire et la prospérité du pays.

Nous avons dit, dès les premiers momens de la recomposition de ce malencontreux cabinet, à quelles conditions M. de Broglie a été investi de la présidence du conseil, quelle amende honorable il avait faite entre les mains paternelles du roi, et combien ses vieilles idées de présidence anglaise avaient été modifiées par l’influence de M. Guizot. M. Guizot a dit dans un de ses ouvrages : « Pour se faire pardonner le pouvoir, il faut le garder long-temps, non y revenir sans cesse. De petites et fréquentes vicissitudes, dans une grande situation, ont, pour la masse des spectateurs, quelque chose de déplaisant et presque d’ennuyeux. Elles diminuent celui qui les accepte quand elles ne le décrient pas. » C’est là de tous les préceptes que M. Guizot a proclamés, celui qu’il met le mieux en pratique. On peut dire que c’est par ses mains que le ministère, poussé trois fois par celles de M. Thiers sur le penchant de sa ruine, a été retenu et étayé ; trois fois l’activité et l’esprit de conduite de M. Guizot ont reformé la phalange ministérielle qui se dispersait et se jetait dans les deux côtés de l’opposition ; et dans cette dernière crise, il a fait plus. Il a non-seulement créé une tête à ce ministère qui s’était laissé si lourdement décapiter ; il a rajeuni ce corps usé et vacillant, il lui a donné un air de verdeur et de sève, qui trompe au premier aspect, et qui ferait prendre pour un être vigoureux et capable de quelque énergie, ce sépulcre blanchi, que sa propre corruption a dissout de lui-même, et fera bientôt définitivement tomber en poussière. Mais le miracle n’a pas moins été fait, les morts ont marché, et ils se promènent à cette heure, au milieu de nous, avec la prétention d’être vivans.

Depuis cette résurrection galvanique, on a peine à reconnaître les doctrinaires, tant le nouveau masque qu’ils ont pris diffère de celui qu’ils ont quitté. Leurs manières hautaines ont fait place au ton le plus conciliant et le plus doux, et ce n’est que par oubli et par écarts qu’ils reprennent de temps en temps leur morgue. On les entend se plaindre avec douceur d’avoir été méconnus ; peut-être, disent-ils, qu’ils ont, en effet, trop vécu entre eux, dans leur cercle intérieur, où une sympathique estime les retenait ; mais qu’à cela ne tienne, ils sont tous prêts à élargir le cercle, à faire cesser les exclusions dont on s’est plaint avec tant d’amertume. Désormais, l’esprit, l’intelligence et le savoir (disent-ils toujours), ne seront plus les conditions indispensables pour être admis au milieu d’eux, ils auront les bras tendus vers tout le monde, comme le Christ de la compagnie de Jésus ; viendra qui voudra, les portes du collége doctrinaire seront ouvertes ; les pauvres d’esprit et les infirmes seront aussi appelés, les doctrinaires n’excluent personne : que chacun se présente, nul ne sera repoussé, et M. Fulchiron lui-même est sûr d’un bon accueil.

M. Guizot est vraiment un homme unique. Voilà ce qu’il a fait. C’est à lui que sont dues ces merveilles. Il a commandé à toute sa jeune cohorte d’être douce, polie, conciliante, affable, et elle a obéi. Les caractères les moins souples ont fléchi à sa voix. M. de Broglie, cet esprit rude et cassant ; ce dogme revêtu d’os et d’un peu de chair, qui se présentait si carrément, et dont les pensées se formulaient en apophtègmes inflexibles ; cet argument intraitable est devenu un esprit qui discute et qui répond, qui cause et qui écoute ; le verbe s’est fait homme, et la transformation a paru si agréable au roi, qu’il en oublie le maréchal Soult et M. Sébastiani, M. Thiers et M. de Montalivet. Quelques paroles de M. Guizot ont fait de M. de Broglie un ministre complaisant et un commis facile. Qu’on vienne nous dire maintenant qu’il n’y a pas eu de changement ministériel !

M. Guizot n’a pas voulu faire le miracle à demi. Il a voulu se réformer lui-même, et il a passé aussi sur sa personne la couche neuve dont reluit depuis vingt jours tout ce ministère fraîchement recrépi. M. Guizot, qui ne parlait jadis que de réduire et d’exterminer ses adversaires, se déclare prêt à les recevoir dans son giron ; il abjure ces étroites haines bourgeoises dont M. Thiers est si violemment saisi, et il déplore sa situation circonscrite dans le ministère spécial où il est relégué, uniquement parce qu’elle l’empêche d’accomplir ses desseins pacifiques. Que ne ferait pas M. Guizot, s’il était au ministère de l’intérieur, à la source des fonds secrets ! Que de travaux encouragés, que de mérites enfouis dans les clubs et dans les utopies républicaines, seraient appelés à se mettre en lumière et convoqués pour un noble but ! M. Guizot montre d’un air d’orgueil ce qu’il a fait pour la presse départementale, avec le maigre fonds destiné aux études historiques. Plus de cinquante écrivains des journaux de l’opposition, dans les provinces, ont été détournés de la polémique quotidienne par les missions scientifiques qui leur ont été données. Ce n’est pas M. Guizot qui emploierait les fonds spéciaux à donner sa protection exclusive aux artistes, en échange des dessins, des tableaux, des bronzes et des marbres dont ils doteraient sa famille ; ce n’est pas lui qui apporterait dans la répartition des faveurs ministérielles des souvenirs de haines ou d’amitiés personnelles ; ce n’est pas lui qui laisserait encombrer les cartons d’arrêtés anéantis faute de signature ! Toutes ces pensées, M. Guizot ne les témoigne pas par des paroles expresses, sa prudence est trop grande, mais son geste, son regard, un mot jeté avec intention, tout dit en lui que l’esprit et le caractère de M. Thiers ne s’accordent pas avec son nouveau système, et qu’il ne regardera le ministère comme un et complet que le jour où le portefeuille de l’intérieur sera remis entre ses mains.

Tout en assouplissant M. de Broglie, dont le roi redoutait l’inflexibilité, M. Guizot n’a pas négligé les moyens d’établir que la présidence est réelle, et que la couronne a fait cette concession au principe fondamental de notre gouvernement. Un poète dirait que M. Guizot a peint en fer le roseau qu’il faisait en même temps courber. Le fait est que depuis le remaniement ministériel, le conseil a été tenu trois fois au ministère des affaires étrangères, dans le salon de M. de Broglie ; grande manœuvre pompeusement annoncée dans les journaux ministériels, et qui a confondu tous les habiles du tiers-parti.

Le premier de ces conseils, tenu le 16, a été consacré tout entier à l’examen des principes du gouvernement et des bases sur lesquelles repose le ministère doctrinaire. Il a été décidé que le véritable principe de cette administration, c’est le procès d’avril, que tous les efforts devaient être concentrés vers ce point, et que toute la puissance matérielle et morale du gouvernement serait employée à mener à bonne fin cette déplorable procédure.

Le second conseil tenu aux affaires étrangères a eu lieu le 21. On y a examiné quelle serait l’attitude du ministère à l’égard de la chambre ; M. Thiers a parlé avec beaucoup de mépris du tiers-parti et de la gauche, et c’est à la suite de ce conseil qu’il a fait rédiger l’exposé des motifs de la loi des fonds secrets. Selon sa vieille tactique, le ministère, qui sait combien la chambre redoute d’arrêter l’action de la police, la provoque, dans cet exposé de motifs, à un vote dont l’insuccès déciderait de la retraite des ministres.

Dans le dernier de ces conseils, qui a eu lieu avant-hier, il a été question du refus probable du maréchal Maison. Les lettres de notre ambassadeur, écrites de Saint-Pétersbourg à Mme la maréchale sa femme, laissent peu de doutes sur l’issue des propositions qui lui ont été adressées. Ces lettres étaient antérieures aux ouvertures faites au maréchal Maison, et nous avons déjà dit, dans notre dernière chronique, qu’elles avaient en quelque sorte décidé sa nomination. On ne voulait que du temps, et le loisir de chercher un ministre de la guerre. Mais le temps s’écoule, et le ministre ne se trouve pas. M. de Rigny, qui remplit l’intérim, ne peut pas accepter le ministère de la guerre. L’esprit de l’armée de terre s’oppose absolument à ce qu’un officier-général de la marine soit à la tête de ce département. Il existe même une protestation tacite des maréchaux à ce sujet. Aucun d’eux ne s’est encore présenté chez M. de Rigny ; et s’il y avait lieu de faire une visite officielle, comme celle qui est d’usage le 1er mai pour la fête du roi, il a été décidé que les officiers-généraux n’iraient chez l’amiral qu’en habits bourgeois, tant est grande la susceptibilité de l’armée de terre, qui craint d’admettre comme un antécédent la supériorité de l’arme à laquelle appartient M. de Rigny.

Dans l’embarras où se trouvent les ministres, n’ont-ils pas songé à s’adresser à M. de Caux, ce remplissage d’un des plus pitoyables ministères de la restauration. Un agent officieux et presque officiel fut donc envoyé à M. de Caux pour lui offrir le portefeuille que n’a pas encore refusé le maréchal Maison. M. de Caux, qui ne manque pas de sens et d’esprit de conduite, fit sentir à l’entremetteur ministériel tous les inconvéniens qui s’attacheraient à sa nomination ; mais comme l’agent ne se rebutait pas, et levait tant bien que mal toutes les difficultés, M. de Caux finit par lui dire avec un grand sérieux : Écoutez, il est un dernier obstacle que je voudrais taire, et qui me paraît insurmontable, celui-ci. Sachez donc que le roi actuel, étant duc de Chartres, vint un jour, avec son régiment, dans une ville du nord, où il se montra dès son arrivée au club des jacobins, et que mon père, qui commandait dans la ville, le fit mettre aux arrêts pour avoir ainsi manqué à la discipline. Jugez si le roi peut avoir oublié ce fait, et s’il souffrirait que mon nom figurât sur la liste de ses ministres !

Ainsi facétieusement repoussé par M. de Caux, le conseil doctrinaire a songé au général Schneider, car pour le général Guilleminot, il ne consentirait à entrer dans le cabinet qu’avec un caractère politique, et il s’est lié à la question de l’amnistie. Or, ce choix offre encore une grande difficulté. Sans doute le général Schneider n’est pas un homme politique, il ne résistera pas aux propositions qui lui seront faites ; mais il n’a pas une réputation assez grande pour imprimer à l’armée le mouvement d’obéissance nécessaire dans les circonstances sérieuses où l’on se trouve : d’ailleurs les maréchaux seraient blessés de voir un général très jeune dans son grade, leur commander comme ministre. La difficulté devient plus grave qu’on ne croit sous ce rapport, car la plus grande indiscipline règne dans tous les corps. Plus de cinq cents officiers sont à Paris sans permission, le ministre serait obligé de prendre une mesure décisive, et d’en faire mettre plusieurs à l’Abbaye. Le général Schneider est un homme de bureaux, mais il n’est que cela ; la main de fer du maréchal Soult imprimait seule assez de respect à l’armée pour que les choses allassent de leur seule impulsion : mais recourir à ce maréchal, c’est chose actuellement impossible ; ses engagemens sont pris avec la gauche ; il s’est complètement séparé de la pensée du ministère actuel.

Comment fera donc ce ministère si le refus du maréchal Maison se confirme ? Prolongera-t-il l’intérim ? C’est ce qu’il y a de plus commode, quoique un intérim soit une situation précaire, et que M. de Rigny, qui rêve une ambassade, ne veuille rester là que le temps nécessaire pour se l’assurer bonne et lucrative. Quant à l’esprit du cabinet, il est tout entier résumé par M. Guizot et M. de Broglie ; vainement M. Thiers cherche-t-il des auxiliaires dans l’amiral Duperré et dans M. Humann contre l’influence de MM. de Broglie, Guizot et Duchâtel ; ceux-ci ne le servent qu’à demi. M. Thiers est jeté dans un rang subalterne ; il n’a d’autre appui que le roi, qui se sert de lui comme d’un instrument docile pour lutter contre les doctrinaires. Le roi est tellement préoccupé de cette domination, qu’il avait songé un moment à supprimer le ministère du commerce ; le roi disait : « Je n’aurais besoin alors que d’avoir trois ministres avec moi pour être le maître des résolutions de mon cabinet. »

La position secondaire que M. Thiers a maintenant dans le ministère a affaibli singulièrement son importance dans la chambre des députés, il a dit s’en apercevoir dans les dernières discussions. Jusqu’à présent on écoutait ses discours, nous ne dirons pas avec gravité, mais avec attention. Dans tous les récens débats où il a pris la parole, M. Thiers a fixé, avec quelque peine, l’esprit distrait même de la majorité ministérielle. M. Thiers est usé ; il a été très faible dans toutes ses argumentations où il a invoqué, avec une désespérante monotonie, sa probité, la force du gouvernement, l’unité de ses vues, la puissance de ses moyens. C’est un jeu qu’il faut employer rarement dans la position délicate où se trouve M. Thiers en face de l’opinion publique. Quand on parle trop de sa probité, on semble faire croire qu’il y a doute ; quand on s’extasie si souvent sur la franchise du pouvoir, on paraît dire que le pays n’y croit pas. L’exposé des motifs sur les fonds secrets, lu par M. Thiers à la tribune, ressemble à ces factums du Directoire, lorsqu’il demandait des mesures de déportation contre les anarchistes républicains et les chouans ; c’est de la contradiction, et au bout de cela, de la police et de l’argent.

M. de Broglie, qui jouit dans la chambre des députés d’une réputation de probité, n’excite pas de plus vives sympathies ; sa parole doctorale ne plaît pas même aux centres ; on le voit embarrassé, il n’est pas dans son élément. À la chambre des pairs, M. de Broglie produisait une certaine impression ; sa parole, d’une solennité lourde, ne va pas à la tribune de la chambre élective ; il aura pour appui M. Guizot, qui se tient en réserve, car, depuis les explications ministérielles, il n’est pas monté une seule fois à la tribune. M. Guizot parle à un centre plus compacte ; il y trouve de plus nombreux échos ; sa parole est austère, sa gravité scientifique incontestable ; c’est un homme considérable, et même en face des partis c’est quelque chose.

Au reste, c’est une pitoyable majorité que celle qui se produit dans la chambre des députés. Nous revenons aux années de la restauration, où un centre compacte ne permettait plus à personne la parole indépendante. La lecture du rapport de M. Dumon a été un véritable scandale ; les murmures de la majorité n’ont pas permis même à M. Berryer de compléter sa pensée. Le rapport de M. Dumon sur la créance des États-Unis est un document qui, avec des prétentions à l’impartialité historique, n’a laissé voir qu’une face de la question, et a voilé tous les faits en opposition avec son système. Les garanties qu’impose la commission au gouvernement sont puériles ; c’est une phraséologie bonne tout au plus pour les niais politiques qui ne savent pas le fond des choses. La vérité historique, la voici : l’empire s’est refusé à donner une indemnité aux États-Unis jusqu’en 1813, époque où Napoléon avait besoin de l’alliance des États-Unis contre l’Angleterre ; sous la restauration, refus absolu de reconnaître le principe de l’indemnité ; et quand on l’a reconnu un moment, en échange de quelques avantages commerciaux, jamais le taux n’a été fixé au-dessus de 2,700,000 fr., et encore le gouvernement invoquait des compensations pour la Floride. Après la révolution de juillet, d’autres intérêts sont nés ; il y a eu des pots-de-vin, de l’argent donné, des achats de créances tombées aux mains des gens de cour, des fonds placés sur la banque des États-Unis par une pensée de prévoyance, et dont on a craint la confiscation. Tels sont les motifs réels du projet du gouvernement ; mais on sent qu’on ne pouvait les dire.

Au reste, quiconque a assisté aux dernières séances de la chambre des députés a dû se convaincre du peu de résistance que cette chambre pourra faire au système ministériel ; l’opposition y manque de deux conditions indispensables pour arriver à un résultat : l’énergie et la cohésion. Quelle que soit la nuance à laquelle on s’adresse, au tiers-parti, à la nuance Odilon Barrot ou Mauguin, on ne peut obtenir de ces hommes politiques un plan fixe de gouvernement, une idée arrêtée et des ministres choisis qui les mettent en action. La première condition des chefs de parti, quand ils veulent renverser un pouvoir, c’est d’avoir un ministère tout prêt pour remplacer celui qui existe. Or, ce ministère, où est-il ? dans quelle nuance le choisir ? On attaque à l’étourdie ; rien n’est concerté d’avance ; le tiers-parti a haine de la gauche, il tremble devant M. Garnier-Pagès et M. Lafitte ; la gauche méprise le tiers-parti ; M. Dupin a en jalousie M. Odilon Barrot. M. Odilon Barrot s’exprime fort durement sur M. Dupin. Au milieu de cette cohue, quelques unités politiques et administratives, telles que M. Calmon, M. Passy, sont toujours portées à faire des concessions au ministère, parce que cela entre dans leur plan de campagne pour arriver eux-mêmes au pouvoir. Et l’on ne veut pas qu’en face de cette opposition sans unité, sans vie politique, les doctrinaires, gens capables d’ailleurs, se tenant comme un seul homme, soient les maîtres des affaires ! C’est la condition des choses ; la chambre ne les aime pas ; elle murmure sous le joug, mais elle vote avec eux ; elle se résigne parce qu’il n’y a de pensées que dans la tête de ces hommes, et qu’ailleurs il n’y a qu’un éparpillement de votes réduits en poussière par le scrutin. Le projet pour la créance des États-Unis sera voté, les fonds secrets seront votés ; tout sera voté, parce que rien n’est prêt pour la résistance.

L’attention de la pairie est absorbée par le procès des accusés d’avril ; triste procédure que l’on poursuit avec tant d’acharnement ! Comme chambre politique, la pairie a peu de choses à faire ; elle a discuté la loi communale, dans laquelle M. Thiers a été peut-être au-dessous de M. de Montlosier, et c’est beaucoup dire. De cette discussion il ne résultera rien ; le rapport de M. Mounier, volumineuse collection des idées de l’empire, restera seul comme un monument d’études et de connaissances parlementaires ; on ne fait pas des communes ; elles se font toutes seules ; le sol et les populations en sont les élémens. C’est pourquoi une loi sur les communes est chose si difficile ; c’est soumettre la nature aux formules de la loi ; le législateur y a souvent échoué !

D’ailleurs qu’est-ce qu’une discussion législative aussi indifférente en face du procès tout vivant et tout politique qui s’apprête ? Mémoires, rapports, tout a été inutile, le procès doit se faire et il se fera ; depuis quinze jours, tout est mis en œuvre pour faire arriver à Paris, non-seulement les prisonniers, mais les pairs de France, plus cruellement tourmentés que les accusés eux-mêmes, car on les soumet à la torture de leurs infirmités, de leur âge et de leurs souvenirs. On commencera les débats avec un nombre suffisant, mais ce nombre ira successivement en s’affaiblissant ; la saison sera belle, mais les pairs sont bien vieux, et les consciences bien tourmentées ! Qu’on ne parle plus d’amnistie ! L’amnistie est impossible, la procédure est trop engagée, et le gouvernement trop fier de se montrer implacable ; on veut un jugement : n’y aurait-il que vingt pairs pour juger, il le faut. Ces malheureux prisonniers que l’on conduit à Paris de tous les points de la France, se verront engagés dans un débat qui heureusement sera protégé par la plus grande publicité ; nous saurons l’histoire individuelle de tous ces jeunes hommes qui ont rêvé la liberté avec frénésie ; nous les verrons avec leurs passions de feu, leur brûlante énergie, en présence d’un pouvoir caduc et arriéré. La clémence, ils n’en veulent pas ; la justice, ils récusent les juges ; ils veulent montrer que la violence seule les jette sur les bancs d’une cour exceptionnelle : il faut que le gouvernement soit bien aveugle pour ne point voir que toutes ces rigueurs aboutissent à un grand scandale, et que la force d’un gouvernement ne consiste pas à toujours frapper, mais à se mettre au-dessus de ces terreurs vulgaires qui saisissent et effraient les petites ames. Il faut le dire, on a peur de ces jeunes gens ulcérés par tant de persécutions ; la police fait croire à de sinistres projets, et si M. Thiers osait dire tout ce qu’il pense, il trouverait dans l’histoire de la révolution deux précédens à invoquer : la sentence du directoire contre Babeuf, la sentence du consulat contre Arena et Ceruti !

Poursuivre, c’est le mot d’ordre du gouvernement d’aujourd’hui. La presse est accablée d’amendes ; la confiscation se rétablit sous un nom déguisé, et le gouvernement croit par là éteindre la presse comme il s’imagine proscrire les idées généreuses. Mais ces idées survivront, et la presse avec elles. Le pouvoir essaie d’abord ses forces contre les doctrines excentriques et exagérées ; il frappe la Tribune et la Quotidienne pour arriver ensuite au National, au Courrier Français et au Constitutionnel ; ce n’est pas à une opinion qu’on en veut, c’est à la pensée humaine tout entière.

Avons-nous encore des relations à l’extérieur au moment où tous nos ambassadeurs vont quitter les capitales pour arriver hâtivement comme juges dans le grand procès poursuivi devant la pairie ? Il faut que l’Europe soit bien paisible, ou les ambassadeurs bien inutiles, pour que le gouvernement se résolve à une telle mesure.

Où en est d’abord l’Angleterre ? Le ministère Peel pourra-t-il soutenir l’orage toujours plus menaçant de l’opposition ? C’est là, on peut le dire, un exemple pour la France. Voyez comme toutes les nuances se groupent sous lord John Russell ! Voyez avec quelle vigueur l’opposition attaque le système ministériel ; avec quelle persévérance elle s’agite, avec quelle puissance elle arrive à son but ! Où est le pendant de John Russell en France ? Quelle différence de situation parlementaire ! M. Peel sera forcé de se retirer du cabinet, moins par ses fautes que par l’admirable tactique de l’opposition. Cet évènement pourra changer bien des choses en Europe. Si le ministère tory fût resté aux affaires, si le ministère doctrinaire et de résistance se fût consolidé chez nous, on dit qu’il se serait formé une triple alliance entre la France, l’Autriche et l’Angleterre. C’eût été un grand résultat ; la quadruple alliance du Portugal, de l’Espagne, de la France et de l’Angleterre, n’existe guère que sur le papier.

Ce rapprochement avec la maison d’Autriche a été redouté par la Russie à l’avènement du ministère tory, et c’est pour l’empêcher qu’elle avait envoyé à Londres M. Pozzo di Borgo. Nous ne croyons pas que sa mission ait complètement réussi ; elle deviendra d’ailleurs inutile, si le ministère tory est renversé, car jamais M. de Metternich ne voudra traiter avec les whigs. Déjà les tories avaient commencé leur plan de campagne par la reconnaissance de la Moldavie et de la Valachie comme états indépendans. Le cabinet de Saint-Pétersbourg voulait y faire dominer l’idée de son protectorat ; en reconnaissant ces provinces, l’Angleterre les constitue en souverainetés parfaitement libres, ayant auprès d’elles des représentans, et c’est là une première concession faite par les tories à M. de Metternich. Le renversement du ministère Peel jettera la politique de l’Angleterre dans une route tout-à-fait hostile au continent. L’alliance avec la France se raffermira, mais les whigs ne pourront se rapprocher ni de l’empereur Nicolas, ni de M. de Metternich.

Guiscriff, scènes de la terreur dans une paroisse bretonne[1].

Ce roman, dont l’auteur s’est fait connaître déjà par des travaux historiques d’un mérite véritable, est précédé d’une notice sur la chouannerie, qui retrace dans un récit simple et lucide le caractère particulier qui distingua, sous la révolution, l’insurrection vendéenne des courses de la chouannerie bretonne. La Vendée, comme la Bretagne, s’était soulevée bien plus encore pour défendre son culte religieux, menacé dans la personne des prêtres, que par l’impulsion d’un sentiment monarchique dont les objets se trouvaient à une bien grande distance des affections nécessairement bornées des paysans de l’ouest. Mais il y avait eu dans l’insurrection de la Vendée un mouvement bien plus spontané, bien plus indépendant, bien moins subordonné au secours et à l’appui de l’étranger. Cette attente continuelle où les chefs de la chouannerie se placèrent volontairement à l’égard de l’Angleterre et des princes de la maison de Bourbon, paralysa l’élan des provinces bretonnes, qui, réunies à la Vendée, et animées du même héroïsme, auraient pu susciter à la convention, déjà occupée sur les frontières du Rhin, d’insurmontables obstacles. Cette notice sur la chouannerie n’est d’ailleurs que le prologue de l’ouvrage : les acteurs principaux du drame sont, un curé constitutionnel qui, après avoir prêté le serment exigé, se trouve de concession en concession, et par la pente irrésistible d’une fausse position, poussé jusqu’au crime, à l’oubli de ses devoirs de prêtre, et à la trahison la plus infâme envers son prédécesseur, vieux et vertueux prêtre, qui a préféré la déportation à l’apostasie. Le caractère du curé Melven est bien tracé ; nous en dirons autant de Bonaventure, robuste et rusé partisan, de Florent, ancien comédien sifflé, bâtard de grand seigneur, qui fait expier à l’ordre social qui s’écroule les martyres de son ambition déçue et de son amour-propre froissé. En général, il y a dans ce roman du naturel et de la vérité, qualités rares par le temps qui court ; on y trouve une observation presque érudite des mœurs et des superstitions de la Bretagne. L’auteur dit, dans une courte introduction, qu’il n’est pas dans tout l’ouvrage un seul sentiment qui n’ait traversé l’ame de ses personnages pour arriver jusqu’à lui. En lisant le livre, on se convainc qu’il a dit vrai ; peut-être même ce mérite, car c’en est un, est-il poussé jusqu’à l’excès ; l’historien perce peut-être un peu trop sous le romancier. Ces personnages, qui, pris en eux-mêmes, sont esquissés avec vérité et fidélité, pourraient avoir plus de relief, ressortir davantage, porter à un plus haut degré l’empreinte du travail propre de l’auteur ; on dirait que ces souvenirs, ces physionomies qui lui sont familières, n’ont fait que traverser son cerveau, sans rien emprunter à la personnalité de l’écrivain.

Peut-être aussi l’auteur a-t-il trop compté sur la valeur dramatique de la dépravation progressive du caractère sacerdotal de Melven. Nous sommes presque tous si éloignés, par nos habitudes, notre éducation et nos convictions, ceux du moins qui ont le bonheur d’en avoir, de la parfaite intelligence d’un caractère devenu purement historique pour ainsi dire, qu’il eût été à désirer que l’auteur insistât moins sur un moyen auquel le public ne peut qu’imparfaitement répondre. Quoi qu’il en soit de cette dernière critique, malheureusement applicable aujourd’hui à tout ressort dramatique qui suppose un sentiment énergique, une conviction profonde et entière, Guiscriff reste un de ces livres qu’on lit avec plaisir, parce que rien n’y sent l’effort ou la prétention, un de ces livres aussi qui font pressentir plus de talent qu’ils n’en mettent à découvert.


— Le nouveau drame de M. de Vigny, Chatterton, vient de paraître. Nous avons lu avec un vif intérêt une préface digne et mesurée, écrite plusieurs mois avant la représentation, et qui reprend, sous la forme dialectique, la question traitée précédemment dans le beau livre de Stello et dans le drame de Chatterton ; cette question, c’est la destinée du poète dans les sociétés modernes. Ces pages éloquentes résument avec noblesse et sévérité le plaidoyer esquissé dans le roman, et dessiné avec tous ses développemens dans l’œuvre dramatique.


— Nos lecteurs n’apprendront pas sans intérêt qu’un jeune poète distingué, M. Brizeux, auteur du charmant volume de Marie, met la dernière main à un poème auquel il travaille depuis long-temps. Nous espérons donner prochainement cette œuvre, qui aura pour titre Les Bretons.


— M. Capefigue publiera, le 10 avril prochain, chez le libraire Dufey, la première livraison de Richelieu, Mazarin, la Fronde et le Règne de Louis xiv. Cet ouvrage fait suite à l’Histoire de la Réforme et de la Ligue, du même auteur.


  1. vol. in-8o, chez Dentu, Palais-Royal.