Chronique de la quinzaine - 31 mars 1858

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Chronique n° 623
31 mars 1858


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 mars 1858.

Nous assistons depuis quelque temps en vérité à un spectacle aussi étrange qu’instructif. À la surface de la politique, on voit tous les signes d’un trouble indéfinissable. Les rapports embarrassés des gouvernemens, les discussions de la tribune et de la presse, les mesures adoptées ou proposées en divers pays, les variations subites de l’opinion, sont autant d’indices curieusement interrogés, et les imaginations ardentes, ayant quelque peine à comprendre que les faits ne peuvent toujours se mettre au pas de leurs conjectures, voient aussitôt surgir tout un ordre nouveau d’événemens. Ces imaginations hardies embrassent l’Europe dans leurs conceptions ; elles brisent ou recomposent les alliances, elles proclament des incompatibilités de situations et forment des combinaisons nouvelles, elles établissent des camps opposés et mettent déjà des armées en mouvement, si bien qu’on finit par se demander où est le secret d’une situation si subitement et si profondément troublée. Des incidens nouveaux sont-ils venus compliquer la politique générale ? Des événemens imprévus ont-ils éclaté tout à coup sur l’Europe ? Les gouvernemens eux-mêmes marchent-ils dans la voie où on les suppose engagés, et montrent-ils quelque disposition à laisser des malentendus trop prolongés dégénérer en rupture ? Rien de tout cela n’existe, à ce qu’il semble. Plus que jamais, au contraire, les gouvernemens protestent de leurs intentions conciliantes et pacifiques. D’un autre côté, les questions d’un ordre général qui peuvent devenir l’objet de sérieux débats entre les cabinets sommeillent pour le moment. Il serait même difficile de préciser l’époque où pourra définitivement se réunir la conférence qui doit résoudre toutes les difficultés pratiques inhérentes à l’exécution du traité de Paris. Les délégués des puissances à Bucharest en sont encore à préparer leur rapport sur les principautés danubiennes, et on conçoit qu’un document où il s’agit de concilier des avis fort divers ne peut être rédigé à la légère. Les troubles qui ont éclaté dans les provinces de la Turquie, dans la Bosnie, dans l’Herzégovine, ont assurément de la gravité, puisqu’ils touchent à la condition des chrétiens de ces contrées ; mais ils ont leur place dans cet ensemble de difficultés classées sous le nom de question d’Orient. On peut voir encore, si l’on veut, des occasions possibles de froissemens ou de scissions ; dans le percement de l’isthme de Suez, dans la prise de possession de l’île de Périm par les Anglais ; toutes ces questions seront débattues sans doute, elles ne sont point l’objet immédiat des préoccupations actuelles.

Qu’est-il donc arrivé qui puisse expliquer une situation dont le moindre inconvénient est de prêter à toutes les conjectures et à tous les commentaires ? Il est arrivé, pour notre malheur que dans une néfaste nuit d’hiver, il y a deux mois, un crime sinistre a été commis, et depuis ce moment une sorte de maligne influence semble s’être attachée à la politique : elle a pesé sur les rapports de la France et de l’Angleterre, elle a provoqué la chute d’un cabinet à Londres, où elle embarrasse encore l’administration nouvelle : elle s’est fait sentir en Belgique ; en Suisse, et elle place aujourd’hui le ministère piémontais dans une situation au moins incertaine par suite de l’opposition que rencontre dans la commission législative le projet présenté pour punir les attentats et l’apologie des attentats ! En un mot, sous cette influence sont nées toutes ces questions imprévues relatives à lai répression du meurtre, aux réfugiés, à la police des passeports. Quels que soient cependant ces embarras ou ces nuages passagers, il y aurait une réflexion bien simple à faire, et cette réflexion devrait tout dominer : croit-on que deux peuples intelligens, deux gouvernemens sensés mettent leur politique, leurs résolutions, leurs relations permanentes à la merci d’une pensée criminelle conçue dans l’ombre ? Ce serait véritablement attribuer trop de puissance au crime. Si, à la veille de la rupture du traité d’Amiens, Napoléon n’avait été guidé par d’autres pensées que celle de poursuivre jusque dans Londres quelques conspirateurs ou quelques libellistes, la guerre n’eût point éclaté, il est permis de le croire : d’où il faudrait naturellement conclure que le trouble actuel dont on se préoccupe est plus dans l’apparence que dans la réalité des choses. Il faut bien s’entendre : cela ne veut point dire que dans le monde d’aujourd’hui il n’y ait aucune chance de conflit. Il y a malheureusement en Europe assez de situations contraintes, assez de difficultés latentes ; pour qu’il soit au moins téméraire de proclamer dès ce moment le règne de la paix universelle et indéfinie ; mais si la guerre naissait, elle naîtrait assurément pour des causes d’un ordre supérieur, non comme la conséquence d’un crime conçu et exécuté par des sectaires. Aussi bien, on l’a vu il y a quelques jours, le différend qui s’était élevé entre l’Angleterre et la France s’est dénoué très pacifiquement par la publication de la correspondance diplomatique échangée entre les deux cabinets après l’avènement du nouveau ministère de Londres. Sous une première impression, qui a causé la chute de lord Palmerston, l’Angleterre avait cru voir dans une dépêche de M. le comte Walewski ce qui n’y était véritablement pas, un doute jeté sur ses intentions, sur le caractère de ses lois et de l’hospitalité qu’elle offre à tous les proscrits. Le ministre des affaires étrangères de France, répondant à une demande des plus conciliantes de lord Malmesbury, n’a nullement hésité à déclarer qu’il n’avait jamais eu la pensée qu’on lui prêtait, et il ajoutait que, puisqu’on s’était mépris sur ses véritables intentions, le gouvernement français croyait devoir s’abstenir désormais de prolonger ce débat, s’en rapportant purement et simplement à la loyauté du peuple anglais. C’est donc une difficulté résolue quant à présent, et l’Angleterre est occupée aujourd’hui à prouver, par plusieurs procès poursuivis à la fois, que sa législation pénale est suffisamment efficace.

Ces difficultés écartées, il reste, il est vrai, une autre question qui n’a rien de politique et qui n’a pas moins ému l’Angleterre, de même qu’elle a préoccupé d’autres pays, tels que la Belgique et la Suisse, principalement intéressés dans cette affaire : c’est la question des passeports. Voilà encore un des résultats de l’attentat du 14 janvier. Le gouvernement français, par des considérations de sûreté intérieure, a cru devoir adopter quelques mesures nouvelles, ou plutôt il a fait revivre d’anciens règlemens tombés en désuétude. Il a notamment fait une obligation du visa des passeports à chaque voyage fait par des étrangers en France. On le remarquera facilement, c’est ici un acte d’un caractère tout intérieur, et qui à ce titre est au-dessus de la discussion des gouvernemens étrangers. Aussi n’est-ce point le principe même de cette mesure qui a été mis en cause récemment dans la chambre des communes à Londres et dans la chambre des représentans à Bruxelles. Les dispositions nouvelles n’ont été envisagées qu’au point de vue des relations des étrangers avec la France, comme étant de nature à entraver des rapports incessans de commerce, d’industrie, ou même de plaisir. Beaucoup d’Anglais viennent fréquemment sur les côtes de la Manche, dans les principales villes du littoral, à Boulogne, à Calais, et ils se trouveront gênés dans leurs habitudes ; déjà même on a pu remarquer, à ce qu’il paraît, une diminution du nombre des voyageurs. Du côté de la Belgique et de la Suisse, beaucoup d’ouvriers passent tous les jours la frontière et viennent travailler en France. Enfin, pour tous les voyageurs étrangers venant visiter la France, il y aura un surcroît de formalités et d’obligations au moins gênantes. Or ces formalités seront-elles aussi efficaces pour préserver la France qu’elles seront gênantes pour les étrangers ? Lord Palmerston racontait l’autre jour dans la chambre des communes une petite histoire qui tendrait à jeter quelques doutes sur l’efficacité de règlemens trop minutieusement sévères en ce qui touche les passeports. Il racontait que, se trouvant un jour personnellement dans le midi de la France, il y a longtemps il est vrai, il avait été arrêté et retenu jusqu’à plus ample explication, faute d’avoir fait viser ses passeports. Lord Palmerston était arrêté en France, et récemment Orsini venait à Paris avec un passeport régulier !

C’est là effectivement le danger de ces formalités : les personnes inoffensives risquent d’en être victimes sans y songer, tandis que le coupable réussit le plus souvent à passer à travers les mailles de ce réseau par lequel on prétend l’arrêter. Et la difficulté se transforme presque en impossibilité à une époque où les communications sont si multipliées, où la frontière est à chaque instant envahie par les voyageurs qui se pressent. La surveillance ne risque-t-elle pas d’être illusoire ou trop sévère, si elle est strictement exercée ? N’y a-t-il pas même une sorte d’anomalie dans des mesures jusqu’à un certain point restrictives en présence d’un système de communications qui tend à multiplier les voyages et à effacer les lignes de séparation entre les peuples ? Le gouvernement, cela n’est pas douteux, ne s’est point laissé guider par une pensée préconçue ; il veut uniquement sauvegarder un intérêt de premier ordre, celui de la sécurité intérieure. Il est de toute justice d’ajouter qu’il s’applique à tempérer les rigueurs des formalités nouvelles, en multipliant les agens consulaires et en facilitant pour les habitans des frontières les relations quotidiennes de l’industrie et du travail. C’est une atténuation pratique du principe, qui fait droit à quelques-unes des plaintes des états voisins. Il reste à savoir si le gouvernement, éclairé par l’expérience, ne trouvera pas dans des combinaisons d’un autre ordre les moyens d’exercer une surveillance aussi exacte, aussi efficace et moins gênante pour les voyageurs, plus compatible avec la liberté des communications. Des diverses questions qui se sont élevées récemment et qui ont ému l’Angleterre, celle-là est peut-être la principale, d’autant plus que les Anglais n’aiment pas les passeports. Le système des passeports est une de ces armes avec lesquelles ils font souvent la guerre au continent ; mais c’est là un fait trop ancien, quoiqu’il ressemble presque à une nouveauté aujourd’hui, pour qu’il puisse être considéré comme un nuage persistant dans les relations des deux pays.

Au surplus, dans ces relations elles-mêmes il se produit en ce moment un fait qui a son importance, et qui a même été un de ces signes du temps interrogés avec curiosité. La France va être représentée en Angleterre par le maréchal Pélissier, duc de Malakof. M. de Persigny quitte son poste d’ambassadeur à Londres ; c’est le général de l’armée de Crimée qui lui succède. L’ancien ambassadeur a toujours passé pour un défenseur zélé, actif, de l’alliance des deux grandes nations, et les journaux anglais lui rendent encore ce témoignage à l’heure de sa retraite. Si M. de Persigny revient de Londres, où il a représenté la France pendant plusieurs années, ce n’est point sans doute parce que la politique des deux pays est changée. L’ancien ambassadeur a été peut-être entraîné dans la chute de lord Palmerston ; peut-être subit-il le contre-coup des péripéties qui se sont succédé depuis quelque temps, de la situation délicate déterminée par les derniers événemens. Le nom de son successeur était fait pour avoir du retentissement et pour éveiller des impressions diverses. La première de ces impressions, la plus utile, la plus salutaire dans les circonstances actuelles, c’est que le maréchal Pélissier rappelle naturellement tous les souvenirs d’une action commune : il personnifie l’alliance des deux peuples dans ce qu’elle a eu de plus glorieux et de plus décisif. Les Anglais eux-mêmes paraissent juger ainsi cette nomination. Bien loin d’y trouver un sujet d’ombrage, ils voient dans le duc de Malakof le chef de Crimée, le compagnon de leurs soldats, l’homme honoré par la reine des plus hautes distinctions, et ce ne sera point en vérité le fait le moins curieux de voir un soldat manier les souples ressorts de la diplomatie de la main vigoureuse qui a forcé les bastions de Malakof. Le maréchal Pélissier va donc en Angleterre, certain de trouver un accueil dû à ses services, à sa position éminente. Pour le moment, sa fonction est en quelque sorte dans son nom, et ce nom est un appel à la raison intelligente de deux pays faits pour rester alliés dans la paix après avoir marché presque sous les mêmes drapeaux dans la guerre. Le raffermissement sérieux et durable de l’alliance de la France et de l’Angleterre, c’est là en effet ce que doivent désirer avant tout les esprits qui réfléchissent un moment sur la situation de l’Europe et du monde.

Rigoureusement, une lutte peut s’engager entre l’Occident et la Russie sans entraîner de désastres universels. La guerre a duré deux ans en Orient, et tous les intérêts des peuples n’ont pas moins continué à se développer. Qu’on songe au contraire aux conséquences terribles d’un choc entre la France et l’Angleterre : toutes les situations sont menacées, toutes les politiques sont inquiètes, tous les intérêts sont paralysés. On peut même dire que, pour les deux pays, il n’y a point de milieu entre une alliance sincère et la guerre. Un état permanent de méfiance, d’aigreur, de jalousie, ne serait point la paix, et conduirait à d’inévitables déchiremens. Que les Anglais soient sincères lorsqu’ils expriment leurs sympathies pour la France, lorsqu’ils mettent en relief tout le prix de l’alliance intime des deux peuples, cela n’est point douteux ; ils pensent ce qu’ils disent, et tous les hommes éclairés en France ont le même sentiment à l’égard de l’Angleterre, qu’ils considèrent comme une alliée nécessaire. Dans tous ces derniers incidens, il y a cependant une lumière qu’il ne faudrait pas mépriser, parce que la raison ne domine pas toujours dans la politique et ne conduit pas toujours les événemens. On a pu voir, à certains signes, combien il serait facile de réveiller des passions à peine endormies. Déjà plusieurs fois, depuis que la guerre avec la Russie est terminée, des nuages se sont élevés ; des dissidences notables, presque des scissions, se sont produites : ce sont des expériences qu’il ne faudrait pas multiplier. Justement, parce qu’on croit à la nécessité, à l’efficacité de l’alliance permanente des deux pays, dans l’intérêt de la France non moins que dans l’intérêt de l’Angleterre, il ne faudrait pas mettre périodiquement cette alliance à de trop rudes épreuves : elle pourrait finir par y succomber, et s’il en était ainsi, quel que fût le triomphateur éphémère, la civilisation du monde serait tout d’abord la première victime dans le débat.

Ces questions qui s’agitent en Angleterre, elles apparaissent sous d’autres formes dans le Piémont, non que les relations du Piémont avec la France aient subi, même momentanément, quelque altération ; mais le cabinet de Turin a cédé spontanément à une sorte de nécessité conservatrice en présentant aux chambres un projet qui frappe de peines nouvelles les attentats contre les souverains étrangers et les apologies du meurtre, et c’est là précisément ce qui le met aujourd’hui dans une situation difficile par les dissidences qui semblent éclater à cette occasion entre les partis. Le projet ministériel prononce des peines contre des faits déterminés, et en même temps, sans porter atteinte au principe du jugement par jury, il propose quelques modifications tendant à environner de plus fortes garanties le choix des juges. Que s’est-il passé dans le sein de la chambre des députés, à laquelle la question a tout d’abord été soumise ? Quelles influences ont prévalu ? La chambre elle-même n’a point discuté encore la loi nouvelle, et n’a point eu à se prononcer ; mais, par une combinaison assez curieuse, la commission législative qui a été nommée se trouve composée en majorité de membres de la gauche, parmi lesquels comptent M. Valerio, M. Brofferio, et cette majorité a résolu de proposer à la chambre le rejet pur et simple de l’œuvre ministérielle. Deux membres de la commission, dont l’un est M. Buffa, ancien intendant de Gênes, présentent un projet distinct qui modifie celui du gouvernement. Ce n’est point, à ce qu’il paraît, sans de longs tiraillemens que la commission de la chambre des députés est arrivée à la conclusion qui se trouve consignée dans un rapport de M. Valerio. Des négociations ont été suivies, des tentatives de transaction ont été faites ; le roi même, dit-on, a reçu à cette occasion l’un des membres de la commission, M. Brofferio. Toujours est-il que, pour le moment, deux propositions existent, l’une émanant de la majorité de la commission et concluant au rejet absolu de la loi primitivement présentée, l’autre formulée par la minorité de la commission et ayant pour défenseur M. Buffa. Quant au gouvernement, s’il se montre prêt a accepter tous les amendemens propres à introduire quelques améliorations dans la loi, il paraît également disposé à soutenir jusqu’au bout le principe de son projet, qu’il n’abandonne nullement. Que va-t-il arriver ? La chambre jugera-t-elle que la commission a fidèlement traduit ses opinions, et ratifiera-t-elle la proposition extrême qui lui est faite ? Dans la discussion qui va s’ouvrir, le cabinet se rapprochera-t-il de la droite, évidemment favorable à la pensée du projet ? L’alliance qui a existé depuis quelques années entre le ministère et une partie de la gauche sortira-t-elle intacte de cette épreuve ?

C’est là, comme on voit, un ensemble de choses très compliqué et plein de difficultés pour tous les partis, comme pour le cabinet de Turin. C’est, si l’on peut ainsi parler, la crise décisive d’une situation parlementaire jusqu’ici habilement maintenue par M. de Cavour. Or cette crise ramène naturellement au point où la situation actuelle a commencé, et c’est là justement ce qui fait l’intérêt d’un livre que M. Louis Chiala vient de publier à Turin sous ce titre : Une Page d’histoire du Gouvernement représentatif en Piémont. M. Chiala a feuilleté cette histoire, encore si courte et pourtant si honorable, du régime constitutionnel piémontais, et il y a puisé le sujet d’un travail intéressant et instructif : intéressant, car il raconte, il met en lumière des faits peu connus en dehors du Piémont ; instructif au point de vue de la situation, car il montre ce qui a fait la force de M. de Cavour depuis quelques années, et ce qui peut faire aujourd’hui sa faiblesse. C’est l’histoire de l’alliance du président du conseil et d’une fraction de la gauche, ou du moins des origines de cette alliance.

À quel moment cette combinaison faisait-elle son apparition dans la politique ? Dans des circonstances qui n’étaient pas très différentes des conjonctures du moment présent, ainsi que le fait voir le récit de M. Chiala. On se trouvait au commencement de 1852, et le gouvernement, dont le chef était alors M. d’Azeglio, prenant l’initiative de mesures préservatrices, présentait une loi sur la presse, comme le cabinet actuel présente une loi sur les attentats. C’est à l’occasion de cette loi sur la presse que M. de Cavour, membre lui-même du cabinet, accomplissait une évolution hardie, comme un général d’armée qui opère en face de l’ennemi. Après avoir été l’un des orateurs et des écrivains les plus éminens du parti conservateur dans les années de la révolution, M. de Cavour s’était graduellement séparé de la droite dans les affaires religieuses et dans les questions économiques. Au moment où un souffle de réaction semblait s’élever en Europe, il sentait le péril de ces entraînemens nouveaux qui pouvaient ramener le Piémont en arrière, et en défendant la loi sur la presse, qui fut votée d’ailleurs, il signait une publique alliance avec la fraction modérée de la gauche. M. de Cavour avait-il consulté ses collègues ? n’avait-il pas donné à la politique du cabinet un caractère plus prononcé que ne l’eût souhaité au fond M. d’Azeglio ? Il agissait évidemment en homme d’initiative qui fait sa position, et s’il était obligé pour le moment de déposer son portefeuille, le coup n’était pas moins porté. Quelques mois s’écoulaient à peine qu’il reparaissait au pouvoir comme chef d’un ministère et successeur de M. d’Azeglio. Bientôt l’entrée de M. Ratazzi au pouvoir achevait de sceller l’alliance. Tels sont les faits que retrace M. Chiala dans son livre, où l’on peut suivre le travail des idées politiques et des partis. Qu’a produit cette situation ainsi décrite en ses origines ? Elle a pu, cela n’est point douteux, préserver le Piémont de quelques excès de réaction, en faisant prévaloir dans la politique un souffle d’inspiration libérale. On pourrait dire qu’elle a surtout réussi pour M. de Cavour, dont elle a fortifié et agrandi l’ascendant, en faisant du président du conseil le représentant presque indispensable des opinions libérales ; elle a moins réussi, il faut bien l’avouer, pour M. Ratazzi, qui, après une expérience peu brillante de quelques années, a été obligé récemment de quitter le pouvoir, de sorte qu’on se trouve aujourd’hui ramené au point de départ. M. de Cavour se voit placé entre la gauche, qui menace son projet, et la droite, qui l’appuierait sans doute, non pourtant sans faire ses conditions. M. de Cavour est-il disposé à souscrire à ces conditions ? Une alliance de ce genre serait évidemment la plus naturelle dans l’état du Piémont, car elle réunirait toutes les forces conservatrices et libérales du pays, laissant dans leur impuissance les partis extrêmes, les révolutionnaires et les absolutistes ; mais il y a une autre combinaison qui n’est pas la plus improbable, c’est que M. de Cavour triomphera des difficultés actuelles, et continuera à diriger les conseils du Piémont, sauf à reconstituer son ministère, aujourd’hui incomplet.

Certes la politique de l’Europe est travaillée aujourd’hui par bien des malaises plus ou moins aigus, plus ou moins profonds, qu’il suffirait de laisser se développer un peu pour qu’ils prissent un caractère redoutable. À quoi tiennent la plupart de ces malaises ? À une infinité de causes, aux rivalités, aux antagonismes, à des combinaisons artificielles, à un enchevêtrement de rapports contraints et mal définis. Le différend entre l’Allemagne et le Danemark n’est point d’un autre ordre. Rien n’eût été plus facile que d’envenimer ce conflit et de le laisser arriver au point où des obscures divergences des chancelleries germaniques on eût vu sortir tout à coup un grave embarras pour l’Europe. Avec plus de prévoyance et de sagesse, les gouvernemens paraissent faire aujourd’hui un effort sérieux pour se rapprocher et pour dissiper ce nuage, que les passions ont grossi depuis quelque temps. La diète de Francfort, si l’on se souvient d’un des derniers incidens de cette confuse affaire, la diète de Francfort a pris récemment des résolutions d’où il résulte que, soit dans l’organisation générale de la monarchie danoise, soit dans les constitutions spéciales des duchés de Holstein et de Lauenbourg, soit enfin dans les lois qui règlent les rapports des diverses parties de l’état commun, le Danemark n’aurait pas suffisamment tenu compte de ses obligations fédérales, et n’aurait point rempli les engagemens qu’il avait pris en 1852 dans les négociations diplomatiques suivies avec l’Autriche et la Prusse. La diète a communiqué ces résolutions au Danemark, en l’invitant à créer un ordre constitutionnel plus conforme aux lois fédérales, plus propre à garantir aux duchés une administration distincte, une position d’égalité et d’indépendance dans la monarchie. Le Hanovre, l’un des états allemands les plus animés en cette affaire, ne s’est point contenté de ces résolutions et de ces communications ; il a pris l’initiative d’une motion nouvelle en vertu de laquelle il aurait été en quelque sorte enjoint d’autorité au Danemark de suspendre la discussion de toute loi de nature à affecter les intérêts des duchés. Cette motion n’avait d’autre objet que d’entraver diverses mesures récemment soumises au conseil suprême de Copenhague. La diète a tempéré quelque peu le zèle du Hanovre, et, sans accepter la motion dans ses termes rigoureux, elle s’est bornée à exprimer la confiance que, jusqu’à la solution du différend, le gouvernement de Copenhague s’abstiendrait de tout acte fondé sur une législation reconnue imparfaite par la confédération germanique. Voilà où en étaient les choses il y a un mois.

Or quelle est l’attitude prise par le Danemark en présence de ces résolutions ? Le gouvernement danois aurait pu sans nul doute récriminer au sujet de certaines irrégularités des dernières délibérations fédérales, il aurait pu discuter encore sur la compétence de la diète : il n’en a rien fait, il a eu la prudente pensée de se placer sur le terrain de la conciliation. Soit dans les avis motivés de son représentant à Francfort, soit dans les communications diplomatiques qui ont suivi, le Danemark a déclaré sans détour qu’il n’entendait nullement décliner la compétence de la diète. Le Danemark, disons-nous, a reconnu la compétence de la diète, telle qu’elle résulte des lois fédérales, en ce qui a rapport aux changemens introduits dans l’organisation provinciale des duchés ; seulement il a réservé ses droits de souveraineté et d’indépendance pour ce qui concerne l’ensemble de la monarchie, pour tout ce qui n’a pas le caractère d’un acte fédéral, et en faisant ces réserves il s’est montré tout disposé à entrer en négociations avec la diète pour arriver à une solution définitive de cet éternel conflit. Le cabinet de Copenhague vient de faire une démarche positive à Francfort pour que des négociations s’ouvrent dans ces conditions nouvelles. C’est donc un premier pas, un pas sérieux, décisif, dans la voie des accommodemens. Le Danemark a pris conseil de la modération en ces conjonctures, et il s’est même montré habile, car, en faisant la part des droits, des intérêts et des susceptibilités de l’Allemagne, il acquiert d’autant plus de force pour défendre ses propres droits et ses intérêts légitimes, qui restent toujours placés au surplus sous la sauvegarde de l’Europe. La question est désormais ramenée à ses véritables termes : il s’agit d’assurer aux deux duchés une situation particulière et définie, compatible avec leur caractère de membres de la confédération germanique. C’est là ce qu’exige l’intérêt allemand, et cet intérêt se trouve naturellement limité d’un autre côté par l’intérêt européen, qui consiste à ne point laisser affaiblir l’équilibre du Nord par une atteinte portée à l’intégrité et à indépendance de la monarchie danoise. Le Danemark s’offre à donner satisfaction aux prétentions et aux intérêts germaniques en ce qu’ils ont de légitime. Chercher à dépasser ces limites et à pousser plus loin sa victoire, ce serait aujourd’hui de la part de l’Allemagne appeler volontairement l’intervention de l’Europe, qui ne demande pas mieux, comme elle l’a prouvé maintes fois en ces derniers temps, que de ne point s’occuper de la question. Il est sans doute encore, au-delà du Rhin des esprits exaltés et violens qui chercheront à compromettre une solution définitive, parce que cette solution ne peut répondre à leurs passions, parce qu’elle ne peut satisfaire leurs idées d’envahissement jusque dans le Slesvig. Les cabinets ne les suivront pas certainement, et la meilleure preuve, c’est que la diète n’a pas prononcé le nom du Slesvig dans les résolutions devenues le point de départ des négociations qui vont s’ouvrir.

Dans ces années fertiles en événemens et en révélations, une fortune singulière a multiplié depuis quelque temps et multiplie encore les publications et les documens, évocations du passé qui restaurent en quelque sorte des époques entières sous nos yeux et sont la lumière du présent. Rien ne peint mieux peut-être notre siècle. Autrefois les papiers d’état et les papiers de famille ne brisaient pas aisément le triple sceau des archives. Il y a des actes du règne de Louis XIV qui n’ont été vraiment connus que de nos jours. Ce n’est qu’au bruit de la [révolution française que les terribles confidences de Saint-Simon ont commencé à se divulguer. Il n’en peut plus être, ainsi aujourd’hui. Depuis que l’opinion a été proclamée la reine du monde, c’est à qui invoquera cette puissance nouvelle, et comme les révolutions se succèdent, comme les régimes viennent l’un après l’autre, il se forme rapidement pour chaque période une sorte de postérité. Laissez passer à peine quelques années après les événemens qui ont rempli la première partie de ce siècle ; les témoignages se presseront, chacun voudra dire ce qu’il a vu et ce qu’il a su. Les négociations les plus cachées n’ont déjà plus rien de mystérieux. Hommes et choses reprennent peu à peu leurs vraies proportions, et nous arrivons ainsi à connaître jusque dans ses moindres détails une époque dont la publicité ne fut pas cependant le ressort principal. M. Thiers, en écrivant sur l’empire, a pu consulter les documens les plus secrets, et il en fait un savant usage. Les lettres de Napoléon et de son frère Joseph ont mis en lumière des traits de caractère ineffaçables et des détails saisissans de l’histoire impériale. À son tour, Marmont est venu récemment jeter dans le monde ses impressions passionnées et trop souvent légères, impressions d’un homme d’esprit et de vanité plus que d’un homme d’état ou d’un homme de guerre. Ce travail de divulgation universelle ne discontinue pas, il se poursuit plus que jamais au contraire, et en ce moment encore vous vous retrouverez en présence des mêmes hommes, des mêmes faits, des mêmes choses prodigieuses, dans la Correspondance de l’Empereur, dont la publication vient de commencer sous l’autorité du gouvernement, dans les Mémoires du Prince Eugène, dont le premier volume a seul paru, comme aussi dans les Mémoires de M. le comte Miot de Mélito, tour à tour ministre, ambassadeur et conseiller d’état pendant la révolution et sous l’empire. Ces derniers Mémoires ne sont pas jusqu’ici les moins curieux, car l’auteur, quoique placé moins haut et même relativement moins connu que bien d’autres, avait pu voir les choses de près comme acteur du drame ; il avait été dans la familiarité de Napoléon avant le consulat et l’empire, et ce qu’il ne sait pas directement, il a pu l’apprendre par les confidences de Joseph Bonaparte, dont il fut l’ami, le ministre, le conseiller intime à Naples et en Espagne comme à Paris.

Ces Mémoires du comte Miot de Mélito, qui embrassent tout à la fois la révolution et l’empire, ont un intérêt singulier. Ils représentent, ce nous semble, l’esprit d’une foule d’hommes qui avaient déjà servi l’état avant 1789, qui l’ont servi depuis, et en qui on retrouve un goût prudent d’idées nouvelles allié à des habitudes de régularité et de vie polie. C’étaient des hommes utiles, connaissant bien les affaires, délaissés ou poursuivis par les régimes violens et recherchés par les régimes plus tempérés, facilement soumis là où ils apercevaient une autorité de fait à peu près régulière, et conservant toujours une certaine indépendance intérieure. La révolution ne leur convenait évidemment que dans une certaine mesure ; ils étaient restés monarchiques constitutionnels, feuillans, comme M. Miot le dit de lui-même, et l’auteur se sent visiblement à l’aise lorsqu’il est transporté du ministère de la guerre au ministère des affaires étrangères, où les habitudes révolutionnaires ont moins pénétré, où le nouveau fonctionnaire se retrouve avec des hommes comme M. Otto, M. Reinhart. Rien n’est assurément plus curieux que la peinture de ce malheureux ministère des relations extérieures à un certain moment de la révolution, c’est-à-dire lorsque la France n’avait point de relations extérieures. Le hasard avait jeté à la tête des affaires étrangères un inconnu du nom de Buchot, arrivant tout droit de sa province, où il était maître d’école. Les relations extérieures n’existant pas, le citoyen Buchot était à la hauteur de ses fonctions, et il tenait ses assises dans le café le plus voisin, où il donnait au besoin sa signature ; puis il employait le reste de son activité à faire proscrire ses employés, M. Miot, M. Otto, M. Reinhart, par la commune de Paris. Thermidor éclate tout à coup, et M. Miot reparaît comme commissaire aux relations extérieures, après avoir subi un examen assez bizarre dans le sein du comité de salut public, où l’on s’informe s’il a reçu quelque éducation et s’il sait le latin. Le candidat s’en tire fort à son honneur en ajoutant qu’il sait même l’anglais et l’allemand, sans compter l’italien. Le plus curieux de l’affaire, c’est que le pauvre commissaire Buchot, subitement évincé, ne trouve rien de mieux que de demander à son successeur de le conserver comme employé subalterne ou tout au moins comme garçon de bureau, ce que M. Miot se hâte de lui refuser, plein de mépris pour tant d’ineptie. Voilà où en étaient les affaires étrangères ! Et on conçoit l’espèce de souffrance ressentie par des esprits capables, pratiques, que ne tentaient pas les grands rôles politiques, et qui n’étaient point faits d’ailleurs pour les remplir.

Maintenant placez ces hommes utiles et jusque-là perdus, dans le bruit d’une révolution sanglante, mettez-les en présence d’un chef de génie qui saura les reconnaître, les rallier et se servir de leurs lumières, de leur zèle, de leur capacité : ils subiront naturellement l’ascendant de ce chef ; ils deviendront ses administrateurs, ses préfets, ses conseillers d’état, ses  ; ils aideront à élever un édifice nouveau et se prêteront à toutes les reconstitutions. C’est ce qui est arrivé dans cet orageux passage de la révolution au consulat et à l’empire. M. Miot, étant devenu ministre à Florence, puis à Turin, avait eu l’occasion, quant à lui, de connaître particulièrement le général Bonaparte dès la première guerre d’Italie. Est-ce à dire que tous ces hommes, en s’employant à refaire l’organisation de la France, en secondant les vues du premier consul et de l’empereur, fussent entièrement dominés et fermassent les yeux sur les entraînemens d’un génie déjà trop impatient ? Ils voyaient au contraire ces entraînemens, et s’ils se taisaient en public, ne pouvant rien empêcher, ils avaient leurs notes secrètes. C’est surtout sous ce rapport que les mémoires du comte de Mélito ont un vif intérêt. Ils ressemblent au témoignage d’un ancien bourgeois de Paris, observateur curieux, sagace, qui ne se laisse point imposer par l’éclat et l’enthousiasme, qui remarque tout et qui juge tout. De loin, nous n’apercevons les événemens que dans leur ensemble et dans leurs résultats prodigieux. Les hommes comme M. Miot voyaient les choses de plus près, et ils les voyaient dans leurs détails de tous les jours, dans des proportions plus humaines, dans cette élaboration intime et pratique où l’action du prestige extérieur diminue nécessairement. Présens dans les conseils, ils remarquaient comment la surprise se peignait sur les visages quand certaines conséquences hardies se dévoilaient, quand certains mots nouveaux étaient prononcés tout à coup. Ils notaient le moment où l’empereur disait pour la première fois : Mes peuples, mes armées, mes vaisseaux. En un mot, ils voyaient peu à peu se dégager cette personnalité puissante qui aurait pu être si grande encore et s’assurer l’avenir en restant dans de justes limites, et qui tendait à devenir excessive en se substituant à tout. Les hommes qui observaient sans illusion cette marche dangereuse ne cessaient point pour cela de servir fidèlement l’empereur ; mais ils s’accoutumaient insensiblement à cette pensée, que la France n’était point dans un état définitif, qu’on marchait encore dans l’inconnu et vers l’inconnu. Il se produisait un phénomène étrange, caractéristique, qu’on ne peut bien saisir qu’aujourd’hui : tandis que l’empereur inspirait encore à la masse du pays une confiance entière, parce que de loin on ne le voyait que sur son trône, dans l’éclat de ses victoires, ceux qui le servaient de plus près doutaient, ils ne croyaient pas à l’avenir ; ils pensaient comme M. Miot et comme M. Decrès, dont on connaît les impétueuses boutades.

Et qu’on l’observe bien, ces faits ne ressortent pas seulement du témoignage d’un homme qu’on pourrait supposer prévenu ou peu enthousiaste, ou porté à se venger, par la liberté posthume de ses récits, d’une soumission ancienne. Ils sont écrits dans tous les documens, ils se dégagent à chaque ligne des lettres de Napoléon à son frère Joseph ; ils apparaissent encore dans cet épisode de la domination française en Italie, sur lequel les Mémoires du prince Eugène ne peuvent que jeter une lumière nouvelle. De toutes les combinaisons impériales, le royaume d’Italie était peut-être la plus heureuse, la plus viable, et certainement la plus avantageuse pour la péninsule, si elle devait être le commencement d’une indépendance complète. Le prince même dont on publie les Mémoires, et qui fut chargé pendant tout l’empire de la vice-royauté d’Italie, avait des qualités attachantes ; il avait la loyauté du caractère et la fidélité du cœur. Tout répondait de lui à Napoléon. Il ne faut pas croire cependant qu’il eût une grande liberté dans cette organisation et ce gouvernement d’un royaume nouveau. L’empereur, et ce fut son piège, crut pouvoir tout résumer en lui-même. Il ne comprenait pas des serviteurs relevés à leurs propres yeux par la dignité d’une coopération indépendante ; il voulait surtout des instrumens intelligens, muets et dociles. Il écrivait ou il faisait écrire au prince Eugène que, Milan fût-il en feu et la lune tombât-elle, il devait attendre ses ordres après les avoir demandés. C’était une pensée fixe sous une expression exagérée à dessein. Il faut toutefois l’ajouter : cette ardeur de commandement n’était pas un vain caprice de domination ; elle était naturelle, inévitable, dans les idées et dans le système de l’empereur. Une certaine liberté d’action est possible dans l’administration d’un pays où tout le monde a la notion distincte du but général qu’il faut atteindre. Dès qu’il s’agit de combinaisons gigantesques, embrassant des opérations de toute sorte, s’étendant à des peuples différens, et faisant concourir à une même œuvre, dont un seul homme a le secret, une foule de volontés éparses, le moindre caprice d’indépendance peut déranger tous les plans : il faut que tout se coordonne sans cesse à une pensée unique, de telle sorte que l’erreur était dans le système, et Napoléon usait son génie d’exécution à réparer les fautes de sa politique ; il faisait servir une incomparable fécondité de ressources à réaliser des conceptions sans durée. Chose remarquable ! il fallait bien que ces aspirations de conquête, ces idées de domination universelle fussent dans la nature de Napoléon. Dès la première guerre d’Italie, M. Miot pouvait en recueillir l’expression, conservée dans des extraits qui peuvent sans doute n’être point d’une exactitude littérale, mais où l’on retrouve les habitudes de langage, les pensées familières de celui qui déjà visait à l’empire, n’étant encore qu’un jeune général de vingt-sept ans. Plus les documens particuliers se multiplieront, et les Mémoires du prince Eugène sont de ce nombre, plus ils apprendront à faire deux parts quand on voudra étudier Napoléon : il y aura le système qui pourra bien servir de leçon, non d’exemple ; partout au contraire où cette surprenante intelligence restera dans le vrai et sera aux prises avec une œuvre juste, précise, on la verra déployer une lucidité et une puissance de bon sens bien plus extraordinaires que des conquêtes éphémères.

Tous ces ouvrages, qui sont des documens pour l’histoire, tiennent aujourd’hui une grande place. Ils sont un aliment pour l’esprit qui ne sépare pas les spectacles de la vie réelle du mouvement permanent des idées et des choses littéraires. La littérature dramatique se résume pour le moment dans une œuvre nouvelle, une comédie qui vient d’être représentée tout récemment au Théâtre-Français, sous ce titre poétique et séduisant : les Doigts de Fée. Deux hommes d’esprit, deux membres de l’Académie, M. Scribe et M. Legouvé, ont livré l’autre soir une bataille moins dangereuse que les batailles de l’empire, il est vrai, mais d’où la langue française n’est point sortie sans blessure, et qui ne peut vraiment être considérée comme une victoire signalée pour l’art contemporain. M. Scribe cependant est un esprit habile à nouer une action, à combiner des scènes, et il a traversé dans sa vie plus d’un défilé périlleux. Malheureusement il s’est trouvé engagé dans une singulière aventure par son collaborateur, et, s’il faut tout dire, l’œuvre nouvelle ne paraît pas la plus éloquente justification des théories que M. Legouvé émettait en entrant à l’Académie en faveur du système des collaborations littéraires. Quel est le sujet de la comédie récemment représentée sous ce titre mystérieux des Doigts de Fée ? Vous êtes dans un château de Bretagne où tout se passe absolument comme à Paris. Voici une jeune fille, belle et intelligente, mais pauvre, triste descendante d’une famille noble, recueillie par pitié, tolérée dans la maison. À côté est justement le parent qui a recueilli la jeune fille. Ce noble de vieille souche qui, comme bien d’autres, cherche dans l’industrie le moyen de dépenser dix mille francs de plus que son revenu, ce parent est dur pour la pauvre Cendrillon, qu’il opprime en lui reprochant l’asile qu’il lui donne. Il s’indigne surtout en apprenant que son fils aime la jeune orpheline et veut l’épouser. Là est le nœud du drame, tout découle de cette donnée. Maintenant attendez deux années : la jeune fille, après s’être affranchie de la servitude dans laquelle elle vivait, aura été l’habile architecte de sa fortune avec ses doigts de fée, ou, pour parler plus vulgairement, en ouvrant un magasin de modes, et son noble parent, engagé dans l’industrie, sera ruiné au contraire. Alors s’opéreront les rapprochemens, et les mariages impossibles redeviendront naturels. D’habitude on fait une comédie avec une idée morale ou avec des caractères. L’idée morale de la comédie nouvelle, c’est sans doute que les jeunes filles nobles qui ont le malheur de tomber dans la pauvreté se relèvent par la couture. Or, puisque les auteurs voulaient représenter l’opposition de la noblesse et du travail, ils auraient pu, ce nous semble, donner à leur idée une forme moins vulgaire, et placer la scène de leur drame ailleurs que dans un magasin de modes. Le noble industriel aurait pu devenir un caractère saisissant et vrai ; il est à peine ébauché, et il est parfois odieux. L’élément comique est principalement représenté dans l’œuvre nouvelle par une jeune femme qui parle sans cesse de ses toilettes, de ses robes, et par un jeune homme bègue, dont la façon de parler est destinée à provoquer l’hilarité, sans que cette triste infirmité soit au surplus un ressort particulier de la comédie. Il y a sans doute dans les Doigts de Fée quelques scènes agréables et habilement conduites, où se retrouvent encore le talent et l’esprit de deux hommes qui ont eu d’autres succès ; mais ce n’est point là certes la vraie comédie, celle qu’on attend et qu’on voudrait voir apparaître dans la maison de Molière. ch. de mazade.



ESSAIS ET NOTICES.

littérature et philosophie.

Il y a dans certaines productions contemporaines une exagération de pensée et d’expression qui est évidemment un signe d’ignorance et de décadence, mais qui a pour principe une force mal appliquée. Il semble d’abord que cette vigueur native offre une précieuse ressource, et qu’il suffirait, pour en tirer parti, de lui donner une direction convenable ; mais ici il est moins facile d’appliquer le remède que d’en trouver la formule : c’est que la direction mauvaise primitivement suivie a été en quelque sorte consacrée par l’effet produit. Or l’effet produit, quel qu’il soit, devient de plus en plus la pierre de touche des œuvres intellectuelles. Encore les œuvres autour desquelles il s’est fait un certain bruit ont-elles été très rares depuis quelques années, tellement rares qu’on est tenté de savoir gré aux auteurs d’être arrivés, à cette époque d’indifférence pour les créations de l’esprit, à jucher leur personnalité sur un petit piédestal, en même temps qu’au nom des exigences pures de l’art on ne peut s’empêcher de leur adresser de justes critiques. Après l’examen, malheureusement trop rapide, des quelques œuvres qui tranchent sur le reste par une originalité plus ou moins discutable, on tombe dans ce milieu plat, vulgaire, monotone, où la production intellectuelle prend le goût du public pour guide, s’accommode de tout, use de recettes connues et consacrées avec une certaine adresse d’exécution devenue banale, et se montre en un mot de plus en plus impersonnelle.

Du reste, ce défaut actuel d’originalité n’est point particulier à la France. M. Adolphe van Soust vient de le reprocher à la Belgique pour les arts plastiques[1]. Il est vrai que de toutes les écoles l’école belge a le moins de raison d’être. Ce n’est qu’une question de domicile et de lieu de naissance. À quelque catégorie que ses peintres appartiennent, soit qu’ils imitent dans le genre flamand van den Velde et Jean Steen, soit qu’ils imitent dans l’école française actuelle M. Delacroix, M. Meissonier ou même M. Courbet, on ne peut que les ranger dans le servum pecus d’Horace. Ce résultat, qui avait frappé tout le monde à l’exposition universelle de 1855, vient de se manifester de nouveau au dernier salon de Bruxelles. Par malheur encore pour l’école belge, ses plus illustres représentans restent sous la tente. M. Wiertz organise chez lui une exposition permanente. Quant à M. Gallait, s’il n’a pas voulu envoyer ses œuvres à Paris en 1855, ce n’est certes pas pour les compromettre aujourd’hui dans une mince exhibition locale. Restent, il est vrai, les trois noms suivans, Leys, Madou, Willems, dont l’un d’eux, Leys, a, suivant M. van Soust, élevé le genre au rang de l’histoire. M. van Soust, en désespoir de cause, se rattache à eux, les tourne, les retourne et les fait valoir comme un bon marchand sa marchandise ; mais il ne fera pas que nos souvenirs ne nous représentent.M. Madou comme un peintre sec, froid, monotone ; M. Willems, malgré quelques bonnes qualités, comme beaucoup trop sobre de couleurs, et éteignant celles qu’il ose employer sous des tons plâtreux et ternes ; M. Leys enfin comme un habile faiseur de pastiches, calquant ses personnages sur les gravures de Martin Schœn et d’Albrecht Durer, et s’inspirant beaucoup trop de Memling et de van der Weyden.

L’intérêt du livre de M. van Soust n’est heureusement pas dans l’examen de l’école belge ; il se trouve dans des considérations générales d’un ordre élevé où l’auteur montre de sérieuses connaissances et un sens critique assez profond. Il résume heureusement ses plaintes sur la situation actuelle de l’art en disant que la cause du vice réside surtout dans le caractère de l’époque. Faut-il d’ailleurs se laisser éblouir par cette multitude de noms auxquels s’attache si facilement une demi-notoriété ? Il n’est pas plus vrai de dire du talent ce qu’on a dit de l’esprit : qu’il court les rues. Faut-il appeler esprit cette facilité caustique qui s’exerce sur toutes choses à tort et à travers ? de même faut-il appeler talent cette pratique matérielle qui court les ateliers, et dont l’exercice, devenu trop facile, n’a jamais été de l’art et n’est même plus du métier ? Grâce à cette pratique en effet, gens de talent comme gens d’esprit, tous sont tombés dans cette déplorable méthode de l’à peu près, qui, en se joignant à celle du convenu, enchaîne, tout en croyant la rendre libre, la production dans les limites de la plus étroite frivolité.

Il est un point cependant sur lequel nous ne sommes pas d’accord avec M. van Soust, c’est la question du paysage. Pour M. van Soust, le paysage est dans la peinture un objet secondaire qui se classe à côté des vues de villes et des natures mortes, et qui n’est devenu un genre distinct que depuis la décadence de la peinture héroïque et religieuse, dans laquelle il n’était qu’un simple accessoire. Dire que la peinture d’histoire domine tous les autres genres, c’est avancer une proposition qui peut avoir ses apologistes et ses contradicteurs ; mais dire ensuite que la peinture d’histoire comprend tous les genres, c’est la déclasser elle-même comme genre et la réduire à l’état d’abstraction. M. van Soust ne s’est pas aperçu de cette espèce de contradiction. « Rubens, dit-il quelque part, ne savait-il pas peindre les chevaux et les chiens, les ciels et les arbres ? » Donner ces paroles comme une preuve de l’infériorité du paysage, c’est le réduire à de trop minces proportions. La peinture des ciels et des arbres, si excellente qu’elle soit, ne suffit pas pour constituer le paysage : il contient autre chose. Le considérer ainsi, c’est le réduire à un simple effet de cadre et d’ornementation, tandis qu’il existe par lui-même, qu’il a une raison d’être absolue, puisqu’il est une des deux grandes faces sous lesquelles se manifeste la vie. La nature n’a-t-elle pas sa signification comme l’humanité, et n’a-t-elle pas le même droit à une représentation distincte ? Nous nous contentons de soulever l’objection sans la développer.

S’il ne faut pas faire du paysage une expression secondaire de la peinture, il ne faut pas en littérature tomber dans l’excès opposé, et faire de la description plastique l’unique objet d’un livre. Ainsi, dans le roman qu’il vient de publier[2], M. Théophile Gautier a trop cédé à cette préoccupation exclusive. On ne reconstruit pas toute une civilisation disparue avec la seule description du costume, des vases et des objets d’art que le temps nous a conservés. Ces débris veulent être animés. Bien que, dans les temps anciens comme dans les temps modernes, on puisse, du caractère particulier imprimé aux arts et à la littérature d’une nation, déduire la spécialité de son intelligence et de ses mœurs, l’écrivain qui raconte, qui vulgarise, si je puis m’exprimer ainsi, doit compléter par l’action et les sentimens de ses personnages la tâche abstraite du philosophe. L’Égypte est certainement une mine féconde ouverte à la curiosité du savant et de l’artiste. L’art égyptien, qui a son idéal comme l’art grec, conduit, sous une apparence monotone, l’esprit de l’observateur dans les infinies profondeurs d’une réelle complexité. Il n’y a pas seulement place pour les travaux scientifiques et positifs des Champollion, des Wilkinson, des Lepsius, des Rosellini ; il y a place aussi pour l’imagination du romancier et du poète. Avec le style qu’on lui connaît, M. Gautier nous représente Thèbes et ses cent portes, ses palais, ses temples, ses cérémonies, ses triomphes, ses hypogées, et l’on erre sans étonnement avec l’écrivain sur ce sol sacré, sur cette terre pâmée de chaleur, où « la lumière frissonne en ondes visibles dans l’air transparent. » Jamais peintre n’a décrit avec son pinceau ce que M. Gautier peint avec sa plume, jamais coloriste n’a trouvé sur sa palette des tons aussi chauds, aussi lumineux ; mais malgré la justesse et la précision de ces épithètes, dont l’éclat micacé éblouit et fascine, on regrette que l’individualité égyptienne ne ressorte pas davantage. Le fond a peut-être influé sur la forme : sans doute les momies sont imprégnées de parfums, entourées de fines bandelettes, constellées d’ornemens précieux, mais ce ne sont pas moins des momies. Ressusciter tout un peuple et le montrer vivant de sa vie propre était un travail d’autant plus difficile que l’Égypte nous apparaît comme un sépulcre immense peuplé d’immortels cadavres. Les juifs et les chrétiens enterrent leurs morts et rendent au limon la chair pétrie de limon : Mémento quia pulvis es… Les païens plaçaient sur le bûcher les dépouilles mortelles, et les livraient ainsi à l’élément qui purifie et qui dévore. Les Égyptiens n’admettaient aucune destruction immédiate ou lente ; ils embaumaient tout ce qui avait eu vie : esclaves, animaux, tout, jusqu’à des œufs de serpent. Rien ne les arrêtait ; ils pénétraient aussi de bitume, de natrum et d’aromates les corps pourris par la lèpre ou l’éléphantiasis. Que signifiait cette conservation de la forme par-delà le tombeau ? A des peuples dont les institutions traditionnelles sont aussi arrêtées que celles des Égyptiens, il faut demander une autre raison que la mode ou le caprice. La mythologie égyptienne nous explique ces coutumes funéraires. D’après elle, la séparation que la mort établissait entre l’ame et le corps n’entraînait point leur indépendance. L’âme, dégagée de son enveloppe matérielle, lui restait néanmoins soumise, et les liens invisibles qui la réunissaient au corps devenaient plus étroits et plus resserrés. Quelles que fussent les régions extra-terrestres où l’âme était placée, elle subissait, à travers l’espace et par-delà le temps, les modifications naturelles ou accidentelles qui pouvaient atteindre le corps, privé désormais de volonté et laissé aux soins des survivans. On comprend ainsi ce qu’était le culte des momies chez les Égyptiens, puisque pour eux la conservation du corps était le gage des destinées de l’âme ; on comprend avec quelles précautions ils cherchaient à conserver l’intégrité de la forme.

Il n’est pas besoin de toute une série de siècles éteints pour trouver l’occasion de reconstruire une histoire perdue et de recomposer l’esprit d’une époque détruite. Il suffit souvent d’un fragment de siècle écoulé dans un certain milieu et sous l’empire de certaines circonstances pour prêter à un pastiche intéressant. On a fait et on peut faire plus ou moins heureusement des pastiches appliqués à différentes époques et à différens esprits. Il nous serait facile de citer, soit dans notre siècle, soit dans les siècles précédens, plusieurs noms qui doivent une partie de leur renommée à leur habileté dans cette espèce de travail. Tous les genres sont ouverts d’ailleurs au pastiche : la littérature comme la peinture, la gravure comme la musique. Il est à remarquer seulement que les œuvres qui se prêtent le plus au pastiche sont celles où l’artiste, quel qu’il soit, peintre, musicien ou poète, a imprimé les marques les plus saillantes et en même temps les plus matérielles de son individualité. Il sera facile à un peintre dans un certain sens d’imiter Rembrandt et Rubens ; il sera plus aisé pour un musicien de s’assimiler Verdi que Bellini, et un poète calquera Victor Hugo beaucoup plus sûrement qu’André Chénier. En un mot, toute exubérance de forme, de coloris, d’instrumentation, prête éminemment au pastiche. Cela tient uniquement à ce que l’exagération d’individualité que présentent certains esprits offre des saillies plus en relief, des creux plus accusés, sur lesquels les esprits secondaires et imitateurs trouvent plus de facilité à se mouler que sur un niveau de toutes parts assez égal et assez plat. À cette cause nécessaire et suffisante, l’on peut encore ajouter celle-ci : il est des esprits frères, des tendances pour ainsi dire sœurs qui se manifestent à des intervalles plus ou moins éloignés ou dans des milieux différens. Les nouveau-venus s’emparent alors de l’œuvre aînée, l’étudient, la reconnaissent en quelque sorte pour la leur, et n’ont pas plus de peine à se l’assimiler qu’une graine semée en terre n’en éprouve à devenir une plante semblable à celle qui l’a fournie : ici et là, c’est le même procédé, la même physiologie ; c’est naturellement et sans efforts que l’esprit comme la graine choisissent les mêmes sucs, sécrètent les mêmes substances, enfin accomplissent les mêmes évolutions qu’ont accomplies la plante mère ou l’esprit créateur.

Il peut arriver que le pastiche ne s’applique pas à un génie individuel, mais bien à un génie collectif, quand la collection, par une originalité fortement accusée et surtout persévérante, ou par la continuité des mêmes effets, arrive en quelque sorte à s’individualiser. C’est ainsi que M. Prosper Mérimée a pu, en 1827, donner les morceaux qui composent sa Guzla comme traduits d’originaux illyriens. Il serait puéril de citer comme exemple les poésies d’Ossian. L’œuvre que nous apporte aujourd’hui M. Ch. de Coster[3] rentre dans le pastiche collectif. L’auteur n’a pas eu pour but de reproduire uniquement les joyeusetés rabelaisiennes et les farces des Cent Nouvelles nouvelles, comme l’avait tenté Balzac dans ses Contes drolatiques. Son livre n’est pas un livre de haulte graisse, le sel gaulois y manque un peu ; mais l’absence de la facétie particulière au moyen âge s’y trouve rachetée par le fond du sujet, qui est éminemment national. Flamand, l’auteur a composé des légendes flamandes ; l’objet de son œuvre est essentiellement patriotique. Voici par exemple ce que raconte la dernière légende de M. de Coster. Le forgeron Smetse Smee doit bailler son âme au diable au bout de sept années, pendant lesquelles il doit avoir la plus belle forge de Gand, boire les vins les plus fins et manger les plus fines viandes. Le dernier jour de la septième année arrive, et avec lui l’envoyé du diable, « la gueule bée, tirant la langue, et vêtu de méchante souquenille. » En le voyant, la femme de Smetse laisse échapper l’épithète de gueux. « Gueux ! s’exclame le diable, je ne le suis et ne le fus oncques. Mort aux gueux ! à la potence les gueux ! — Femme, dit Smetse, considère notre hôte, et tu pourras dire que tu as vu messire Jacob Hessels, le plus grand faucheur d’hérétiques qui fut oncques… Ah ! nous vous devons beaucoup, messire : l’impôt du dixième, coulé en l’oreille à l’empereur Charles ; l’arrêt de messires d’Egmont et de Hornes, écrit de votre belle main, et plus de vingt cents personnes qui de votre fait périrent par le feu, le fer et la corde ! » Grâce à un certain vœu fait par le forgeron et que saint Joseph a promis d’accomplir, l’envoyé du diable est obligé de s’en aller, après avoir accordé à Smetse Smee un répit de sept ans, mais non sans être bien rossé. — Sept ans après, une comédie à peu près semblable se joue encore. Cette fois l’envoyé de l’enfer est le duc d’Albe en personne, orné de la Toison-d’Or et portant belle écharpe rouge. Il subit le même sort que Jacob Hessels, et après avoir accordé à Smetse un nouveau délai de sept ans, « se fondit en une fumée rougeâtre comme sang vaporant, et les manouvriers ouïrent mille voix joyeuses et ricassantes disant : « Battu le duc de sang, honni le seigneur de la hache, vilipendé le prince des bûchers ! Vlaenderland tot eeuwigheid ! Flandres pour l’éternité ! Et mille mains battirent plaudissant ensemblement, et le jour se leva. »

Le troisième envoyé de l’enfer se présente, couvert d’un manteau royal et la couronne en tête ; mais son corps est nu sous le manteau, et ses membres apparaissent rongés d’ulcères et de vermine. Ses yeux gris expriment l’hypocrisie, la cruauté et la male rancune. « Smetse, garde-toi ! s’écrient les ouvriers, le roi de sang est céans. » En effet, l’apparition n’est autre que le roi d’Espagne, duc de Bourgogne et de Brabant, palatin de Hollande et de Zélande, Philippe II. Fort de l’exécution promise à son vœu, Smetse lui ordonne de rendre le pacte que lui, Smetse, a signé avec le diable. Philippe II refuse. « Ah ! si j’avais encore ma puissance, s’écrie-t-il, je voudrais désoler et dépeupler la Flandre, et sur ce cimetière je planterais une croix noire avec cette inscription : — Ci-gît Flandres l’hérétique, Philippe d’Espagne lui passa sur le ventre ! » A peine cette dernière parole est-elle froide, que Smetse et ses ouvriers laissent retomber sur lui leurs lourds marteaux, et à chaque coup : « Ceci est pour nos chartes rompues ! ceci pour tes sermens violés ! ceci pour le comte d’Egmont ! ceci pour ton fils Charles, qui mourut sans avoir été malade ! » Ainsi réduit à « une platelée d’os et de chair non mêlés de sang, » le diable-roi rend à Smetse Smee son pacte.

On voit le sentiment qui domine ces légendes. Le souvenir de la tyrannie espagnole, la haine des Flamands contre Philippe II, ce spectre de l’Escurial, ce plus sinistre représentant de l’inquisition, y sont développés avec la force et la profondeur que leur donne l’expression populaire dans son apparente naïveté. Il y a dans ce dernier récit comme une inspiration de Marnix de Sainte-Aldegonde, ce grand citoyen, qui, réfugié à Heidelberg et revendiquant avec fierté son titre de questeur des gueux, attaquait la tyrannie politique ainsi que l’intolérance religieuse avec la profondeur et la malice de Rabelais. On comprend que M. de Coster ait choisi pour écrire ses légendes la langue du moyen âge. Elle lui offrait des ressources qu’il n’aurait pas trouvées dans le langage moderne. Non-seulement les termes, mais encore les tournures grammaticales ne sont pas indifférentes à l’expression de la pensée. Tels sentimens qui demeurent la propriété exclusive d’un certain siècle semblent ne pouvoir être exprimés que par la langue de ce siècle. La crudité des expressions nous fait regarder le moyen âge comme naïf : c’est une erreur ; le moyen âge n’était pas plus naïf que nous le sommes. Ses expressions, qui nous semblent parfois plus que légères, étaient alors conformes à l’usage et inhérentes aux mœurs, et c’est leur contraste avec nos propres habitudes qui leur donne une singularité relative. Aussi ferons-nous à M. de Coster le reproche de n’avoir point usé complètement de cette singularité en modernisant l’orthographe des mots dont l’usage s’est conservé. L’inconvénient est sans doute beaucoup moins grand que s’il s’était attaqué, comme les éditeurs de Hollande, au texte même de Montaigne et de Rabelais, mais il n’en subsiste pas moins. Sauf cette modification purement plastique, le fond des Légendes flamandes ne manque pas de couleur. L’auteur possède éminemment l’intelligence morale du pays et de l’époque où il place ses récits. Il a su avec un rare bonheur exprimer la spécialité de son sujet. C’est bien le moyen âge qu’il nous représente avec ses rudesses, ses bonhomies, ses gracieuses nonchalances ; mais c’est de plus le moyen âge flamand. Aussi ses principaux personnages peuvent-ils servir de types, et se distinguent-ils par un élément particulier des figures du moyen âge que nous connaissions jusqu’à présent.

Derrière les spécialités de tournures et de style que lui imposait un pareil ouvrage, M. de Coster laisse deviner son propre style, et ce n’est pas à son désavantage. Son livre renferme un sentiment général de grâce et de mélancolie qui est évidemment dû à la seule personnalité de l’auteur. On n’y trouve pas au même degré la finesse et la légèreté qui distinguent les Cent Nouvelles nouvelles, ni la grosse gaieté gauloise de Rabelais. Cette différence tient peut-être à la liqueur que boivent les personnages des Légendes flamandes : l’ivresse de la bruinbier est moins pétillante et plus lourde que l’ivresse du vin ; mais il faut remercier M. de Coster de ce qui lui appartient plus particulièrement, de ce que l’imitation même la plus habile ne pouvait guère lui donner, c’est-à-dire de l’heureux choix de ses situations, de l’intérêt et du naturel de ses dialogues, enfin de l’expression fidèle des sentimens, des caractères et des mœurs propres à l’époque et au pays qu’il a étudiés.

Il semble qu’il y ait au fond de la métaphysique je ne sais quelle pierre philosophale qui attire constamment d’infatigables chercheurs. Faut-il encourager, faut-il prendre en pitié tous ces esprits, terribles révolutionnaires en apparence, mais dont la monomanie est au fond bien paisible et bien incapable d’opérer le moindre changement ? Ils se présentent hardiment, qui avec une nouvelle méthode, qui avec un nouveau critérium, qui avec une nouvelle classification ; il s’agit toujours d’une panacée universelle ; les plus modestes, s’ils ne le disent pas, du moins le donnent à entendre. Encore une fois, méritent-ils nos encouragemens ou notre dédain ? Ni ceci ni cela. Ce serait ou enfler inutilement la vanité la plus absorbante que nous connaissions, la vanité de faiseur de système, ou l’irriter plus inutilement encore. Cependant, si leurs ouvrages n’offrent pas d’utilité absolue, il ne faut pas nier qu’ils n’en aient une relative très importante. Le public doit retirer de leurs rêveries et de leurs ébauches un profond enseignement. Ce n’est pas en vain que l’utopie, puisqu’il faut l’appeler par son nom, se dirige presque exclusivement vers la métaphysique ; ce n’est pas en vain que l’on s’imagine pouvoir changer tout un système par l’addition de quelques mots et par la transformation de quelques formules. Il y a dans un pareil labeur un instinct infaillible qui guide les têtes les plus folles et les esprits les moins raisonneurs, semblable à l’instinct des animaux sauvages qui attaquent leur ennemi à l’endroit le plus vulnérable. C’est qu’en effet la métaphysique est le cœur de la science humaine ; c’est d’elle que jaillit, comme un sang généreux, la méthode qui, dans les travaux les moins spéculatifs, dans les études les plus spéciales, est le sang qui réchauffe et qui vivifie. C’est à elle que revient enfin le flux des nouvelles connaissances pour se dilater ou se contracter suivant l’occasion, pour acquérir certaines qualités constitutives qui les rendent aptes à circuler à leur tour, et à porter partout où elles iront la lumière et la vie. On conçoit de quelle importance est l’agent qui règle dans la science humaine cette double circulation. On conçoit que les novateurs aillent droit à lui, comme à la clé de voûte de tout le système, comme au point culminant de tout l’horizon philosophique.

La tentative nouvelle dont nous avons à parler accuse chez l’auteur des connaissances philosophiques sérieuses ; aussi ne comprenons-nous pas quel singulier motif l’a poussé à se proclamer novateur[4]. Un peu de science nous enivre, a dit un ancien ; beaucoup de science nous fait voir que nous ne savons rien. C’est un peu de science qui a trompé M. Decorde. Il est vrai que parmi les novateurs philosophiques il est un des plus modestes que nous connaissions : il ne remue pas ciel et terre, il ne déduit pas de la nouvelle vérité par lui créée tout un système politique ou social ; il se renferme dans la pure métaphysique, mais il prétend n’y pas faire moins qu’une révolution.

De tout temps, la connaissance des choses générales a donné lieu aux idées, comme la connaissance des choses particulières donne lieu aux sensations. L’œuvre de Platon a presque pour base la distinction de ces deux noumènes. M. Decorde, ne changeant rien au fond des choses, a seulement baptisé les notions données par les choses particulières du nom d’idéoïdes, et c’est dans l’introduction de ce nouveau vocable que réside toute sa réforme. — Qu’est-ce que l’arithmologie ? demandait-on à Ampère, qui inventa une classification quaternaire dont tous les termes étaient ainsi fabriqués par lui. — C’est ce que vous appelez arithmétique, répondait l’illustre savant. — Qu’est-ce que l’idéoïde ? — C’est ce que vous et moi, nous tous, M. Laromiguière, M. Cousin et M. Decorde, entendons par idée sensible.

L’auteur de la Nouvelle Doctrine philosophique est sans contredit un homme qui s’occupe d’une façon suivie des questions philosophiques. Il en parle assez clairement la langue, mais il faut dire que toutes ses nouveautés métaphysiques sont tombées depuis longtemps dans le domaine public, et que l’inconnu qu’il prétend révéler se trouve exposé tout au long dans les plus classiques manuels. Il a cru inventer, il n’a fait que se souvenir. De nombreuses lectures ont peu à peu constitué dans son esprit un fonds sur lequel il a travaillé comme sien, et qu’il s’imagine ingénument avoir créé. Cette méprise du moins peut avoir encore son côté utile, si elle peut convaincre le public que toute science, toute philosophie et tout art n’existent pas sans la critique historique, leur premier et indispensable fondement.

S’il est pénible de voir certains esprits se consumer en d’aussi stériles efforts, il est consolant d’en voir d’autres appliquer leur travail et leur savoir à consolider simplement l’édifice déjà élevé en fortifiant ses bases et en y ajoutant de nouvelles. De ce nombre est M. Ch. Waddington, qui, sous le titre d’Essais de Logique[5], vient d’offrir au public le résumé des leçons faites par lui à la Sorbonne de 1848 à 1856. Nous avons vu avec joie l’importance attachée par l’auteur aux études logiques, importance qui domine en quelque sorte celle des autres études. Ce n’est pas que la logique forme un ensemble de connaissances pour ainsi dire matérielles : elle ne comprend absolument aucun fait réel, mais elle sert à étudier, à reconnaître, à classifier tous les phénomènes puisés dans la réalité dont les collections diverses composent les autres sciences, et c’est ainsi que ces sciences n’existent que par elle. Entre la volonté humaine et le problème à résoudre, quel qu’il soit, physique ou psychologique, il y a un abîme que la logique doit remplir, une difficulté absolue que la logique doit seule trancher. Sans elle, sans la méthode dont la présence ordonne et classifie, les sciences, ne seraient plus que des nomenclatures stériles pour le progrès ; les connaissances humaines ne formeraient qu’un vaste dictionnaire dont les termes indépendans et privés entre eux de leurs rapports naturels ne fourniraient pas matière à de nouvelles découvertes. Aussi les plus grands noms philosophiques sont-ils ceux qui se sont principalement appliqués à dégager et à vulgariser les lois de la logique et de la méthode : Socrate, Aristote, Bacon. La logique, si l’on veut, n’est qu’un instrument, mais c’est un instrument indispensable, c’est l’instrument créateur. Les progrès matériels de la civilisation sont dus à la présence et à l’amélioration continue des machines et des instrumens de travail ; la méthode joue dans le domaine de la pensée le même rôle que les machines dans l’industrie. Il y a de plus en elle un caractère de généralité qui ne permet à aucune science particulière de lui échapper. M. Waddington a très justement insisté sur ce point, qui est de la plus haute importance devant les privilèges et l’indépendance que s’attribuent spontanément les sciences spéciales. De ce que chaque science a son objet propre, il ne s’ensuit pas qu’elle ait le droit de posséder sa méthode particulière, mais on peut dire que le procédé spécial qu’elle revendique n’est qu’une application proportionnée de la méthode, qui est une et générale. Autrement il faudrait conclure que chaque science doit se contenter d’une seule langue et qu’elle peut être admise à ignorer toutes les autres.

Les Essais de M. Waddington offrent une analyse intelligente et complète des différens procédés de la logique. Il y traite très convenablement du syllogisme, de l’induction et de la déduction, ainsi que d’un parallèle entre le syllogisme et la division par genres, division à laquelle Platon attribuait une grande valeur, comme le prouvent les dialogues du Sophiste et du Politique. Dans ces diverses monographies, l’auteur fait bien ressortir une distinction qui n’est généralement pas saisie et dont l’absence a causé en philosophie les plus grandes confusions, je veux parler de la distinction qu’il faut établir entre l’analyse purement psychologique d’un procédé intellectuel et les règles logiques auxquelles l’emploi de ce procédé doit être soumis, en un mot entre sa nature et son usage. Un chapitre spécial est consacré en outre à la Nouvelle Analytique de sir W. Hamilton, ouvrage dont s’est occupé ici M. Ch. de Rémusat dans une étude spéciale[6].

« Deux choses semblent nécessaires de nos jours en philosophie, dit M. Waddington : un caractère moral dans les doctrines qu’elle professe, un caractère scientifique dans la manière dont elle les établit. » Il est facile d’élargir les termes de cette assertion et d’en déduire presque complètement le rôle social de la philosophie, rôle dominateur, car la philosophie ne peut qu’occuper partout la première place, rôle dont on ne peut méconnaître la portée dès lors que la philosophie ajoute à ses doctrines par la rigueur de sa méthode l’élément pratique qui lui fait trop souvent défaut. Comme exemple à ses paroles, M. Waddington a mis à la fin de son volume un remarquable Essai sur la Propriété, dont l’origine est une leçon faite à la Sorbonne en novembre 1848 pour le concours d’agrégation. « La propriété, dit M. Waddington, est le rapport naturel des personnes et des choses. » Nous ne connaissons pas sur le même sujet de définition philosophique plus heureuse et plus vraie. Ce livre, outre les données qui étaient propres à son objet et dont l’explication réclamait naturellement un langage connu, est plein d’aperçus justes et profonds qui en font la bonté et la nouveauté. Ces Essais ont le droit d’être lus avec beaucoup d’attention ; on y rencontre dans plusieurs passages certaines différences de forme avec plusieurs philosophes connus qui font pressentir une profonde, bien que, pour ainsi dire, involontaire divergence d’opinions. À quelle école appartiennent en définitive les lignes suivantes : « L’idéal de l’homme ou son type de perfection, c’est ce qu’il est en puissance de devenir ? Or ce que nous pouvons devenir est indiqué par ce que nous sommes ; notre idéal résulte de notre nature même une fois connue… » Le spiritualisme et le matérialisme pourraient également revendiquer pour leur appartenant cette phrase de M. Waddington ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle appartient avant tout à la vérité.

La traduction de l’Introduction à l’Histoire du dix-neuvième siècle, de G. Gervinus, vient d’être donnée en Belgique par M. Constant Bernard[7]. Les tendances de l’historien allemand sont déjà connues[8]. Deux principes, selon lui, se disputent la domination, sinon universelle, du moins européenne, l’un de centralisation, de despotisme, d’unité, l’autre de désagrégation, de liberté, d’individualisme. Le premier, c’est le romanisme, représenté par la race romaine ; le second, le germanisme, représenté par la race allemande : c’est l’opposition de ces deux principes qui a fourni une base si solide à la réforme. Gervinus se prononce naturellement pour le second. Il voit dans l’individualisme la grande différence des races germaniques avec les races romanes au moyen âge, et de nos jours avec le monde slave. Il fait dépendre de l’activité individuelle et de la liberté d’action réglées par l’éducation les institutions démocratiques et la possibilité de leur existence. Néanmoins Gervinus pense qu’il ne faut rien brusquer, que le progrès marche par lui-même, mais que sa marche est lente, et qu’il faut s’y accommoder. Le perrumpamus de Zwingle doit faire place au jugement général et au temps. Le raisonnement ne l’indiquerait pas que l’histoire donnerait de cette vérité des témoignages irrécusables. « Il est, dit Gervinus, peu d’attentes plus décevantes que celle des résultats de la marche si lente de l’histoire dans la vaste carrière des temps modernes. » L’appréciation de la vitesse dépend néanmoins de la hauteur où l’on se place : plus elle est élevée, plus les événemens semblent marcher lentement ; au contraire, plus on vit intimement avec les faits environnans, plus on trouve que leur marche est rapide.

La méthode de Gervinus tient le milieu entre l’histoire telle qu’elle est ordinairement exposée et la philosophie de l’histoire. Elle est cependant un peu exclusive par la manière dont elle diminue les points de vue. Ainsi Gervinus exagère l’action du principe germanique quand il lui attribue la révolution française. La révolution française est bien à la France ; elle est due justement à la combinaison du principe germanique et du principe roman, combinaison dont Gervinus ne s’est pas rendu un compte exact. Il a considéré la France comme un terrain en quelque sorte neutre, lorsque au contraire la France est le premier pays où se soit faite la pénétration réciproque des deux principes, et qu’elle est ainsi devenue le foyer d’où rayonnent également sur la race romane et sur la race germanique la perception et la mise en pratique des théories nouvelles.

Quoi qu’il en soit, cette première partie de l’œuvre de Gervinus se recommande sérieusement à l’attention du philosophe et de l’homme politique. On se sent en la lisant entouré d’une conviction solide, et la conscience qu’on y puise d’une inévitable destinée dissipe certaines inquiétudes. « L’étude de l’histoire, dit Gervinus, apprend à mettre de côté l’espoir impatient d’obtenir en politique des résultats rapides et à nous dépouiller de ce préjugé, que les événemens de ce monde dépendent du caprice de quelques individus. »

Eugène Lataye.


  1. L’École belge de Peinture en 1857, 1 vol. in-8o ; Bruxelles et Leipzig, 1858.
  2. Le Roman de la Momie, 1 vol., L. Hachette, 1858.
  3. Légendes flamandes, 1 vol. illustré de douze eaux-fortes, collection Hetzel, 1858.
  4. Exposé d’une nouvelle Doctrine philosophique, par M. Decorde ; 1 vol. in-8o Paris, Ladrange, 1858.
  5. 1 vol. in-8o ; L. Hachette.
  6. Voyez la Revue du 1er avril 1856.
  7. 1 vol. in-8o, Bruxelles et Ostende, Ferdinand Claassen, 1858.
  8. Voyez l’étude de M. S.-R. Taillandier, Revue du 1er mars 1856.