Chronique de la quinzaine - 31 mars 1887

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Chronique n° 1319
31 mars 1887


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 mars.

Les nations contemporaines ne sont plus accoutumées à vivre sous cette tente dressée pour le repos dont parlait autrefois M. Royer-Collard. Elles vivent le plus souvent dans une atmosphère troublée, entre la crise de la veille et la crise du lendemain. C’est leur destinée ou, si l’on veut, leur fatalité. Elles ont toutes plus ou moins leurs difficultés qu’elles subissent ou qu’elles se créent. Quand un point noir semble disparaître de leur horizon, comme c’est arrivé récemment, elles se sentent soulagées sans doute, elles peuvent respirer un instant, délivrées qu’elles sont provisoirement d’une perspective de guerre; mais ce n’est qu’un instant. Les points noirs ne sont pas ce qui manque dans leurs affaires extérieures ou intérieures : il y en a une collection variée pour tout le monde. Le point noir pour l’Angleterre, c’est l’Irlande, l’immortelle, l’indomptable révoltée, et c’est peut-être aussi, dans un avenir qui pourrait n’être pas trop éloigné, quelque conflit redoutable au cœur de l’Asie. Le point noir pour la Russie, c’est le nihilisme, qui se révèle par de sinistres attentats, que rien ne décourage, parce qu’il procède d’un fanatisme sombre jouant avec la mort et la ruine. Le point noir pour la puissante et orgueilleuse Allemagne elle-même, c’est le socialisme dont les élections dernières ont dévoilé les incessans progrès, qui ne laisse pas de troubler parfois dans son sommeil un homme peu porté à s’effrayer des fantômes. Pour la France enfin, à part cette vague et perpétuelle menace d’un conflit qu’elle ne recherche pas, le point noir, c’est encore ce qu’on peut appeler, ce qu’on appelle effectivement tous les jours, le gâchis intérieur; c’est cette anarchie vulgaire, tapageuse, stérile, où tout prend un aspect d’incohérence, où l’on ne sait jamais s’il y a un gouvernement et ce qu’il veut, ce que devient un ministère qui est la parfaite image de la situation, qui n’a pas plus de raisons pour vivre que pour mourir. Cette anarchie dans l’état, c’est notre point noir, c’est notre mal, et, en vérité, si elle n’était pas un danger perpétuel, inquiétant pour le pays, elle offrirait parfois d’assez plaisans spectacles. La France a, pour le moment, des pouvoirs publics qui lui font une vie bien singulière, qui administrent sa fortune, tous ses intérêts d’une étrange façon, et un des plus curieux spécimens des confusions de la politique du jour, c’est bien certainement la dernière aventure de M. le ministre des finances, ou plutôt du cabinet tout entier. Ce que sera le prochain budget, ce que deviendront les propositions décousues de M. le ministre des finances, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. La chambre, en bâclant le dernier budget, a voulu, on le sait, s’illustrer par des économies, et, sans vouloir rien écouter, elle a supprimé, dans les dépenses de l’administration centrale des finances, une somme de près de sept cent mille francs affectée au traitement d’un certain nombre d’employés. Notez que ces employés, attachés à la caisse centrale du trésor, au grand-livre de la dette, sont absolument nécessaires, que sans eux les services les plus essentiels peuvent être suspendus, que « la gestion des deniers publics et même le crédit de l’état seront compromis. » C’est l’aveu qu’on fait aujourd’hui. Évidemment, le premier devoir de M. le ministre des finances et de M. le président du conseil lui-même était de ne se laisser imposer à aucun prix une suppression de crédit qui, selon leur propre témoignage, met en péril le service et le crédit de l’état. Ils n’en ont rien fait, ils ont laissé tout passer, ils ont même supplié le sénat de ne pas rétablir les sommes supprimées, en se réservant de suppléer à ce qu’on leur refusait par des crédits supplémentaires. Ils ont gagné ainsi quelques jours ou quelques semaines. Pendant ce temps, M. le ministre a gardé ses employés irrégulièrement payés, et, comme il l’avait dit, il a bientôt demandé au parlement des crédits supplémentaires. C’est ici justement que commence la plus bizarre, la plus fantasque des comédies entre l’ancienne commission du budget, à laquelle la proposition a été soumise, et M. le ministre des finances. On en est venu bientôt à ne plus se reconnaître, à ne plus s’entendre, à mettre les finances de la France en vaudeville. Les malheureux crédits ont été tour à tour rejetés, acceptés, modifiés. Les rapporteurs se sont succédé pour soutenir l’un après l’autre des conclusions différentes. On s’est réuni, on s’est séparé, on s’est rencontré de nouveau pour se disputer. M. le ministre des finances, pour tout concilier par un expédient de transaction, avait imaginé de prendre une partie des crédits qui lui sont nécessaires sur d’autres chapitres de son budget, sur des crédits qui pourraient être annulés au courant de l’exercice; mais il s’est bientôt ravisé. Il s’est aperçu qu’il n’avait pas le droit de toucher à des crédits qui ont reçu une affectation précise, de disposer d’avance des annulations éventuelles de crédits. Il a reculé ! Tout au plus suggérait-il un peu sournoisement à la commission l’idée de prendre elle-même la responsabilité de ce qu’il ne pouvait considérer que comme une irrégularité ; il avouait même assez naïvement qu’il tenait à exprimer ses scrupules pour se mettre en régie avec le sénat. De là explosion nouvelle d’indignation et de colère dans la commission, rupture éclatante, défis, guerre déclarée. On ne savait plus où l’on en était, s’il fallait refuser les crédits au risque de provoquer une crise ministérielle, s’il fallait les accorder au risque de se démentir.

Eh ! assurément, toute cette déplorable et burlesque histoire n’est qu’un tissu d’irrégularités. On est en pleine fantaisie ! La chambre elle-même, guidée par d’étourdis réformateurs, commettait plus qu’une irrégularité en supprimant capricieusement des allocations nécessaires, en jetant le désordre dans un grand service public. M. le ministre des finances, à son tour, s’est évidemment mis dans l’irrégularité en gardant des employés pour lesquels il n’avait plus de crédits, qu’il ne pouvait payer qu’en disposant par un acte discrétionnaire des fonds de l’état. C’était irrégulier, c’était confondre toutes les règles financières de prétendre remplacer ou rétablir indirectement des dotations permanentes supprimées par la voie des crédits supplémentaires, qui ne sont pas inventés pour cet usage. C’était encore et toujours irrégulier de prendre dans un chapitre du budget pour subvenir à un autre chapitre ou d’escompter arbitrairement des annulations de crédit qui sont une opération prévue, réglementée, soumise à des conditions déterminées. Tout est irrégulier, et rien de semblable ne serait arrivé si, dès le premier moment, M. le ministre des finances et M. le président du conseil, allant au combat sans hésitation, avaient mis la chambre en présence de la faute qu’elle allait commettre, s’ils avaient résolument décliné d’avance la responsabilité de la désorganisation des services publics. En louvoyant, ils n’ont réussi qu’à tout compliquer, à créer cette situation diminuée où la chambre, cédant à la nécessité, vient de rétablir par un vote tardif les crédits qu’elle avait supprimés, et où le ministère, même victorieux, ne reste pas moins ce qu’il est, avec son système perpétuel de faiblesses et d’équivoques.

On croit bien habile d’esquiver la lutte, d’écarter un danger du moment en négociant avec toutes les prétentions, avec toutes les fantaisies ; c’est l’éternelle tactique, et on ne fait que se préparer de plus graves difficultés ou une irrémédiable impuissance. Qu’il s’agisse des finances ou de toutes ces réformes louches, douteuses, décousues qui ne cessent de se multiplier, on procède toujours de même : on livre une partie de l’administration publique en essayant de sauver l’autre partie, qui n’est pas moins désorganisée. C’est le dernier mot de ce qui nous reste de gouvernement. M. le président du conseil, qui a sans doute certaines qualités, est lui-même invariablement la dupe de ses calculs. Il a quelquefois l’air de vouloir, et il ne sait pas bien lui-même ce qu’il veut, ou il s’épuise dans d’incessantes contradictions. Que veut-il sur l’organisation municipale de Paris? On a cru par instans le savoir, et on ne le savait pas, on le sait moins que jamais. M. le président du conseil a présenté un projet de loi municipale parisienne qui est un mélange de concessions vraisemblablement dangereuses et de réserves plus sûrement encore inefficaces. On l’examinera quand on pourra, si on l’examine; mais, pendant ce temps, pas plus tard que ces jours derniers, la chambre a discuté deux propositions qu’on pourrait appeler épisodiques, l’une établissant le scrutin de liste par arrondissement, l’autre séparant le conseil municipal du conseil général de la Seine, — Et le chef du cabinet, ministre de l’intérieur, a laissé passer et voter tout ce qu’on a voulu.

Ce qu’il y a de singulier, c’est que M. le président du conseil a plaidé lui-même pour le scrutin de liste, sous prétexte qu’il rendrait aux élections de Paris leur caractère municipal ! c’est exactement le contraire de ce qui a été toujours dit: on n’a cessé de soutenir que le scrutin de liste était un mode de vote essentiellement politique, que le scrutin uninominal avait un caractère trop local, trop personnel, — Et la vérité est qu’on n’a vu dans le scrutin de liste qu’un moyen d’en finir avec la petite minorité conservatrice qui est à l’Hôtel de Ville. Ce qu’il y a de plus étrange encore, c’est que M. le président du conseil, qui se prononçait, il n’y a pas si longtemps, avec une certaine vivacité contre la mairie centrale, contre la disjonction du conseil général et du conseil municipal, n’a trouvé rien à dire sur la seconde proposition, qui a été bel et bien votée. Et cependant il est parfaitement évident que, si la loi n’était pas arrêtée en chemin, elle conduirait tout droit à la mairie centrale, M. le préfet de la Seine ne pourrait plus être maire de la ville de Paris, et, de plus, le département de la Seine rentrant dans le droit commun, le conseil général aurait le droit d’avoir sa commission permanente auprès du préfet, chef de l’administration. Après cela, on saurait ce que devient, dans un moment de crise, le gouvernement de la France placé sous une si bonne garde. Est-ce là ce que veut M. le président du conseil? A-t-il cru, une fois de plus, habile et inoffensif de laisser une apparence ou un commencement de satisfaction aux radicaux pour avoir leur vote? Chose bizarre! D’un côté, M. le président du conseil frappe la municipalité de Marseille, qui a cru pouvoir se permettre de célébrer à sa manière l’anniversaire de la commune; d’un autre côté, il a des ménagemens infinis pour le conseil municipal de Paris, qui ne se fait faute de manifestations révolutionnaires et d’illégalités, qui ne cache pas son ambition de rester le seul maître de la capitale de la France. Voilà ce qu’on appelle les réformes et les réformateurs !

Au fond, sait-on ce qu’il y a dans tout cela, dans ces prétendues réformes, dans toute cette agitation qui prend le nom de politique républicaine? Il y a sans doute tous les emportemens et tous les préjugés d’un étroit et vulgaire esprit de parti; il y a aussi une ignorance complète de toutes les conditions d’une politique sérieuse, d’un gouvernement fait pour un grand pays. Les républicains, à leur avènement au pouvoir, il y a bientôt dix ans, n’ont vu dans leur succès que le droit de s’emparer de tout, de toucher à tout, de disposer de tout, en donnant à leurs passions et à leurs fantaisies libre carrière. Ils ont vu devant eux, sous leur main, l’organisation publique tout entière, l’administration, la magistrature, l’armée, les finances, l’enseignement, les places, les faveurs : ils se sont précipités dans les affaires de la France avec autant de présomption que d’incapacité. Ils ont cru que, puisqu’ils étaient républicains, ils pouvaient se passer de savoir et d’expérience, qu’ils allaient tout réformer, et ils n’ont réussi qu’à tout désorganiser. Leur règne est déjà assez long pour qu’on en voie aujourd’hui les fruits. On a touché à l’organisation judiciaire et administrative pour en affaiblir tous les ressorts. On a réformé l’enseignement pour en faire une œuvre de secte, un instrument de persécution, pour allumer partout une sorte de guerre intestine des croyances. On s’est surtout jeté sur les finances, et on a si bien manœuvré qu’après dix ans on se retrouve avec une dette publique surchargée, avec des dépenses incessamment accrues, des ressources qui diminuent et des budgets qu’on ne sait plus comment remettre en équilibre. Ce qu’il y a de singulièrement frappant, c’est que les républicains, qui se considèrent comme les maîtres exclusifs du pays, semblent avoir perdu le sens même de la loi, de tout ordre régulier. Ils procèdent avec un arbitraire complet. Ils traitent les intérêts les plus sérieux, les questions les plus positives ou les plus délicates, les finances elles-mêmes, avec une désinvolture dont on vient d’avoir une preuve nouvelle dans cette dernière affaire des crédits supplémentaires.

Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’à la longue tout s’use et s’abaisse. La chambre elle-même s’est certainement déconsidérée à cette œuvre où elle se perd, où elle a visiblement le sentiment de son impuissance. On a fini par créer cette situation indéfinissable où il n’y a pas de gouvernement possible, parce qu’il ne peut s’appuyer sur rien, où un ministère ne vit qu’en restant à la merci des incidens, en évitant d’avoir une politique. Il y a des ministres réunis dans un conseil, il n’y a pas de ministère, et si le cabinet qui existe aujourd’hui vient d’avoir une majorité, s’il a gagné quelques semaines, il n’en est ni plus fort, ni plus sûr de vivre. M. le président du conseil n’a dû évidemment sa victoire qu’à la force des choses, à l’impossibilité de le remplacer, à une nécessité de circonstance. Au fond, la situation reste la même. Et cependant le pays qui assiste à cette représentation dont il est la victime, ne cesse d’attendre. Il attend que de la confusion il sorte un gouvernement, que des hommes mieux inspirés, de quelque côté qu’ils viennent, réunissent leurs efforts, non pas pour se rejeter dans une réaction qui ne servirait à rien, mais pour retrouver une vraie politique, pour remettre l’ordre, la prévoyance, la modération, l’activité régulière et réparatrice dans les affaires de la France.

C’est de l’Allemagne qu’étaient partis tous les bruits de guerre qui ont récemment ému l’Europe, et c’est en Allemagne qu’ils sont revenus s’éteindre. La meilleure preuve de l’origine allemande de cette agitation de quelques semaines, c’est que tout s’est apaisé, tout est rentré dans l’ordre le jour où les excitations, les menaces, les polémiques agressives, les nouvelles alarmantes ont cessé de venir de Berlin. M. de Bismarck, par cette campagne des bruits de guerre, avait-il voulu tout simplement aiguillonner le patriotisme allemand et l’intéresser au vote de ce septennat militaire auquel il attachait un si grand prix? Avait-il quelque arrière-pensée plus profonde et plus compliquée? Voulait-il tâter la France, prendre la mesure des dispositions de l’Europe ? Qui pourrait dire son secret? Toujours est-il qu’il a fait son expérience : il a trouvé la France calme, l’Europe peu disposée, selon toutes les apparences, à l’encourager dans des entreprises nouvelles, et comme il avait ce qu’il voulait d’abord, le septennat, il s’est arrêté sans plus d’explications. Après avoir remué ou laissé remuer le monde, il a donné lui-même le signal du désarmement et il est revenu à ses affaires. L’Allemagne a pu célébrer en paix le quatre-vingt-dixième anniversaire de la naissance de l’empereur Guillaume. Le vieux Hohenzollern, qui est depuis près de quatre-vingts ans au service, qui a vu Iéna et la restauration de l’empire allemand en sa personne, a pu voir, il y a quelques jours, autour de lui, les représentans des maisons souveraines et de tous les gouvernemens : l’archiduc héritier d’Autriche, le prince de Galles, les grands-ducs de Russie, le prince de Danemark, le duc d’Aoste, le roi de Saxe, le roi de Roumanie. Il a été fêté par la ville de Berlin, par le peuple allemand, et c’est tout simple : il a fait sans marchander son métier de roi d’une nation ambitieuse. On n’a peut-être pas oublié ce portrait que M. Thiers, avec son art des nuances, traçait un jour de lui : « Un roi ferme,.. ne s’offusquant pas de la gloire des hommes placés autour de lui, mais prenant leur gloire pour la sienne, leur servant de lien, de plusieurs hommes n’en faisant qu’un, et étant parvenu, pour ainsi dire, à rendre à la Prusse le grand Frédéric… » Le portrait est fin et habilement tracé. C’est dans tous les cas un spectacle curieux et rare qu’un prince nonagénaire sur le trône, et l’empereur Guillaume, comblé de jours, était probablement le dernier à désirer une guerre où il aurait pu, en définitive, risquer tout ce qu’il a conquis, tout ce qui est la décoration de sa vieillesse.

Les fêtes de l’anniversaire impérial, et même les agitations guerrières de ces derniers temps, n’ont nullement interrompu du reste l’œuvre intérieure que poursuit M. de Bismarck. Le chancelier en reviendra sans doute un jour ou l’autre, et avant peu, aux projets financiers et économiques qui sont le complément de son système, pour lesquels il a si souvent combattu. Il achève, en attendant, sans aucun embarras, son évolution dans les affaires religieuses; il fait, de propos très délibéré, son voyage de Canossa par la nouvelle loi ecclésiastique qu’il est allé tout récemment défendre lui-même de sa parole devant la chambre des seigneurs de Prusse. Le terrible chancelier a parfois d’étranges manières de parler de la paix avec les autres nations et surtout de la défendre; il veut du moins la paix religieuse, et, une fois décidé, il va résolument à son but, sans s’inquiéter de ce qu’on dira. Ce qu’il y a de caractéristique, en effet, c’est qu’avec lui on perd son temps à le mettre en contradiction, à l’accuser de trahir des principes, d’abandonner des lois qui sont l’œuvre des premières années de l’empire restauré : il répondra nettement, sans façon, qu’il n’est ni un homme de parti, ni un homme de théories et de principes, qu’il est tout simplement un homme faisant de la politique en politique, marchant avec les événemens, — qu’il est un « opportuniste ! » Il ne fait aucune difficulté d’avouer qu’il a changé d’opinion parce que, depuis l’époque du Kulturkampf, tout a changé autour de lui ; parce qu’un nouveau pape, à l’esprit plein de modération et de prudence, est entré au Vatican; parce que les lois de persécution religieuse n’ont d’ailleurs servi à rien, si ce n’est à donner un drapeau et des armes au centre catholique, dont il est souvent fort embarrassé. L’essentiel pour lui est de rétablir la paix religieuse dans l’état, et comme il a trouvé le plus éclairé, le plus généreux des complices dans le pontife romain, il n’hésite pas à faire toutes les concessions nécessaires. Il déclare tout net qu’il ne tient pas du tout à poursuivre des prêtres, qu’il se délie moins des séminaires que des universités, qu’il n’a même pas de scrupules à l’égard des ordres religieux, — que tout cela lui est égal, pourvu qu’il ait la paix avec Rome, la paix entre l’empereur et le pape. Et maintenant cette paix sera-t-elle durable? Il n’en sait rien; il sait seulement qu’elle est nécessaire, utile, désirable, et, dans sa puissance, il donne à tous les politiques cette grande leçon d’avouer que la paix morale vaut bien quelques sacrifices d’opinion, parce qu’elle est la plus bienfaisante des garanties, la première condition de force pour une nation. Il ne l’a pas dit seulement, il a prouvé qu’il était homme à mener de front les calculs de sa diplomatie, l’augmentation de l’armée et la réconciliation avec l’église. Cet homme étonnant, qui a manqué de respect à tant de choses dans sa vie, trouve qu’il est bon, qu’il est prévoyant de respecter les croyances des populations catholiques de son pays !

Que se passe-t-il d’un autre côté en Russie ? Dans cette partie mystérieuse qui s’est jouée il y a quelques semaines en Europe et où se trouvaient engagés tous les intérêts, toutes les politiques, la Russie, plus que toute autre puissance, a eu certainement sa place et son action. Elle n’a point procédé par des démonstrations et des interventions directes qui n’auraient été sans doute qu’un trouble de plus ; elle a eu son rôle, et un rôle décisif par son attitude, par le poids de sa puissance et de ses forces, par le soin habile qu’elle a mis à réserver la liberté de ses résolutions, à garder ce qu’on pourrait appeler la disponibilité de sa politique. Engagée en Orient et en Occident, elle a su éviter de se laisser entraîner par des incidens, se défendre des solidarités compromettantes, subordonner des intérêts secondaires à l’intérêt supérieur de l’Europe, résister peut-être à des sollicitations, et elle a sûrement contribué ainsi à maintenir la paix. Sans rien dire, par la promptitude avec laquelle elle s’est dégagée momentanément des complications orientales, du gâchis bulgare, elle a eu l’art de se faire la position d’un arbitre avec lequel auraient à compter ceux qui seraient tentés de déchaîner la guerre en Europe. On l’a bien senti en Allemagne, et les polémistes de Berlin, si fort occupés depuis quelque temps avec l’ennemi de l’ouest, se sont hâtés de tourner leurs regards soupçonneux du côté du nord : ils n’ont fait que relever par leur mauvaise humeur la portée de la politique d’indépendance adoptée à Saint-Pétersbourg. Par une curieuse et saisissante coïncidence, cependant, c’est au moment où la Russie se créait cette forte situation par sa diplomatie, c’est à ce moment que le tsar a été exposé à un nouvel attentat médité et préparé contre lui dans les conciliabules secrets du nihilisme. Peu s’en est fallu que l’anniversaire de la fin tragique d’Alexandre II ne fût marqué par un nouveau drame sanglant à Saint-Pétersbourg. L’empereur Alexandre lII et l’impératrice devaient se rendre pour la commémoration funèbre à la cathédrale, puis partir pour Gatchina, et c’est sur la route que les meurtriers les attendaient avec leurs éternels engins explosifs; fort heureusement le complot a été découvert à la dernière heure, et les conspirateurs ont pu être arrêtés au moment où ils étaient tout prêts à accomplir leur crime. Ce sont, à ce qu’il semble, quelques étudians de l’université de Saint-Pétersbourg, de malheureux jeunes gens enrôlés, fanatisés et armés par les comités révolutionnaires. Le tsar, paraît-il, a été sauvé presque sans le savoir; il n’aurait su qu’après l’arrestation des conjurés qu’il venait d’échapper au plus grand des périls.

On croyait depuis quelque temps, ou du moins on affectait de croire, à un certain apaisement des factions révolutionnaires, au découragement des nihilistes. Il n’en était évidemment rien; les conspirateurs ne désarment pas, l’esprit de meurtre vit toujours dans les affiliations secrètes du nihilisme, et on dit même que le dernier complot de Saint-Pétersbourg aurait des ramifications dans les provinces, à Kharkof et ailleurs. Y a-t-il eu, comme on l’a dit d’abord, à côté du complot meurtrier, quelque conspiration d’un autre genre, d’un caractère tout différent, tendant à réclamer une constitution libérale? Naturellement, à ces heures-là, l’imagination brouille tout, confond tout et grossit tout, à Saint-Pétersbourg comme dans bien d’autres villes. Ce qui arrive aujourd’hui prouve tout simplement que la Russie ne cesse d’être livrée à de profonds malaises, exploités par les sectes révolutionnaires et les conspirateurs. Que le jeune empereur ait reçu et garde du dernier attentat qui a menacé sa vie une pénible impression, c’est bien possible. Est-il à croire cependant que ces tentatives criminelles aient pour effet de modifier la position que la Russie a prise dans les affaires de l’Europe, d’irriter le tsar et de le pousser à tenter quelque grande diversion extérieure? Une diversion guerrière ne remédierait sûrement à rien. La Russie restera vraisemblablement dans sa position, attendant sans impatience la fin des affaires bulgares, qui ne se régleront pas sans elle, attentive aux mouvemens européens, où elle est sûre d’exercer un sérieux et décisif ascendant.

Les affaires de la Grande-Bretagne, affaires extérieures ou intérieures, sont loin de se simplifier et de laisser en repos le ministère conservateur qui règne laborieusement depuis près d’une année. De quelque côté que se tourne l’Angleterre, elle n’a que le choix des difficultés, en Égypte, aux Indes ou en Irlande. La vieille querelle qu’elle a avec la Russie dans l’Asie centrale et qui, après avoir été momentanément assoupie, semble se raviver, pourrait certainement redevenir un assez grave embarras. Les autorités britanniques de l’Inde, depuis quelque temps, ne cachent pas leurs inquiétudes ou leurs soupçons sur ce qui se passe dans l’Afghanistan, sur les projets toujours attribués à la Russie; elles croient voir déjà les Russes en mouvement, la ville d’Hérat menacée, les insurrections près d’éclater dans l’Afghanistan. Elles s’exagèrent peut-être un danger dont elles ne cessent d’être préoccupées. La situation ne paraît pas moins assez troublée, surtout fort obscure à Caboul, et ce qui pourrait à coup sûr tout compliquer, ce serait la mort de l’émir Abdurrahman, qui est le protégé de l’Angleterre, dont la santé est, dit-on, irrémédiablement atteinte. Il est certain que, si le prince qui règne à Caboul disparaissait aujourd’hui, sa mort déchaînerait vraisemblablement toutes les compétitions et serait le signal d’agitations périlleuses, aggravées par un inévitable conflit d’influences entre la Russie et l’Angleterre. Tout peut dépendre d’un événement que sir Charles Dilke, dans des études récentes sur la politique de son pays, prévoyait comme fatal et prochain. Il y a quelques années déjà, un conflit fut un instant sur le point d’éclater pour une question de frontières qui est toujours restée indécise; la mort de l’émir pourrait le rallumer sans doute, créer tout au moins une situation difficile, un état d’anarchie dont les maîtres du Turkestan seraient lentes peut-être de profiter. Les Anglais ont la constante préoccupation de l’Afghanistan, qu’ils considèrent comme le rempart de leur empire indien contre les progrès de la domination russe. Ils se méfient et ont toujours l’œil sur Caboul, sur Hérat, sur les frontières. En dépit des signes qui ont pu troubler récemment les autorités britanniques et des complications qui ne sont pas impossibles, cependant, le choc est-il si prochain entre les deux puissances qui se rencontrent en antagonistes au centre de l’Asie? La Russie n’est peut-être pas si pressée de courir à un conflit déclaré, et le gouvernement anglais lui-même, à en croire les déclarations récentes du cabinet devant la chambre des communes, serait moins inquiet que ceux qui le représentent dans l’Inde; il a démenti l’envoi d’un corps d’observation sur la frontière afghane. S’il n’a pas "une complète sécurité, il affecte de l’avoir. Le gouvernement anglais ne désire sûrement pas une guerre au fond de l’Asie; il a pour le moment bien assez de conduire les affaires d’Irlande à travers tous les défilés parlementaires, d’avoir à tenir tête à la fois aux obstructions, à l’opposition libérale, à M. Gladstone, à M. Parnell et aux Irlandais, qu’il essaie de dompter, faute de pouvoir les apaiser.

Cette campagne que les tories revenus au pouvoir ont entreprise contre l’Irlande, ou, si on l’aime mieux, pour la pacification de l’Irlande, elle n’est pas près de finir sans doute, si même elle doit finir; elle est à peine engagée. Le ministère de lord Salisbury a repris la question tout entière; il a voulu avant tout préparer le terrain ou dégager la situation par un règlement destiné à simplifier la marche des débats parlementaires, à vaincre l’obstruction. Il a fini par conquérir son règlement, non cependant sans avoir eu à soutenir une longue et laborieuse bataille de plus de trois semaines, où les Irlandais ont épuisé leur éloquence et leur esprit de tactique pour garder le droit d’embarrasser toutes les discussions. Il y a eu des séances de la chambre des communes qui ont duré jusqu’à vingt-quatre heures sans interruption! Ce n’est que ces jours derniers, après le vote définitif de la nouvelle procédure parlementaire si vivement disputée, que le ministère a pu présenter les deux projets sur lesquels il compte pour pacifier l’Irlande: l’un tendant à la répression des crimes, l’autre combiné de façon à adoucir les différends entre les fermiers et les propriétaires. Le bill agraire qui est un complément ou le développement du landact, que M. Gladstone a fait voler il y a quelques années, peut être un progrès, une atténuation libérale; il est douteux pourtant qu’il suffise à désarmer les Irlandais. Le bill sur la répression des crimes a évidemment une portée des plus graves. Il abolit à peu près le jury, pour remettre à deux magistrats une juridiction sommaire sur les cas de conspiration, de violation des lois, d’attaques contre les fonctionnaires; il donne au vice-roi le droit de prononcer sur les associations qu’il jugerait dangereuses ou illégales. La première question qui s’est élevée a été de savoir lequel des deux projets devait avoir la priorité. M. John Morley, au nom des libéraux, a aussitôt ouvert le feu en demandant, contrairement à l’avis du gouvernement, que la discussion commençât par le bill agraire, et sur ce point le ministère a encore eu l’avantage : il a obtenu la priorité pour le bill de la répression des crimes; mais ce n’est là qu’une escarmouche, le prélude de la vraie lutte qui se rouvre en ce moment sur le problème irlandais tout entier, qui va sans doute passionner une fois de plus tous les esprits en Angleterre.

Elle sera soutenue, cette lutte nouvelle, par M. Gladstone lui-même, qui est sorti de sa solitude pour reprendre le combat. Il n’y a que quelques jours, dans un banquet qui réunissait tous les représentans du Yorkshire, il relevait pour ainsi dire le drapeau du home-rule et donnait le signal de sa rentrée en campagne. Il s’est rendu au parlement pour appuyer de sa parole la motion de M. John Morley, pour combattre la proposition du bill de coercition, et il n’a pas caché que le parti libéral était prêt à épuiser ses efforts contre des mesures qu’il jugeait funestes pour l’empire britannique autant que pour l’Irlande. Le vieux chef libéral n’a rien perdu de sa confiance ou, si l’on veut, de son optimisme. La politique qu’il a proposée, pour laquelle il est tombé, il la maintient plus que jamais, il la défend avec une infatigable énergie. Au fond, entre les partis, le vrai dissentiment est celui-ci. Le ministère et les libéraux dissidens, qui sont devenus ses alliés, ne refusent pas quelques satisfactions, même des satisfactions sérieuses, à l’Irlande; mais ils veulent avant tout rétablir l’autorité des lois, avoir raison de l’anarchie irlandaise. M. Gladstone et ses amis soutiennent que la meilleure manière d’en finir avec les crimes, avec les agitations de l’Irlande est de donner aux Irlandais ce qu’ils réclament. C’est entre ces deux politiques que le combat est réellement engagé. La politique ministérielle a sans doute toutes les chances d’avoir une majorité avec l’alliance des libéraux dissidens, qui lui demeurent fidèles jusqu’ici; mais elle n’est point évidemment une solution, elle ne conduit à rien, elle ne fait que perpétuer une crise qui va toujours en s’aggravant. La politique de M. Gladstone est peut-être trop une solution : elle joue le tout pour le tout, elle risque de jeter l’empire britannique dans une singulière aventure. L’alternative est cruelle, et c’est ce qui fait que ces discussions sur l’Irlande sont réellement dramatiques; c’est ce qui fait que l’Angleterre reste si profondément perplexe entre un système de répression dont elle sent l’inanité et un système de concessions indéfinies qui peut porter un irréparable coup à sa grandeur.


CH. DE MAZADE.

LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

Le mouvement de hausse qui s’était déclaré, après la liquidation de fin février, sur les fonds français et la plupart des rentes étrangères, a eu son apogée le 22 du mois, jour où l’Allemagne célébrait le quatre-vingt-dixième anniversaire de l’empereur Guillaume.

Le maintien de la paix ne faisait plus doute pour personne et la spéculation avait compté que l’empereur profiterait de l’occasion solennelle qui lui était offerte pour prononcer quelques paroles qui rassureraient définitivement l’Europe et la délivreraient pour longtemps de toute préoccupation belliqueuse.

L’événement a déçu dans une certaine mesure ces prévisions optimistes. Il n’a été prononcé, à l’occasion de l’anniversaire impérial, que des paroles banales, et, quelques jours après la terminaison des fêtes de Berlin, l’apparition de quelques nouveaux articles provocateurs dans la presse allemande a causé une légère recrudescence d’inquiétude.

Ce malaise a peu duré. Les bourses de Berlin et de Vienne sont restées très fermes. L’attitude de plus en plus réservée du gouvernement russe à l’égard de la Bulgarie a été considérée comme une garantie précieuse du maintien de la tranquillité générale. Les journaux autrichiens et italiens se sont efforcés d’enlever au renouvellement de la triple alliance italo-austro-allemande tout caractère d’hostilité contre la France. A Vienne et à Pesth, enfin, des négociations ont été ouvertes entre les gouvernemens d’Autriche et de Hongrie, et de puissans groupes financiers, en vue d’une émission de rentes, viennent d’aboutir à des résolutions définitives.

Tous les marchés ont interprété favorablement ces divers symptômes. On n’a attaché que peu d’importance à la découverte en Espagne d’une conspiration républicaine, et on ne s’est point ému de quelques incidens nouveaux qui se sont produits en Bulgarie.

La réaction que devait fatalement produire la rapidité de la hausse n’a donc pris que peu d’extension. Le 3 pour 100 français avait atteint 81.20 après le détachement du coupon au milieu du mois. Il a reculé jusqu’à 80.50, mais pour se relever ensuite à 80.80. C’est encore quelques centimes de moins que le prix coté il y a quinze jours, mais la tendance est manifestement à une amélioration nouvelle, si aucun incident intérieur ou extérieur ne vient en aide aux vendeurs déçus dans toutes leurs présomptions.

La prolongation de la crise ministérielle à Rome n’a point enrayé la reprise sur l’Italien, qui vient encore de remonter de 0 fr. 60 dans la seconde moitié du mois. Le Hongrois a gagné 0 fr. 75 pendant la même période. Les valeurs ottomanes sont restées à peu près immobiles, ainsi que l’Extérieure. L’Unifiée s’est relevée de 6 francs. A Berlin, la liquidation de fin mars s’est effectuée sans aucun embarras, malgré l’énormité des engagemens de cette place sur les fonds russes. Une courte indisposition de l’empereur n’a eu aucune influence sur les tendances de la spéculation allemande. A Londres, une nouvelle diminution du taux de l’escompte a confirmé ce que l’on savait déjà de l’abondance extrême des capitaux.

Il est probable que notre rente 3 pour 100 aurait dépassé de nouveau le cours de 81 francs avant la fin du mois, en présence de tendances générales aussi favorables, si la spéculation parisienne n’avait eu à tenir compte de la possibilité d’une crise ministérielle, à propos du débat engagé mercredi sur une demande de crédits supplémentaires par M. Dauphin.

Le projet de budget pour 1888 a été déposé lundi dernier, 28 mars, sur le bureau de la chambre. Les recettes du futur exercice y sont évaluées à 3,253,583,183 francs, et les dépenses à 3,253,104,738 francs, d’où résulte un excédent apparent des recettes sur les dépenses. Nous disons apparent, car, pour arriver à l’état d’équilibre que représentent les chiffres ci-dessus, le ministre des finances ne tient pas seulement pour assuré qu’il n’y aura aucun mécompte dans le rendement des impôts, et que toutes les taxes donneront bien exactement le produit évalué, mais encore il fait état de 136 millions de ressources nouvelles à provenir de son projet de réforme de l’impôt mobilier, de la surtaxe sur les céréales et sur les sucres, et d’une surtaxe de 50 francs par hectolitre d’alcool.

Or, la commission chargée d’examiner le projet de réforme de l’impôt mobilier vient de le repousser par dix voix contre une; la chambre ne votera pas la surtaxe sur l’alcool; quant aux ressources à attendre de la surtaxe sur les céréales et sur les sucres, elles sont extrêmement problématiques.

Le ministre des finances n’a fait rentrer dans le budget ordinaire qu’une partie des dépenses non ordinaires. Il maintient donc un budget extraordinaire qui devra être alimenté par l’emprunt, aucune autre ressource n’étant prévue pour le genre de dépenses qui constituent ce budget.

Trois faits saillans caractérisent la situation financière actuelle : 1° il n’y a plus d’amortissement direct de la dette à court terme; 2° il faut recourir à des impôts nouveaux pour équilibrer les recettes ordinaires et les dépenses ordinaires; 3° il faut recourir à l’emprunt pour couvrir toutes les dépenses extraordinaires et pour rembourser les titres de la dette flottante à mesure qu’ils arrivent à échéance.

On voit par là ce qu’il est advenu de la formule : l’équilibre par des économies, pas d’impôts nouveaux, pas d’emprunt.

La Bourse a craint un moment que le ministre des finances ne proposât hardiment un emprunt de liquidation d’environ 1 milliard en rente perpétuelle. Cette crainte s’est promptement évanouie. M. Dauphin entend alimenter le budget extraordinaire partie à l’aide d’émissions d’obligations sexennaires, partie au moyen de la création d’obligations remboursables en soixante années.

Très peu de valeurs ont subi d’importantes variations de cours pendant cette quinzaine. Signalons toutefois une hausse de 21 francs sur le Suez et de 15 francs sur le Panama. L’action du canal de Corinthe, moins favorisée, a perdu 25 francs. Ces titres sont sous le coup du dernier appel de fonds, au montant de 75 francs. De plus, il est avéré que des devis primitifs pour les frais du percement seront dépassés et que le canal ne sera pas ouvert avant la fin de 1889,

Le Nord a baissé de 40 francs. Une légère diminution de dividende a déterminé quelques ventes de portefeuille et peut-être de spéculation. Le Crédit foncier a reculé de 12 francs, la Banque de Paris de 6 francs, les Chemins autrichiens et les Lombards de 10 francs, les Méridionaux, le Nord de l’Espagne et le Saragosse ont été assez recherchés; les premiers ont gagné 10 francs à 770. Presque tous les titres des établissemens de crédit sont restés aux cours du milieu du mois.

La Société générale a tenu son assemblée annuelle le 26. La physionomie de l’exercice écoulé, en ce qui concerne cet établissement, se résume dans cette phrase extraite du rapport présenté aux actionnaires : « Jamais vos comptes de dépôts, tant à Paris qu’en province, n’ont atteint des proportions aussi élevées, tous vos services de banque sont en progression, et cependant l’ensemble des résultats de ces opérations se solde avec un bénéfice moindre que les années précédentes. » Le rapport attribue cette diminution à l’excessive abondance des capitaux et à l’extrême difficulté des remplois. Il est probable qu’on ne se tromperait guère en supposant que la situation du portefeuille de valeurs de la Société a aussi contribué à ce résultat. Le conseil a en effet proposé à l’assemblée, qui s’est empressée d’adhérer à cette résolution dictée par la prudence, de constituer, par un prélèvement sur la réserve ordinaire, une réserve spéciale de 6 millions destinée à servir de provision pour une partie du portefeuille-titres. Quoi qu’il en soit, les bénéfices réalisés en 1886 ont permis de fixer le dividende à 12 fr. 88, soit 12 fr. 50 net par action, ou 5 pour 100 du capital versé, et de porter en outre 333,000 francs à la réserve ordinaire, ainsi que 78,000 francs à compte nouveau pour 1887.

Parmi les autres assemblées générales tenues pendant la seconde quinzaine de mars, nous signalerons celles de la Compagnie parisienne du gaz, du chemin de fer d’Orléans, des Omnibus, de la Banque russe et française. La Compagnie du gaz a pu fixer le dividende de l’exercice 1886 à 76 francs (contre 75 fr. pour 1885), bien que le dernier hiver ait été encore moins favorable, dit le rapport, à la vente du coke que le précédent, et que le placement des sous-produits de la fabrication du gaz devienne de plus en plus difficile et donne de moins en moins de bénéfice.

La Compagnie du chemin de fer d’Orléans distribue, pour 1886, 57 fr. 50 par action, c’est-à-dire un dividende égal à celui de 1885. Même observation pour le dividende de 55 francs de la Compagnie des omnibus. La Banque russe et française répartit 30 francs par action de 500 francs entièrement libérée, soit 6 pour 100.

Le dividende de la Compagnie du chemin de fer de l’Ouest sera de 37 francs, comme celui de l’année précédente. Celui du Nord a été fixé par le conseil d’administration à 59 francs. C’est 3 francs de moins que pour 1885. La Banque franco-égyptienne répartit 30 francs par action de 500 francs entièrement libérée, la Société marseillaise 15 francs par action libérée de 250 francs, la Banque transatlantique 12 fr. 50 par action libérée de 250 francs.

Plusieurs sociétés de crédit étrangères, dont les titres se négocient à Paris, ont déjà fixé leurs dividendes pour 1886. La Banque des pays hongrois donne 5 pour 100, soit 25 francs par action de 500 francs entièrement libérée, le Crédit foncier hongrois 6 pour 100, soit 30 fr. par action de 500 francs, et 15 francs par titre libéré de 50 pour 100; le Crédit foncier d’Autriche 25 francs par action libérée de 200 francs. La Banque des pays autrichiens donnera de 5 1/2 à 6 pour 100, soit 27.50 à 30 francs.

Deux souscriptions publiques ont eu lieu ces derniers jours : l’une à 40,000 obligations d’une petite société de chemins de fer transpyrénéenne, dénommée Compagnie de l’est de l’Espagne, bien qu’elle ne dispose encore que de deux tronçons d’une longueur totale de 88 kilomètres, l’autre à 500,000 bons de 20 francs, remboursables avec primes et lots en soixante-quinze ans, mais ne portant pas intérêt, et destinés à fournir les fonds nécessaires pour la création de caisses de secours et de caisses de retraites au profit de deux associations de la presse. Ces deux émissions ont été couvertes, la dernière surtout, qui se présentait sous le patronage du Crédit foncier et était effectuée par le Crédit lyonnais, la Société générale et le Crédit industriel.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.