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Chroniques (Buies)/Tome I/L’automne

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Typographie C Darveau (1p. 102-116).


20 Octobre.


Quoi ! déjà l’automne, déjà les froides brises qui donnent l’onglée, déjà les poëles que l’on monte, déjà les pétillements de l’âtre et les pardessus précurseurs des épaisses fourrures.

Image de la jeunesse, hélas ! Que les jours chauds, que les jours dorés passent vite ! Image de la vie canadienne surtout, où il faut avoir chaud trois fois plus en un mois que dans tout autre pays, si l’on veut passer l’hiver sans que la dernière goutte de son sang soit figée.

Il avait fait si beau toute la semaine dernière, le soleil avait été si prodigue, il s’était si bien montré que partout, les plus joyeuses espérances éclataient en un concert de bénédictions poussées vers le ciel. Quel beau mois de septembre ! quel radieux automne on allait avoir ! Les anciens croyaient que leur printemps recommencerait, et les jeunes croyaient que le leur allait être éternel. Ô illusions ! vous êtes donc de tous les âges !

Pendant que les cœurs se dilataient et que les visages s’épanouissaient sous les chauds rayons qui allaient bientôt nous dire adieu, moi, pensif, je regardais à l’horizon grandir les blancs nuages pleins de vapeurs glacées, et je parcourais les avenues de Sainte-Foye et de Sillery où déjà la terre durcie craque sous les pas. J’ai vu bien des feuilles mortes arrachées à leurs tiges fuir avec la bise aigüe et joncher les champs dépouillés de leurs moissons. Il y aura donc aussi un hiver en 1871 ; bientôt on mettra les doubles croisées ; les scieurs de bois, personnages courbés et sinistres, s’arrêteront à toutes les portes, semblables à ce vieillard éternel, couvert de frimas, qu’on donne comme l’image de l’hiver ; l’érable, le noble érable, cet ornement de nos bois, coupé, fendu, scié, mis en cordes, parcourra la ville avant d’accomplir son dernier sacrifice et de mourir pour nous qui nous parons de ses feuilles au grand jour national ; le givre s’attachera, pour ne les plus quitter, aux carreaux des fenêtres, et chacun, claquemuré dans sa maison comme dans un hôpital, attendra pendant six mois le doux retour des fleurs et les parfums de la plaine.

Six mois d’hiver, c’est déraisonnable, malgré tout ce qu’offrent d’encouragement et de consolations les belles fourrures étalées à l’exposition provinciale, et je ne vois pas que le légitime orgueil des manchonniers nous dédommage des frais qu’il nous coûte. Eh bien ! qu’importe. Allons chercher nos mitaines, nos crémones et nos pea jackets enfouies dans le camphre, au fond des valises, et faisons-nous une contenance, cela réchauffe. Allons, gilets de laine épaisse, vestes doublées, bonnes grosses fourrures qui caressent le menton et les oreilles, sortez de votre cachette que je vous contemple avant de vous entasser sur mon corps frissonnant… Mais non, non, c’est trop tôt ; restez, hélas ! hélas ! je vois que vous n’en avez plus que pour un hiver peut-être, ménageons ; vous m’avez coûté bien des chroniques et qui sait si je pourrais vous remplacer ! J’ai vieilli d’un an depuis l’hiver dernier, et beaucoup vieilli ; je perds cette verve, si piquante que j’en étais venu à m’admirer moi-même,


« Et ma jeunesse et ma gaîté,
« J’ai perdu jusqu’à la fierté,
« Qui faisait croire à mon génie… »


Pourtant le Pays paie bien. Oui, mes chers propriétaires, vous payez royalement. C’est vous qui avez introduit dans le journalisme canadien cette étonnante réforme qu’au lieu d’avoir à payer soi-même, comme jadis, pour faire insérer ses articles, on en est payé lorsqu’ils en valent la peine. Soyez bénis, et surtout continuez.

Si l’hiver est glacial, s’il abrège les jours, s’il nous oblige à porter cinquante livres pesant d’habits, il n’en est pas moins impuissant contre l’ingéniosité de l’homme. C’est en effet l’hiver qu’il a choisi pour en faire la saison des plaisirs. S’il fait noir à cinq heures, on a en revanche les bals, les soirées qui prolongent les veillées jusqu’au lendemain ; on a surtout le théâtre, oh ! laissez-moi vous en dire un mot. C’est une innovation, c’est un inouïsme que le théâtre français l’hiver, et c’est nous, les Québecquois, gens de routine et de réserve craintive, qui faisons cette révolution. Mais nous savions d’avance que nous ne risquions rien, voilà pourquoi.

La petite troupe française, composée de six personnages seulement, qui a monté le théâtre Jacques-Cartier, en plein faubourg Saint-Roch, est la troupe la plus parfaite, la mieux équilibrée, la plus artiste, dirai-je bien, que nous ayons encore eue. Elle joue deux fois par semaine et chaque fois il y a salle comble, malgré qu’il faille descendre des sommets de la haute ville pour aller à Saint-Roch, et surtout y remonter à onze heures du soir, ce qui est redoutable, je vous le jure. Mais nous sommes poussés comme par un ouragan vers la civilisation. Du reste, il n’y a rien qui tienne au plaisir d’entendre M. et Mme Maugard, M. et Mme Génot, M. et Mme Bourdais ; je les nomme parce qu’ils en valent la peine, et surtout pour faire bisquer les Montréalais, ces suffisants qui prétendent qu’on ne peut rien trouver à Québec. Attrapez.

Lorsqu’on sort du théâtre, à moins d’être un bon père de famille rangé, craignant les indigestions, ou un dyspeptique désespéré, on va généralement manger sa douzaine d’huîtres ; puis on prend son verre de hot scotch, puis on allume sa pipe et l’on reste un quart d’heure à la bar, puis on prend le deuxième hot scotch, et l’on devient causeur, je ne veux pas dire causeur aimable, puis on allume une nouvelle pipe, et lorsqu’on est bien enveloppé dans les nuages d’une fumée épaisse que vingt bouches se renvoient à l’envi, on songe au night cap, dernier degré de la perfection humaine.

Heureux les maris que leurs femmes font rentrer de bonne heure ! heureux les fiancés qui ménagent leur jeunesse ! heureux les amoureux qui fuient l’étourdissement et le tumulte fumeux des buvettes ! Ils se lèveront le lendemain sains et dispos, ils n’auront pas mal à la racine des cheveux, et ils trouveront au milieu de leurs pressantes occupations cinq minutes pour lire la chronique du Pays, ce qui leur vaudra bien des expiations.

Québec a eu enfin ses régates. C’était là la grande affaire. Sans doute ; comment pourrait-on vivre sans régates ? Et qu’est-ce que les journaux auraient donc, sans elles, pour remplir leurs colonnes, dans ce temps d’insignifiance et de monotonie ? Ce n’est pas que je veuille déprécier ce salutaire et gracieux exercice de la rame, ces exercices du corps qui font des Canadiens les imitateurs et presque les émules des anciens Grecs, mais en voyant l’enthousiasme, la frénésie, dirai-je bien, qui fait courir toute une population à ces sortes de spectacles, je m’écrie avec Alfred de Musset :

« Ô mon siècle ! est-il vrai que ce qu’on te voit faire
« Se soit vu de tout temps ?… »

Eh bien ! oui, toujours ; il n’y a rien de nouveau sous le soleil, jusqu’à ce jeu de croquet qu’on a cru une invention de la libre Angleterre, et qu’on jouait déjà en France du temps de Charles IX, sous le nom de Pêle-mêle. Et que diriez-vous si la mitrailleuse elle-même, la célèbre mitrailleuse, avait déjà été inventée par un habitant de l’île du Prince-Édouard ? Seulement, il n’avait pu en faire l’expérience en grand, faire merveille, comme disait le général Favard ; et son génie, faute de ressources, est resté enfoui dans les brumes vaporeuses de son île. Le sort est toujours injuste : c’est bien le moins pourtant que les hommes connaissent exactement ceux qui trouvent les meilleurs moyens de les détruire !

S’il n’y a rien de neuf sous la calotte des cieux, que fera-t-on des douze mille mots nouveaux que le célèbre professeur Hindi vient d’ajouter à son dictionnaire ? Demandons-le aux Chinois qui connaissent tout, mais qui n’ont rien fait connaître. Voilà la différence ; les hommes n’ont fait de progrès que par la publicité ; c’est pourquoi les imprimeurs, et surtout les propriétaires de journaux, sont incontestablement les premiers des humains.

Ces Chinois sont assommants. Vous pensiez sans doute que l’emploi du charbon datait de la découverte des mines en Angleterre, eh bien ! non, il y a longtemps que les Chinois en font usage. Il y a dans ce maudit pays, appelé l’empire céleste, des terrains carbonifères plus grands que tous les terrains de même nature réunis en Europe ; ils sont inépuisables, de sorte qu’il n’y a plus moyen d’en finir. Les Chinois ont aussi des usines considérables de fer magnétique ; mais, sous ce rapport du moins, nous n’avons rien à leur envier, grâce aux mines de Moisie et de Natachequan qui ne sont pas encore exploitées, parce que nous ne sommes pas encore assez Chinois. Ça viendra.

Le Canada a une industrie florissante que vous ignoriez peut-être aussi bien que moi, c’est le fromage. Le fromage raffiné ne s’exporte pas, à cause des quarantaines rigoureuses qui sont établies dans tous les ports d’Europe ; mais les fromages d’autres espèces trouvent un marché abondant. C’est ainsi qu’un seul individu vient d’en expédier 68 000 livres en Angleterre. À ce sujet, je me sens incapable de faire la moindre observation originale ; du reste, je décline visiblement et la fin de ma chronique approche. Ce n’est pas une raison pour que je m’en fâche, mais je suis accessible au remords, malgré huit années de journalisme, et je voudrais trouver au moins une raison pour dire bonjour à vos lecteurs. Ah ! voici. Parlons-leur de M. Langevin, c’est le meilleur moyen de leur faire crier à l’envi « Holà, oh ! assez, assez. » Or donc, l’honorable compagnon du Bain, arrivé à Cariboo, est reparti de Cariboo et retournera à Cariboo où il restera encore jusqu’à ce qu’il quitte Cariboo, o, o, quoi ! Qu’entends-je ? On réclame ? C’est bien, brisons là.


3 Novembre.

Je suis inondé, submergé, coulé. Ce ne sont plus des averses, ce sont des cataractes qui tombent des nues, et, comme disait le père Lacordaire, « les grandes eaux du ciel se sont déchaînées. » Déchaîné est le mot ; c’est une vraie rage. L’arche de Noé ne serait qu’une coquille au milieu des torrents qui bondissent dans notre pauvre vieille ville qui sombre. S’il n’y avait que de l’eau encore ! mais les rues sont des marais : on a voulu les macadamiser avec les débris des démolitions, et l’on a fait une boue insondable où hommes et voitures disparaissent. On enfonce, on est englouti, et quand, croyant trouver une planche de salut, on met le pied sur un bout de trottoir, on n’est jamais sûr que l’autre bout ne vous sautera pas à la figure. Ajoutez à cela qu’il y a beaucoup de gens qui se mouchent avec leurs doigts, qu’il faut changer de chaussures six fois par jour, que le parapluie d’autrui vous entre dans l’œil à chaque instant, sans que le vôtre suffise à vous garantir de la pluie, et que la malle de Montréal n’est jamais distribuée avant onze heures du matin !… et cœtera. Tout cela m’agace horriblement et j’en veux au ministère.

J’affirme que les ministres auraient dû adopter le programme catholique : au moins, ils se seraient mis bien avec le ciel et en obtiendraient aujourd’hui de ne pas renouveler le déluge à propos de bottes. Le rire de Dieu évidemment a cessé depuis que M. Routhier a voulu le peindre, et maintenant ce sont les pleurs qui commencent. L’Éternel n’a plus de secrets pour nous.

Si Québec est une fondrière, ce sont les enfants qui jubilent. Avez-vous remarqué comme les enfants aiment à se salir ? Tant que la capitale n’a pas eu de trottoirs, on les voyait courir assez volontiers sur les pièces de bois pourries, disjointes, trouées, qui en tenaient lieu ; mais depuis que la municipalité s’est ruinée pour en faire construire quelques centaines de pouces, on ne voit plus les enfants courir qu’au milieu des rues marécageuses, délayées par les dernières pluies jusqu’à deux pieds de profondeur.

Si je prends la peine de vous écrire cela, ce n’est pas que je le trouve intéressant, mais je veux prévenir vos lecteurs que j’ai cherché inutilement toute une semaine pour avoir quelque chose à dire et que je ne l’ai pas. Pourtant je me suis donné bien de la peine, ce qui prouve que le travail n’est pas toujours récompensé ; et comme je suis opposé aux grèves, je me vois obligé d’écrire une colonne de niaiseries pour remplir mon devoir.

Étrange ! étrange ! Moins il y a à dire, plus il se fonde de journaux ; c’est le Courrier de Rimouski, c’est la Nation, c’est enfin l’Écho de la Session qui s’annonce d’avance et qui promet d’être impartial… comme tous les autres. Aucun journal n’avait songé à dire cela auparavant ; voilà enfin du nouveau.

L’Université Laval achève de se perdre. Elle vient de pousser le gallicanisme jusqu’à permettre à ses élèves de donner une fête aux huîtres, à laquelle se sont trouvés beaucoup d’invités du dehors qui ont été s’irriguer le palais, suivant l’expression d’un de nos confrères québecquois. Le verbe réfléchi s’irriguer, tiré du vocabulaire de l’avenir, vient du substantif irrigation dont l’ancienneté se perd dans la nuit des temps. On voit que l’université Laval se fait un tort énorme.

L’Angleterre est bien déterminée à nous laisser seuls ; c’est décidément le 15 novembre que les derniers débris de la garnison s’envolent de Québec. En attendant, la Grande-Bretagne déménage petit à petit ; elle vient de faire transporter, de la citadelle au port, trois charriots de bourres à canons ; la menue ferraille, les essieux rompus, les affûts brisés viendront après. Il n’est pas question d’enlever les remparts, ils partent d’eux-mêmes : dans un mois, Québec sera dénudé et présentera le spectacle indécent d’une ville fortifiée sans fortifications.

Heureusement qu’il nous reste quarante mille hommes de milice pour défendre notre langue, nos lois et nos mœurs contre l’envahisseur. Quel envahisseur ? on n’en sait rien ; mais c’est égal, il faut qu’il y en ait un. À ce propos, le Chronicle de Québec, journal révolutionnaire, s’exprime ainsi : « Nous n’avons aucun danger de guerre à craindre ; nos amis les féniens sont devenus pauvres et faibles, et les États-Unis se sont engagés à nous épargner à l’avenir leurs visites de cérémonie. En outre, nos obligations, provenant de la confédération des provinces et comprenant plusieurs centaines de lieues de voies ferrées à construire, absorbent tout le capital dont nous pourrons disposer pour longtemps.

« Nous n’avons donc aucun besoin d’une milice dispendieuse. Sans doute de brillants uniformes et de longues lignes de baïonnettes reluisant au soleil sont un délicieux spectacle, de même que les volées de l’artillerie sont très agréables à entendre à distance ; mais toutes ces belles choses ne sont ni nécessaires ni avantageuses. Le département de la milice pourrait mettre en usage tous les appareils militaires, toutes les armes et toute la poudre de l’Angleterre sans toutefois constituer une force suffisante. Ce n’est pas la quantité qu’il nous faut, mais la qualité. Une petite armée de miliciens bien disciplinés, bien approvisionnés, formerait le noyau d’une grande force, lorsqu’elle deviendrait nécessaire, et suffirait, pour le présent, à tous nos besoins ; elle remplacerait avec avantage cette grande armée de 40 000 hommes qui est la création de sir George Étienne, mais qui n’a ni discipline, ni équipement, ni habitude des armes. Sir George a, paraît-il, plus d’hommes qu’il n’en peut pourvoir. Si toutes les ressources du département et du pays n’ont pu fournir à 2,500 hommes réunis à Prescott les choses simplement nécessaires à la vie, dans un temps de paix profonde et après une expérience répétée du système des campements, que pouvons-nous attendre, dans les temps de péril, de 40,000 hommes qu’il faudra équiper et former ? Nous pensons que tout notre système de milice a besoin d’être refait et que les réformes doivent embrasser, entre autres, une réduction considérable des dépenses actuelles. »

Pour parler ainsi dans une ville qui a des remparts, sous la gueule entr’ouverte des canons de l’artillerie volontaire, il faut avoir un courage poussé jusqu’à l’indécence et ne tenir aucun compte du préjugé militaire, la plus glorieuse bêtise qui ait jamais possédé les hommes.

M. Routhier, l’homme du programme, se rend aux États-Unis ; grande nouvelle ! Il l’annonce lui-même dans le Courrier du Canada, et il a l’obligeance d’apprendre au public qu’il est parti en lisant l’Univers. Il n’y a pas de meilleure préparation, et si M. Routhier lit l’Univers durant tout son voyage, il est incontestable qu’il pourra juger les Américains sans parti pris, comme il en fait la promesse précieuse. Les lecteurs ne seront pas volés lorsqu’il leur donnera à son retour vingt-cinq colonnes de Veuillot en guise d’appréciations ; c’était annoncé. — C’est pourtant bien ainsi que se fait aux trois quarts l’éducation de notre peuple. Réflexion amère !

Nous avons passé jusqu’ici pour une race inférieure et, Dieu merci ! ça n’était pas volé, mais voilà que le Nouveau-Brunswick entreprend notre réhabilitation. Ça surprend d’abord, mais on s’y fait vite et l’on ne devine pas le motif secret ; la louange a la propriété de rendre aveugle, surtout la louange grosse, épaisse. On peut faire brûler n’importe quel encens, pourvu qu’il fume ; il n’y en a jamais de trop grossier, même pour les plus fins esprits ; voilà pourquoi les souverains les mieux doués ne voient jamais les choses qu’à travers un brouillard.

Or donc, le Nouveau-Brunswick, ayant besoin de meilleurs termes, et n’étant plus satisfait de ceux qu’il a obtenus par l’acte de la confédération, demande au parlement fédéral d’augmenter son subside. La Nouvelle-Écosse en a fait autant l’année dernière et a réussi ; il n’y a donc pas de raison pour que le Nouveau-Brunswick n’ait pas son tour. Mais Ontario, le Cerbère du Dominion, ventru, replet, gorgé et grognard, montre les dents chaque fois que les petits veulent avoir des miettes de la table. Épeuré, le Nouveau-Brunswick se retourne vers nous et « regarde avec espoir, dit le Telegraph de Saint-Jean, les descendants chevaleresques de la vieille France qui dirigent les destinées de la noble province de Québec. » Ça, c’est pour avoir les $150,000 de subsides demandés ; mais qu’importe ! il y a du vrai au fond, et nous avons dans notre noble province tant de chevaliers et de sires, et tant d’autres qui se sentent propres à l’être, que nous ne pouvons nous empêcher de trouver le compliment mérité.

De quelque côté qu’on tourne les yeux, on ne voit que des choses qui s’écroulent, des institutions qui disparaissent comme des souffles et des préjugés qui s’effacent, laissant les hommes tout étonnés d’avoir été si longtemps leurs propres dupes. Croirait-on que l’archevêque de Paris est allé si loin dans la voie des réformes qu’il permette à son clergé de porter la barbe toute longue ? C’est là un rapprochement avec le clergé de l’Église grecque, composé de prêtres énormément barbus.

Comme on n’est sûr de rien et que la Commune pourrait bien revenir, la mesure prise par l’archevêque, quelque schismatique qu’elle soit, sera peut-être bien utile, attendu que bon nombre de prêtres n’ont dû leur salut, sous le règne des communards, qu’à leur barbe qu’ils avaient laissé croître.

Je lis dans un journal québecquois : « M. Thibault doit, nous dit-on, se livrer à l’enseignement privé. Nous lui souhaitons autant d’élèves qu’il en désire. »

Il est impossible de mieux manifester ses sympathies. Comment ne pas être sincère quand on est… à ce point ?

Dans le dernier Congrès de la paix tenu à Lauzanne, où l’on s’est battu pendant trois jours, des choses inouïes et des sciences nouvelles, dont le nom seul dévoile des abîmes de profondeur méditative, ont été révélées au monde.

C’est ainsi qu’un des orateurs, M. Guignard, a proposé de remplacer dans la devise de la Ligue le mot « Liberté, » par celui, « d’Humanité, » et de nommer une commission pour étudier le principe de l’humanisme végétarien et l’hygiène de la morale. Une femme, — il y avait là des femmes pour mettre la discorde, bien entendu, — a déclaré que le Congrès était la fête de toutes les mères du globe terrestre. Il y a de quoi se réjouir d’être invité à des fêtes comme celles-là.

À Paris, les mœurs se réforment étonnamment depuis la chute de la Commune. Dans cette Babylone où l’on ne se mariait plus et où cette institution sacrée, ou civile, comme on voudra, n’était plus guère que le prétexte ou l’instrument complaisant de toutes les galanteries scandaleuses, le mariage est devenu une espèce de frénésie : on cite une femme de quatre-vingt-cinq ans qui a été enlevée. On ne dit pas toutefois que l’enlèvement a été précipité. M’est avis que la dame en question est une pétroleuse enlevée par un gendarme.

Ici, à Québec, on est dans l’attente de deux événements, le dîner de M. Langevin, et la première séance de l’assemblée dans laquelle il faudra nommer un « orateur. »

La plus grande incertitude règne sur chacun d’eux.

Je lis sur l’enseigne d’un digne cordonnier du faubourg Saint-Roch : « X… marchand de chossure en détail, à bon marché…. » N’avoir qu’une chaussure et la vendre en détail, c’est là le comble de la concurrence.

Il est évident que le bon marché exceptionnel obtenu par ce procédé nouveau va obliger tous les autres crispins à fermer boutique.

J’extrais cette phrase d’un obituaire fait par un de mes confrères québecquois : « Un tel est mort entouré de toutes les consolations de la religion et de ses plus proches parents » Voilà du moins un rapprochement qui éclate aux yeux. Je voudrais bien trouver quelque chose comme cela qui me rapproche de la fin de ma chronique ; mais, depuis une heure que j’écris des niaiseries, je n’ai rien trouvé encore d’assez niais pour terminer. Pourtant à tout prendre dans l’ensemble, ça peut suffire.