Chroniques (Fabre)/20
LA CONFÉDÉRATION.
Les gens qui n’aiment point le bruit et l’agitation des fêtes publiques ont dû être satisfaits. La Confédération a fait, hier, son entrée dans la bonne ville de Québec, sans vacarme. On l’a reçue fort poliment ; chacun lui a tiré son coup de chapeau.
À peine quelques-uns de ses adversaires vaincus sont-ils allés à la campagne — en pique-nique — pour ne pas assister à son tranquille triomphe.
Voici donc le Bas-Canada marié en secondes noces. Le premier ménage, en somme, a été heureux, quoique notre conjoint, le Haut-Canada, n’eût pas tout-à-fait l’humeur facile. De temps à autre, il nous menaçait d’une scène, prétendait que c’était de sa bourse que sortait la plus grosse part de l’argent qui faisait bouillir la marmite ; bref, il nous accusait de vivre à ses dépens. Il nous fallait bien pourtant continuer à mettre la tête sur le même oreiller et prendre notre époux en patience.
Lorsque l’Angleterre nous fiança au Haut-Canada, le fiancé n’était pas de notre goût. La lune de miel ne fut point agréable, et le jeune mari ne sut pas détruire la fâcheuse impression qu’avait produite le fiancé. C’était à qui ne céderait pas à l’autre. Il nous rudoyait, nous nous entêtions ; cela finissait par des coups. Un seul membre de la famille nous plaisait, c’était M. Baldwin, et il ne commandait point encore.
Enfin arriva le jour fortuné où on le vit assis à la tête de la table, à côté de M. LaFontaine. Il y eut grande fête, et l’on goûta à des plats nouveaux pour les Canadiens-Français, les plats ministériels. La sauce fut trouvée excellente ; et il y en a qui s’en lèchent encore les lèvres.
Le festin dura trois ans, lorsqu’un jour, sur un incident malheureux, M. Baldwin quitta la table. M. LaFontaine le suivit de près.
Depuis lors nous avons été souvent brouillés avec la majorité haut-canadienne, mais, en somme, les choses n’ont pas été trop mal. Le Haut-Canada n’est pas aussi féroce qu’il en a l’air. Il fait grand bruit avec ses souliers ferrés, mais il n’écrase personne. Il n’y a qu’à lui tenir tête ; il s’adoucit et devient presque tendre. Un jour, à l’avènement du ministère Sicotte, on le surprit rêvant sous nos fenêtres. Il ne demandait, disait-il, qu’un cœur qui partageât sa flamme. Nous eûmes tort de l’empêcher de tomber à nos pieds. Il y serait encore ; et nous ne serions pas au bras du grand époux fédéral, dont le caractère nous est inconnu.
Espérons que cette fois nous célébrerons la cinquantaine.
Ce n’est point encore tout-à-fait un mariage d’amour que nous faisons là ; c’est un mariage de convenance. L’âge, la position des époux, sont assortis. Si nous ne ressentons pas une grande passion pour les provinces qui nous sont unies, du moins nous n’en aimons pas d’autre. Bien n’empêche qu’un solide attachement ne naisse de nos relations constantes. Ce ne sont pas toujours les gens les plus épris qui font les meilleurs ménages. Tel mari bat sa femme qui, avant le mariage, était doux comme un mouton et tendre comme un tourtereau.
La lune de miel de la Confédération se passera en élections. On pourrait lui souhaiter des plaisirs moins bruyants. Bon gré mal gré, il faut qu’elle passe par là ; c’est le prix des grandeurs dans les pays libres.
D’ici à un mois ou deux, chacun de nous va avoir à se choisir un représentant, à opter entre deux ou quatre candidats. Pour bon nombre de nos lecteurs, l’embarras sera grand.
— Pour la première fois, je suis électeur, nous écrit un de nos amis, et d’avance je me faisais une joie patriotique de voter. Mais voyez ce qui m’arrive.
Trois candidats briguent mon suffrage : l’un ne sait pas lire, l’autre épelle, le troisième lit couramment l’imprimé, mais le manuscrit est hors de sa portée. Vous allez me dire de voter pour celui qui lit couramment. Il semble en effet que ce soit le parti le plus sage ; mais écoutez la suite de l’histoire.
Celui qui ne sait pas lire est venu me trouver, et ses raisons m’ont touché. Il a peu de moyens et il est à la tête d’une grande famille, qui augmente chaque année. Il a fait le sacrifice d’envoyer l’aîné au collège, dans l’espoir qu’il aiderait plus tard aux autres. Le jeune homme a terminé son cours avec succès ; il s’est fait recevoir avocat et il attend, la plume à l’oreille, des clients qui ne viennent pas.
Le père veut se faire élire député dans l’espoir de placer son fils au bureau des traducteurs français du Parlement.
Puis-je refuser ma voix à un homme qui la sollicite pour un motif si digne de sympathie ?
Attends un peu, cependant. J’ai reçu également la visite du second candidat : celui qui épelle. Son histoire aussi vaut la peine d’être écoutée. Celui-ci est las du commerce qu’il exerce et qui, petit à petit, l’a enrichi. Il voudrait changer de sphère, embrasser une profession indépendante qui lui fournisse chaque année l’occasion d’aller passer quelques mois loin de son comptoir et de ses livres de compte. Il a besoin de distractions, d’un petit voyage de temps à autre. Son médecin lui recommande l’air d’Ottawa.
Le troisième, celui qui sait lire couramment, a plus de prétention. Il a été maire de son village, puis préfet du comté ; maintenant il désire être membre du Parlement. Fais-le causer tant que tu voudras, tu n’en tireras pas d’autre raison.
Des trois pour qui voterais-tu ? Mon choix est fait. Pour des raisons d’humanité, un motif de bienfaisance, je donnerai ma voix à celui qui ne sait pas lire, afin de lui aider autant qu’il est en mon pouvoir à placer son fils au bureau des traducteurs français.
Une chose qui me frappe, c’est qu’en plus d’un comté il est surtout question comme candidats de gens qui, dans l’ordre ordinaire des choses, devraient rester chez eux. La vie privée est-elle donc devenue si maussade qu’il faille absolument l’échanger contre la vie publique ?
La plupart des candidats ne veulent même pas se contenter d’un seul mandat, il leur en faut deux. L’appétit vient en mangeant. Dans certains cas, cependant, les aspirants, pour vouloir trop avoir, pourraient bien s’asseoir entre deux sièges.
Étant donné un candidat de médiocre valeur, les électeurs ne comprennent pas très-bien l’importance qu’il y a de l’envoyer aux deux Chambres. Il les représente déjà insuffisamment dans une seule ; c’est assez. On le trouve gourmand ; il désire donc tout avoir à lui seul ! Il tire les plats à lui et ne veut rien laisser aux autres.
— D’ailleurs, dit le peuple, on ne peut pas manger avec deux cuillers à la fois.