Chroniques (Marcel Proust)/Notules

La bibliothèque libre.

NOTULES
Étude sur Victor Hugo, par Fernand Gregh

« Un critique est une personne qui se mêle de ce qui ne la regarde pas », a dit Mallarmé en un de ses mots profonds et frivoles qui, dans son œuvre, en face de ses vers de ténèbres, sont comme la revanche délicieuse de la lumière.

Mais, certes, il se mêle « de ce qui le regarde », un poète, un vrai poète, qui nous lit haut l’œuvre de Hugo, nous fait toucher, tinter, briller chaque vers comme une pierre sans feux, nous montre, en chaque émeraude, qu’elle « cache en sa facette »

une ondine au front clair,


et nous aide à suivre se jouer, dans les bijoux dont se parent les plus opulents de nos poètes contemporains, telle ressemblance d’ondines qu’il dénonce ici dérobées, et salue, là, fraternelles. C’est un beau livre que M. Fernand Gregh vient d’écrire, d’une simplicité, d’une franchise, on voudrait pouvoir dire, dans le sens bon et populaire du mot, d’une vulgarité qui est comme une promesse supplémentaire de durée : « Pour la postérité, le pain de ménage vaut mieux que les friandises », dit Sainte-Beuve, qui reste toujours un pâtissier.

Au milieu de cette belle prose, la célèbre poésie des Clartés humaines : Rêve, se dresse dans une pure harmonie de lumière, comme un rocher au milieu des flots, baigné de leurs reflets, y prolongeant ses ombres. La poésie du penseur est à l’aise et dans son élément au milieu de cette prose de poète qui vient à tout moment, y ajouter quelque gracieuse broderie.

« L’écume jette au roc ses blanches mousselines. »

Et dans ce livre robuste et négligé, F. Gregh a mis toute sa profonde intelligence et toute sa sensibilité la plus sûre, tout son cœur et tout son charmant esprit.

Marc Antoine.
Gil Blas, mercredi 14 décembre 1904.