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Cinq Prières pour le temps de la guerre/Prière à l’usage d’un soldat

La bibliothèque libre.
Librairie de l’Art catholique (p. 7-19).


PRIÈRE
À
L’USAGE
D’
UN
SOLDAT


D' ici, la seule chose que j’aperçoive au-dessus de moi, c’est le ciel où je peux communier par la prière avec les chers miens qui le contemplent de là-bas.

Qu’il soit azuré, noir ou étoilé, nos pensées et nos âmes peuvent s’y rencontrer d’autant plus aisément qu’il nous dépasse et que, très humble image de Dieu, il est partout sur la colline, dans la plaine et jusqu’au fond de la tranchée.

C’est pourquoi, Seigneur Jésus, tantôt j’élève les yeux pour vous prier dans la hauteur, et, tantôt dans la profondeur de ce trou de terre, j’appuie, comme saint Jean, le front contre votre poitrine : ô vous qui n’êtes pas l’illusion, mais qui êtes cette personne partout présente comme Dieu, qui nous a dit qu’elle est là !

Oui, vous êtes dans ce ciel visible, et vous êtes dans ma prière ; dans la plaine, et vous êtes dans mon corps ; dans la tranchée, et vous êtes au fond de mon âme.

C’est vous qui rapprochez les êtres en vous rapprochant d’eux.

Que vers vous s’élève ma prière trois fois par jour comme l’angélus, trois fois par jour faites que je me retrouve avec les miens dans votre intimité.

À l’aube, quand la lune pâlit dans l’air glacé qui achève de m’éveiller, rapprochez-moi de mes petits enfants dont je crois surprendre le souffle : ils dorment encore. Qu’ils continuent d’ignorer les dangers que je cours ; que la guerre dont ils entendent parler n’effraye pas leurs imaginations davantage que le doux jeu par quoi ils l’imitent, l’après-midi, à la récréation ! Rapprochez-moi de leur mère qui les garde à son ombre ; qui bientôt les assistera dans leur lever, baisera leurs paupières, joindra leurs mains, les vêtira, leur servira du pain et du lait. Rapprochez-moi de mes père et mère tenus longtemps hors du sommeil par l’évocation confuse, dans l’obscurité de leur chambre pacifique, d’un champ de bataille lointain.

Rapprochez-moi de tous ces aimés ! Que je les entende vivre au réveil dans la demeure de mon cœur ! Le cœur, lorsque vous l’habitez, ô mon Dieu, n’est-il pas comme la tente patriarcale que l’on ne déplace que pour la redresser avec, sous sa toile, tous ses hôtes et vous-même ?

À midi, lorsque le soleil dans mon pays domine le plus vieux groupe de chênes à l’horizon et, ici, surplombe cette ferme qui, dans le ciel, se détache de la longue continuité de ces plateaux qui ne me sont pas familiers : Seigneur, réunissez-nous encore dans la ferveur que vous nous inspirez.

Je revois, à la table frugale, ces petites bouches dont on dirait que chacune, tant elle est rose, n’est qu’une rose ; l’une d’elles s’entr’ouvre, peut-être, pour questionner sur mon retour l’épouse austère et soucieuse qui est en face de la place vide où mon absence demeure. Mon père, fatigué, relève la tête lorsque retentit le marteau de la porte sous la main du facteur : Est-ce une lettre de notre fils ? Est-ce une lettre de mon mari ? Est-ce une lettre de notre père ? Ainsi s’interroge-t-on à part soi.

Si ce n’est pas l’une de mes lettres, que ce soit toujours ma prière qui communie avec ces amours qui n’en font qu’un. Seigneur, laissez venir vers moi ces petits que vous avez laissés venir à vous. Seigneur qui ne faites qu’un avec votre Père saint, j’emprunte à votre parole pour vous prier ainsi : gardez dans votre nom ceux que vous m’avez donnés afin qu’ils ne fassent qu’un en vous, avec moi.

Mais voici le soir, qui est le plus attristant, ici, pour moi, et sans doute pour les miens, là-bas. C’est l’heure de l’angoisse indicible.

Que je vous redise, mon Dieu, les mots qui vous inclinèrent à demeurer auprès des pèlerins d’Emmaüs au moment que votre cher visage allait s’éclairer pour eux d’une lueur singulière qui, déjà, rendait leurs cœurs tout brûlants :

« Restez avec nous, car il se fait tard et déjà le jour baisse. » Restez avec nous et nous serons plus forts que la mort n’est forte.

Le froid, l’humidité vont envahir de plus en plus la tranchée.

C’est l’heure ou mes petits rentrent de l’école pour souper.

Je les prenais sur mes genoux pour qu’ils babillassent. Et je pressais contre leurs joues fraîches ma joue qui ne connaît plus que le baiser de la crosse du fusil. Et ils ne savaient pas. Et avant que je partisse pour le front, ils me disaient : « Nous ne voulons pas que tu sois tué par les Allemands. » Sous la lampe, ma femme coud, impassible comme sait paraître l’énergie. Et les deux vieillards s’assoupissent, les traits tirés.

Seigneur, je ne vois même pas le ciel s’étoiler. J’ai peur d’être saisi d’angoisse. Il me faut toute ma force et tout mon calme. N’êtes-vous plus dans les ténèbres avec nous ?

« La paix soit avec
vous ! C’est moi.
Ne craignez
point. »