Cinq lettres bénédictines/04

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IV.

À l’évêque d’Aire, J.-L. de l’Estang de Fromentières[1].

B[enedicite].

Monseigneur,

Je satisfais par celle cy a mon devoir en offrant a Vostre Grandeur mes humbles respects et a son inclination [en][2] lui rendant compte de ce que jay trouvé dans nos recueils de l’hist. de la Novempopulanie touchant St  Gérons[3].

1o Il y a eu un St  Gérons confesseur, qui est mort a Ayre different de celui qui est patron de l’Abbaye qui porte son nom et qui est martyr[4]. En voicy une preuve qui me paroist hors datteinte et que je tire du Martyrologe de St  Sever escrit Lan MCX, comme il y est marqué, et qui parle de nostre St  confesseur en ces termes : « II.° non. Maij in galliis vicojutij depositia St  Ceruntij Confessoris et Eventij. » Que ce Saint soit different du Patron de l’abbaye qui porte son nom il y en a une preuve convaincante dans le mesme Martyrologe de St  Sever qui parle du martyr en ces termes : V. id. Decemb. festivitas St  Geruntij Martyris. »

Je ne treuve rien dans Ihistoire ny dans les archives qui mapprenne le temps de la fondation de cette Abbaye ny le nom de son fondateur. Je nay pas de peine à croire questant desja Abbaye dans le Xe siècle elle a suyvy la regle de St  Benoist et a esté reguliere. Le necrologe de St  Sever en fait mention en quelques endroits. « VIII kal, Maij ob. R. Donatus St  Geruntij monachus nostrae Congregationis ». V kal. Maij obiit forto monachus de St o Geruntio. »

Dans la copie de Lancien obituaire insérée au Martyrologe Romain et qu’on lisoit au Chapitre il y a ce qui suit « XIII kalend. martij ob. frater « Gaillardus… St o Geruntij.

« XIV kal. junij ob. fr. forto de St o Geruntio.

« VII id. Augusti junii ob. Annerius Abbas[5] St i Geruntij nostrae Congregationis. » Cela prouve ce me semble que Labbaye de St  Gérons a eu des moines autrefois, mais il ne faut rien dissimuler. Ce qui men fait doubter, cest que dans le mesme obituaire il est dit : III id Augustii obiit garsias clericus St i Gerontij frater noster,  » ce qui me fait croire que cette Abbaye estoit desja possedée par des clercs Lan MCC ou quon ne leur donne la qualité de freres que parce quils estoient associés en prieres et bonnes œuvres avec L’abbaye de St  Sever. Ces associations mesme des séculiers avec les monastères estoient fort en usage dans les Xe, XIe et XIIe siècles.

Pour Labbaye de St  Leuboire[6] je n’en n’ay (sic) rien treuvé. Le martyrologe de St  Sever fait mention de son patron en ces termes « XIII Kalend Martij in pago Wasconico beata memoria Leborij Confessoris celebratur depositio qui ut in gestis ejus legitur multorum miraculorum praepotens patrator habetur. » Je nay pu treuver cette vie du St  dont il parle et il me semble que les mots de beata memoria et depositio dont il se sert donnent a connoistre que lan MCX que Lautheur du martyrologe Hugue de Pouyane, moine de St  Sever escrivoit[7], il nestoit pas encore reconnu . generalement pour saint et mesme quil ny avoit pas long temps quil estoit mort. beata memoria.

Pour la Chronologie des Seigneurs Evesques vos predecesseurs jay dassez bonnes remarques que je me feray un honneur et une joye de vous donner[8]et Vostre Grandeur me fera une justice rigoureuse si elle me fait la grace de croire que je suis tres disposé a luy rendre tous les services dont elle me jugera capable et avec autant de syncerité que de respect.

Le R. P. Visiteur me donne ordre doffrir a Vostre Grandeur ses très humbles respects,

  Monseigneur   Vostre très humble et tres obeyssant religieux et serviteur en n s j c.


a St  Sever Cap ce 20 sept.


  1679   f. Claude Estiennot de la Serrée M. B. I[9].


  1. Jean-Louis de L’Estang de Fromentières fut évêque d’Aire depuis le mois de janvier 1673 jusqu’au mois de décembre 1684. (Voir Gallia christiana, t. I, col. 1174.) Je suis heureux d’annoncer qu’un jeune prêtre fort distingué, M. l’abbé Paul Lahargou, prépare pour sa thèse de doctorat ès lettres une étude sur Fromentières considéré à la fois comme prédicateur et comme évêque, étude qui sera nouvelle en grande partie et qui sera doublement digne de l’éminent prélat auquel elle est consacrée.
  2. Déchirure du papier.
  3. Au sujet de saint Gerons, je ne puis que renvoyer à une notice des Bollandistes (Acta sanctorum, t. Il du mois de mai, pp. 461-464) :’’de S. Geruntio Aturi in Aquitania.
  4. Le Martyrologe universel de Claude Chastelain ne connait pas saint Gerons, martyr. Il mentionne seulement au VI mai, à Aire en Gascogne, saint Giroux, confesseur, Aturi Geruntius. La distinction des deux saints Gerons, le confesseur et le martyr, a été faite d’après les documents cités dans la présente lettre par dom Pierre-Daniel du Buisson, aux pages 37 et suivantes du tome I de son Historiæ monasterii S. Severi libri X. À la fin du t. II de cet ouvrage, à l’Appendice, on trouve le texte de diverses légendes concernant saint Gérons le martyr.
  5. Des noms pareils à ceux que l’on vient de lire, Forto, Gaillard, Gursias, Annerius, se retrouvent dans les deux tomes de l’ouvrage de dom Du Buisson : Annerius, t. II, p. 82 ; Gaillardus, t. I, p. 102 ; t. II, p. 240 ; Garsias ou Garsie, t. I, p. 143, 276, etc.
  6. Chastelain (Martyrologe, déjà cité, p. 936) dit : S. Louboir dont une abbaye porte le nom au diocèse d’Aire, mal nommé Saint-Lombe par M. Doujat en son Pouillé, le même peut-être que S. Lupercule du 16 avril. » L’identification timidement proposée par Chastelain n’a trouvé aucun succès auprès des critiques, et dom Estiennot croit avec raison Saint-Louboir beaucoup moins ancien que l’époque où le placerait la conjecture du docte chanoine de Notre-Dame de Paris.
  7. Dom Du Buisson, qui fait souvent usage du nécrologe de Saint-Sever, n’en nomme pas l’auteur. Ce passage de la lettre de dom Estiennot est le seul, à ma connaissance, où l’on trouve une telle indication, et rien qu’à ce titre la lettre serait très précieuse. J’appelle donc toute l’attention des érudits sur une révélation qui comble une lacune dans l’histoire littéraire de la Gascogne.
  8. Dom Du Buisson (t. I, p. 11, note) s’exprime ainsi : « Adurensium Episcoporum successionem pluribus chartis nostris collectam dedi illustrissimo DD. Episcopo Adurensi nunc existenti Joann. Ludovico de Fromentières. » Sans doute s’agit-il ici de la Chronologie préparée par dom Estiennot. Les deux bénédictins ont dû souvent travailler ensemble dans le Chartrier de Saint-Sever, et le premier n’aura pu que gagner à la collaboration d’un savant comme dom Estiennot, quoiqu’il ait le tort de ne jamais en parler.
  9. Remarquons cette signature qui nous permet de corriger une faute de Dom Tassin et de tous les autres biographes qui écrivent Estiennot de la Serre, au lieu de la Serrée. Croyons-en sur ce point le propriétaire lui-même du nom. Je viens de nommer Dom Tassin. Cet historien raconte (p. 181) que Dom Estiennot ayant été envoyé à Rome comme procureur général de la Congrégation de Saint-Maur, signa Stephanotius et qu’on lui reprocha devant le pape d’avoir changé son nom, mais qu’il se justifia en disant au Saint-Père que c’était Dom Mabillon qui l’avait ainsi baptisé. En effet, Dom Mabillon, qui était lié de la plus tendre amitié avec Dom Estiennot et qui lui était redevable d’une infinité de pièces rares dont il a fait le principal ornement de ses Annales et de sa Diplomatique, se plaît à citer dans ces deux beaux recueils son confrère sous le nom de Stephanotius. Je rappellerai encore avec Dom Tassin (p. 180) que Dom Estiennot mourut [19 juin 1699, à Rome] entre les bras du grand bénédictin gascono-languedocien Dom Bernard de Montfaucon. Je donnerai pour couronnement à cette note l’éloge non moins juste qu’aimable tracé par le prince de Broglie (Mabillon et la Société de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, t. I, p. 149) du religieux qui, « avec son infatigable activité, avait parcouru presque toutes les archives de la France » ; « Nous avons déjà parlé d’Estiennot, de son érudition et de la passion qu’il portait dans ses travaux ; sa science et son amour des vieux papiers ne l’empêchent pas d’écrire avec vivacité et agrément. Le savant et l’homme d’esprit se peignent à merveille dans ces Lettres, où règne la plus parfaite liberté.