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Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne/Le berger qui obtint la fille du roi pour une seule parole

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LE BERGER QUI OBTINT LA FILLE DU ROI POUR UNE SEULE PAROLE.


Il y avait une fois un roi qui disait qu’il n’avait jamais fait un seul mensonge de sa vie. Comme il entendait sans cesse les gens de sa cour qui disaient les uns aux autres : « Ce n’est pas vrai ! vous êtes un menteur ! » cela lui déplaisait beaucoup ; si bien qu’il dit un jour :

— Vous m’étonnez ; un étranger qui vous entendrait parler de la sorte ne manquerait pas de dire que je suis le roi des menteurs. Je ne veux plus entendre parler ainsi dans mon palais. Celui qui m’entendrait dire à un autre, quel qu’il fût : « Vous êtes un menteur ! » eh bien, je lui donnerais la main de ma fille.

Un berger, qui était aussi parmi les autres, ayant entendu ces paroles du roi, se dit en lui-même : « Bon ! nous verrons ! »

Le vieux roi aimait à entendre chanter d’anciens gwerziou, des soniou nouveaux et conter des contes merveilleux. Souvent, après souper, il venait à la cuisine et prenait beaucoup de plaisir à écouter les chants et les récits des valets et des servantes. Chacun chantait ou contait quelque chose à son tour.

— Et toi, jeune berger, tu ne sais donc rien ? dit le roi, un soir.

— Oh  ! si, mon roi, répondit le berger.

— Voyons donc ce que tu sais. Et alors le berger parla ainsi :

— Un jour, comme je passais dans un bois, je vis venir à moi un superbe lièvre. J’avais à la main une boule de poix ; je la lançai au lièvre et je l’atteignis juste au milieu du front, où elle se colla. Et voilà le lièvre de courir de plus belle, avec la boule de poix sur le front. Il rencontra un autre lièvre qui venait en sens opposé, ils se heurtèrent front contre front et restèrent collés ensemble, si bien que je pus les prendre facilement, alors. Comment trouvez-vous cela, sire ?

— C’est fort, répondit le roi, mais continue.

— Avant de venir comme berger à votre cour, sire, j’étais garçon meunier dans le moulin de mon père, et j’allais porter la farine aux pratiques. Un jour, j’avais tellement chargé mon âne que, ma foi ! son échine se rompit.

— La pauvre bête ! dit le roi.

— J’allai alors à une haie qui était près de là et, avec mon couteau, j’y coupai un bâton de coudrier que je fourrai dans . . . . le corps de mon âne, pour lui tenir lieu d’échine. L’animal se releva alors, et il porta bellement sa charge à destination, comme s’il ne lui était pas arrivé de mal.

— C’est fort, dit le roi ; et après ?

— Le lendemain matin, je fus bien étonné (car ceci se passait au mois de décembre) de voir qu’il avait poussé des branches, des feuilles et même des noisettes sur le bâton de coudrier ; et quand je sortis mon âne de l’écurie, les branches continuèrent de pousser et montèrent si haut, si haut, qu’elles atteignirent jusqu’au ciel.

— Ceci est bien fort ! dit le roi, mais après ?

— Voyant cela, je me mis à grimper de branche en branche sur le coudrier, tant et tant, que j’arrivai enfin dans la lune.

— C’est bien fort, bien fort ! mais après ?

— Là je vis des vieilles femmes qui vannaient de l’avoine dépouillée de son écorce. Je me lassai bientôt à regarder ces vieilles femmes, et je voulus redescendre sur la terre. Mais mon âne était parti, et je ne retrouvai plus le coudrier par lequel j’étais monté. Comment faire ? Je me mis alors à nouer des écorces d’avoine bout à bout, afin de faire une corde pour descendre.

— C’est bien fort cela ! dit le roi ; et après ?

— Malheureusement ma corde n’était pas assez longue ; il s’en fallait de trente ou de quarante pieds, si bien que je tombai sur un rocher, la tête la première, et si rudement que ma tête s’enfonça dans la pierre jusqu’aux épaules.

— C’est bien fort, bien fort ! et après ?

— Je me démenai tant et si bien que mon corps se détacha de ma tête, qui resta enfoncée dans le rocher. Je courus aussitôt au moulin chercher un levier de fer pour retirer ma tête de la pierre.

— De plus fort en plus fort ! dit le roi ; mais après ?

— Quand je revins, un énorme loup voulait aussi extraire ma tête du rocher pour la dévorer ! Je lui appliquai un coup de mon levier de fer sur le dos, mais si fort, si fort qu’une lettre jaillit de son corps !

— Oh ! c’est on ne peut plus fort cela ! s’écria le roi ; mais qu’y avait-il aussi marqué sur cette lettre ?

— Sur cette lettre, mon roi, il était marqué, sauf votre respect, que votre père avait été jadis garçon de moulin chez mon grand-père.

— Tu en as menti, fils de p… ! s’écria aussitôt le roi, en se levant.

— Holà ! sire, j’ai gagné ! dit tranquillement le berger.

— Comment cela ? qu’as-tu gagné, insolent ?

— N’aviez-vous pas dit, mon roi, que vous donneriez volontiers la main de la princesse votre fille, au premier qui vous ferait dire : « Tu as menti, ou tu es un menteur ? »

— C’est vrai, répondit le roi, je l’ai dit. Un roi ne doit avoir qu’une parole, aussi tes fiançailles avec ma fille unique seront-elles célébrées dès demain, et les noces dans la huitaine !

Et c’est ainsi que le berger eut la fille du roi pour une seule parole.

Ce petit conte suffira, avec Jean de Ploubezre, de mon troisième rapport, pour donner une idée des récits facétieux de nos paysans et faire apprécier la qualité du sel dont ils les assaisonnent ordinairement.

Le même conte se retrouve, sans différences bien sensibles, dans le recueil de M. Auguste Schleicher : Contes, proverbes, énigmes et chants de la Lithuanie.

Du reste, pour qu’on puisse juger de la ressemblance qui existe entre le conte breton et le conte lithuanien, je reproduis ici ce dernier :


Il y avait une fois un paysan et un seigneur qui firent un pari à qui mentirait le mieux, et ils mirent chacun pour enjeu cent écus. Le seigneur dit au paysan :

— Paysan, commence de mentir ! Le paysan dit :

— Les seigneurs commencent toujours ; pour mentir ils doivent donner aussi l’exemple.

Alors le seigneur commença de mentir, et il dit :

— Mon père avait un bœuf qui avait de si grandes cornes, que la cigogne aurait dû voler une année entière avant d’arriver de l’extrémité d’une corne à l’extrémité de l’autre.

Le paysan dit :

— Cela se peut. Le seigneur dit :

— Paysan, mens à ton tour.

Alors le paysan commença de mentir.

— Mon père sema des haricots, qui poussèrent jusque dans les nuages. Un paysan monta sur une des tiges. On la coupa, et il ne pouvait plus descendre. Il trouva pourtant là haut un tas de paille et des coquilles d’œufs, et il s’en fit une corde ; mais la corde était trop courte. Il coupa toujours en haut pour rajouter en bas, et il descendit ainsi jusque sur l’église. Par hasard il tomba sur une grosse pierre, et ses jambes y entrèrent jusqu’aux genoux. Alors il laissa là ses pieds et courut chercher une hache pour briser la pierre et les ravoir. Mais, quand il revint, il trouva un chien qui les mangeait, et, comme il le frappa avec sa hache, le chien laissa tomber un billet.

Le seigneur demanda :

— Et qu’y avait-il donc d’écrit  ? Le paysan dit :

— Sur le billet il y avait que ton père avait, chez les miens, gardé les porcs.

— Ça n’est pas vrai, dit le seigneur, tu mens !

— Si tu dis que je mens, répondit le paysan, alors j’ai gagné, je sais mieux mentir que toi.

Et sur ce le paysan prit les deux cents écus.


Il n’est pas possible de nier que ce ne soit la même fable chez les Bretons et les Lithuaniens, et que, très-probablement, elle n’ait une source commune en Orient. Comment expliquer autrement de pareilles coïncidences chez deux peuples si éloignés et si étrangers l’un à l’autre ?