Clélie, histoire romaine/Partie 1/Livre I/04

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Augustin Courbé Voir et modifier les données sur Wikidata (Tome Ip. 259-335).

CLELIVS
A ARONCE



DIverses raiſons importantes me font partir de Carthage, & me raprocher de Rome : ie ne ſçay encore ſi ie choiſiray Siracuſe ou Capouë pour mon Aſile : mais ie ſçay bien qu’en quelque lieu du Monde que ie ſois, ie ſeray touſiours tout preſt à vous receuoir comme ſi vous eſtiez mon Fils, en cas que les changemens de la Cour où vous eſtes, vous obligent à en partir. Ainſi pourueû que les Dieux m’empeſchent de faire vn ſecond naufrage ſur la meſme Mer où ils vous mirent entre mes bras, vous pouuez vous aſſurer que vous aurez vne Maiſon en tous les lieux où i’en auray vne pour moy meſme. Ie ne vous dis rien de Sulpicie, d’Horace, ny de Clelie, car ils ne ſçauent par que ie vous eſcris.

Apres qu’Aronce eut leû cette Lettre, il me la donna à lire : & me dit en ſuite des choſes ſi touchantes que i’exciterois encore de la compaſſion dans voſtre cœur, ſi ie vous les rediſois. Vn moment apres Amilcar eſtant venu dans ſa Chambre, nous aprit la priſon du Prince de Numidie, la fureur de Maharbal, & nous confirma la fuite de Clelius, de Sulpicie, d’Horace, & de Clelie. Il nous dit meſme le deſſein que Maharbal auoit eu de faire arreſter Clelius : & il nous aprit encore qu’ils auoient emporté tout ce qu’ils auoient de plus precieux : & que la choſe auoit eſté conduite ſi adroitement, qu’on n’en auoit rien ſoubçonné. Mais comme Maharbal s’eſt ſerui du nom du Prince de Carthage, adiouſta-t’il obligeamment, pour perſecuter Clelius, quoy qu’il y ait grande apparence qu’il agit plus en Amant irrité, qu’en bon Citoyen ; ie viens vous aſſurer de la part de ce Prince, qu’il veut vous recompenſer de toutes les peines que ſouffre Clelius, & qu’il n’eſt rien enfin que vous ne deuiez attendre de luy. En mon particulier, pourſuiuit-il, ie vous offre tout ce qui eſt en ma puiſſance : & ie penſe vous pouuoir aſſurer, qu’il ne tiendra qu’à vous que vous ne ſoyez heureux. Amilcar adiouſta en ſuite beaucoup de choſes obligeantes, où ie pouuois prendre part : & où Aronce & moy reſpondiſmes auec toute la ciuilité, & toute la recónoiſſance, que nous deuions auoir pour des offres ſi genereuſes. Mais quoy qu’Aronce ſe contraigniſt eſtrangement, il luy fut impoſſible d’empeſcher qu’Amilcar ne viſt qu’il auoit vn chagrin extréme. Neantmoins il ne s’en eſtonna pas d’abord : car comme il ſçauoit qu’Aronce aimoit autant Clelius que s’il euſt eſté ſon Pere, il s’imagina que c’eſtoit vne douleur que la ſeule tendreſſe qu’il auoit pour luy cauſoit. Mais comme il vit que de iour en iour il deuenoit plus melancolique, il ſoubçonna quelque choſe de la veritable cauſe de ſa triſteſſe : & me tirant à part, il me pria de luy dire ingenûment s’il n’eſtoit pas vray qu’Aronce eſtoit amoureux de Clelie ? De ſorte que ne iugeant pas qu’il fuſt deſauantageux à mon Amy d’auoüer cette verité à Amilcar, ie luy dis que ie croyois qu’il ne ſe trompoit pas : & que ie craignois extrémement que la douleur qu’il auoit de ſon abſence ne le fiſt mourir. Comme Amilcar aime cherement Aronce, il fit alors tout ce qu’il pût pour le diuertir, luy qui eſt le plus diuertiſſant de tous les hommes : mais le chagrin de cét Amant eſtoit trop fort pour pouuoir eſtre ſurmonté : & ie puis aſſurer ſans menſonge, que depuis qu’il ſçeut le départ de Clelie, il ne ſe paſſa pas vn moment que ſa douleur n’augmentaſt. Ce qui la rendoit plus forte, eſtoit qu’il connoiſſoit bien que la raiſon vouloit qu’il combatiſt ſa paſſion, & qu’il demeuraſt aupres du Prince de Carthage ; où il trouuoit preſques tout ce qu’il euſt pû ſouhaiter en l’eſtat où eſtoit alors ſa fortune : car ce Prince l’eſtimoit fort, il pouuoit eſperer vn eſtabliſſement tres conſiderable aupres de luy ; Amilcar l’aimoit cherement ; cette Cour eſtoit tres galante, & tres agreable : & veû la diſpoſition des choſes, le Prince de Carthage deuoit bientoſt faire eſclater vn grand deſſein dont l’heureux ſuccés deuoit le mettre en pouuoir de combler d’honneur & de biens, tous ceux qui ſeroient alors attachez à ſa fortune. Auſſi Aronce me diſoit-il vn iour (en exagerant ſon malheur) qu’il eſtoit le plus infortuné de tous les hommes : car enfin mon cher Celere (me dit-il, apres m’auoir aduoüé qu’il eſtoit reſolu d’abandonner l’Afrique, & d’aller retrouuer Clelie) ie ne croy pas qu’il y ait iamais eu vn homme plus miſerable que moy : & qui conſiderera bien le pitoyable eſtat où ie me trouue, trouuera ſans doute que depuis que l’amour fait des malheureux, il n’y a iamais eu d’Amant qui ait eu ſi peu de raiſon d’eſperer d’eſtre aimé, ny de continuer d’aimer. Premierement Clelie ne ſçait point que ie l’aime, pourſuiuit-il, & ie ne dois point le luy faire ſçauoir, tant que ie ne ſçauray pas qui ie ſuis. De plus, Clelius ſemblant eſtre reſolu de ne vouloir iamais donner ſa Fille qu’à vn Romain, c’eſt eſtre aſſuré que ie n’y dois iamais pretendre, puis que ſelon toutes les apparences ie ne ſuis pas nay d’vn Romain : ou il faudroit que ce fuſt de quelque malheureux Romain ſans vertu, & ſans condition : car s’il y auoit quelque homme de qualité exilé qui euſt fait naufrage, & qui euſt perdu vn Fils dans la Mer, Horace l’auroit raconté à Clelius : luy qui luy a dit tout ce qui eſt arriué de funeſte à Rome depuis ſon départ : ſoit ce qu’il a veû de ſes propres yeux, ou ce qu’il a entendu dire à d’autres. Ainſi quoy que ie ne ſçache d’où ie ſuis, il ſemble pourtant que ie ſçay auec certitude, que ie ne ſuis point de Rome : & que par conſequent ie ne puis iamais rien pretendre à Clelie. Vous eſtes ſi ingenieux à vous perſecuter, luy dis-ie, que ſi vous l’eſtiez autant à chercher du ſoulagement au mal qui vous tourmente, vous en viendriez à bout. Ha Celere, s’eſcria-t’il, ſi vous ſçauiez la nature du mal dont vous parlez, vous verriez bien qu’il eſt ſans remede ! car ſi ie demeure icy, ie mourray le plus deſeſperé de tous les hommes : & ſi ie vay retrouuer Clelie, comme i’iray infailliblement, ie feray ſans doute la choſe du monde la moins raiſonnable : puis que ie connois bien que ie ne dois iamais luy dire que ie l’aime, ſi ie ne veux eſtre ingrat enuers Clelius, à qui ie dois toutes choſes. Ainſi ie quitteray vne grande eſperance de fortune, & ie feray vn long voyage, pour aller voir vne Perſonne que i’adore, auec l’intention de ne le luy dire iamais : & auec vne enuie eſtrange de le luy dire mille fois le iour ſi ie le pouuois. Iugez apres cela Celere, ſi ie ſuis en vn eſtat heureux : cependant ie veux partir, & ie partiray : car l’amour que i’ay dans l’ame me perſuade qu’il n’eſt point de malheur qui eſgalle l’abſence, lors que l’abſence n’eſt point aſſez forte pour faire mourir l’amour. Ie me trouue pourtant bien embarraſſé, lors que ie penſe que Clelius me demandera ce qui m’a obligé de retourner ſi bruſquement aupres de luy ? car luy diray-ie vn menſonge, en luy diſant qu’on m’a exilé, & que ie me ſuis rendu indigne des ſoins qu’il a eu de moy ? luy diray-ie que l’amitié que i’ay pour luy, n’a pû ſouffrir que i’en fuſſe ſeparé ? & ne dois-ie point craindre qu’il ne deuine la cauſe de mon retour, qu’il ne m’en haïſſe, & qu’il ne me force à m’eſloigner pour touſiours de la Perſonne que i’aime ? Mais apres tout, il en arriuera ce qu’il plaira aux Dieux : car ie vous declare que ie ne puis faire autrement. Et en effet Madame, Aronce ſe confiant en l’amitié d’Amilcar, luy dit ce que ie luy auois aduoüé : & luy fit vne ſi grande pitié, qu’il luy fit commander par le Prince de Carthage, d’aller retrouuer Clelius. Mais pour pretexter ſon retour, Amilcar fit que ce Prince chargea Aronce de negocier quelque choſe à Siracuſe, pour taſcher de détacher la Sicile des intereſts de Carthage : & Amilcar pour acheuer la generoſité, luy fit faire des preſens ſi magnifiques, qu’il le mit en eſtat de ſe pouuoir paſſer de l’aſſiſtance de Clelius, quand il ſeroit retourné aupres de luy. De ſorte Madame, que nous ayant fait équiper vn Vaiſſeau de Guerre, nous partiſmes d’Vtique, & nous priſmes la route de Siracuſe : auec intention, ſi nous n’y trouuions pas Clelius, que nous irions apres aborder proche de l’embouchure du Fleuue Vulturne, pour aller en ſuite par terre à Capouë, qui n’eſt qu’à douze mille de la Mer. Ie ne vous diray point madame, quelle fut la peine d’Aronce, lors qu’il falut quiter le Prince de Carthage, & ſe ſeparer d’Amilcar : car ie ne pourrois vous exprimer tout ce que la tendreſſe de l’amitié, & la violence de l’amour, luy firent ſentir en cette rencontre. Ce qu’il y a de vray, eſt que dés qu’il fut aſſuré de partir, il commença de craindre d’eſtre encore plus malheureux quand il ſeroit aupres de Clelie, qu’il ne l’eſtoit eſloigné d’elle. Il changea pourtant de ſentimens, quand nous fuſmes embarquez : car comme le vent eſtoit tres fauorable, il eut vne ioye que ie ne vous puis exprimer, dans la penſée qu’à chaque moment il s’aprochoit de Clelie. Il eſt vray que ce vent fauorable ne nous dura pas long temps : en effet le lendemain au ſoir, nous viſmes de loin vne legere Nuë s’eſleuer de la Mer : qui ſans nous effrayer attacha ſeulement nos regards. Mais nous fuſmes bien eſtonnez de voir que le Pilote qui nous conduiſoit s’en eſpouuenta : & commença de donner diuers ordres à tous les Mariniers de noſtre Vaiſſeau, afin qu’ils ſe preparaſſent à vne gráde Tempeſte. D’abord nous creuſmes qu’il s’abuſoit : & nous ne compriſmes pas qu’vne choſe qui n’auoit rien d’effroyable à voir, pûſt eſtre vn ſigne aſſuré de la plus eſpouuentable Tempeſte qui fut iamais. Cependant à peine auions nous eu loiſir de penſer que la peur du Pilote eſtoit mal fondée, que nous viſmes qu’inſenſiblement la Mer ſe couuroit de gros boüillons d’Eſcume, qui faiſoient le meſme effet ſur cette grande & vaſte eſtenduë de Mer, que font des Troupeaux eſpars dans de grandes & vaſtes Plaines. Vn moment apres nous entendiſmes vn mugiſſement qui ne laiſſoit pas d’auoir quelque choſe de terrible, quoy qu’il ſemblaſt venir de fort loin : mais apres cela nous entendiſmes vn coup de Tonnerre à noſtre gauche ; qui par vn eſclat ſurprenant, nous fut pourtant d’vn heureux preſage, car cóme vous le ſçauez Madame, les Etruriens qui ſont les plus ſçauans Peuples du Monde en matiere de diuinations, nous ont apris que lors que la Foudre va de la gauche à la droite, c’eſt vn heureux preſage : & qu’au contraire quand elle va de la droite à la gauche, c’eſt vn mauuais ſigne. Cependant quoy qu’Aronce & moy connuſſions que ce ſigne n’eſtoit pas malheureux, nous ne voiyons pas grande apparence de bonheur : car il ſembla que ce coup de Tonnerre euſt eſté vn ſignal pour faire que tous les vents ſe deſchainaſſent à la fois : que la Mer s’eſmeûſt horriblement & que toutes les vagues s’entrechoquaſſent ſi rudement, qu’elles nous fiſſent perir. En effet Madame, ie ne puis vous dire en quelle extremité nous nous trouuaſmes, lors que la nuit tombant tout d’vn coup, nous nous viſmes expoſez à la fureur des Ondes, & des vents, tant qu’elle dura. Tantoſt noſtre Vaiſſeau eſtoit porté iuſques aux Nuës ; vn moment apres il ſembloit aller eſtre enfoncé dans vn Abiſme ; & vn moment en ſuite la Tempeſte redoublant, le faiſoit tournoyer malgré l’Art du Pilote, & nous mettoit de moment en moment en eſtat de faire naufrage. Auſſi tous les Mariniers auoient-ils abandonné toutes choſes : & le Pilote luy meſme apuyé ſur ſon Timon, inuoquoit Neptune à haute voix, comme n’attendant plus de ſecours que de luy ſeulement. Pour Aronce i’aduouë que ſa fermeté m’en donna : car apres s’eſtre remis ſous la conduite des Dieux, il eut autant de tranquilité dans l’ame que s’il n’euſt pas eſté en peril : & pour vous donner vne marque ſenſible de ſa conſtance, ie n’ay qu’à vous dire qu’au milieu de cette effroyable Tempeſte, il me parla de Clelie : & me dit que s’il mouroit, comme il y auoit beaucoup d’apparence, il mourroit auec la douleur de n’auoir pas fait ſçauoir à cette belle Perſonne, l’amour qu’il auoit pour elle. Mais enfin Madame, comme la Tempeſte auoit commencé au coucher du Soleil, elle commença de s’apaiſer à la pointe du iour : & ce bel Aſtre ramenant le calme auec la lumiere, nous viſmes peu à peu les vagues s’abaiſſer : mais nous viſmes en meſme temps que nous eſtions ſi proches d’vn grand Vaiſſeau, que nous pouuions diſcerner que c’eſtoit vn Vaiſſeau de Guerre. Noſtre Pilote, qui ſembloit n’eſtre deſtiné durant ce voyage qu’à nous annoncer de mauuaiſes nouuelles, nous dit que la Tempeſte eſtoit paſſée : mais que nous n’en eſtions pas moins en peril : parce que le Vaiſſeau que nous voiyons eſtoit celuy d’vn cruel Corſaire, qui ne faiſoit autre choſe que troubler le commerce de Sicile à Carthage, par les priſes continuelles qu’il faiſoit. A ces mots, Aronce prenant la parole pour luy reſpondre ; comme c’eſt à vous à commander pendant la Tempeſte, luy dit-il, c’eſt à vous à obéïr pendant vn Combat ; c’eſt pourquoy faites que nous abordions ce Vaiſſeau : car comme il a eſté batu de l’Orage auſſi bien que nous, nous combatrons auec auantage eſgal : & nous combatrons peut-eſtre mieux que des Corſaires. D’abord le Pilote fit difficulté d’obeïr, & voulut du moins raiſonner ſur la choſe : mais Aronce luy ayant commandé abſolument de ſuiure ſes ordres, & de taſcher de gagner le vent, afin d’eſtre les attaquans, il obeït par crainte & fit en effet ſi bien que nous miſmes le Corſaire au deſſous du vent. Il eſt vray que comme il eſtoit accouſtumé de vaincre, & que noſtre Vaiſſeau eſtoit plus petit que le ſien, il ne s’opiniaſtra pas à nous diſputer cét auantage : & cherchant à nous aborder comme nous le cherchions, nous nous ioigniſmes, & nous viſmes en vn inſtant tout le Tillac ennemy rempli de ſoldats armez : qui par leur mine ſeulement, pouuoient inſpirer de la terreur à ceux qui les voyoient. Car comme c’eſtoient des Gens qui depuis longues années, eſtoient continuellement à la Guerre, & continuellement ſur la Mer, ils eſtoient plus baſannez, & plus noirs que des Africains, quoy qu’ils fuſſent de l’Iſle de Cyrne : & ils auoient vne fierté ſi ſauuage & ſi feroce ſur le viſage, qu’il eſtoit aiſé de comprendre qu’ils paſſoient toute leur vie dans le carnage & dans le ſang. En effet, ils auoient tout enſemble la ruſticité des Gens de Mer, & la cruauté des Soldats determinez dans les yeux : leurs Cheueux eſtoient longs, noirs, pendans, & negligez : Leurs Habits eſtoient bizarres, & differens, parce qu’ils eſtoient tels qu’ils les prenoient à ceux qu’ils vainquoient : mais pour leurs armes, elles eſtoient magnifiques : & il paroiſſoit ſi bien à leur contenance qu’ils eſtoient accouſtumez à combatre, & accouſtumez à vaincre, que ie creûs en effet que nous ſerions vaincus : car nous n’auions pas autant de Gens que nous en voiyons dans leur Vaiſſeau : & ils n’eſtoient pas ſans doute ſi aguerris. Aronce meſme ſongea plus alors à mourir auec honneur, qu’à la victoire, lors qu’il vit cette multitude d’Ennemis qui l’attendoient ſi reſolument. Le Capitaine de ces Corſaires, qui ſe mit à la Teſte des autres, lors que nos Vaiſſeaux ſe ioignirent, eſtoit deſia aſſez auancé en âge : il auoit pluſieurs bleſſures au viſage, qui le défiguroient : mais il eſtoit ſi magnifiquement armé, & il auoit la mine ſi fiere, que tout laid qu’il eſtoit, on ne laiſſoit pas de connoiſtre qu’il eſtoit le Maiſtre de ceux qui l’enuironnoient. Comme nous en eſtions donc là, Madame, & que nous eſtions preſts d’en venir aux mains, nous entendiſmes que ce cruel Corſaire commanda inſolemment à vn des ſiens, qu’on tinſt des Chaiſnes preſtes pour nous enchaiſner : adiouſtant que nous ne luy donnerions pas grand peine à vaincre. Mais dés qu’il eut prononcé ces paroles, Aronce qui s’en ſentit outragé, luy lança vn iauelot qu’il tenoit à la main : & ſautant dans le Vaiſſeau ennemy, où ie me iettay auſſi auec dix ou douze autres, nous commençaſmes le plus terrible combat qui ſe ſoit peut-eſtre iamais veû. Ie ne vous le particulariſeray pourtant pas exactement, parce que i’ay beaucoup d’autres choſes à vous dire : mais il faut toutesfois que vous ſçachiez, qu’Aronce y donna des marques d’vne ſi haute valeur, qu’on peut dire qu’il merita tout ſeul toute la gloire de cette grande action. D’abord il s’attacha à combatre le Capitaine des Corſaires : & s’eſtans ſaiſis à trauers le corps, ils eſtoient preſts de tomber tous deux dans la Mer, lors qu’on entendit vn grand bruit à l’autre bout du Vaiſſeau, qui ſuſpendant la fureur de ces fiers ennemis, fit qu’ils ſe retinrent ; qu’ils ſe quiterent ; & qu’ils tournerent la teſte vers le lieu d’où ce bruit venoit. Mais Aronce fut bien eſtonné, lors qu’il vit Clelius, & Horace, auec des reſtes de Chaiſnes aux bras, qui faiſoient ce qu’ils pouuoient pour arracher des armes à des Soldats qui vouloient les r’enchaiſner. Cét obiet ſurprenant, faiſant croire à Aronce que Clelie eſtoit Captiue de ce Corſaire, puis que Clelius & Horace l’eſtoient, redoubla ſon courage : mais ce qui l’augmenta encore, fut que ce fier Pirate, contre qui il combatoit, ne vit pas pluſtoſt que quelques-vns des ſiens s’opiniatroient à vouloir r’enchaiſner Horace & Clelius, qu’il leur commanda de les tuer, au lieu de s’amuſer à les vouloir remettre aux Fers : & en effet les cruels Miniſtres d’vn homme ſi cruel, ſe mirent en deuoir de luy obeïr ; & luy auroient obeï effectiuemét, ſi Aronce apres luy auoir dóné vn coup de reuers ſur la teſte, qui l’eſtourdit, n’euſt eſté droit à ceux qui alloient tuer, & Clelius, & Horace, s’il fuſt arriué vn moment plus tard. Mais comme il en tua d’abord vn, & qu’il en bleſſa deux autres, il eut l’auantage de rendre à Clelius ce qu’il luy deuoit, en luy ſauuant la vie : & il la ſauua meſme à ſon Riual, en penſant ſeulemét la ſauuer à ſon Amy. Cependant ce cruel Corſaire eſtant reuenu de ſon eſtourdiſſement, reuint à la charge ſuiuy des ſiens : mais comme Clelius & Horace auoient pris les Eſpées de ceux qu’Aronce auoit mis hors de combat, ils le ſeconderent, & ie le ſouſtins auſſi, pendant que le reſte des noſtres combatoit à l’autre bout du Vaiſſeau. Le Corſaire voyant alors que les choſes n’alloient pas auſſi bien pour luy qu’il l’auoit eſperé, commanda pour ramaſſer toutes ſes forces, qu’on iettaſt tous les Priſonniers, & toutes les Captiues dans la Mer : afin que ceux qui les gardoient vinſſent combattre. Si bien qu’Aronce ayant entendu ce terrible commandement, & Clelius luy ayant crié, que ce n’eſtoit pas aſſez de luy auoir ſauué la vie, s’il ne la ſauuoit auſſi à Sulpicie, & à Clelie ; Aronce fit des choſes que ie ne pourrois vous repreſenter : car il tua ou bleſſa, tout ce qu’il rencontra : & ce qui fit que ſon courage deuint fureur, fut qu’il entendit la voix de Clelie, qui taſchoit par ſes pleintes, d’attendrir le cœur de ces impitoyables Corſaires, qui vouloient effectiuement la ietter dans la Mer. Si bien que ſe précipitant alors au milieu de ceux qui eſtoient à l’entour du Capitaine de ces Pirates, il luy paſſa ſon Eſpée au trauers du corps & apres l’auoir veû tomber mort, il fut du coſté qu’il auoit entendu la voix de Clelie : & il arriua ſi heureuſement aupres d’elle, qu’il l’empeſcha d’eſtre iettée dans la Mer, en donnant la mort à celuy qui vouloit faire cette barbare action. Il eſt vray qu’Horace le ſuiuit de bien prés : mais apres tout, ce fut veritablement Aronce qui ſauua la vie à cette admirable Fille, & à ſa vertueuſe Mere. Auſſi en eſchange, Horace la ſauua à Aronce, en tuant vn homme qui alloit le tuer par derriere. Cependant comme la mort du Capitaine des Corſaires auoit abatu le cœur de tous les autres, & que la pluſpart des noſtres nous auoient enfin ſuiuis, & auoient combatu fort vaillamment ; ces Pirates ſe virent bientoſt contraints de rendre les Armes, & de receuoir les Chaiſnes qu’ils nous auoient voulu donner. De ſorte que par ce moyen, Aronce ſauua la vie à Clelius, à ſa Femme, à l’admirable Clelie, à Horace, & à beaucoup d’autres : & il ſe vit Maiſtre du plus riche butin, qu’on euſt iamais fait en la priſe d’vn ſeul Vaiſſeau : ſans auoir ſeulement eſté bleſſé, quoy qu’il ſe fuſt trouué en vn fort grand peril. Mais ce qui luy fut le plus doux de cette victoire, fut qu’il reçeut mille loüanges de Clelius, & mille remerciments de Clelie. Cependant apres auoir fait ietter les Morts dans la Mer ; enchaiſné tous les Vaincus ; commandé de faire penſer les bleſſez : & reſtably l’ordre dans ces deux Vaiſſeaux ; Aronce fit paſſer Clelius, Sulpicie, & ſon admirable Fille, dans le noſtre, & me laiſſa auec quelques Soldats dans celuy que nous auions pris. Pour moy ie voulois qu’Horace y demeuraſt auſſi : mais il agit ſi adroitement, qu’il ſuiuit l’obiet de la paſſion, ſans que nous ſoubçonnaſſions rien de ſon amour. Mais enfin Madame, nous ſçeuſmes apres tout à loiſir, que ce cruel Corſaire que nous auions rencontré, auoit pris le Vaiſſeau dans quoy Clelius & ſa Famille s’eſtoient embarquez à Carthage : & que lors que nous l’auions trouué, il auoit reſolu de prendre la route de Cumes, pour aller vendre Clelie au Tyran Alexideſme, qui regne encore : & qui comme vous le ſçauez Madame, eſt l’homme du monde dont les mœurs ſont les plus déreglées. Nous ſçeuſmes auſſi que ce Pirate apres auoir fait paſſer dans ſon Vaiſſeau tout ce qui eſtoit dans celuy de Clelius, en auoit traité auec ceux auec qui il auoit commerce, pour toutes les Priſes qu’il faiſoit : & ce qu’il y eut d’admirable, fut qu’on retrouua tout ce qui eſtoit à Clelius, iuſques au Berçeau dans quoy Aronce auoit eſté trouué dans la Mer par cét illuſtre Romain. Cependant lors que nous conſultaſmes ſur la route que nous deuions tenir, & que pour tenir ce Conſeil, nos Vaiſſeaux ſe ioignirent ; ie fis ſi bien que ie perſuaday à cette illuſtre Troupe de venir chercher vn Aſile à Capouë : où ie promis à Clelius, & aux autres, de leur donner pour Amis, tous ceux que i’y auois, & de leur rendre tous les ſeruices que ie pourrois. Neantmoins comme Aronce dit à Clelius, que ſon retour eſtoit cauſé par quelques ordres que le Prince de Carthage luy auoit donnez, pour aller negocier quelque choſe pour luy à Siracuſe, il fut reſolu que ce ſeroit là que nous irions aborder : & qu’apres nous ferions le traiet qu’il y a de Sicile à vn Port qui eſt aſſez prés de l’endroit où le Fleuue Vulturne ſe iette dans la Mer : car comme vous le ſçauez Madame, Capouë eſt à douze mille de ceux là. Et en effet la choſe s’executa ainſi : nous fuſmes quelques iours à Siracuſe, d’où nous renuoyaſmes le Vaiſſeau que le Prince de Carthage nous auoit baillé : Aronce feignant de luy rendre conte de ſa negociation, quoy qu’il ne luy eſcriuiſt que pour le remercier, non plus qu’à Amilcar. Mais Madame, ce qu’il y eut de beau à Aronce, fut qu’il ne voulut point s’attribuer ce riche butin qu’il auoit fait : & qu’il voulut ſe contenter des bien-faits du Prince de Carthage. Clelius de ſon coſté, diſoit qu’il n’y auoit aucune part : Horace diſoit la meſme choſe : & ie ſoutenois comme les autres, qu’Aronce ſeul auoit droit de diſpoſer de cette prodigieuſe richeſſe. De ſorte qu’apres vne aſſez longue conteſtation, où nous luy declaraſmes tous, qu’effectiuement elle luy apartenoit ; puis que cela eſt, nous dit-il, ie donne tout le droit que i’y ay à …… il vouloit dire à Clelie : mais craignant de deſcouurir trop ſon amour, apres auoir refuſé vn moment, au lieu de dire à Clelie, il dit à Clelius. Et en effet il falut malgré qu’il en euſt, que ce fuſt luy qui diſpoſaſt de cette precieuſe Priſe. Il eſt vray qu’il en diſpoſa d’vne maniere digne de ſa generoſité : car il en donna vne grande partie à Horace, pour pouuoir ſubſiſter pendant ſon exil : il me contraignit auſſi d’accepter ma part de ce butin : il en donna vne partie à de pauures Romains exilez par Tarquin, qui s’eſtoient retirez à Siracuſe : & il fit vne Offrande du reſte à ce fameux Temple qui eſt baſty ſur le ſommet de la celebre Montagne d’Erice. Mais enfin Madame, ſans m’arreſter à vous dire cent choſes peu neceſſaires, ie vous diray en deux mots, que nous paſſaſmes de Sicile en Campanie ; que nous fuſmes à Capouë & que nous y fuſmes reçeus tres fauorablement : car il ſe trouua que le premier Magiſtrat de noſtre Ville, que nous apellons Mediaduſtique, eſtoit mon Oncle. De ſorte que par ſon moyen, ie fus aſſez heureux pour trouuer l’occaſion de rendre quelques ſeruices aux Perſonnes du monde que ie ſouhaitois le plus de ſeruir : ſi bien qu’en peu de iours, Clelius, Aronce, & Horace, ne furent plus traitez en Eſtrangers dans noſtre ville. Sulpicie, & ſon admirable Fille, trouuerent auſſi parmy nos Dames tant de douceur, & tant de ciuilité, que la premiere fut contrainte de relaſcher quelque choſe de la ſeuerité Romaine : & de ſouffrir que Clelie s’accommodaſt aux couſtumes du lieu où elle eſtoit, & à l’honneſte liberté de noſtre forme de vie. Il eſt vray Madame, qu’il n’eſt pas trop difficile de s’y accouſtumer : car il eſt certain que ce n’eſt pas ſans raiſon, qu’on apelle noſtre Ville la delicieuſe Capouë. En effet on diroit que comme la Nature a mis en noſtre Païs, tout ce qui peut rendre la vie agreable, elle a auſſi voulu inſpirer à ceux qui l’habitent, des inclinations qui les portent au plaiſir, & à la ioye, afin de leur faire iouïr, de tous les biés qu’elle leur a faits : car on diroit qu’on n’a rien à faire en ce lieu là qu’à ſe diuertir, & que le ſoin qu’on a d’entretenir la tranquilité publique, n’a point d’autre motif que celuy d’empeſcher que les plaiſirs publics & particuliers ne ſoient troublez : ainſi tout le monde penſant à ſe diuertir, on peut dire que tout le monde ſe diuertit. Les Dames y ſont belles, galantes, & magnifiques : les hommes y ſont ingenieux en plaiſirs, & en Feſtes, & extrémement liberaux : & l’on y meine enfin vne vie ſi douce, ſi tranquile, & ſi agreable, qu’il n’eſt point de Gens ſi ennemis de la ſocieté, qui n’ayent peine à en partir : & point d’Eſtrangers qui ne s’y accouſtument facilement. Mais quelque agreable que ſoit noſtre Ville, & quoy que cette belle Troupe y reçeuſt toutes ſortes de ciuilitez, il n’y eut que Clelie qui y trouua quelque douceur, & quelque plaiſir : car Clelius aprenant que l’authorité de Tarquin eſtoit touſiours plus grande, que la haine qu’on auoit pour luy, n’empeſchoit pas qu’il ne regnaſt paiſiblement, en eut vne douleur tres ſenſible, Sulpicie qui auoit le meſme zele pour ſa Patrie, eut auſſi la meſme affliction : & Horace ioignant enſemble les ſentimens d’vn Romain exilé, auec ceux d’vn Amant qui n’oſe dire qu’il aime, ſe trouuoit tres malheureux. Aronce ſe le croyoit pourtant encore dauantage : & ne ſçauoit quelquesfois s’il deuoit s’eſtimer plus miſerable de ce qu’il ignoroit ſa naiſſance, que de ce que Clelie ignoroit ſa paſſion. Il trouuoit neantmoins quelque douceur auſſi bien qu’Horace, à penſer que Clelie n’eſtoit plus en lieu de deuoir craindre la violence de Maharbal : & ces deux Amis Riuaux, ne laiſſoient pas d’auoir d’aſſez douces heures en la conuerſation de Clelie. Ils veſcurent meſme encore à Capouë auec plus d’amitié qu’à Carthage, parce qu’Horace deuant la vie à Aronce, & qu’Aronce la deuant auſſi à Horace, la reconnoiſſance lia plus eſtroitement leur affection. Ils ne ſe diſoient pourtant rien de la paſſion qu’ils auoient dans l’ame : car comme i’eſtois deſia le Confident de celle d’Aronce, & qu’Horace n’eſtoit pas trop d’humeur à en auoir, ils ne ſe deſcouuroient pas leur amour, & ils ne la diſoient pas meſme à celle qui la faiſoit naiſtre. De ſorte que quoy qu’ils euſſent de tres agreables heures aupres d’elle, ils en auoient pourtant de tres fâcheuſes : car Horace ne penſoit pas qu’vn Exilé pûſt faire vne declaration d’amour de bóne grace : & Aróce ne pouuoit s’imaginer qu’vn Incónu, pûſt iamais eſtre fauorablemét traité. Pour Clelie, quoy que par vne inclination naturelle, & genereuſe, elle s’intereſſaſt pour ſa Patrie, neantmoins cóme elle n’auoit iamais veû Rome ; qu’elle eſtoit belle & ieune ; & que tous les plaiſirs la cherchoient ; elle ſe trouuoit aſſez heureuſe. Mais ce qui faiſoit alors principalement ſa felicité, eſtoit que regardant Aronce comme ſon Frere, & croyant qu’il n’auoit que de l’amitié pour elle, elle s’accouſtuma à viure aueque luy, auec vne confiance infiniment douce, & qui ne laiſſa pas d’affliger Aronce, toute obligeante qu’elle eſtoit : parce que plus il connoiſſoit les ſentiments de Clelie, plus il croyoit qu’il eſtoit dangereux de luy aprendre qu’il auoit de l’amour pour elle : ſi bien qu’excepté à moy, il aportoit vn ſoin extréme à cacher ſa paſſion. Cependant ces deux Amans cachez, ne laiſſoient pas d’eſtre tres aſſidus aupres de Clelie, chez qui tous les honneſtes Gens eſtoient tous les iours : & chez qui toutes les Belles de Capouë ſe trouuoient auſſi. Ce n’eſt pas que la beauté de Clelie, ne leur donnaſt des ſentimens de ialouſie & de deſpit : mais elle eſtoit tellement à la mode, & il y auoit touſiours tant de Gens chez Sulpicie, que celles qui vouloient voir, & eſtre veuë, ne pouuoient ſatiſfaire leur enuie ailleurs : car on ne trouuoit preſques perſonne dans toutes les autres Maiſons : ou ſi l’on y trouuoit Compagnie, elle n’eſtoit ordinairement ny grande, ny agreable. Aronce fit meſme vn iour vne aſſez plaiſante remarque : car vous ſçaurez Madame, que s’eſtant mis dans la fantaiſie de taſcher de ſe guerir, nous fuſmes pluſieurs iours à aller de Quartier, en Quartier ; de Ruë en Ruë, de Porte, en Porte & de Viſite, en Viſite ; afin d’eſſayer de deſtourner ſon eſprit de l’obiet qui l’occupoit tout entier. Mais en quelque lieu que nous allaſſions, nous entendions touſiours parler de Clelie : car en vne Maiſon nous trouuiós quelqu’vn qui nous demandoit ſi nous auions eſté chez elle ? & en vne autre ſi nous y voulions aller ? Vne de mes Parentes nous dit qu’elle en venoit : & vn de mes Amis dit à Aronce qu’il en eſtoit ſorti, parce qu’il y auoit trop de monde. En vn autre lieu : il y eut vn homme qui dit, qu’il ne faloit plus la nommer Clelie ; mais ſeulement la belle Romaine : chez vne Dame qui eſtoit fort brune, il y eut vn de ſes Galans, qui ne laiſſa pas de loüer hautement la beauté de Clelie, quoy qu’elle ſoit blonde : en vn autre endroit, nous trouuaſmes vne fille, qui voulant y trouuer quelque choſe à redire, dit qu’elle la trouuoit trop blanche : & ie puis enfin vous aſſurer, que durát quatre ou cinq iours, nous ne fuſmes en aucun lieu, où l’on ne nous parlaſt de Clelie : & nous fuſmes pourtant par tout où les honneſtes Gens pouuoient aller. Mais à la derniere Maiſon où nous fuſmes (le dernier iour qu’Aronce auoit deſtiné à ces viſites où nous ne ſçauions pas bien ce que nous cherchions) il ſe trouua vne Dame qui acheua de faire connoiſtre à cét Amant, que c’eſtoit en vain qu’il cherchoit vn lieu où l’on ne parlaſt point de Clelie afin de pouuoir en deſgager ſon eſprit : car il en entendit plus parler en ce lieu là, qu’il n’auoit fait en tous les autres. Mais Madame, auant que de vous raconter cette conuerſation, il faut pour l’entendre auec plaiſir, que vous ſçachiez quelle eſt cette Perſonne qui s’y trouua : auſſi bié ſuis-ie perſuadé que vous ne ſerez pas marrie que ie vous en face la Peinture : puis qu’il eſt certain que celle dont ie parle, qui s’apelle Arricidie, eſt vne Perſonne inimitable. En effet tout ce qu’elle a luy eſt ſi particulier, qu’on ne le vit iamais en nulle autre. Car enfin il faut dire pour ſa gloire, que ſans eſtre d’vne grande naiſſance, ſans auoir aucune beauté, & ſans eſtre ieune, elle eſt conſiderable à tout ce qu’il y a de Grands à Capouë : & qu’elle eſt de tous les plaiſirs, & de toutes les Feſtes publiques, & particulieres. Mais ce qui eſt le plus eſtrange : c’eſt qu’elle eſt continuellement en conuerſation, auec tous les ieunes Gens de qualité, & auec toutes les Belles. En effet ces meſmes hommes qui font vn ſi grand vacarme, quand ils trouuent qu’vne belle Femme a le nez vn peu trop grand, les yeux trop petits, le menton trop court, ou les lévres trop paſles ; & qui ne peuuent qu’à peine ſouffrir celles qui ont paſſé quatre Luſtres ; n’ont point les yeux choquez, de voir eternellement Arricidie, quoy qu’elle n’ait iamais eu aucune beauté, & quoy qu’elle ait plus de quinze Luſtres, pour conter comme les Romains, ou qu’elle puiſſe conter prés de vingt Olimpiades, pour parler comme les Grecs. Vous me demanderez ſans doute Madame, par quels charmes vne Perſonne à qui la Nature, a refuſé toutes les graces ordinaires de ſon ſexe ; à qui le Temps a oſté la ieuneſſe ; & à qui la Fortune n’a pas fait de grandes faueurs ; peut s’eſtre renduë ſi conſiderable, & s’eſtre tant fait aimer, & tant fait deſirer ? & ie vous reſpondray que c’eſt par vne grande bonté, & par vn grand eſprit naturel : qui eſtans ioints à vne longue experience du monde, & à vne agreable humeur, font que ſans ſe ſoucier de rien, elle diuertit tous ceux qui la pratiquent. Car comme elle eſt ſans ambitions ; qu’elle a le cœur noble, & grand ; qu’elle ne ſçait point flatter ; qu’elle n’eſt intereſſée de nulle maniere ; qu’elle voit clairement les choſes ; qu’elle les raconte plaiſamment ; & qu’elle ſçait tout ce qui ſe paſſe dans Capouë ; il n’y a perſonne qui ne la deſire : & dés qu’il arriue quelque auanture remarquable, il n’y a point de Gens qui ne ſouhaitent de la voir, pour ſçauoir ce qu’elle en penſe, ce qu’elle en dit, & ce qu’elle en ſçait. De ſorte que ſi elle pouuoit eſtre à tous les momens en vingt lieux differens, elle y ſeroit : auſſi eſt elle par tout ſans paroiſtre empreſſée, parce qu’elle n’eſt iamais qu’aux lieux où on la deſire. De plus, quoy qu’elle ait quelque choſe de fort particulier dans ſa phiſionomie, & de fort plaiſant dans ſes façons de parler, elle n’a pourtant aucune plaiſanterie de profeſſion : & ſi elle diuertit, c’eſt qu’elle ſe diuertit la premiere à penſer ce qu’elle penſe, & à dire ce qu’elle dit : & c’eſt enfin parce qu’elle a vne certaine ſincerité enioüée, qui fait qu’elle dit des choſes qui ſurprennent, & qui plaiſent. Ce qu’il y a de vray eſt qu’elle a vne vertu ſolide, quoy qu’elle ne ſoit pas ſauuage : en effet, elle dit des choſes ce qu’elle en penſe, mais elle ne contraint pourtant perſonne : elle voit les foibleſſes des autres, ſans y rien contribuer : & ſans eſtre iamais la Confidente de nulle amour, elle ſçait pourtant toutes les amours de la Ville. Elle blaſme les Coquettes ; elle ne flatte point les Galans ; elle dit agreablement ſon aduis de celles qui font les Belles quand elles ne le peuuent plus eſtre ; elle taſche de mettre la Paix dans les Familles ; elle eſt bien auec tous les Maris, & auec toutes les Meres & ſans faire iamais rien que ce qu’elle croit deuoir faire, elle plaiſt pourtant à des Gens qui ſont oppoſez en toutes choſes. Mais ce qu’elle a de meilleur, c’eſt qu’elle eſt bonne Amie, qu’elle eſt officieuſe, & franche, & que toute la grandeur de la Terre, ne luy feroit pas changer d’aduis quand elle croit auoir raiſon : & à la vouloir définir en peu de mots, on peut dire qu’Arricidie eſt la Morale viuante : mais vne Morale ſans chagrin, & qui croit que l’enioüement, & l’innocente raillerie, ne ſont pas inutiles à la vertu. Ce qu’il y a encore de remarquable, eſt que quoy qu’elle ſçache toutes les malices dont le monde eſt capable, elle eſt pourtant incapable d’en faire : & que quoy qu’elle ait infiniment de l’eſprit, elle ne peut trouuer inuention de nuire, quoy qu’elle en trouue mille quand il s’agit de ſeruir ſes Amis. Enfin Arricidie a trouué l’Art de ioüir de tous les diuertiſſemens de la ieuneſſe, ſans qu’on y trouue à redire : car bien qu’elle ne ſoit plus ieune, elle ſe trouue quelquesfois au Bal ; elle voit toutes les grandes Feſtes ; elle eſt des Promenades les plus galantes, & des Conuerſations les plus enioüées : & Arricidie eſt de telle maniere, qu’on peut dire hardiment qu’elle eſt vnique. Ie ſouſtiens meſme qu’il ne luy ſeroit pas auantageux d’eſtre belle : car ſi elle l’eſtoit, elle va en cent lieux où elle ne voudroit pas aller ; elle dit des choſes qu’elle ne diroit pas : & ſa phiſionomie qui tient plus de la hardieſſe de mon ſexe, que de la timidité du ſien, adiouſte encore de la force à ſes paroles, & donne de l’agréement à ſes diſcours. Auſſi comme ie l’ay deſia dit, elle eſt ſi ſouhaitée en tous lieux, qu’il faudroit que les iours fuſſent plus longs pour elle que pour les autres, ſi elle vouloit contenter tous ceux qui la deſirent. Arricidie eſtant donc telle que ie viens de vous la repreſenter, vint en vne Maiſon, où Aronce & moy entraſmes iuſtement comme elle parloit de Clelie à cinq ou ſix perſonnes qui s’y trouuerent, & qu’elle en parloit auec empreſſement. De ſorte que quand nous entraſmes, elle ne changea point de diſcours : au cótraire elle ne nous vit pas pluſtoſt, que ſçachant combien nous eſtions Amis de Clelie, elle nous adreſſa la parole, auec cette familiarité qui luy eſt ſi naturelle. Vous venez bien à propos, nous dit-elle, pour ſouſtenir le Party que ie ſoutiens, contre vn homme que vous voyez aupres de moy : qui dit que Clelie ſeroit encore plus belle qu’elle n’eſt, s’y elle faiſoit vn peu plus la Belle. Ha Arricidie (s’eſcria cét homme qui ſe nomme Genutius) dittes du moins à Aronce, & à Celere, ce que i’ay dit d’abord de la grand beauté de Clelie, deuant que de leur dire ce que i’y ay ſouhaité. Ie le diray auſſi, repliqua-t’elle, mais ie diray apres cela ce qu’il me ſemble de ce que vous dittes : car ie le trouue ſi deſraiſonnable, que ie ne le puis endurer. La beauté de Clelie eſt ſi eſclatante, & ſi parfaite, reprit Aronce, que ie ne comprens pas trop bien ce qu’on y peut deſirer. Ie penſe, adiouſtay-ie, que ſans chercher à le deuiner, il vaut mieux le demander à Arricidie : ie conſens volontiers qu’elle le die, repliqua Genutius, pourueû qu’elle ne cache pas les loüanges que i’ay données à Clelie. Pour vous contenter, reſpondit-elle, ie diray donc que vous tombez d’accord, que Clelie a tous les traits du viſage admirables ; qu’elle a le teint merueilleux ; les cheueux fort beaux ; la mine tres haute ; & que c’eſt enfin vne des plus grandes beautez du monde. Mais apres cela (pourſuiuit-elle en eſleuant la voix) ie diray que vous ne croyez pas qu’elle vous pûſt iamais donner de l’amour : parce qu’elle ne fait pas toutes les façons, ou pour mieux dire, toutes les grimaces, de celles qui font les belles : & qui ne font pas vne action où il n’y ait vne affectatió qui deſplaiſt eſtrangement. Mais afin que vous le puiſſiez excuſer (adiouſta-t’elle, en ſe tournant vers Aronce, & vers moy) i’ay à vous dire que ie l’ay autresfois veû amoureux d’vne de ces Dames qui compoſent tous leurs regards ; qui placent leurs mains auec Art ; qui tournent la teſte negligeamment : qui ont vne langueur artificielle ; ou vn enioüement emprunté ; qui aiuſtent meſme leurs lévres au Miroir quand elles s’habillent ; & qui cherchent à rire d’vne façon qui montre toutes leurs dents quand elles les ont belles. Ha Arricidie, s’eſcria Genutius, vous me traitez cruellement ! ie vous traite encore trop bien (repliqua-t’elle bruſquement) puis que ce ſont de telles Gens que vous, qui gaſtent vne partie de nos Belles. Car ſi toutes ces faiſeuſes de petites mines affectées, ne trouuoient point de Galans qui les loüaſſent, elles n’en feroient plus : puis qu’il eſt certain qu’elles n’en font que pour attirer des Amans : & nous ne verrions plus ce qui eſt ſi deſagreable à voir. En effet ie ne trouue rien qui oſte tant à la beauté que l’affectation, & que le trop grand ſoin de vouloir paroiſtre belle. Car enfin, adiouſta-t’elle, y a-t’il rien de plus vilain que de voir vne Femme qui a naturellement les yeux grands & aſſez ouuerts, qui les ferme touſiours à demy, afin de les auoir plus doux ? & y a-t’il rien de plus inſuportable, que de voir le ſoin qu’ont certaines Femmes de faire qu’elles ayent touſiours les lévres incarnates, & de voir le bizarre & extrauagant remede qu’elles y aportent ? y a-t’il rien de plus inſuportable, que de voir de ces Femmes qui ſe leuent vingt fois de leur place, ſans auoir rien à faire qu’à aller regarder dans vn Miroir, ſi elles n’ont rien oublié de toutes les grimaces qu’elles ont accouſtumé de faire ? & qui ont tellement la fantaiſie de ſe voir, que non ſeulement elles ſe regardent auec empreſſement, dans tous les Miroirs qu’elles trouuent, mais encore dans les Riuieres, & dans les Fontaines, aupres de qui elles ſe promenent, & meſme dans les yeux de ceux à qui elles parlent ? Mais ce qu’il y a encore de vray, c’eſt que lors qu’elles ne ſe peuuent voir, elles cherchent cent inuentions affectées de ſe faire dire qu’elles ſont ce qu’elles croyent eſtre, & ce qu’elles ne ſont bien ſouuent point. Car tantoſt elles diſent qu’elles n’ont point dormy, afin qu’on leur ſouſtienne qu’il n’y paroiſt pas : vne autre fois qu’elles ont mauuais viſage, afin qu’on leur die qu’elles ont le teint fort beau : en vne autre occaſion elles diſent qu’elles ſont mal coiffées, pour ſe faire dire qu’elles le ſont bien : & elles portent l’affectation iuſques aux plus petites choſes. Au reſte ces meſmes Perſonnes qui font tant de grimaces, & tant de façons, ſont ordinairement de ces Femmes qui ſe haſtent de prendre les nouuelles modes : & qui les prennent auec excés. En effet ſi on porte deux ou trois Rubans, elles en prennent cent : ſi on ſe coiffe vn peu long, elles laiſſent pendre leurs cheueux iuſques à la Ceinture : ſi on ſe coiffe vn peu plus court, elles montrent les oreilles : & elles font enfin tant de choſes deſagreables à ceux qui n’ont pas le gouſt dépraué, qu’on ne les peut endurer : & ce qu’il y a de rare eſt que ces Femmes qui paſſent toute leur vie à compoſer toutes leurs actions pour plaire, deſplaiſent horriblement à tous les honneſtes Gens, excepté à certains hommes qui ont des fantaiſies particulieres comme Genutius. Encore ne ſçay-ie, adiouſta-t’elle en riant, s’il eſt de l’humeur qu’il dit eſtre : & s’il ne trouue pas auſſi bien que moy, que Clelie eſt admirable : principalement parce qu’elle n’a nulle affectation, & qu’elle ne fait point la belle, quoy qu’elle ait la plus grande beauté du monde. Il eſt certain (adiouſta la Dame chez qui nous eſtions) qu’encore que Clelie ne face pas vne action qui ne plaiſe, on voit clairement qu’elle n’en fait aucune où elle penſe : & qu’elle s’eſt formé vne habitude ſi grande d’auoir bonne grace, qu’il ne luy eſt pas poſſible de l’auoir mauuaiſe. Ce qui me ſemble encore digne d’eſtre remarqué en Clelie, dit alors Aronce, c’eſt que bien qu’elle n’ait nulle affectation, & qu’elle ne face rien de tout ce que font ces Femmes qui font profeſſion d’eſtre belles, elle ne laiſſe pas d’auoir ie ne ſçay quelle noble audace, qui ſied bien à la beauté : & qui ne laiſſe pas lieu de douter qu’elle connoiſt quelle eſt la ſienne : mais elle l’a d’vne maniere qui fait voir qu’elle croit auoir encore quelque choſe de plus conſiderable ; & que ce n’eſt pas par là ſeulement qu’elle pretend eſtre digne d’eſtre eſtimée : ainſi ie ne ſçay pas trop bien comment Genutius peut trouuer qu’il manque quelque choſe à cette merueilleuſe Perſonne. Il eſt quelquesfois ſi agreable de faire diſputer Arricidie, repliqua-t’il, que vous ne deuez pas trouuer eſtrange ſi ie l’ay contredite en quelque choſe : ce n’eſt pas, adiouſta-t’il, que ie ne ſois contraint d’aduoüer, que ie ne ſuis pas tout à fait ennemy de certaines petites affectations qui donnent vn air galant à quelques Femmes. I’en connois meſme, que qui leur oſteroit certains petits ajuſtemens particuliers qu’elles ont, & qui les empeſcheroit de faire toutes ces petites choſes qu’on ne ſçait comment nommer, quand on ne veut pas les nommer des mines, & des grimaces, ne leur laiſſeroit rien qui pûſt amuſer les yeux : & au contraire il eſt certaines Beautez ſi ſimples, qu’elles ne me ſçauroient plaire. Car à parler ſincerement, ie veux qu’vne Femmes ſe ſoit dit à elle meſme qu’elle eſt belle, deuant que ie le luy die : parce que ie ſuis perſuadé, qu’elle ne me croira point ſi elle ne ſe dit que ie ne ments pas : & pour dire tout ce que ie penſe ; vne Femme ſelon moy n’eſt point tout à fait aimable, ſi elle ne s’aime, & ſi elle ne ſouhaite d’eſtre aimée. Enfin, dit Arricidie à demy en colere, à parler veritablement, vous aimez les Coquettes plus que les autres, parce qu’il eſt plus aiſé d’en eſtre fauoriſé : & que de l’humeur dont vous eſtes, vous n’eſtes pas propre à faire des Conqueſtes difficiles : mais pour en reuenir à Clelie, ie ſouſtiens qu’elle est encore plus aimable que belle, quoy qu’elle ſoit la plus belle Fille que ie vy iamais. Tant qu’Arricidie parla, Aronce la regarda auſſi attentiuement que ſi elle euſt eu toute la beauté, & toute la ieuneſſe de Clelie : car il prenoit vn ſi grand plaiſir à entendre loüer ce qu’il aimoit, que ſes yeux meſme prenoient part à la ioye de ſon eſprit. Il y auoit pourtant des inſtans où il auoit quelque ſecret deſpit, de voir qu’il ne trouuoit nul ſuiet d’oſter vne partie de ſon cœur à cette belle Perſonne : car dans le deſſein qu’il auoit de le luy arracher tout entier d’entre les mains, s’il le pouuoit, il y auoit ſans doute quelques inſtans où les propres loüanges de Clelie le fâchoient. Mais ces inſtans paſſoient bien viſte : & malgré luy il eſtoit fort aiſe de l’entendre loüer, & il la loüoit luy meſme plus qu’il n’en auoit le deſſein. Cependant apres auoir eſſayé durant cinq ou ſix iours, d’aller en quelque lieu où l’on ne parlaſt point de Clelie, ſans l’auoir pû trouuer ; Aronce me propoſa au ſortir de chez cette Dame où nous auions veû Arricidie, d’aller faire vne Promenade ſolitaire en vn lieu qui eſt fort agreable. Car Madame, il faut que vous ſçachiez qu’il y a aupres de Capoüe vne grande Prairie, qui eſt vne des plus belles Promenades du monde : ce qui la rend principalement ſi belle, c’eſt qu’elle a diuers petits Ruiſſeaux qui l’arroſent, & qu’elle eſt bordée de deux Faces par quatre rangs d’Arbres qui ſont le plus bel ombrage que ie vy iamais. De ſorte que comme il n’y a pas loing de Capouë à ce lieu là, nous pouuions y aller commodément au ſortir de noſtre viſite : & nous y fuſmes en effet auec intention de n’entendre plus parler de Clelie. Mais Madame admirez ce que fait la cas fortuit en certaines occaſions : & pour eſtre ſurpriſe, de ce qui nous ſurprit tant Aronce & moy, ſouffrez que ie vous die que dés que nous fuſmes au bord de cette Prairie, Aronce prenant la parole, & faiſant vn grand ſoûpir, ſe tourna de mon coſté, & me regardant attentiuement ; enfin, me dit-il, me voicy en lieu où ie n’entendray plus prononcer le nom de Clelie, ſi vous ne le prononcez, ou ſi ie ne le prononce moy meſme. Vous parlez de cela, luy dis-ie, comme ſi vous eſtiez fâché d’entendre nommer cette merueilleuſe Fille, & de vous en ſouuenir : cependant ie ſuis aſſuré que cela n’eſt pas. Helas, reprit-il, comment voulez vous que ie ne veüille pas que Clelie ſorte de ma memoire, puis que ie dois ſouhaiter qu’elle ſorte de mon cœur ? mais enfin Celere, me dit-il encore, n’en parlons plus : aidez moy à me guerir ſi vous pouuez : & pour détacher mon eſprit d’vn ſi aimable obiet, parlez moy de toute autre choſe : & entretenons nous auiour’huy comme ſi nous ne nous connoiſſions point. Puis que vous le voulez, luy dis-ie, il faut donc que ie vous parle de la beauté de cette Prairie, qui eſt tout à fait propre à reſver : il eſt vray, dit-il, qu’il ne fut iamais vn plus beau lieu, ny plus commode à s’entretenir ſoy meſme : mais puis que ie ne veux pas penſer à Clelie, il ne faut pas que ie m’entretienne, car ie ne m’entretiendrois que d’elle. Apres cela Madame, Aronce ſe teut, & ie me teus auſſi bien que luy : de ſorte qu’oubliant inſenſiblement tous deux que nous eſtions enſemble, nous fiſmes comme ſi nous euſſions eſté ſeuls ; c’eſt à dire que nous reſvaſmes chacun de noſtre coſté tres profondément. Nous nous ſeparaſmes meſme de quelques pas : & ſi i’oſe vous parler d’vne amour que i’auois dans l’ame, en vous parlant de celle d’Aronce, ie vous aduoüeray que la meſme paſſion qui faiſoit ſa reſverie, faiſoit alors la mienne : & que comme il n’auoit l’eſprit rempli que de Clelie, ie ne l’auois occupé que de la plus belle Perſonne de Capoüe, qui ſe nomme Fenice. Mais apres auoir fait deux ou trois cens pas ſans rien dire, & ſans nous regarder, nous entendiſmes à noſtre droite quelqu’vn qui chantoit aupres des ruines d’vn Chaſteau, qui ſont vn peu au delà de cette Prairie, où il y a vn Echo admirable. Si bien que reuenant tous deux à nous meſmes, nous nous aprochaſmes, & nous diſmes en meſme temps qu’il falloit aller voir qui eſtoient ceux qui eſtoient à l’Echo. Cependant apres que celuy qui auoit chanté auoit eu finy vn Couplet, il s’eſtoit teû pour donner loiſir à l’Echo de luy reſpondre : & nous entendiſmes en ſuite diuerſes voix d’hommes & de femmes qui parloient. Neantmoins comme nous eſtions encore loin d’eux, nous n’oyons qu’vn bruit confus, qui ne nous permettoit pas de diſcerner, ny ce qu’on chantoit, ny par conſequent ce que l’Echo reſpondoit. Mais Madame, ce qu’il y eut de rare, fut que dés que nous fuſmes aſſez prés pour entendre mieux, nous entendiſmes que c’eſtoit Horace qui chantoit : & qui ayant fait ſur le champ deux Couplets de Chanſon pour loüer Clelie, qui eſtoit parmy cette Troupe de Dames qui l’eſcoutoient, diſoit iuſtement le dernier, quand nous puſmes diſcerner ce qu’il chantoit. Si bien qu’Aronce & moy ouïſmes tres diſtinctement ces ſix Vers que ie m’en vay vous dire, qui mettoient Clelie au deſſus de toutes les Belles de Capouë, en la faiſant loüer par la plus Belle de toutes, & par la moins accouſtumée à loüer la beauté des autres : ils eſtoient tels.


Comme les Belles des Carthage,
Les noſtres luy rendent hommage,
Tout cede à l’eſclat de ſes yeux,
Qui la font regner en tous lieux :
Et Fenice meſme publie,
Qu’il n’eſt rien ſi beau que Clelie.


De ſorte que le malheureux Aronce qui eſtoit ſorty de Capouë pour n’entendre plus nommer Clelie, ſe trouua eſtrangement ſurpris : car apres qu’Horace eut dit,


Et Fenice meſme publie,
Qu’il n’eſt rien ſi beau que Clelie.


L’Echo repeta le nom de cette belle Fille iuſques à ſix fois : ſi bien que me regardant d’vne maniere où il y auoit quelque eſtonnement, & quelque chagrin tout enſemble ; à ce que ie voy, me dit-il, il faut donc ſortir du Monde, ſi ie ne veux plus entendre nommer Clelie : car puis que les Echos en parlent aux Arbres, & aux Prairies, ie croy que i’en trouueray par tout, qui ne me parleront que d’elle. Puis que cela eſt, luy dis-ie en riant, ie penſe que vous feriez mieux de luy parler à elle meſme, que de ne faire qu’en entendre parler aux autres. Comme ie diſois cela, nous nous trouuaſmes en effet ſi prés de cette belle Troupe, qu’Aronce ne fut plus en pouvoir de deliberer s’il s’y ioindroit, ou s’il ne s’y ioindroit pas : car l’aimable Clelie ayant tourné la teſte de noſtre coſté, nous reconnut, & nous appella. Il eſt vray que je ſuis perſuadé qu’Aronce qui auoit fort bien diſcerné que Clelie eſtoit dans cette Troupe, n’euſt pas laiſſé de s’en aprocher ſans cela, quoy qu’il creûſt auoir intention de s’en eſloigner. De ſorte qu’auançant vers cette Troupe galante, la premiere choſe que fit Aronce, apres l’auoir ſalüée, fut de loüer celuy qui auoit loüé Clelie. Pour moy, i’aduouë que i’eſvitay auec adreſſe de loüer ce Couplet de Chanſon, quoy que i’en connuſſe l’ingenieuſe malice autant que perſonne de la Compagnie : car Madame, bien que par ces ſix Vers, Horace fiſt entendre que Fenice eſtoit la plus belle Perſonne de Capouë, & qu’ainſi cela luy fuſt auantageux, il eſtoit pourtant vray qu’il y auoit de la malice à cette loüange, & qu’il reprochoit à cette belle Fille, le deffaut qu’elle a de ne trouuer iamais rien de beau. Ioint auſſi qu’il eſtoit aiſé de iuger qu’il mettoit la beauté de Clelie beaucoup au deſſus de celle de Fenice : ſi bien que comme i’en eſtois alors amoureux, i’eſuitay, comme ie l’ay deſia dit, de loüer ce Couplet de Chanſon qu’Horace auoit fait à l’improuiſte : & ie me mis à parler de l’Echo à vn homme de la Compagnie, de peur que quelqu’vn n’allaſt dire à Fenice que i’auois loüé vn homme qui en loüoit vne autre plus qu’elle, & qui la blaſmoit d’vne maniere ſi ingenieuſe. Ma preuoyance fut pourtant inutile, comme ie vous le diray tantoſt, car cette auanture me fit vne querelle auec Fenice : mais pour en reuenir à Aronce, non ſeulement il loüa Horace de la maniere dont il auoit loüé Clelie, mais il la loüa luy meſme d’vne façon ſi galante, que ſa Proſe valoit bien les Vers de ſon Riual : & ce meſme homme qui depuis quelques iours, auoit reſolu de faire ce qu’il pourroit pour ne l’aimer plus, changea d’auis tout d’vn coup, & ſe reſolut en vn inſtant à l’aimer touſiours ; à ne s’oppoſer plus à ſa paſſion ; & à n’oublier rien de tout ce qui le pourroit faire aimer. De ſorte qu’eſtant deliuré du ſoin de ſe combatre luy meſme, il en eut l’eſprit plus libre ; l’humeur plus enioüee ; & il fut ſi agreable ce ſoir là, qu’il plût infiniment à toute la Compagnie : qui inſenſiblement s’engagea à examiner la raiſon pourquoy la plus part des Belles ſont auares de loüanges, & meſme bien ſouuent fort iniuſtes : car (diſoit Aronce, apres pluſieurs autres choſes) elles trouuent quelquefois des Femmes laides, qui ont beaucoup de beauté. Pour moy, dit Clelie, ma curioſité ſeroit de ſçauoir ſi effectiuemét celles qui ſont de l’humeur que vous dittes, ſont veritablement preocupées, ou ſi elles diſent les choſes autremét qu’elles ne les penſent. Il y en a de diuerſes manieres, repliqua Horace, car ie ſuis perſuadé qu’il y a des Dames qui en trouuent d’autres belles, quoy que par vn ſentiment d’enuie elles diſent qu’elles ne le ſont point : mais ie le ſuis en meſme temps qu’il y en a qui s’aiment tellemét, qu’elles en haïſſent toutes les autres, iuſques à la preoccupation : & iuſques à ne trouuer effectiuement rien de beau. En mon particulier (dit vne Dame de la Compagnie qui a beaucoup d’eſprit, & qui n’eſt pas belle) ie ne trouue pas ſi eſtrange que l’enuie face parler celles qui pretendent d’eſtre belles, contre celles qui le ſont : mais ie ne puis aſſez m’eſtonner d’en voir qui n’ont aucun intereſt à la beauté, qui parce qu’elles ne ſont point belles, veulent que les autres ne le ſoient pas ; & qui ſont auſſi difficiles à contenter, que ſi elles auoient les plus beaux traits du monde, le plus beau taint, & tous les charmes qu’on peut deſirer en vne belle Perſonne. Comme cette Dame parloit ainſi, Arricidie que nous auions veuë ce iour là, vint où nous eſtions auec trois femmes de qualité, & trois hommes. De ſorte que ce lieu que nous auions cherché Aronce & moy comme vn lieu ſolitaire, eut vne des plus agreables Compagnies que ie vy iamais : car excepté Fenice, les plus aimables de nos Dames y eſtoient. Mais comme le ſuiet de la conuerſation eſtoit alors aſſez curieux ; quand ces deux Troupes ſe furent iointes, cette Dame qui auoit parlé la derniere, dit qu’il faloit obliger Arricidie à dire ſon aduis ſur la choſe dont on venoit de parler. Si bien qu’apres qu’on luy eut apris ce que c’eſtoit, elle commença de blaſmer toutes les Belles, qui ne loüoient pas celles qui l’eſtoient : & de les blaſmer d’vne plaiſante maniere : car il s’en falut peu qu’elle ne fiſt entendre toute l’Hiſtoire de la Ville, à ceux qui en auoient deſia quelque connoiſſance. Pour moy, dit-elle, i’ay eſté autrefois bien eſtonnée de voir vne belle Femme, & de beaucoup d’eſprit, qui pour en blaſmer vne autre diſoit les plus grandes ſotiſes du monde : car elle la trouuoit trop blanche, & trop blonde : elle diſoit meſme qu’elle auoit les yeux trop doux, & la bouche trop petite : & ſi ma memoire ne me trompe, ie penſe que ie luy entendis dire vn iour qu’elle auoit les lévres trop incarnates. Qu’eſt-cecy ? (diſois-ie en moy meſme, quand ie l’entendois parler ainſi) ſuis-ie folle, ou ſuis-ie ſage ? ay-ie les yeux bons, ou celle qui parle les a-t’elle mauuais ? mais apres y auoir bien penſé, ie trouuay la cauſe de ſon iniuſtice : car ie ſçeus qu’il y auoit vne Dame qui eſtoit blanche, blonde, qui auoit les yeux doux, la bouche petite, & les lévres incarnates, qui luy auoit oſté vn Amant : de ſorte qu’apres cela, ie ne cherchay plus la cauſe de ſa preocupation. Auſſi quand ie trouue quelqu’vne de ces Belles difficiles, qui ne trouuent rien de beau qu’elles meſmes, i’examine l’intereſt qu’elles peuuent auoir aux blondes & aux brunes en general : & celuy qu’elles peuuent prendre en particulier, à celles dont elles parlent, & à la ſorte de beauté dont il s’agit : & apres cela, ie ne manque guere à trouuer la raiſon qui les fait iniuſtes. En effet i’en vy dernierement vne, qui parce qu’elle auoit de grands yeux, ſoutenoit que les petits yeux ne pouuoient iamais eſtre agreables : & i’en vy vne autre qui diſoit au contraire qu’il n’apartenoit qu’aux petits yeux, à faire de grandes conqueſtes : qu’eux ſeuls auoient ie ne ſçay quoy de fin, de galant, & d’agreable, qui eſtoit propre à bleſſer des cœurs : & que pour l’ordinaire les grands yeux ouuérs, eſtoient ſtupides, & ſans nul agréement. En vne autre occaſion, pourſuiuit Arricidie, ie trouuay vne Femme qui au contraire de celles que ie viens de dire, blaſmoit aux autres ce qu’elle auoit, & loüoit ce qu’elle n’auoit pas : mais elle loüoit, & blaſmoit ſi foiblement, qu’apres l’auoir bien examinée, ie trouuay qu’elle ne blaſmoit & ne loüoit, qu’afin d’eſtre contredite : & qu’afin qu’on loüaſt ce qu’elle auoit, & qu’on blaſmaſt ce qu’elle n’auoit point. Mais pour l’ordinaire, comme ie l’ay deſia dit, il faut ſçauoir toute la vie d’vne belle Femme, pour pouuoir deuiner quelle ſorte de beauté elle peut louër. Ce n’eſt pas que la ſeule ialouſie ne puiſſe l’obliger à ne trouuer rien de beau : mais il arriue encore plus ſouuent, qu’il y a des cauſes plus eſloignées qui font cette ſorte d’iniuſtice. Car enfin toute la Compagnie connoiſt vne Femme qui ſeroit tres belle ſi elle eſtoit graſſe, à qui i’ay oüy dire qu’vne Riuale qu’elle a, ſeroit plus belle qu’elle n’eſt, ſi elle auoit eu dix ou douze accés de fiévre qui l’euſſent amaigrie : & i’en connois encore vne qui parce qu’vne Dame eſt Confidente d’vne autre, qu’elle croit auoir deſſein ſur le cœur d’vn homme qu’elle voudroit auoir pour Galant, luy trouue des deffauts eſtranges, quoy qu’elle n’en ait aucun. Si bien que quand ie rencontre de ces eſplucheuſes de beauté, ie cherche promptement qui aime-t’elle ? ſon Amant ou ſon Mary ne la trahiſſent-ils point ? eſt-elle ialouſe ? eſt-elle enuieuſe ? eſt-elle meſchante ? ou eſt-elle folle ? Ie n’aurois iamais fait Madame, ſi ie voulois vous redire toutes les plaiſantes choſes que dit Arricidie ſur ce ſuiet là : c’eſt pourquoy ie ne m’arreſteray pas à vous les vouloir toutes raconter. Ie vous diray donc que la nuit s’aprochant, la Compagnie s’en retourna à Capouë : & qu’Aronce & moy y retournaſmes auec Clelie & ſa Troupe. Mais à vous dire la verité, ie ne fus pas peu ſurpris, lors qu’eſtans retournez chez moy, où i’auois voulu qu’Aronce logeaſt, ie trouuay qu’au lieu de ne vouloir plus entendre parler de Clelie, il ne vouloit plus parler d’autre choſe. En effet ſi ie penſois luy dire ſeulement quatre paroles ſur vn autre ſuiet, il ne me reſpondoit pas, & recommençoit à me parler de Clelie. De ſorte que ne pouuant m’empeſcher de luy en faire la guerre ; mais à ce que ie voy, luy dis-ie en riant, vous auez bien changé de ſentimens, depuis noſtre derniere viſite : car vous auez voulu ſortir de la Ville pour n’entendre plus parler de Clelie, & vous ne pouuez plus parler que d’elle. Non non Celere, me dit-il, ie n’ay point changé de ſentiment : mais ce qu’il y a de vray, c’eſt que ie n’eſtois pas de celuy dont ie penſois eſtre : & qu’encore que ie diſſe que ie ne voulois plus aimer Clelie, i’eſtois pourtant reſolu de l’aimer eternellement, & d’en parler toute ma vie. Mais ſi cela eſt, repliquay-ie en riant encore, il faut donc que vous cherchiez vn autre Confident que moy, & que i’en cherche auſſi vn autre que vous : car ſi vous auez reſolu de me parler eternellement de Clelie, à quelles heures, & en quel temps vous pourrois-ie parler de Fenice ? Il eſt vray, dit il, qu’vn Amant n’eſt guere propre à eſtre Confident d’vn autre : mais cruel Amy, vous n’eſtes pas amoureux de la maniere que ie le ſuis. Vous aimez Fenice quád vous la voyez, pourſuiuit-il, & vous ne l’aimez preſques plus quand vous ne la voyez, point : & la paſſion que vous auez pour elle, eſt pluſtoſt vn amuſement volontaire, qu’vne veritable paſſion : c’eſt pourquoy il ne vous eſt pas trop difficile de ne parler pas ſi ſouuent de Fenice, & de me laiſſer parler de Clelie. Vous auez donc abſolument reſolu, luy dis-ie, de ne ſonger plus à la chaſſer de voſtre cœur ? au contraire, reprit-il, i’ay pris la reſolution de conquerir le ſien s’il eſt poſſible ; & de luy faire ſçauoir qu’elle regne dans le mien. Voila donc, madame, en quels ſentimens eſtoit alors Aronce : Horace de ſon coſté, comme ie l’ay ſçeu depuis, ayant veû que Clelie auoit eſcouté aſſez fauorablement ces deux Couplets de Chanſon qu’il auoit faits à l’improuiſte, lors qu’on l’auoit obligé de chanter à l’Echo où nous l’auions trouué, prit auſſi la reſolution de deſcouurir ſon amour à Clelie, à la premiere occaſion qui s’en preſenteroit. Ainſi ces deux Amis Riuaux, ſans ſçauoir rien de leur amour, auoient vn meſme deſſein : lors que Clelie ſans y penſer, leur donna en meſme temps les moyens de l’executer. Car vous ſçaurez Madame, que voulant auoir les deux Couplets de Chanſon qu’Horace auoit faits pour elle, & qu’elle n’auoit pas retenus, parce qu’il ne les auoit chantez que deux fois, elle les luy demanda le lendemain : mais comme il voulut profiter de cette occaſion, au lieu de les luy donner à l’heure meſme, il luy dit qu’il les luy enuoyeroit. D’autre part, il faut que vous ſçachiez encore Madame, que comme les choſes ſe changent fort en paſſant d’vne bouche en vne autre, principalement quand il s’agit de raconter de ces petites nouuelles de Cabale, où vne parole changée, change tout ; il arriua qu’Arricidie ayant raconté à vne Compagnie où elle fut, ce qui s’eſtoit paſſé à l’Echo, ceux qui l’entendirent le rediſant mal à d’autres ; & ces autres encore plus mal qu’eux ; on dit à Fenice que c’eſtoit moy qui auois fait deux Couplets de Chanſon à l’Echo. Mais au lieu de luy dire que cette Chanſon eſtoit pour Clelie, on luy dit ſeulement qu’elle eſtoit contre elle. De ſorte qu’eſtant eſtrangement irritée contre moy, elle s’en pleignit auec beaucoup d’aigreur, en vn lieu où Clelie arriua vn moment apres qu’elle en fut partie. Si bien que comme elle eſt extrémement bonne, elle fut marrie que les loüanges qu’Horace luy auoit données, m’euſſent fait vne querelle auec vne ſi belle Perſonne. Elle voulut meſme que ie ſçeuſſe les pleintes de Fenice, afin que ie puſſe me iuſtifier : & preuoyant qu’elle ne nous verroit point ny Aronce ny moy de tout ce iour là ; parce qu’elle ſçauoit que Sulpicie paſſeroit le reſte de l’apreſdiſnée à vn lieu où nous n’allions pas ; elle eſcriuit vn Billet à Aronce, pour l’obliger à m’aduertir de la colere de Fenice : car comme elle auoit eſté eſleuée aueque luy, & que Clelius vouloit qu’elle y veſcuſt auec la familiarité d’vne Sœur, elle ne faiſoit point de difficulté de luy eſcrire : & il s’eſtoit preſenté diuerſes occaſions où elle l’auoit fait. Si bien que ſuiuant ce mouuement de bonté qu’elle eut pour moy, elle eſcriuit vn Billet à Aronce, comme ie l’ay deſia dit, qui eſtoit à peu prés en ces termes.