Cléopâtre (Benserade)/Acte troisième
ACTE Troisieme.
Scène I.
rmes, brillants éclairs des foudres de la guerre,
Dont l’éclat redoutable a fait pallir la terre,
Ce n’eſt plus à ce corps qu’il faut que vous ſerviez,
Je veux perdre auſsi bien ce que vous conſerviez.
Cleopatre a quitté cette vie importune,
Ce qui vainquit Antoine a vaincu la fortune,
Ma reine s’eſt deffaite, & l’on a veu ce jour
Je veux ſuivant ſes pas ſignaler ma memoire,
Je le fis avec honte, & le fais avec gloire.
Cleopatre, un tel acte estait digne de vous,
J’en ſuis moins affligé que je n’en ſuis jaloux,
Une ſi belle mort me donne de l’envie,
Et mon œil plutoſt quelle eût pleuré votre vie.
Quand mon cœur dans les maux dont mes jours ſont ſuivis
Me vient dire de vous, elle eſt morte, & tu vis ?
Je reſpons à ce cœur pour conſoler ſa peine,
Elle eſt morte, il eſt vrai, mais elle morte en Reine ;
Voſtre deſtin me plaiſt, je ne vous pleure point,
Puis qu’un meſme trépas l’un à l’autre nous joint,
Je me plains ſeulement qu’en imitant le voſtre
Je fonde ma vertu ſur l’exemple d’un autre,
J’ai honte qu’une femme, estant ce que je ſuis
M’enſeigne le moyen de borner mes ennuis,
Mais dans une douleur comparable à la mienne
L’on reçoit du ſecours de quelque main qu’il vienne,
Et je croy qu’il vaut mieux n’eſtre qu’imitateur
D’une belle action que d’un vice l’auteur.
Eros, ceſt maintenant que mon malheur me preſſe,
Qu’il te faut ſur ma vie accomplir ta promeſſe,
Tu m’as promis la mort en ma neceſsité,
Ceſt le prix dont tu dois payer ta liberté.
Reprenez ma franchiſe, ou ſouffrez que j’en uſe,
Captif, je vous promis de vous donner la mort,
Libre, je m’en retracte, & ne vous fais point tort ;
Vous m’avez fait un bien de m’oſter d’eſclavage,
Si vous me le laiſſez je le mets en uſage,
Et ſi vous me l’oſtez je ſuis comme j’eſtois
Déchargé du ſecours que je vous promettois ;
Vous voulez que ma main dans voſtre ſang ſe lave,
Si vous me contraignez je ſuis encore eſclave,
L’estant je ne doy point vous payer du trépas,
Et je n’achete point ce qu’on ne me vend pas.
Je ne ſeray jamais homicide, ny trâitre
Pour faire mon bonheur du malheur de mon mâitre,
Que mon corps dans les fers trâine un ſort languiſſant,
J’y ſerai bienheureux ſi j’y ſuis innocent,
Qu’à vos ſeveritez je ſerve de victime,
Je ſouffre ſans regret, ſi je ſouffre ſans crime.
Que de ton ayde, amy, je ſuis mal aſsiſté,
Et que je ſuis trahy de ta fidélité,
La plupart de mes gens ont quitté mon ſervice,
Tu fais par ta vertu ce qu’ils font par leur vice,
Et comme cette troupe en ſes lâches projets
M’aymoit me hayſſant, en m’aimant tu me haits :
Dans l’état où tu vois ma fortune reduite
Ce n’eſt point lâcheté que d’imiter leur fuite,
Et je doy ſouhaitter au point où je me voy
Que tu ſois pire qu’eux, ou qu’ils ſoient comme toy.
Qui te retient le bras ? Crains-tu de faire un crime ?
Où veux-tu m’obliger d’eſtre plus magnanime ?
Rome ne gemit plus ſous mes ſuperbes Lois,
Et je ne marche plus ſur la teſte des Rois,
Ta deſobeyſſance icy te fait paroistre
Qu’à peine ſeulement ſuis-je encore ton maiſtre,
Ces vains titres paſſez cauſent-ils ton refus ?
Et doy-je toujours eſtre à cauſe que je fus ?
Prenez d’autres que moi pour vous eſtre homicides,
Un ſeul vous eſt fidelle, & cent vous ſont perfides :
Qu’un d’entre eux vous oblige en ce deſir preſſant,
Il eſt déja coupable, & je ſuis innocent,
Qu’il repare ſur vous ma deſobeyſſance,
Que ſon crime une fois ſauve mon innocence,
Qu’il vous donne un trépas qui ne vous eſt point dû,
Et qu’il verſe le ſang qu’il a mal deffendu.
Helas ! Ceſt bien aſſez que mon Empereur meure,
Ceſt aſſez que je vive afin que je le pleure,
Sans que ces lâches mains luy creuſent un tombeau,
Que je ſois ſon eſclave, & non pas ſon bourreau,
J’embraſſe ſes genoux.
C’eſt me donner beaucoup que de m’oſter la vie,
Ta molle affection m’afflige au dernier point,
Et dedans ta pitié je n’en rencontre point,
Tu vois comme toujours la fortune m’outrage,
Elle fait ma miſere, acheve ſon ouvrage,
Et ta main ſe trouvant conforme à mes ſouhaits,
Peſe d’un ſens raſsis le don que tu me fais,
Songe que mon eſprit doit quitter ſa demeure,
Que je meurs Empereur ſi je meurs de bonne heure,
„ Quiconque peut mourir dedans ſa dignité
„ Il ſe fait un chemin à l’immortalité,
Qu’un jour l’on puiſſe dire, un eſclave à ſon maiſtre
A fait durer l’Empire auſſi longtemps que l’eſtre,
Que ton cœur s’amolliſse à mon funeſte aſpect,
Et donne à la pitié ce qu’il nie au reſpect.
Vous voulez donc mourir ?
Dans ſon teint plus hideux la mort me ſemble belle,
Et je veux à ce triſte, & deplorable jour
Faire voir un triomphe, & d’honneur, & d’amour.
Et de plus par ma main ?
D’obtenir cet effet de ton obeyſsance.
Mon cœur, obeyſſons à la neceſsité,
Faiſons devant le Ciel un acte illegitime,
Et taſchons d’eviter un crime par un crime,
Étonnons l’avenir de cet acte important,
Puis que vous demandez une cruelle marque
Des horreurs que l’on voit ſur le front de la Parque
Quand d’un œil menaçant elle nous vient ſaisir,
Je m’en vay contenter voſtre ſanglant déſir.
Ô rare ſerviteur !
Donnez-moy voſtre épée.
Amy, jamais ta main ne fut mieux ocupée,
Frappe, & ſouffre au deſsein où mon cœur ſe reſout,
Empereur que je ſuis que je meure debout,
„ Ce ſont de lâches cœurs que la mort doit ſurprendre,
„ D’un front toujours égal nous la devons attendre ;
Frape, ſans prolonger mon trépas d’un moment,
Et que mon dernier mot ſoit un commandement.
Vous voulez que ce fer vous oſte la lumiere ?
Vous attendez la mort de ma main meurtriere ?
Je dois eſtre conforme à vos triſtes ſouhais,
Octroyez un pardon au crime que je fais.
Frape, je te pardonne une ſi belle offence.
Vous me pardonnez donc ma deſobeyſsance,
Ou ma main, ſi j’ay dû vous donner le trépas,
Me l’offrant me punit de ne vous l’offrir pas.
Scène II.
ue fais-tu ? Mais déjà de ce noble courage
Dans les flots de ſon ſang la vie a fait naufrage.
Eros, tu fais ton mal de ce qui fait mon bien,
Et tu rends à ton corps ce que je dois au mien,
J’approuve toutefois que tu ceſſes de vivre,
Antoine apprend de toy le chemin qu’il doit ſuivre,
Outre qu’un tel exces de generoſité
Sert d’un illuſtre exemple à la poſterité.
Rome, qui pour ta gloire as veu briller ce fer,
Tu ne reverras plus Antoine triompher,
Faiſant voler ſon nom de l’un à l’autre Pole,
Le front ceint d’un laurier monter au Capitole,
Trainer des Rois captifs dont la condition
Faiſoit un ſacrifice à ton ambition ;
Moy je ne verray point pour accroiſtre mes peines
Ceſar faire à tes yeux ſes lauriers de mes chaiſnes,
Si tu ne me vois pas dans ce pompeux éclat
Qui fit trembler le Peuple, & pallir le Senat.
Cette grande Cité qui le ciel meſme affronte,
Fit mon premier honneur, & ma derniere honte,
Je fus tout glorieux d’y paſſer autrefois,
Et je crains ſeulement ce que je ſouhaittois :
Mais ce fer me raſsure, & ſon ſecours funeſte
Fait vivre en me tuant la gloire qui me reſte.
Vous, ô Peuple Romain, qui baisâtes mes pas,
Vous aprendrez ma honte, & ne la verrez pas.
Mais perdrois-je le jour ſans l’oster à perſonne,
Et ſans chercher la mort dans le ſein de Bellonne ?
Quoy je rechercherois un ſi lâche trépas ?
La chûte d’un Ceſar ne m’opprimeroit pas ?
Nous courons au combat, mon ombre eſt aſſez forte,
Je veux vaincre, & le puis, mais Cleopatre eſt morte,
Oublions la fortune, & cedons à l’amour ;
Ma Reine, mon Soleil n’a plus de part au jour,
Cest ainſi que la Parque a reſp ect é ſes charmes,
Pour elle répandons de genereuſes larmes,
Les hommes du commun allegent leur tourment
Par de honteuſes pleurs, mais pleurons noblement,
Mon cœur, ſuy Cleopatre, & force ta demeure,
Fay couler tout mon ſang, ceſt comme Antoine pleure.
Et qu’il eſt malheureux qui ne ſçait pas mourir !
Si tu m’eußes plus jeune obligé de la ſorte,
La gloire de mes jours ne fut pas ſi toſt morte,
L’on ne m’eût veu jamais amoureux, ny vaincu,
Scène III.
tragique ſp ect acle !
Amis, rendez ma mort, ou plus douce, ou moins lente,
Exercez ſur ce corps un effet d’amitié,
Et faites par un meurtre un acte de pitié.
Helas ! noſtre Empereur, quel deſeſpoir vous porte
À ce cruel deſſein ? La Reine n’eſt pas morte.
Ha je meurs maintenant du regret de mourir !
Puis que ſelon mes vœux reſpire cette belle,
Que devant mon trépas l’on me porte vers elle,
Pour jouyr des douceurs de nos derniers propos.
Quel eſt ce corps ſanglant ?
Il a plongé pour moy ce fer dans ſes entrailles,
Rendez-lui les devoirs.
Dieux que de funérailles !
Scène IV.
a ville eſt à Ceſar, les habitants troublez
Se vont rendre au vainqueur, & luy portent les clez,
Faut-il que je l’annonce, & me doy-je reſoudre
À lancer par ma voix ce dernier coup de foudre ?
Deplorable Empereur, dont le nom m’eſt ſi cher,
J’avance ton trépas au lieu de l’empeſcher :
Ce dernier accident trop puiſſ amment te touche,
Et l’arreſt de ta mort va ſortir de ma bouche.
Helas que le Soleil te donne un triſt e jour,
Et que le ſort te hait à cauſe de l’amour !
Entrons dans ſon Palais, ô dieux quelle harangue !
Juſte Ciel que ne ſuis-je ou ſans vie, ou ſans langue !
Scène V.
Le tõbeau paroiſt.
e verſe point ſur moy tant d’inutiles pleurs.
Par ton affliction n’acrois point mes douleurs,
De la fin de mes jours mon bonheur doit éclore,
Et je meurs ſatisfait puiſque tu vis encore,
Ajouſte la conſtance à tes autres vertus.
Mes ſeules cruautez ont ouvert cette playe,
Et par ma feinte mort je t’en cauſe une vraye,
Mes pleurs, ny mes ſoûpirs ne te peuvent guarir,
Et tu meurs en effet quand je feins de mourir.
Conſole-toy, mon cœur.
Severes destinées,
Retranchez-vous ſi toſt le fil de ſes années !
Et vous mes ennemis, dieux inhumains, & ſours,
Me privez-vous ſi toſt de l’ame de mes jours !
Ma voix peut contre vous proferer des blaſphêmes,
Et je puis bien pecher ſi vous pechez vous-meſmes.
Tu meurs à ce funeſte, & deplorable inſtant,
Antoine m’eſt fidèle, & me quitte pourtant,
Ha trop cruel exces d’une amitié ſi rare !
La meſme nous joignit, la meſme nous ſepare,
Tu dois cette bleſſure au bruit d’un faux trépas,
Et je te voy mourant, & ne t’imite pas.
La mort que je me donne égalle une victoire,
Ne ſuy donc point mes pas pour partager ma gloire,
Que tout ſeul je ſubiſſe une commune loy,
Contentons la fortune, elle n’en veut qu’à moy :
Je n’eſpere plus rien de la force des armes,
Tu peux tout eſperer de celle de tes charmes,
Tes yeux doivent reluire ailleurs que dans l’enfer,
Je ne ſçaurois plus vaincre, ils peuvent triompher,
La mort eſt un remede à ma peine ſoufferte,
Tu peux facilement recompenſer ta perte,
Et ta beauté peut faire en ſa douce rigueur
D’un Ceſar un Antoine, un vaincu d’un vainqueur :
Vole ſa liberté comme tu fis la mienne,
Conſerve ta franchiſe aux dépens de la ſienne,
Que cet œil ſi charmant tâche de l’enchaîner,
Et qu’il mène en triomphe un qui t’y veut mener :
Sans rien diminuer de mon ardeur extrême,
Je ſouhaite en mourant que mon ennemy t’ayme,
Je crains plus ton malheur que je ne ſens mon mal,
Et déſirant ton bien je ſouhaite un Rival,
Je veux que de tes yeux ſon âme ſoit atteinte,
Et je fay mon deſir de ce qui fut ma crainte.
Qu’un autre amant receut des gages de ma foy ?
Pers ce cruel ſoupçon, qu’il meure devant toy,
Croy que ma paſsion eſt pure, & genereuſe,
Et que je ſuis fidelle autant que malheureuſe,
Que toy ſeul es l’objet qui cauſe mon ſoucy.
Pour mourir doucement je le veux croire ainſi.
Adieu je n’en puis plus, les forces me défaillent,
Mes dernieres douleurs trop vivement m’aſſaillent,
C’eſt en vain que mes ſens tâchent de reſiſter,
Heureux qui d’un tel coup ſe laiſſe ſurmonter !
O dieux !
Cheris Antoine, & ſuy les avis qu’il te donne,
Ne plains point mon deſaſtre, & conſerve tes jours
Pour les vivants effets de nos triſtes amours.
Les veut faire ſervir d’ornements à ſa gloire,
Qu’ils ſoient lors genereux, qu’ils marchent ſur mes pas,
Qu’ils imitent leur pere, & n’en rougiſſent pas.
C’en eſt fait, je me ſens reduit au dernier terme,
O ſenſible douleur ! quoy je pers mon apuy ?
Scène VI.
lle va rendre l’ame, ha cruelle infortuné !
Que nos pleurs ſoient communs, noſtre perte eſt commune.
Pouvons-nous par des pleurs rendre le ſort plus dous,
Et ſoulager un mort, une mourante, & nous ?
Ce mal veut un ſecours plus puiſſant que le noſtre,
Pour faire vivre l’une, il faut r’animer l’autre,
„ Comme une ſeule vie anime deux amants,
„ Un ſeul trépas auſsi termine leurs tourmens.
Madame, elle revient.
Et les triſtes douleurs dont elle eſtoit ſuivie ?
Ce corps a ſuccombé ſous l’effort du trépas,
Mais je reviens, Antoine, & tu ne reviens pas,
J’ay perdu pour jamais cet objet que j’adore,
Je ſuis dans un ſépulcre, & ſi je vis encore :
Ciel, puis que vous m’oſtez ce tréſor précieux,
Que n’oſtez-vous auſsi la lumière à mes yeux,
Pourquoy dans les malheurs dont je ſuis affligée
De ce frivolle don vous ſeray-je obligée ?
Que feray-je des biens qui me ſont ſuperflus,
Et qu’ay-je plus à voir ſi je ne le voy plus ?
Que noſtre ſort eſt bas, qu’il ſert d’un triſte exemple,
Et donne peu d’envie à l’œil qui nous contemple !
Qu’une freſle grandeur ſe perd facilement !
Que l’on monte avec peine, & qu’on tombe aiſement !
Que nous devons haïr l’éclat des diadêmes,
Et que ſes amateurs ſont ennemis d’eux-meſmes !
Que l’heure eſt different d’un Prince, & d’un ſujet,
Et que l’ambition cognoiſt mal ſon objet !
Le Ciel m’aimoit, ma gloire en eſtoit une preuve,
J’étais femme d’Antoine, & n’en ſuis plus que veuve,
J’avois des qualitez, des titres abſolus,
Je n’ay que le regret de ne les avoir plus,
Et de tous ces grands biens dont le deſtin me prive,
Un ſeul tombeau me reſte, encore y ſuis-je vive.
O changement funeſte, & digne de pitié !
Reçoy, mon cœur, ces pleurs de ta chère moitié,
Répons à ces baiſers que je donne à ta cendre,
Et reçoy les pourtant, ſi tu ne les peux rendre,
Accepte ces cheveux que je confons aux tiens,
Je t’en fais un hommage, ils furent tes liens,
Permets que je differe un trépas plein de charmes,
Et que devant mon ſang je répande mes larmes.
Que voſtre majeſté modere ſes ennuis,
Conſolez-vous, madame.
En l’état où je ſuis ?
ſt commune,
„ Tout ce que voit le ciel ſubit cette fortune,
„ Le trépas eſt un but où l’on nous void courir,
„ Mourant l’on a veſcu, vivant on doit mourir :
„ Cette loy qui nous rend mortels comme nous ſommes
„ Fut faite pour Antoine, & pour les autres hommes,
Pourquoi vous fâchez-vous qu’il ſe donne aujourduy
Ce qu’un lâche attendroit d’un autre que de luy,
Il donne à voſt re amour le nom d’ingratitude,
Sa mort luy ſemble douce, elle vous ſemble rude,
Et fâché des regrets dont vous l’accompagnez,
Quoy que mort il vous plaint comme vous le plaignez :
Il faut voir ſon dest in avec un œil d’envie,
Il eût perdu l’honneur, il ne perd que la vie,
Rome qui ne le vid aux triomphes divers
Que chargé de lauriers, l’eût vu chargé de fers,
Confus, l’œil bas, le front ſur qui la rougeur monte,
Suivre un vainqueur ſuperbe honoré par ſa honte,
Lors vous eußiez loüé ſa generoſité,
Et ce que vous pleurez vous l’euſsiez ſouhaité.
Il eſt vray.
Puis qu’il meurt genereux pour ne pas vivre infame :
Ceſsez de le pleurer, & n’entreprenez plus
De troubler ſon repos par des cris ſuperflus,
Soyez pour voſtre bien propice à ſa priere,
Tâchez d’exécuter ſa volonté dernière,
S’il obtient un rival ce n’est point le trahir,
Si vous ſuivez ſes pas c’eſt lui deſobeyr,
Que Ceſar à vos yeux ſoumette ſa victoire,
Qu’il ſoit dans voſtre cœur, luy dans votre memoire,
Ne demeurez point ferme en ce frivolle ennuy,
Et ſauvez ce qui reſte, & de vous & de luy
Vos chers enfans.
Ils te doivent la vie, & tu la dois au pere,
Change donc cette vie en un juste trépas,
Elle te rend ingrate, & ne leur ayde pas :
Qu’ils ne regardent point l’honneur de leurs anceſt res,
Nous eûmes des ſujets, mais ils auront des maiſt res,
Ils n’auront point l’éclat que leurs parents ont eu,
S’ils n’en ont pas les biens, qu’ils en aient la vertu,
„ Qu’ils ſçachent qu’au malheur le plus ſuperbe plie,
„ Qu’il faut eſt ant vaincu que ſoy-meſme on s’oublie,
„ Qu’il faut lors eſt re ſouple, & que l’humilité
„ Eſt un enſeignement de la neceßité.
Mais puis que leur eſp oir ne dépend point d’un autre,
Sauvons leur vie avant que de perdre la noſt re,
Et puis qu’un long trépas rendra nos vœux contens,
Vivons encore un peu pour mourir plus long-temps.