Claire d’Albe (Ménard, 1823)/Préface de l’Auteur

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Ménard et Desène fils (Œuvres complètes. 1p. 125-126).


PRÉFACE DE L’AUTEUR.


Le dégoût, le danger ou l’effroi du monde ayant fait naître en moi le besoin de me retirer dans un monde idéal, déjà j’embrassais un vaste plan qui devait m’y retenir long-temps, lorsqu’une circonstance imprévue, m’arrachant à ma solitude et à mes nouveaux amis, me transporta sur les bords de la Seine, aux environs de Rouen, dans une superbe campagne, au milieu d’une société nombreuse.

Ce n’est pas là où je pouvais travailler, je le savais ; aussi avais-je laissé derrière moi tous mes essais. Cependant la beauté de l’habitation, le charme puissant des bois et des eaux, éveillèrent mon imagination et remuèrent mon cœur ; il ne me fallait qu’un mot pour tracer un nouveau plan : ce mot me fut dit par une personne de la société, et qui a joué elle-même un rôle assez important dans cette histoire. Je lui demandai la permission d’écrire son récit : elle me l’accorda ; j’obtins celle de l’imprimer, et je me hâte d’en profiter. Je me hâte, c’est le mot ; car ayant écrit tout d’un trait, et en moins de quinze jours, l’ouvrage qu’on va lire, je ne me suis donné ni le temps, ni la peine d’y retoucher. Je sais bien que pour le public le temps ne fait rien à l’affaire : aussi il fera bien de dire du mal de mon ouvrage s’il l’ennuie ; mais s’il m’ennuyait encore plus de le corriger, j’ai bien fait de le laisser tel qu’il est.

Quant à moi, je sens si bien tout ce qui lui manque, que je ne m’attends pas que mon âge ni mon sexe me mettent à l’abri des critiques, et mon amour-propre serait assez mal à son aise s’il n’avait une sorte de pressentiment que l’histoire que je médite le dédommagera peut-être de l’anecdote qui vient de m’échapper.