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Claude Debussy (Laloy)/Texte entier

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Les Bibliophiles fantaisistes Voir et modifier les données sur Wikidata (p. --113).
Howard Himmero.


LOUIS LALOY

CLAUDE DEBUSSY


PARIS
LES BIBLIOPHILES FANTAISISTES
DORBON AINÉ
53ter, Quai des Grands-Augustins
1909

CLAUDE DEBUSSY

DU MÊME AUTEUR :


aristoxène de Tarente et la musique de l’antiquité
J. Ph. rameau
Portrait de Claude Debussy avec sa signature en dessous
Louis Laloy

CLAUDE DEBUSSY


PARIS
LES BIBLIOPHILES FANTAISISTES
1909
Ce volume a été tiré à cinq cents exemplaires numérotés à la presse.

10 exemplaires sur japon numérotés de 1 à 10.

490 exemplaires sur vergé numérotés de 11 à 500.

Justification du tirage :

206

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Claude-Achille Debussy, plus connu aujourd’hui par le premier de ses prénoms, est né le 22 août 1862, à Saint-Germain-en-Laye, d’une famille où la musique n’était pas cultivée. Il n’y eut lieu d’abord ni d’encourager ni de contrarier une vocation dont l’enfant ne donnait aucun signe. En 1871, il se trouvait, avec ses parents, à Cannes, chez une sœur de sa mère, qui eut la fantaisie de lui faire apprendre le piano ; un vieux professeur italien, nommé Cerutti, lui enseigna le premier rudiment et ne remarqua rien. De retour en Île-de-France, les études musicales furent délaissées. M. Debussy, le père, était loin de rêver pour son fils une gloire d’artiste : il voulait en faire un marin.

Il avait connu, par hasard, Charles de Sivry, le fantaisiste beau-frère de Paul Verlaine, puis sa mère, devenue Mme Mautet, ancienne élève de Chopin. C’est cette femme charmante qui, ayant entendu pianoter le jeune garçon, devina ce que tous, et lui-même, ignoraient : « Il faut, dit-elle, qu’il soit un musicien. » Elle s’occupa de lui avec une bonté d’aïeule, et fit si bien qu’en 1873 il entrait au Conservatoire. En 1874, 1875 et 1876, trois médailles de solfège vinrent récompenser son assiduité aux leçons de M. Lavignac ; pour le piano il fut élève de Marmontel, et s’éleva jusqu’au premier accessit en 1875 ; en 1876, il fallait jouer la sonate de Beethoven qui porte le chiffre 111, et l’excellent professeur n’avait rien épargné pour l’édification de ses élèves ; mais, avec l’un d’eux, il perdait sa peine.

L’année suivante, la sonate de Schumann, en sol mineur, valait à l’élève Debussy un second prix qui ne fut pas dépassé, car déjà la composition l’attirait davantage. Mal lui en prit : la classe d’harmonie, dirigée alors par Emile Durand, ne lui réservait que déboires. On connaît la règle du jeu : une succession de notes est donnée, qui se qualifie de chant, ou de basse, suivant qu’elle se place à l’aigu ou bien au grave. Il faut y ajouter des accords, selon certaines règles aussi arbitraires que celles du bridge, troublées elles-mêmes d’une ou deux licences, pas davantage. Il y a, pour chacun de ces rébus, une seule solution, que le jargon des Conservatoires dénomme l’« harmonisation de l’auteur ». Cet enseignement n’a pas changé depuis trente ans, et récemment encore un respectable professeur, lorsqu’il jouait au piano, devant la classe intriguée, ce corrigé pareil à ceux de nos vieux thèmes latins, annonçait, d’un écart des coudes et d’un gonflement du dos, la hardiesse élégante dont d’avance il se béatifiait.

Or, il fut toujours refusé à Debussy de trouver l’harmonie de l’auteur. Un jour même, un concours préparatoire ayant essayé les forces des futurs rivaux, le maître, étranger à la classe, qui avait donné le sujet, lisait au piano les réponses ; arrivé à la sienne, il n’y put tenir : « Mais, monsieur, vous n’entendez donc pas ? ». L’interpellé s’excusa : « Non, je n’entends pas votre harmonie, j’entends celle que j’ai mise ». Alors, le maître, se tournant vers Emile Durand tout penaud : « C’est dommage ! »

Après trois ans, il fallut renoncer, sans le moindre accessit. Mais l’harmonie improvisée fut plus favorable. Le professeur d’accompagnement était un vieillard affable, nommé Bazille, grand arrangeur de partitions d’orchestre pour piano ; il attendait ses élèves, fort inexacts, en jouant les opéras d’Auber, dont il raffolait, et son grand principe était celui-ci : « Voyez-vous, mes enfants, on ne trouve l’harmonie qu’au piano. Voyez Delibes : tout ce qu’il écrit, c’est au piano. Aussi comme c’est facile à réduire ! C’est un orchestre qui vient sous les doigts tout seul ! » En ce genre d’exercice, les règles ne sont pas tout : la satisfaction de l’oreille compte aussi, et parfois l’emporte. C’est pourquoi le même élève, qui décourageait les maîtres d’harmonie, obtenait, en 1880, un premier prix d’accompagnement.

C’est avec ces recommandations assez minces qu’il entra dans la classe de composition de Guiraud. Le goût de ce musicien valait mieux que ses œuvres ; il s’intéressa au jeune incorrigible, et même lui donna de bons conseils. Un jour, Debussy avait mis en musique une comédie de Banville, Diane au Bois, et l’avait apportée, non sans fierté, à la classe ; Guiraud la lut, et prononça : « Venez donc me voir demain et apportez votre partition ». Le lendemain, après une seconde lecture : « Vous voulez avoir le prix de Rome ? – Sans doute. – Eh bien, c’est très intéressant, tout ça, mais il faudra le réserver pour plus tard. Ou bien vous n’aurez jamais le prix de Rome. »

Entre temps, Debussy avait fait une brève apparition à la classe d’orgue de César Franck : il fut vite las d’entendre, aux exercices d’improvisation, le vieux maître lui crier, sans se lasser : « Modulez ! Modulez ! Modulez ! » alors qu’il n’en éprouvait pas la nécessité. À ses récompenses passées étaient venus s’adjoindre un accessit de contrepoint et fugue en 1882, et, l’année suivante, le second prix de Rome.

En 1879, la femme d’un ingénieur russe, grand constructeur de voies ferrées, Mme Metch, avait demandé à Marmontel de lui désigner un de ses élèves pour l’emmener en Russie durant l’été, en qualité de pianiste familier. Debussy accepta. C’est ainsi qu’il fit connaissance, fort peu avec Rimski-Korsakov, Balakirev, et Borodine, qui n’étaient guère prophètes en leur pays à cette date, point du tout avec Moussorgski, dont la vie se terminait sans gloire, beaucoup avec les tsiganes, qui, dans les cabarets de Moscou et des environs, lui donnèrent le premier exemple d’une musique sans règlement. Mais il ne songea pas même à noter une de leurs mélodies.

En 1884, la cantate proposée à l’émulation des jeunes musiciens avait pour titre l’Enfant prodigue et pour auteur le poète Guinand. Trois personnages, selon la coutume : le père, la mère et l’enfant prodigue. Récit et air de la mère ; récit du père ; cortège et danses au loin ; récit et air de l’enfant à son retour ; récit de la mère, puis duo ; récit et air du père ; trio final. Des

vers tels que ceux-ci :

 Ces airs joyeux, ces chants de fête
Que le vent du matin m’apporte par instants
 Serrent mon cœur, troublent ma tête.
Ils sont heureux. Ici, sous les rameaux flottants
 Je les suivais dans leur gaieté si tendre,
 Ils échangeaient des mots pleins de douceur.
 C’était mon frère, et puis ma sœur.

Ceux-ci encore :

Ne garde pas un front sévère
À qui t’implore à deux genoux.
Pardonne au fils ! songe à la mère :
Le bonheur revient parmi nous.

À défaut des paroles, le sujet était touchant ; il se prêtait à une fraîcheur pastorale de coloris ; enfin, durant le cortège et les danses, le poète gardait un silence heureux. Trois circonstances également favorables au musicien : la cantate de Claude Debussy, malgré quelques libertés aujourd’hui peu sensibles, l’emporta par sa grâce ; et, lorsqu’elle fut exécutée, elle eut pour interprètes Mme Caron, MM. van Dyck et Taskin.

À Rome, Claude Debussy trouva pour commensaux MM. Paul Vidal, Gabriel Pierné et Georges Marty. Le directeur était, à cette époque, Hébert, disciple d’Ingres au point de jouer aussi du violon, et de la même manière. Il se montra fort bienveillant pour le nouveau prix de Rome, et voulut faire de la musique avec lui ; toutes les sonates de Mozart pour piano et violon y passèrent, à la grande joie de l’un et de l’autre, sauf que le pianiste, pour suivre son incertain compagnon, se trouvait parfois obligé de transposer en divers tons imprévus au cours du morceau.

Déjà curieux de littérature, il voulut d’abord mettre en musique le drame de Heine, Almanzor. Mais, faute d’une traduction satisfaisante, il abandonna cet ouvrage après la première partie, qui fut son premier envoi de Rome. Le second a une tout autre signification.

Les peintres, les architectes et les sculpteurs vont à Rome écouter les leçons des chefs-d’œuvres ; les musiciens y trouvent le silence ; loin des classes et des concerts, ils peuvent enfin écouter leur pensée. Et parmi eux, ceux qui ne sont pas seulement des auteurs, mais des hommes, prennent conseil d’une nature plus riche et plus grave que la nôtre, d’un peuple qui sait mieux que nous faire bon visage à l’existence. Ceux-là sont rares sans doute : Berlioz en fut à sa manière, qui malheureusement n’était pas assez celle d’un musicien. Pour d’autres, l’Italie n’est que la terre des guinguettes et des romances. Et elle accepte aussi cette manière de voir et d’entendre ; elle se prête à tout ; indifférente, elle offre à chacun de nous ce qu’il lui plaît de prendre, parmi les beautés diverses dont les siècles l’ont accablée. À Claude Debussy, elle réservait la confidence du Printemps, qui est le poème des feuillages caressés de soleil, des sources fraîches à l’ombre des collines, et de la lumière flottante.

Cette suite symphonique en deux parties, pour orchestre et chœurs, évoque déjà, avec ses mélodies claires et ses langueurs chromatiques, le site où plus tard, à l’instigation de Mallarmé, se dessinera le Faune désireux des Nymphes vaines. Mais deux innovations déplurent aux musiciens de l’Institut : l’attribution aux voix d’un rôle instrumental, sans paroles, et le ton de fa dièze majeur. « On n’écrit pas en fa dièze majeur pour l’orchestre », dit le plus célèbre d’entre eux, sans se douter qu’il reprenait à son compte un mot du bon Lecerf de Viéville, épouvanté, en 1705, d’entendre un claveciniste jouer en « fa ut fa dièses tierce majeure »[1]. Cet envoi de Rome, qui date de 1887, ne fut donc pas agréé ; ce n’est qu’en 1904 qu’il a été publié, par les soins de l’auteur du présent ouvrage, dans la Revue musicale, puis acquis par la maison Durand. Telles furent les impressions d’Italie de Claude Debussy.

Mais déjà il poursuivait d’autres rêves. La Damoiselle élue, commencée à Rome et terminée à Paris, succède au Printemps. Le poème de Dante-Gabriel Rosetti venait d’être traduit, en 1885, par M. Gabriel Sarrazin, dans ses Poètes modernes de l’Angleterre. Le musicien s’en empara d’enthousiasme. Il y trouvait cette fois l’Italie céleste et nostalgique dont les préraphaélites, renchérissant sur Dante et Fra Angelico, s’étaient faits les poètes, les peintres, les ascètes et aussi les frères prêcheurs. Rossetti fut le tout ensemble : il faut reconnaître en lui le fondateur de cette confrérie où Ruskin et Burne Jones s’illustrèrent. Il soutint de son mieux le prénom lourd de gloire que son père, ancien conservateur du musée de Naples, lui avait infligé. La Damoiselle élue date, à ce que l’on croit, de 1848 : il avait alors dix-huit ans. Elle célèbre, selon le rite de la nouvelle foi, les chastes noces des sens et de l’esprit. C’est ici une vérité que la femme incarne en son corps ; un paradis qui s’ouvre à la beauté ; une innocence que nulle action humaine ne ternit ; un rayonnement de grâce où le péché s’efface et se dissout. De fait, c’est bien un dogme adopté par le christianisme, celui d’une vierge qui enfante ; c’est bien une de ses devises, que tout est pur aux purs ; c’est un de ses tableaux préférés, la fille sans vertu admise à adorer le Sauveur. Les préraphaélites se plurent à prolonger de douces équivoques sur l’amour, que la sévérité des docteurs s’était toujours employée à combattre ; et Renan, à ce compte, est des leurs.

Or, c’est aux alentours de 1885 justement que les poètes symbolistes commençaient à se grouper solidement autour de Stéphane Mallarmé, ainsi qu’à prendre conscience de leurs vœux. Las du matérialisme parnassien, ils proclamèrent hautement que chaque chose ne vaut que par l’idée dont elle est le signe. La doctrine des préraphaélites, qui confie à des figures sculpturales une mission d’hiérophantes, apparut ainsi comme un cas particulier du symbolisme : cette transmutation du désir était un des miracles, entre mille, qu’il prétendait opérer, ou mieux une des vérités cachées qu’il voulait révéler. Grand fut donc l’encouragement donné par les œuvres anglaises qui firent alors leur entrée en France. L’effort des peintres mystiques qui, quelques années plus tard, formaient le Salon de la Rose-Croix, en fut une conséquence directe. Il y en eut de plus lointaines : sans les préraphaélites, les Muses d’Henri de Régnier, d’Albert Samain et de Jean Moréas étaient sans doute moins pensives. À tous ils ont donné des leçons de mélancolie. Mais celui qui les a le mieux compris est M. Maurice Maeterlinck, avec cette grande et heureuse différence, qu’au lieu d’immobiliser ses créatures en la sérénité de quelque paradis chrétien ou poétique, il les abandonne, toutes frissonnantes de vie intérieure, aux hasards trompeurs de l’existence. Une tendresse profonde, irrésistible, souvent inconnue à celui-là même qui en est possédé, que vient meurtrir et broyer, du fond des jours, une force implacable : tel est son tragique. Il faisait paraître, en 1889, la Princesse Maleine ; en 1890, l’Intruse et les Aveugles ; en 1892, Pelléas et Mélisande, dont l’héroïne, douce victime aux yeux purs, aux tresses inconscientes, est comme une sœur terrestre de la Damoiselle élue.

La partition de Claude Debussy, qui associe à l’orchestre les deux voix de la récitante et de l’héroïne, ainsi qu’un chœur de femmes, reçut de l’Académie une approbation à peine tempérée de quelques réserves sur le sujet. On sait qu’il est d’usage, au retour d’un prix de Rome, de donner, au Conservatoire, une audition de ses différents envois. C’est ce qu’on voulut faire pour la Damoiselle élue, mais sans y joindre le Printemps condamné ; l’auteur refusa de souscrire à cette exclusion, et le projet fut abandonné. C’est à la Société Nationale qu’était réservé l’honneur de faire connaître la Damoiselle élue. Almanzor doit être considéré comme perdu, et une Fantaisie pour piano et orchestre, qui aurait compté comme quatrième envoi, est restée chez son auteur.

La vie de Paris a ses hasards, parfois heureux. Tel, celui qui, à son retour de Rome, fit connaître à Debussy un vieux gentilhomme devenu professeur de musique, et resté courtois comme on ne l’est plus aujourd’hui. C’est lui qui, se trouvant à dîner dans une maison familière, dit un jour : « Ces haricots rouges sont excellents ! » Pour lui être agréable, on lui en offrit chaque fois qu’il revint, et il y fit longtemps honneur ; un soir, enfin, il refusa d’en reprendre ; on fut surpris : « Vous ne les aimez donc plus ? – Mais, répondit-il doucement, c’est que je ne les ai jamais aimés. » Il était musicien d’enthousiasme, et du petit nombre d’initiés qui connaissaient alors Boris Godounov de Moussorgski. C’est lui qui joua cette partition à Debussy, dans la version originale, antérieure aux retouches de Rimski-Korsakov. Ce fut une révélation, très brève d’ailleurs : Debussy était allé à Bayreuth en 1889, et avait entendu, ému jusqu’aux larmes, Parsifal, Tristan et les Maîtres-Chanteurs. Auprès de Moussorgski, Wagner lui parut frelaté : il retourna cependant, l’année suivante, dans la ville sainte, en revint désabusé, et entreprit de démontrer à son vieil ami qu’on ne pouvait aimer à la fois deux formes d’art aussi opposées. Wagnérien fervent, celui-ci ne voulut rien entendre : ils se quittèrent.

Après la Damoiselle élue, Debussy avait bien entrevu la voie qui lui était tracée : c’est en 1888 qu’il mettait en musique les Ariettes oubliées de Verlaine, déjà si musicales. Le choix des Cinq poèmes de Baudelaire, qui furent publiés en 1890, est moins heureux : assigner un chant et conférer une émotion soutenue à ces compositions dures et sans air, pareilles aux tableaux de Manet, et parfois à ceux de Cézanne, c’était presque un tour de force. La musique eut raison pourtant de toutes les aspérités du texte ; mais ce fut au prix d’une énergie inaccoutumée. D’autres poètes encore furent illustrés, à cette heure incertaine, par le jeune musicien : Théodore de Banville, Paul Bourget, de plus obscurs ; et quelques morceaux pour le piano, de cette époque, trahissent les mêmes hésitations. Mais bientôt il revenait à Verlaine, dont il mettait en musique la Mandoline, et ces trois mélodies : La mer est plus belle, Le son du cor, L’échelonnement des haies.

C’est vers ce temps que Debussy commença de fréquenter chez Stéphane Mallarmé. C’étaient des amis et des disciples à la fois, qui s’assemblaient, chaque mardi soir, en ce salon aux recoins d’ombre, pour écouter une voix qui fut charmeuse entre toutes, ne prononçant rien que de noble et de pur ; aucun n’a oublié, jusqu’à ce jour, ce sourire discret, ce rayonnement de bonté contenue, cette hauteur de pensée, cette pudeur de l’émotion, ce respect de l’intime et ce sens du secret nécessaire. Ce fut comme un temple du beau ; à l’abri des regards profanes, les mystères s’y dévoilaient : au lieu de cette poésie frileusement repliée sur soi-même, et comme honteuse de se voir nue, on y entendait des discours et des récits dont la délicatesse ne fuyait plus la clarté. Mallarmé aimait tous les arts, et les voulait tous également fiers. Des peintres se rencontraient chez lui avec des poètes et des critiques ; les poètes en plus grand nombre, comme de juste : Gustave Kahn, Henri de Régnier, Pierre Louys, Francis Vielé-Griffin, Stuart Merril. Verlaine venait quelquefois, et se conduisait comme un vieil enfant terrible. Whistler feuilletait l’album d’un artiste français, avec des mots dédaigneux que Mallarmé s’efforçait de conjurer.

Oncques n’avait-on vu, depuis les académies florentines ou celle des Valois, un musicien dans la compagnie d’aussi beaux esprits. Depuis trois siècles, le compositeur, muré jusque vers la trentaine en son étroit apprentissage, ignorait tout des lettres et des arts : on en avait la preuve, lorsqu’il s’avisait d’écrire pour le théâtre, ou même pour l’église : que l’on songe aux poèmes que Bach, Beethoven et César Franck ont honorés de leur musique ! Il était réservé à Claude Debussy de nous rendre le musicien humaniste, sensible à toutes les beautés, sachant lire, sachant écrire à l’occasion, et surtout sachant vivre. Tel est sans doute le modèle que s’était proposé Wagner. Mais il ne put jamais accorder entre elles ces facultés diverses, faute d’un esprit clair. Les vrais précurseurs de Debussy, pour cette étendue de savoir bien acquis, sont en France quelques musiciens lettrés : Berlioz, Saint-Saëns, Gabriel Fauré ; en Russie, ces musiciens de qualité, qui parlaient français de naissance : Glinka, Dargomyjski, Borodine, Moussorgski.

C’était la première fois aussi, depuis bien longtemps, que des gens de lettres témoignaient de quelque intérêt pour la musique. On connaît le mépris superbe des romantiques : Lamartine, Hugo, Balzac, Théophile Gautier, fidèles sur ce point à la tradition classique de Corneille, Saint-Evremont, Boileau et Voltaire. Mais le symbolisme conviait à de mystiques noces toutes les figures de la pensée humaine. Verlaine inscrivait, en tête de son art poétique, ce précepte :

De la musique avant toute chose.

Et Mallarmé faisait paraître, en 1895, une plaquette, la Musique et les Lettres, où il montre, après Ronsard et ceux de la Pléiade, que l’art des sons et l’art des mots doivent se prêter un mutuel secours. On était donc fort bien disposé pour la musique en cette libre académie ; mais il faut dire que presque tous s’en tenaient à Wagner. C’est l’exemple, et, plus encore, la théorie du musicien-poète allemand, qui les avait éclairés et convertis. Verlaine et Mallarmé avaient collaboré à la Revue wagnérienne, avec Villiers de l’Isle-Adam, Huysmans, Catulle Mendès, Fantin-Latour, Jacques Blanche et Odilon Redon. Et Mallarmé se souvient certes de Wagner lorsqu’il propose, en sa plaquette, cette formule, que « la musique et les lettres sont la face alternative, ici élargie vers l’obscur, scintillante là avec certitude, du phénomène que j’appelai l’Idée » Le jeune musicien à qui il faisait une place parmi ses fidèles, était déjà désabusé de Wagner. Il n’est donc pas certain qu’il n’y ait eu, en cette amitié artistique, ainsi qu’en bien d’autres, quelque chose comme un suave malentendu, dont elle n’était, d’ailleurs, que plus solide.

Stéphane Mallarmé reçut, en 1892, l’hommage du premier poème symphonique écrit par Debussy : le Prélude à l’après-midi d’un Faune, inspiré d’un poème ancien déjà, car il fut écrit en 1876, pour Coquelin ainé.

Arcane tel élut pour confident
Le jonc vaste et jumeau dont sous l’azur on joue,
Qui, détournant à soi le trouble de la joue,
Rêve dans un solo long que nous amusions
La beauté d’alentour par des confusions
Fausses entre elle-même et notre chant crédule.

Cet appel à la musique fut entendu : avant les vers savants de l’églogue, une flûte réelle éleva la plainte de son désir. Par une alliance bienfaisante, le musicien, au lieu d’attacher un chant aux syllabes du poète, n’en voulut retenir que le sentiment, pour le traduire à sa manière, et ainsi préparer l’esprit aux subtilités verbales. La musique prit donc sur soi d’éclaircir le poème, contrairement aux aphorismes de Mallarmé, pour qui « la musique sans les lettres se présente comme très subtil nuage ; elles, une monnaie si courante » ; ou encore son charme est « vain, si le langage, par la retrempe et l’essor purifiant du chant, n’y confère un sens ».

C’est durant l’été de 1892, que passant, vers la fin du jour, par le boulevard des Italiens, Debussy acheta, à la librairie Flammarion, un drame de Maeterlinck qui venait de paraître : Pelléas et Mélisande. Il en commença la lecture le soir même, et fut aussitôt saisi. Seule, la Damoiselle élue l’avait touché à ce degré. Le lendemain, il était déterminé à donner une musique à ce drame ; Pierre Louys, à qui d’abord il confia son projet, lut le volume à son tour, et ne cacha point son étonnement. Mais Debussy tint bon, et les deux amis allèrent ensemble à Gand, trouver Maeterlinck, qui accorda au musicien toute licence de traiter le texte comme il l’entendrait, d’en ôter ce qu’il jugerait superflu, et de faire représenter l’ouvrage, par la suite, en telles conditions qu’il lui plairait.

Pendant dix ans, Debussy travailla à Pelléas et Mélisande. Plutôt il y songea, ces dix années, interrompant ses méditations pour écrire, lorsqu’il sentait le moment venu de fixer sa pensée. Ce fut une lente condensation de rêves, une captation du mystère, une révélation des sentiments cachés, une longue et merveilleuse exploration aux ténèbres de la conscience. Tour à tour, les divers épisodes du drame s’illuminaient de musique, et trouvaient leur sens que les mots, comme un tissu trop lâche, n’avaient pu retenir. Le duo du ive acte fut écrit d’abord ; le reste vint, selon les heures. La partition, toujours en croissance, fut, durant ces dix années, la compagne sûre, dont la seule présence encourage et console. Par elle Debussy fut rendu à lui-même, défendu contre les troubles de la vie, le piège des conseils et le danger des collaborations mal assorties. Il osa dire toute sa pensée, et ces œuvres nous furent données : le Quatuor à cordes, en 1893 ; l’année suivante, les Proses lyriques, dont il fut aussi le poète indépendant, et digne de ceux qui étaient ses amis. Sans doute l’influence de Mallarmé se découvre en certains raccourcis d’expression, les « blancs frisson », les « gris conflits » ; mais l’hermétique sertisseur de gemmes n’a jamais connu cette légèreté juvénile :

La nuit a des douceurs de femme,
Et les vieux arbres, sous la lune d’or,
Songent !
À celle qui vient de passer, la tête emperlée,
Maintenant navrée, à jamais navrée,
Ils n’ont pas su faire signe !
Toutes !
Elles ont passé, les Frêles, les Folles,
Semant leur rire au gazon grêle,
Aux brises frôleuses
La caresse charmeuse
Des hanches fleurissantes.

Poésie tissue de rêve, syllabes irisées, frémissantes, prêtes à se livrer au souffle attendu de la musique. Nulle entrave, nulle limite, l’espace est ouvert ; c’est un jeu où les sons et les mots rivalisent, une partie de fantaisie où l’on s’excite, où l’on s’anime, où l’on invite la nature, les vagues qui « jasent, petites filles sortant de l’école, parmi les froufrous de leur robe », les trains du dimanche, « dévorés par d’insatiables tunnels », les bon signaux des routes, qui « échangent, d’un œil unique, des impressions toutes mécaniques », et le beau ciel fatigué, où, parmi les avenues d’étoiles, « la Vierge or sur argent laisse tomber les fleurs de sommeil ». Seule, la troisième de ces proses, De fleurs, a l’inquiétude d’un mauvais rêve ; elle fait allusion, semble-t-il, aux Serres chaudes, poème maladif de Maeterlinck, que Chausson mettait alors en musique : et elle se dédie à la femme du compositeur.

En 1898, ce furent les trois Chansons de Bilitis’’, choisies dans le recueil récent de Pierre Louys ; ici la concision du style, l’antique rigueur des lignes, ne permettaient plus les grands essors ; mais la musique sur se ramasser, se replier sur elle-même, et, recueillie, atteindre cette sensualité pensive, qui confond le corps et l’âme dans la même volupté grave. De 1898 encore, les trois Nocturnes, pour orchestre, peinture non des objets et des êtres, nuages, fêtes ou sirènes, mais de leurs lumières, de leurs reflets, des vibrations qu’ils communiquent à l’air, de leur action sur l’espace ému.

C’est alors aussi que les œuvres du musicien commencèrent à dépasser le cercle étroit des intimes et des confidents. La Société Nationale eut l’honneur de les donner, presque toutes, en première audition. Le 8 avril 1893, c’était la Damoiselle élue qui sortait de son sommeil ; Mlle Julia Robert tenait le rôle principal, et Mlle Thérèse Roger était la Récitante. Le 29 décembre, le Quatuor à cordes apparaissait à son tour, grâce à MM. Ysaye, Crickboom, van Hout et Jacob. Le 17 février 1894, Mlle Roger chantait deux des Proses lyriques, De fleurs et De soir. Le concert d’orchestre du 22 décembre, répété le lendemain dimanche en matinée, révélait le Prélude à l’après-midi d’un Faune’’. Le 17 mars 1900, Mlle Blanche Marot interprétait les trois Chansons de Bilitis. Enfin, le 9 décembre de la même année, les Nocturnes se risquaient parmi le public plus mêlé des concerts Chevillard, et y trouvaient, déjà rassemblée, cette phalange enthousiaste, qui seule put sauver de l’indifférence une musique neuve, même l’imposer à la stupeur de la foule.

Debussy eut ses debussystes, comme Wagner ses wagnériens, Rameau ses ramistes ou ramoneurs ; et ces partisans dévouées furent poursuivis d’une haine féroce et des sarcasmes les plus échauffés. Le spectacle est éternel. Jamais aucune amélioration de quoi que ce soit n’a été voulue par le grand nombre, mais par une infime poignée de croyants, d’abord accusés de folie, ou de tous les crimes. Cette poignée grossit toujours, et, quelques siècles ayant passé, la masse finit par reconnaître bon ce qu’elle maudissait ; mais c’est pour en tirer des règles, qui à leur tour condamneront sans appel tout ouvrage suspect d’invention.

L’esprit de liberté est représenté, dans la littérature, par des revues hardies, et qu’on peut qualifier de jeunes, car jamais elles n’atteignent un âge avancé. Il ne faut pas les plaindre ; en vieillissant, elles mentiraient à leur devise, car elles deviendraient elles-mêmes une tradition. Telle fut, parmi d’autres, mais au premier rang, la Revue blanche, qui, comme on sait, portait intérêt, non aux lettres seulement, mais à la politique et aux arts, sans excepter la musique. Par une clairvoyance qu’il faut louer, on y appela Debussy, en 1901, comme critique musical. Le poète des Proses lyriques y montra un style plus serré, mai brillant encore, léger, sensible à toutes les impulsions de la pensée, d’une allure vive et dégagée qui sentirait son xviiie siècle, sans cette fantaisie sont s’orne une raison incorruptible, ce choix d’expressions frappantes, cette surprise d’images justes, surtout ce sentiment profond de la musique, avoué en si peu de mots, mais si émus. On peut reconnaître un goût très pur, mais généreux, capable de comprendre tout ce qui, dans le passé, fut beau par nature : le chant grégorien, les œuvres du xvie siècle, Bach, Mozart, Rameau. L’emphase du romantisme lui est ennemie. Cependant Beethoven reçoit des éloges, parfois magnifiques, pour le zèle dont il servit son art. Mais Wagner n’est jamais épargné. « La symphonie avec chœurs, écrit-il un jour, fut jouée le Vendredi-Saint chez M. Chevillard avec une compréhension qui élève ce chef d’orchestre au dessus des plus grands ; elle était en compagnie de quelques faisandés chefs-d’œuvre de Richard Wagner. Tannhaeuser, Siegmund, Lohengrin, clamèrent une fois de plus les revendications du leitmotiv ! La sévère et loyale maîtrise du vieux Beethoven triompha aisément de ces boniments haut casqués et sans mandat bien précis ».

Ainsi se trouva confirmé ce que déjà sa musique avait appris : qu’il nous délivrerait du prestige wagnérien ; on sait qu’il l’avait subi lui-même en sa première jeunesse ; puis le charme s’était rompu pour toujours. Aujourd’hui, il est rompu aussi pour nous ; la renaissance, non de notre musique seulement, mais, comme l’a vu Nietzsche, de la musique entière, était à ce prix.

Wagner n’a rien inventé ; il a seulement abusé ; après lui, tout devait être renouvelé.

C’est le 30 avril 1902 que parut, à l’Opéra-Comique, Pelléas et Mélisande. S’il n’avait tenu qu’à M. Marterlinck, jamais l’ouvrage n’eût été représenté. Si l’on s’en rapportait aux musiciens de l’orchestre, on préparait un insuccès qui irait jusqu’au scandale. Si l’on interrogeait les compositeurs de musique contemporains de l’auteur, un spirituel sourire découvrait leur denture, et l’espoir rayonnait sur leurs faces : non, certes, un tel rival n’était pas redoutable. On plaignait la folie de M. Albert Carré, directeur du théâtre, qui s’obstinait ; de M. André Messager, chef d’orchestre, qui poursuivait avec un soin enragé le travail des répétitions ; de M. Jusseaume, qui avait brossé des décors dignes de longs destins ; de Mlle Garden, débutante de grand talent, et de MM. Jean Périer, Dufranne et Vieulle, artistes consommés, qui s’étaient épris de leurs rôles. La chute était si bien escomptée que le programme quasi-officiel, vendu à l’intérieur du théâtre, alléchait le public d’une analyse ironique, agrémentée, entre parenthèse, de points d’exclamation et de hums réticents ; d’où un procès, que l’entrepreneur de cette publication devait perdre. L’auditoire choisi de la répétition générale et de la première, composé, comme on sait, d’invités, donna raison au programme : on s’étonnait, on protestait, on riait, on faisait des mots ; et l’on sortait avec l’agréable certitude de s’être égayés à un spectacle dont beaucoup seraient privés, car il ne passerait pas, croyait-on, la quatrième soirée. Mais on comptait sans les debussystes ; ils vinrent, dès qu’on les laissa entrer, c’est-à-dire dès la troisième représentation, et ils applaudirent. Ils revinrent ; et, comme les billets de faveur ne s’attribuent jamais aux fervents de musique, ce zèle eut pour conséquence première une favorable élévation des recettes. Le « Tout-Paris des premières » n’était plus là, appelé à d’autres réjouissances gratuites. Le succès s’annonça, se confirma ; bientôt, c’était un enthousiasme dont on n’avait plus eu d’exemple depuis Wagner. Six, huit, dix rappels, après chacun des actes, ne suffisaient pas à calmer le délire où chacun donnait cours à l’excès de son émotion. Il en est ainsi aujourd’hui encore ; mais les fidèles sont devenus plus nombreux. Certes la beauté de toute autre musique ne leur est pas étrangère ; mais celle-ci les a atteints aux sources mêmes de leur vie, qui en demeure imprégnée à jamais. À ceux qui ne sentent pas ainsi, ils ne demandent que de les laisser libres, allant eux-mêmes où il leur plaira.

Cette même année, le 11 janvier, R. Viñes avait joué, à la Société Nationale, une suite Pour le piano, composée de Prélude, Sarabande et Toccata. Un autre recueil, qui sous le titre d’Estampes assemble des vision de danses javanaises (Pagodes), de nuit espagnole (La soirée dans Grenade) et de bosquets parisiens (Jardins sous la pluie), était alors presque achevé ; il parut dans l’été de l’année suivante et fut interprété par le même artiste, au concert de la Société Nationale, en date du 9 janvier 1904. L’un et l’autre écrits sous le règne de Pelléas, ils confèrent à l’instrument marteleur une puissance de rêve inconnue jusque là, et le rendent non point égal, mais pareil à l’orchestre des Nocturnes.

Ici s’arrêtera le récit. Dans un avenir inconnu, s’il est d’usage encore de scinder l’histoire d’une vie en périodes distinctes, c’est aux alentours de ces années aussi que les biographes chercheront à planter un de leurs poteaux-frontières, qui séparera de la maturité la jeunesse. Une jeunesse de bonne heure soustraite aux influences, en possession de son style et créatrice de son art ; jeune cependant, par cette douceur inquiète, cet émoi inapaisé, ces appels sans espoirs, cette grâce voilée, qui aime et craint à la fois, n’ose se livrer qu’aux mirages et aux reflets. De là aussi l’attrait singulier de ces œuvres : elles ouvraient un autre monde, non point idéal, mais antérieur à toute lutte, à toute faute ; un monde d’innocence, pareil à celui-ci comme le visage de l’enfance annonce celui de l’homme, qui prendra, avc de la décision, des rides, et perdra la fraîcheur ; elles réveillaient des sentiments de confiance universelle et de fraternité avec toute chose, qui, rebutés par la vie, sommeillaient, sans elles, pour toujours. Elles n’étaient pas seulement des beautés qu’on admire, mais des amies toujours désirées, et qu’une secrète mélancolie rend plus chères encore : nées dans la profonde solitude, elles se savaient vouées à l’impossible, dédiées à l’absence, et n’attendaient à leur tendresse nulle réponse ; c’étaient des vierges pensives, en exil sur cette terre. Ce sont elles qui ont apporté, non aux musiciens seulement, le message d’une nouvelle alliance. Une foi était en elles, qui dépassait les bornes d’un art particulier, et une génération vit aujourd’hui, dont les Nocturnes et Pelléas ont formé plus que le goût : le

cœur.
Partition de Claude Debussy

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En ce temps, les plus sérieux de nos musiciens hésitaient entre Wagner et Franck ; les plus avisés suivaient l’exemple lucratif de Massenet ; quant à Saint-Saëns, déjà revenu de tout enthousiasme, il se moquait, en vers, en prose et en musique, des uns comme des autres. Et il est de fait qu’on ne pouvait guère se choisir de plus fâcheux modèles.

Il fut accordé à Wagner de prolonger l’existence du romantisme et de l’achever par un triomphe écrasant. Il n’en est pas moins vrai que, dès 1860, cette doctrine avait été supplantée en France par le réalisme de Flaubert et du Parnasse, qui lui-même cédait, en 1880, à un art plus souple et moins matériel. Les grands gestes de Wagner, son air fatal, ses drames de géants où les passions s’exaspèrent et se choquent avec des cris furieux, ses mythologies obscures, ses cosmogonies laborieuses, ses enchantements, ses monstres et ses machines d’ancien opéra, ses déclamations sur l’amour et la vertu, son regret inutile, mais éloquent, d’une pureté à jamais perdue ; ses rois solennels, ses princesses gothiques, ses héros imbéciles et valeureux ; enfin, sa musique où tout est disposé pour l’effet, où l’emphase est méthodique, l’excès prémédité, où l’on cherche à subjuguer l’auditeur, à l’envelopper, à le baigner en des flots abondants qui l’étourdissent et le roulent : tout ce fracas et tous ces artifices appartenaient à un autre temps. Wagner lui-même avait fini par s’en lasser : dans ses dernières années, son ambition assouvie, glorieux, las et déçu, il aspire au repos, et demande les secours de la foi : il trouve, pour Parsifal, un style apaisé dont la simplicité même est apprêtée encore, et s’admire. L’innocence lui fut toujours refusée, et, comme Tannhaeuser, celui de ses héros qui est le plus à son image, il ne pouvait même par le repentir, mériter l’absolution.

César Franck est bien loin d’un si diabolique orgueil. Mais il ne faut pas exagérer non plus la candeur de ce doux organiste. Sans culture, presque sans lecture, condamné, malgré l’admiration de disciples pieux, et fortunés pour la plupart, à gagner péniblement sa vie quotidienne, isolé du monde par sa profession, toujours assis à ses claviers, sous les voûtes à l’odeur d’eau bénite et de poussière, l’inquiétude du siècle l’atteignit cependant. Sa foi est ardente, mais troublée ; il faut qu’elle surmonte des doutes, qu’elle apaise des scrupules ; sa prière est anxieuse ; dans le temps qu’elle implore, elle interroge, et s’effraie du silence ; son âme sans malice est cependant une âme en peine, qui appelle douloureusement son sauveur, et se jette, tremblante, dans un espoir passionné. De là, malgré des chants modestes comme des cantiques et des fugues sans complaisance, une agitation fiévreuse, qui contraint le saint homme à se mettre en scène, lui aussi, pour nous entretenir longuement de ses inquiétudes ; le sujet lui tient si fort à cœur qu’il ne craint jamais de nous importuner, ou de nuire à la beauté de l’œuvre. C’est un romantique à sa manière, qui est sans apprêt, patiente, obstinée, dévote. Chez lui l’élévation de la pensée fait tout oublier. Mais ce qu’il enseignait, sans trop le vouloir, du reste, c’est une austérité sentimentale dont les meilleurs de ses disciples, comme Ernest Chausson, devaient avoir beaucoup de mal à se défaire.

Les ouvrages inspirés de Franck ou de Wagner étaient condamnés aux tristes honneurs du succès d’estime. Au contraire, la formule tant décriée, et si achalandée, de Massenet, qui d’ailleurs l’a empruntée à Gounod, était assurée de plaire au grand public. Ici l’on pêche par défaut, et non plus par excès. La vérité n’est jamais atteinte ; tout s’atténue et s’alanguit ; c’est un sourire perpétuel ; le chant se courbe avec une grâce obséquieuse ; les accords fleurent bon ; l’orchestre est fardé ;

Et, jusqu’à « Je vous hais », tout s’y dit tendrement.

Ces fadaises ont souvent consolé le goût français des beautés trop ardues que les maîtres de l’art lui proposaient. Rien ne sert de le nier : nous ne tenons pas, comme le public allemand, à être instruits ou édifiés ; nous aimons notre plaisir, et, quand on nous le donne, passons même sur un peu ou beaucoup de vulgarité. Le succès de tel compositeur trop facile, de tel poète trop aimable, de tel peintre flatteur, est sans doute une honte, mais aussi une leçon qu’il faut savoir entendre, non pour imiter ces courtisans de l’opinion, mais pour apprendre à ne pas la rebuter ; il y a un secret, pour charmer sans bassesse, que Racine a trouvé, comme aussi Watteau, François Couperin, Rameau, et tous nos grands artistes. Les romantiques, trop occupés d’eux, l’ont perdu. C’est pourquoi leur autorité parmi nous dura peu.

C’est en protestation contre eux que des esprits chagrins, comme Camille Saint-Saëns, prétendaient revenir, sans presque y rien changer, au style des classiques. On obtenait ainsi des œuvres respectables et dénuées d’intérêt. Sans doute il y a en toute forme ancienne une part de vérité, mais une part seulement, qu’il est nécessaire de démêler, pour l’accommoder au sentiment moderne. La puissance de Bach, la sérénité de Haendel, la rigueur de Rameau, les jeux de Mozart, tous ces biens pouvaient nous revenir, mais par des voies différentes. On commençait d’ailleurs à s’en douter. Ceux de nos musiciens dont le goût cultivé n’était arrêté par aucun parti-pris s’appliquaient, chacun à sa manière, à doter notre musique d’une grâce nouvelle. Ernest Chausson y fût parvenu, s’il lui eût été donné de vivre assez pour oublier Franck comme Wagner, n’écoutant plus que la tendre mélancolie de son cœur. Gabriel Fauré, musicien attique, savait déjà modeler des œuvres où une délicatesse raffinée se soumettait sans effort, non à la symétrie classique, mais aux lois non écrites des belles lignes et des mouvements harmonieux. Il connaissait son temps : fervent admirateur des poètes contemporains, il fut le premier, peut-être, à chanter Verlaine ; et touché, lui aussi, de la profonde émotion recluse en Pelléas et Mélisande, il écrivait pour cet ouvrage, en même temps que Debussy son drame, une musique de scène. C’est par lui que la renaissance de notre musique a commencé.

C’est alors aussi que l’exemple encourageant des musiciens russes nous fut connu. Indépendants de toute tradition, et personnellement hostiles à Wagner, ils avaient voulu créer une musique qui appartint en propre à leur pays, et y étaient presque parvenus, les uns en imitant les chants populaires et en les parant d’un orchestre diapré ; l’autre, qui est Moussorgski, trouvait en lui-même une puissance d’émotion qui l’égale aux maîtres du roman, et surtout à Dostoïevski, comme lui ivre de vie, sauvé comme lui des révoltes romantiques par l’immense pitié dont il absout tous les êtres. Par malheur, aucun de ces musiciens n’est arrivé à se faire un style sans défaut ; les premiers, mal instruits, se contentent d’une harmonie d’école, qui porte gauchement ses brillants costumes ; le second, ayant peu appris, se méfie de lui-même, écoute les conseils, se corrige, et jamais n’arrive à soutenir une inspiration. Mais ils ont rendu à la musique deux sentiments dont le romantisme amer l’avait sevrée : la joie et la bonté.

Claude Debussy n’a pas suivi les enseignements de Franck, et jamais il n’a été touché de naïves effusions dont il sentait trop le mauvais goût. Il a été conquis par la grandeur de Wagner, mais pour un temps très court : seule la Damoiselle élue témoigne quelque peu d’une admiration que le Printemps ignore, et que les compositions suivantes ont répudiée complètement. Encore est-ce avec le seul Parsifal, l’œuvre de paix et de renoncement, qu’on peut lui trouver quelque parenté : c’est le mouvement général, un peu lent et solennel ; c’est le caractère de l’orchestre, qui, malgré sa délicatesse, a ici de l’onction. Mais la mélodie est d’une netteté que Wagner n’a jamais atteinte, et presque toujours se détache en pleine lumière, au-dessus des harmonies murmurantes ; le chant ignore ces grands écarts et ces accents impératifs, propres à la langue allemande et imprudemment copiés par tant de nos musiciens ; même lorsqu’il reprend les thèmes d’abord énoncés par les instruments, leur simplicité lui permet de rester naturel ; le développement est toujours arrêté juste au point où il deviendrait factice ; or, Wagner, par principe, dépasse ce point toujours. Surtout, il n’a pas connu cette candeur céleste : il n’est pour rien dans l’idée même de l’ouvrage, et ne lui a fourni que certaines figures de style. On s’explique ainsi que, par la suite, ces marques légères se soient effacées sans laisser aucune trace.

Les musiciens russes ont certainement aidé Debussy à se déprendre de Wagner. Après les brumes dont le Graal et le Walhall s’environnent, il aime leur orchestre de mosaïque, et c’est par goût que, le 20 janvier 1894, au concert de la Société Nationale, il joue à quatre mains, avec René Chansarel, le Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov. Mais ce qu’il cherche pour son compte, ce ne sont pas ces oppositions crues ni ces rythmes sauvages. Il veut une peinture où tous les tons, sans se mêler jamais, cependant se relient entre eux, par les transitions de l’espace : et s’il sait isoler, en commençant le Prélude à l’Après-Midi d’un Faune, la rêverie de la flûte, c’est pour évoquer aussitôt autour d’elle la lumière brûlante, et les « sommeils touffus » de l’air où l’incarnat des nymphes se dissout. Quant aux Nocturnes, si l’ondulation des Nuages rappelle à certaines mémoires un dessin d’accompagnement, dans une romance de Moussorgski, et si, sur la fin des Fêtes, une guirlande de triolets s’infléchit par degrés chromatique, ainsi que dans Tamara de Balakirev, ce sont là de simples rencontres : car rien n’est plus éloigné de l’art russe, et de sa solidité primitive, que ces tableaux où il ne subsiste, des choses, que leur enveloppe de changeante clartés.

Il en est de même pour certaines ressemblances entre Pelléas et Mélisande et Boris Godounov : par exemple, un trait grave qui monte et descend dans l’intervalle d’une quarte dépeint ici le calme monastique, et là le trouble de deux pensées déjà coupables ; il faut en conclure ce qu’on savait déjà : que deux musiciens peuvent, avec autant de droit, prendre les mêmes notes en des acceptions opposées. On peut croire aussi que Moussorgski a encouragé Debussy à chercher un chant plus vrai. Mais ils s’y prennent chacun à sa manière : le premier ne connait pas de milieu, entre l’air caractérisé et l’exacte transcription du langage parlé. C’est justement ce milieu que cherche le second ; il veut une mélodie fidèle aux accents du discours, mais toujours musicale par elle-même. Enfin, Boris Godounov se compose d’épisodes séparés, entre lesquels la musique n’établit aucun lien, au lieu qu’une trame suivie se tisse autour de Pelléas, manifestant le progrès fatal des sentiments.

Bien plus que les compositeurs russes, ce sont les musiciens populaires du pays, surtout les tsiganes de Moscou et des envions, qui ont laissé à Debussy un souvenir durable. Ces tsiganes ne sont pas de contrefaçon, comme les nôtres, et ils ne brandissent pas des archets séducteurs : ils chantent, pour le plaisir de s’entendre. Leurs rythmes sont vifs, leurs mélodies chaleureuses et suaves ; ils les improvisent, ainsi que leurs accompagnements, conduits par l’instinct seul : la musique est leur vie. Au jeune Français qui les écoutait avec ravissement, ils ont appris la fantaisie. Ils lu ont conseillé de se livrer hardiment à tous les mouvements de sa pensée, certifié qu’ils seraient, même en dépit des règles, toujours harmonieux. Ils l’ont délivré de la discipline si pesante à son esprit, ils lui ont révélé un charme natif, une bravoure qui venait du cœur, et fait connaître le sens de ces souples caprices que les Russes leur empruntent aussi, mais pour l’ornement seul, et le plaisir de l’orientalisme. Sans eux, il est possible que le Prélude à l’après-midi d’un Faune eût chanté moins tendrement. Et le Quatuor à cordes, où la musique, obéissante à toute émotion, à l’abondance frémissante d’une source, leur pourrait être dédié.

Il est bien évident d’ailleurs que les procédés sont tout autres, puisqu’il s’agit de fixer et de mettre en place des effets que les improvisateurs obtiennent d’une heureuse inspiration. Ainsi, comme Wagner et Moussorgski ressemblent à Debussy par certains tours, non par l’esprit, les tsiganes lui donnent bien le modèle, peut-être même l’idée d’un certain caractère, non les moyens d’en saisir la ressemblance. Les plus profitables leçons ne lui sont pas venues de musiciens,

mais de poètes et de peintres.

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La poésie n’était plus ni classique, ni romantique, ni parnassienne, mais symboliste. La poésie classique prétendait au consentement universel, et, par suite, se fondait sur la raison, comme la chose du monde la mieux partagée. D’où la petite estime où elle tient les sens, la préférence qu’elle accorde aux formes fixes et régulières, enfin la précaution qu’elle prend de n’exprimer que des sentiments généraux, dont souvent le témoignage de l’antiquité lui garantit la permanence. Elle se méfie de toute opinion particulière, de toute impression personnelle, et le moi lui est haïssable. C’est au nom de ce moi méconnu que les romantiques se révoltent : ils réclament pour eux-mêmes le droit à l’existence, et veulent intéresser par l’histoire de leur vie, la confidence de leurs goûts et la peinture de leurs passions. Ils veulent briser les règles dont ils se sentent enchaînés, et n’y parviennent qu’à demi. Ils se disent ennemis des lois et en édictent à leur tour ; ils insultent la convention et gardent un idéal ; ils disloquent le vers et fortifient la rime ; à chacune de leurs hardiesses, ils reculent d’horreur, car ils se croient maudits. C’est justement parce qu’ils se sentent mal libérés qu’ils luttent avec tant d’effort ; menant leur sensations à l’assaut de leur raison, ils les excitent et les grossissent ; le tumulte de cette guerre est la seule harmonie qu’ils connaissent ; et tout en eux n’est qu’opposition, contraste et antithèse. On se lassa de cette inquiétude perpétuelle, et la doctrine de Parnasse vint rétablir la paix, mais non sans sacrifices : ce fut un retour délibéré à des formes de vers fixes, à peine plus variées que celles de la poésie classique, et beaucoup plus rigoureuses, surtout sur le chapitre de la rime. Ainsi, tout ce que gagnèrent, en fin de compte, les romantiques, ce furent quelques règles de plus. Et de cette poésie réasservie il va sans dire que tout sentiment personnel fut exclu de nouveau : mais comme la raison, après le romantisme, était un peu décriée, on n’y put revenir, et l’on assigna à l’art des vers, comme but unique, la peinture des objets matériels. Tous les Parnassiens furent descriptifs à outrance ; d’ailleurs bons ouvriers, à qui la difficulté de leur métier fait souvent un style aux reliefs de médaille. Il ne leur manque aucune qualité, que le mouvement, qui seul donne la vie.

C’est à leur école que Verlaine et Mallarmé ont gagné leur habileté de main. Bientôt las de ces jeux d’atelier, l’un et l’autre s’avisent que les apparences du monde, vaines par elles-mêmes, prennent un sens profond si on les associe aux idées qu’elles éveillent en nous. C’est à montrer ces relations que s’attache le symbolisme ; il ne fait ainsi qu’épuiser la richesse d’un procédé immanent à toute poésie, qui se nomme l’image. Mais ces transpositions suivies lui permettent d’évoquer sans analyse les plus subtiles nuances de nos émotions ; ces liaisons qu’il ne tranche jamais, ces perpétuels échanges de la conscience au phénomène, peuvent, par une sorte de mythologie nouvelle et spontanée, prêter une vie à la matière, une forme à la pensée ; quant à l’incohérence et à l’obscurité, elles sont évitées sous la seule condition que le poète trouvera les justes rapprochements et les frappantes analogies. La raison commune a perdu ses droits, mais une autre raison la remplace, concrète et non plus abstraite, qui gouverne la vie des choses comme des êtres, et ne peut être connue que par l’intuition. La poésie n’est plus fondée en logique, mais en métaphysique. Les mots ne seront plus choisis pour la seule notion qu’ils indiquent à l’esprit, mais dans la plénitude de leur sens, c’est-à-dire avec tout le cortège de sensations qu’ils éveillent par leur forme et par leur son. La rime sera élue en conséquence, non pour le plaisir d’une difficulté vaincue et d’une richesse inutile. Et le rythme du vers, au lieu de prétendre, pour tout mérite, à une symétrique ordonnance, voudra répondre aux mouvements qu’il s’agit de communiquer ; étant expressif, il ne sera plus régulier, ou du moins ne le sera qu’en de certains cas. La cause du symbolisme est liée à celle du vers libre. Elles ont triomphé l’une et l’autre ; non qu’il faille s’en tenir là : ce serait dire que la poésie est terminée. Mais quelques destinées qui lui soient réservées encore, il ne sera plus possible de revenir ni à l’abstraction des classiques, ni aux révoltes des romantiques : la poésie est devenue douce envers les sens ; elle ne les traite plus en ennemis, ni comme des tentateurs. Elle les interroge avec sollicitude sur le secret des existences. C’est une confiance qui ne leur sera pas retirée.

Pareillement la peinture a renoncé à l’abstraction des objets isolés. Elle s’est aperçue que la nature ne lui fournissait pas des arbres tout faits, ni des personnages, mais seulement des vibrations lumineuses, qu’il appartenait à l’esprit de ranger ensuite selon ses lois et ses coutumes. Au lieu d’anticiper sur de tels jugements et d’indiquer à l’avance les règles de cette classification, il lui a paru meilleur de donner la sensation telle quelle. C’est pourquoi elle a rejeté la superstition des contours définis et le procédé des ombres noires, bon seulement pour le dessin. Elle a poussé fort loin l’étude des couleurs, qui sont de son domaine particulier, jusqu’à les analyser en leurs éléments, comme à l’aide d’un prisme. C’est cette représentation d’un ton composé à l’aide de plusieurs tons simples qu’on assigne souvent comme caractère distinctif à l’impressionnisme ; elle n’en définit qu’une partie, qu’on a mieux appelée divisionnisme ou pointillisme. Elle n’est pas indispensable. L’impressionnisme est la peinture des impressions, prises sur le vif et reportées directement sur la toile. Comme le symbolisme, il ne se rapporte qu’au témoignage des sens ; il n’y a plus de conventions, ni de propositions ; le tout pour l’artiste est de voir, comme pour le poète de sentir ; délivré de tout raisonnement préalable, il n’en saisira que mieux la raison des apparences colorées, qui est leur action réciproque et perpétuelle. En ses tableaux, il montrera un aspect total de la nature, d’où ne seront exclus ni la transparence de l’air, ni le reflet du ciel : un incident particulier, dans

l’éternel débat des rayons lumineux.

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La musique classique est celle du bon sens. Si l’on en recherche les origines, il faut remonter jusqu’à Lully, qui, écrivant pour le public peu expert du théâtre, est toujours préoccupé de se faire comprendre. La musique de chambre, destinée aux amateurs, restait bien plus libre, ainsi qu’on peut le voir par les compositions pour clavecin des Couperin et de Rameau, comme aussi par les sonates italiennes, véritables fantaisies où l’auteur fait briller toutes les richesses de son imagination. Mais, vers le milieu du xviiie siècle, l’ancien opéra décline, parce que Rameau y met trop de musique au gré de ses auditeurs, et particulièrement des philosophes. Ce genre en défaveur se réfugie alors de la scène au concert. Or, c’est vers cette époque aussi que la France commence à se reposer du grand intérêt qu’elle avait témoigné jusqu’alors à la musique. En même temps que l’opéra se transforme, il émigre, et c’est en Allemagne que la symphonie classique continue de s’organiser. Haydn et Mozart lui donnent sa forme achevée. Beethoven déjà ne s’en satisfait plus, car il est, sans trop s’en douter, le premier des musiciens romantiques.

Ce qu’on appelle gamme, c’est une suite de notes rangées une fois pour toutes dans un certain ordre. Cette série invariable s’accroche indifféremment à n’importe que point de haute : toujours pareille à elle-même, ce qui en change seulement, c’est l’origine. Cette origine, qui est une note ou une autre, porte le nom de tonique, et l’on est dans tel ou tel ton, suivant qu’on a choisi telle ou telle tonique. De plus, on appelle modulation le changement de tonique et de ton. Ces quelques définitions expliquent tout le mécanisme de la musique classique : elle n’emploie qu’une seule espèce de gamme, car celle qu’on dit mineure se rapproche autant qu’elle peut de la majeure. Et elle ne s’intéresse qu’au ton où cette gamme se trouve placée. Pour que ce ton soit nettement appréciable, il faut que les mélodies n’emploient que les notes licites, et dans un ordre facile à suivre, qu’elles soient, en d’autres termes, aussi peu caractérisées que possible, simples lieux communs sur la gamme majeure. Et il faut que l’harmonie satisfasse aux mêmes conditions, c’est-à-dire qu’elle choisisse ses accords, non pour eux-mêmes, mais pour la vertu qu’ils ont de préciser le ton ; elle ne pourra s’arrêter que sur un accord parfait majeur ou mineur, caractéristique d’un ton, et tous les autres, appelés dissonances, serviront à faire attendre et désirer une telle conclusion, qui apporte à l’esprit la certitude, seule nécessaire.

Comme elle vient, en ligne plus ou moins directe, du théâtre, la symphonie affecte une allure dramatique ; mais ce qu’elle met en lutte, ce ne sont pas des mélodies, ni des harmonies, ce sont seulement des tons : au début, deux phrases entrent dans l’arène, et chacune d’elles est le champion d’un ton : c’est ce qu’on nomme l’exposition. Le développement est un duel où tour à tour l’un ou l’autre adversaire gagne et perd du terrain. Quant à l’issue, elle est connue d’avance : c’est la phrase qu’on a montrée en second lieu qui prendra finalement le ton de sa rivale et se montrera ainsi, réconciliée, dans la dernière partie, dite réexposition. Tout l’intérêt est dans les épisodes, les feintes, les surprises, les parades, les dégagements ; l’auditeur est là pour juger les coups ; et rien ne le distrait de son attention savante, puisque dès les premières notes il sait que mi bémol, ou ré majeur, joue et gagne.

Telles sont les règles du premier mouvement, le seul qui soit, de toute nécessité, dramatique. Ceux qui suivent, au lieu d’un conflit, présentent volontiers une simple alternance de tons, mais toujours c’est le ton qui est au premier plan, à la différence des anciennes formes de la sonate et de la suite, où il ne servait que de support à des mélodies et des harmonies intéressantes par elles-mêmes. La musique classique est donc abstraite à un très haut degré, beaucoup plus, par exemple, que la tragédie, qui, soumise à des règles, tâche d’y enfermer le plus qu’elle peut de vérité humaine ; la symphonie met les règles en avant, s’en fait gloire et joie, sans nul souci de signifier rien. C’est un jeu qui peut devenir divin, par la grâce de Mozart, mais demeure distant de notre vie, et bon, le plus souvent, pour les heures d’insouciance, où l’esprit s’amuse à des combinaisons sans objet.

Les musiciens romantiques ne pouvaient se contenter de ces divertissements : ils veulent que la musique soit faite à leur image. C’est pourquoi ils changent dès l’abord les attributions de la mélodie, qu’ils chargent d’exprimer, non plus des tons, mais des sentiments. Beethoven, dès sa maturité, trouve des phrases si vigoureuses de rythme, si fortes d’accent, si caractérisées, si éloquentes, que vraiment il ne leur manque que la parole, et l’on comprend ce vieux professeur du Conservatoire qui se permettait d’y adapter des vers de sa façon, opérant ce qu’au xviie siècle on appelait une parodie. Dès lors l’idée musicale l’emporte sur le ton, et la construction classique n’est plus justifiée ; Beethoven le sent bien : presque pour chacun de ses derniers ouvrages, il tente un plan nouveau, ayant recours tantôt à la fugue, qui insiste sur une idée en la combinant avec elle-même, tantôt à la variation, qui en montre les différents aspects. Après lui, on essaye d’autres méthodes. L’une, toute narrative, apparaît dans les poèmes symphoniques de Berlioz, de Liszt, et se retrouve, encore aujourd’hui, chez Richard Strauss : on écrit d’abord un scénario, et l’on en traite successivement les divers épisodes, par le moyen de thèmes indépendants. Au théâtre, Wagner attache un certain motif à un certain sentiment qui toujours l’amène avec lui, ce qui n’est pas nouveau, et même, ce qui est son invention malencontreuse, à un personnage ou à un objet. Enfin, ceux qui restent fidèles aux formes classiques de la symphonie et de la sonate, en cherchent volontiers l’unité dans le retour périodique, non plus d’un ton, mais d’une idée, dont les autres dérivent : c’est ce que, dans les écoles modernes de musique, on appelle, nul ne sait pourquoi, la « construction cyclique ».

Ce n’est pas seulement la mélodie qui peut être significative, c’est encore l’harmonie et la sonorité même de l’orchestre. La musique classique, attentive seulement à la hauteur et à l’ordre des sons, ne faisait guère alterner entre eux les divers instruments que pour la variété ; Berlioz reconnaît à leur timbre même un pouvoir dont les musiciens du xixe siècle étudieront les effets. Enfin, c’est Schumann et surtout Chopin qui s’avisent d’employer les accords, non plus pour indiquer des tons et des modulations, mais pour donner des impressions particulières ; chez eux, la dissonance ose se risquer librement, sans la prompte excuse de l’accord parfait ou consonant ; elle est appelée pour elle-même, et non à titre de préparation ; elle a mission d’imiter le scintillement des étoiles, le murmure des sources ou la tendre inquiétude d’un cœur douloureux. Ce ne sont pas ici des nouveautés, mais d’heureux retours : avant l’âge classique, les musiciens du clavecin, ceux du luth, même les créateurs de l’opéra florentin et les maîtres du chant à plusieurs parties, au xvie siècle, savaient placer à propos un accent d’harmonie ; mais la grande sècheresse qui survint après 1750 avait tout perdu.

Cependant la musique, comme la poésie, souffrait d’une lutte entre la raison et les sens nouveaux-venus, dont on acceptait les services, tout en les tenant pour suspects. Tous les romantiques, sans excepter Wagner, le plus complet, sinon le plus hardi, prennent bien soin de ne pas trop s’écarter de la gamme majeure ; même lorsqu’ils se permettent quelque infraction à son ordre sacré, promptement l’harmonie intervient pour le rétablir ; telle, campée à la fin d’un alexandrin, une rime énergique corrige l’irrégularité d’un enjambement ou d’une césure inégale. Les timbres caractérisés de l’orchestre s’enlèvent en haut-relief sur la grisaille des instruments à cordes, ou bien, chez Wagner, ils viennent s’y fondre au point qu’on ne les puisse discerner. Les modulations sont fréquentes, mais passagères ; les dissonances, même les plus imprévues, calculées pour ne pas voiler entièrement le dessin

géométrique des tons.

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En tout ouvrage romantique, il semble qu’une musique prisonnière se tourmente et implore sa délivrance. Des chaînes sont tombées, des jours se sont ouverts, laissant deviner, au dehors, un monde clair où déjà poètes et peintres s’élancent. Mais d’autres liens tiennent encore ; et les grands murs rectilignes restent debout. Claude Debussy fut le sauveur, parce qu’il venait au temps marqué, parce qu’ill avait médité l’exemple des arts fraternels, et surtout parce qu’il avait écouté les voix de la nature. Il a délié la captive, lui a rendu la caresse de l’air, et la grâce que les mouvements appris violentaient. Mais il n’a rien détruit : c’est la paix qu’il apporte, et non la guerre. Il a seulement aboli la rigueur des commandements, et demandé que l’on trouvât par plaisir ce que naguère on s’imposait par devoir.

La mélodie n’est astreinte à rien, pas même à s’émanciper de la gamme majeure ; souvent on n’y trouve aucune note que Mozart n’eût admise aussi. Ailleurs, suivant le sujet et la circonstance, elle se permet des irrégularités que d’ailleurs on remarque à peine, parce qu’elles sont venues d’inspiration. Tantôt on pourrait l’inscrire en des gammes analogues à tel de nos anciens modes grégoriens : ainsi le premier motif de Pelléas, et le thème principal du Quatuor. Ailleurs ce sont les inflexions d’un chromatisme direct, celui du Prélude à l’après-midi d’un Faune ; ou des altérations plus délicates : le cinquième degré de la série usuelle abaissé d’un demi-ton, ou le quatrième élevé d’autant, comme il arrive en plusieurs endroits des Nocturnes. D’autres fois, ce sont des successions de tons entiers, d’une farouche indifférence ; et, plus fréquemment, des échelles incomplètes, où le ton alterne seulement avec la tierce mineure, selon la préférence du goût chinois : ce sont elles qui permettent aux Pagodes, des Estampes, leur parfaite ressemblance ; mais Pelléas, ni les Nocturnes, ni les Proses lyriques, ni le Prélude à l’après-midi d’un Faune, ne les ignorent. C’est d’ailleurs une impropriété de parler de gammes, puisqu’une gamme est une règle. Ici la mélodie change perpétuellement l’ordre et la nature des intervalles. C’est une musique sans gammes, et, en effet, un temps devait arriver où cet appui deviendrait aussi inutile que le soutien du vers régulier pour la poésie ; il suffisait pour cela qu’un musicien fût à même de sentir par lui-même l’affinité mutuelle des sons, comme le poète la valeur des rythmes.

De même que la note, pour une telle imagination, attire la note, l’idée appelle l’idée. Les romantiques les juxtaposent ; ici elles procèdent l’une de l’autre ; et les points d’attache ne s’aperçoivent plus. Dans le Prélude à l’après-midi d’un Faune, qui est l’ouvrage le plus narratif, c’est par degrés insensibles que la rêverie s’exalte et se désespère ; dans le second Nocturne, ce cortège, dont l’éclat assourdi traverse la fête, est baigné par la même rumeur de lumière ; les différents échos qui s’élèvent, le soir, des rues de Grenade, dans la seconde Estampe, respirent un même sentiment d’ardeur mélancolique ; enfin, tout au long de Pelléas, les idées appropriées à chaque situation se tiennent d’un pacte ignoré, nouant, autour des événements fortuits, une symphonie de tendresse à l’invincible charme. C’est le secret de l’unité qui n’est pas assurée par des moyens extérieurs, n’a pas signes de reconnaissance, mais se fie à la suite naturelle des impressions. C’est l’unité d’un caractère, celle d’un paysage ; c’est, enfin, l’unité du ton, si l’on entend ce mot, non dans l’acception étroite de la théorie musicale, mais au sens moins défini que lui accordent les poètes et les peintres.

L’orchestre n’a recours au redoublement à l’unisson que s’il est nécessaire pour les effets de renforcement ou de dégradation ; partout ailleurs, il préfère les couleurs sans mélange ; c’est par leur voisinage qu’elles se font valoir, réagissent et jouent. C’est une palpitation continue, une lumière qui frémit, une transparence visible, une ombre faite de reflets, une légèreté de touches pures, directement posées sur la note qui les requiert, ou plutôt venues avec cette note même, qui est mise pour le timbre du violon, du hautbois ou du cor, non pour un autre. Aucun instrument n’est préféré, aucun sacrifié, chacun placé selon son caractère et en raison de l’ensemble. Jamais rien qui fasse une surcharge, un empâtement, une tache ; point de heurts non plus, de contrastes, de reliefs qui viennent en avant : des ensembles continus et distincts, où les plans s’ordonnent et les objets se dessinent par la seule vertu des teintes et des valeurs.

L’harmonie est l’image de la mélodie ; comme elle, très régulière à l’occasion, et même particulière amie de l’accord parfait. Mais elle en aime beaucoup d’autres aussi, que jusqu’alors on rangeait parmi les dissonances et qu’elle reconnaît consonnants : elle ne leur impose aucune suite forcée, aucune résolution ; elle goûte en chacun d’eux un charme propre, qui suffit. C’est qu’elle découvre, entre leurs notes, des relations que la théorie de la gamme majeure ne pouvait expliquer, ni par suite reconnaître. On a remarqué, fort ingénieusement, qu’un grand nombre de ces accords répondent à la série des sons harmoniques, prolongée au-delà du sixième. Mais on n’arrive à les y réduire que par les artifices de la transposition à l’octave et du renversement, qui en altèrent le caractère ; on n’a donc pas voulu dire qu’il eût suffi de connaître la série des harmoniques pour inventer des accords valables. L’harmonie des notes, comme celle des couleurs, n’est pas du ressort de la déduction, mais de l’intuition.

De tels accords seront liés entre eux par des affinités du même ordre que celles dont s’appellent les notes de la mélodie : au lieu de signaler un ton, ils formeront eux-même des mélodies libres de toute gamme préconçue, puisées aux sources même de la musique. Tantôt c’est le même accord qui sera maintenu et tracera, de sa sonorité unique et multicolore, un chant, capable lui-même de se composer avec un autre ; ou bien des accords différents se répondront, baignant la mélodie de leurs instables nuances, vagues de lumière.

Une telle musique était analogue à notre poésie et notre peinture ; analogue, et non pareille, puisque la ressemblance est justement en ceci, que chacun des arts, renonçant à toute règle abstraite, suit seulement les lois des sensations qui lui sont propres, et que, par suite, la peinture devient plus picturale, la poésie plus poétique et la musique plus musicale ; un poème symphonique de Claude Debussy n’imite donc en rien le rythme et les assonances de Stéphane Mallarmé ; de même que ses paysages et ses décors sonores ne procèdent ni de Monet ni de Whistler. Il fait à sa manière ce que ce que ces illustres contemporains obtiennent par leurs procédés. Outre cette différence spécifique, il y a encore celle de son style, beaucoup plus achevé qu’il n’était d’usage parmi les symbolistes et les impressionnistes. Il doit cet avantage au caractère même de son art. Mais parler de son art, c’est encore parler de lui-même, qui le crée, et la musique ici ne se distingue pas du musicien.

La musique est l’art symboliste par excellence, puisqu’elle ne représente les mouvements, les formes et les couleurs que par le moyen de sons, c’est-à-dire de sensations auxquelles on peut n’attacher aucune signification conventionnelle, et qui, n’ayant pas de rapport direct aux objets, suggèrent tout sans rien montrer. Et elle a aussi des facilités particulières pour l’impressionisme : ce qui fut senti en un instant risque moins d’être altéré par une transposition que par une reproduction, qui incite au contrôle et veut être fidèle. Il n’est pas sans exemple que la musique ait réalisé, mieux que les autres arts, une commune ambition. Le chant grégorien a des grâces également inconnues à la poésie, desservie par la langue, et au dessin encore raide. Roland de Lassus et Costeley sont bien plus maîtres de leurs voix associées que Ronsard de ses phrases ; et Rameau ouvre au xviiie siècle un rêve de galante innocence où Watteau s’avance aussi, mais dont les froids poètes du temps restent bien éloignés. Il est possible que de même Pelléas et Mélisande soit le chef-d’œuvre du symbolisme, et les Nocturnes celui de l’impressionnisme. Ce qui est certain, c’est que toujours la musique de Claude Debussy a conféré un surcroît de beauté aux poèmes qu’elle a illustrés. Elle a adouci les duretés de Baudelaire, éclairci la préciosité de Maeterlinck, réparé les incohérences de Verlaine, fixé le caprice léger du poète Claude Debussy. Partout elle a su écarter la vanité des mots, pour aller jusqu’au sentiment, et lui donner la traduction qui seule ne le trahissait pas. Partout elle a découvert ce que l’écrivain n’avait pu que laisser entrevoir, et, par elle, le poème a trouvé sa perfection.

Une simplicité supérieure lui est donc accessible. Il est de fort beaux poèmes symboliques ; il n’en est presque point qui ne trahisse quelque recherche, parce que les images les plus vives y sont rapportées sur le tissu logique des phrases, et n’y ont pas levé d’elles-mêmes. Un peintre a besoin d’un grand effort, s’il ne veut pas entrer en lutte avec la nature, pour la richesse des nuances, faisant montre ainsi d’une virtuosité qui détourne sur lui l’admiration, au détriment de l’œuvre. La musique ne s’inspire que de l’émotion que les objets lui donnent. C’est cette émotion qui lui livre le secret de leur existence ; lorsqu’elle le possède, elle imite sans effet les mouvements de la pensée, comme aussi l’ondulation des nuages et le frisson des eaux : car elle est devenue, par la force de son amour, pareille à la pensée, aux nuages, à la fontaine. Tant qu’elle n’est pas parvenue à cette communion, elle se tait ; sa sympathie éveillée, tout lui devient naturel, et elle s’oublie.

Elle ignorera donc l’industrie ; elle rendra même à leur naïveté première des sentiments que le poète n’a atteints que par un raffinement d’esprit, et en forçant son talent. Ainsi la Damoiselle élue, si préoccupée, chez Rossetti, de ses poses, s’abandonnera à toute la grâce de son innocence. Ainsi Pelléas, Mélisande, Arkhel et Golaud prendront une force de sentiment que l’écrivain, trop intéressé au détail du style, ne semblait pas avoir comprise ; par l’intervention de la musique, la chaleur de la vie leur est communiquée, la chair remplit les lignes grêles que le drame leur traçait, et, sous leurs atours de légende, nous les reconnaissons comme nos frères de cœur. Chacun d’eux est si bien pris dans son caractère qu’à nul on ne peut donner de torts : ils sont tels, et ne pouvaient accomplir d’autres actes, concevoir d’autres pensées ; le mal qu’ils se font l’un à l’autre est le fruit de leur nature : d’où la poignante émotion de l’œuvre, et sa grande pitié.

Nulle insistance n’est requise pour faire entendre d’aussi pures vérités : jamais d’élévation de voix qui provoque l’attention, de geste qui prenne à témoin. Ce sont des mouvements liés qui se succèdent et se commandent l’un l’autre par une persuasion intérieure. Ce sont les figures d’une danse sans battements, sans chocs, sans divisions, souple et fondue comme celles de l’Extrême-Orient. C’est une beauté plastique, qui se garde intacte dans les pleurs comme parmi les transports d’un rêve joyeux. C’est un rythme qui n’est plus celui des temps et des mesures : celui des lignes et des contours, dont jusque-là les sculpteurs étaient de plus fidèles adorateurs que les musiciens. C’est pourquoi tous ces poèmes de musique, même les inquiets, les déçus, les douloureux, laissent un parfum de douceur et de paix.

Obéissant aux seules volontés de la vie, cette musique est toujours belle. Telle est sa leçon ; ceux qui l’ont entendue sont devenus pareils à des initiés que le mystère n’effraie plus. Ils n’ont plus été sur la défensive devant la nature, parce qu’ils en comprenaient la raison, impénétrable à la raison humaine. Ils ont rendu grâces à ce qui existe, pardonné à la vie ainsi qu’à la mort. L’océan des apparences leur est devenu transparent et ils ont osé s’y livrer. Ils n’ont plus eu peur d’eux-mêmes et de leur ombre ; ils ne se sont plus méfiés de ce qu’ils sentaient ou de ce qu’ils désiraient. Ils ont erré par les jardins du monde, où toutes les fleurs leur ont souri. Et la musique dont ils étaient ravis était pareille à une fleur aussi, par sa grâce ingénue ; elle était fille du ciel, de la terre et des eaux, parce qu’elle était toute faite de génie.

C’est ici le lieu de remarquer que la belle musique a toujours été faite de génie aussi. Mais depuis l’âge classique, ce génie n’arrivait au jour qu’après s’être soumis les règles. Aujourd’hui, il se montre de prime abord ; il a toute la liberté de son action. Plus exactement, il a toute celle que nous souhaitons. Sans aucun doute, un jour viendra où ce qui aujourd’hui nous satisfait si complètement sera une gêne insupportable : des franchises nouvelles seront nécessaires, afin que la musique puisse répondre aux exigences accrues de la sensibilité. Mais il faudra pour cela en changer le système lui-même. Car il semble bien qu’aujourd’hui elle tire tout le parti possible des douze demi-tons entre lesquels se divise l’octave, et de ses différents instruments. Il sera donc nécessaire d’inventer d’autres intervalles, sans doute plus petits, et d’autres moyens pour la production du son. Ceux qui savent combien les habitudes de l’oreille sont lentes à se modifier, seront persuadés que bien du temps passera avant une telle réforme. Il ne faut pas déplorer ce délai ; elle est bien loin encore de les avoir parcourus ; d’abord elle est restée à la lisière, tremblante d’émoi à la vue de ces trésors inexplorés. Depuis ces dernières années, elle a fait quelques pas de

plus, et découvert des horizons plus lumineux encore.

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Une nouvelle période a commencé, que l’on pourrait définir par l’organisation des conquêtes. Les œuvres qui l’ont manifestée jusqu’ici sont ; en 1904, trois nouvelles Fêtes galantes, de Verlaine, et trois Chansons de France, sur des paroles de Charles d’Orléans et de Tristan l’Hermitte ; en 1905, un premier recueil de trois Images pour piano, dont les deux premières continuent assez directement les Estampes, au lieu que la dernière (Mouvement) est d’un style tout différent ; cette même année, la Mer, trois esquisses symphoniques dont la première idée remonte à 1903 ; en 1907, un second recueil d’Images, plus caractérisé encore que le premier ; en 1908, un recueil pour piano qui, sous le titre de Children’s Corner, réunit six illustrations sur des sujets enfantins, et trois Chansons, empruntées encore à Charles d’Orléans, mais cette fois écrites, par une grande surprise, pour chœur sans accompagnement ; enfin, en 1909, ont été terminées des Images pour orchestre, dont on ne peut rien dire encore.

Toutes ces œuvres, comparées à celles qui précèdent, montrent un style aussi libre, mais de plus en plus ferme. C’est la première timidité qui se calme, c’est la démarche qui s’assure, la pensée qui devient affirmative ; c’est un bonheur auquel on ose croire, une beauté que l’on approche sans craindre, qu’elle se dissipe comme un rêve. Pelléas, les Nocturnes, les Proses lyriques, nous paraissaient d’une simplicité impossible à dépasser, et nous étions dans l’erreur ; car cette simplicité était celle même de la première impression ressentie ; elle devait se ramasser encore, pour se réduire au principe même de cette impression. Tel est le progrès qui vient d’être accompli. De toutes ces couleurs d’orchestre, vives et chatoyantes, de toutes ces effervescences du piano, pareilles à une mousse sonore, on n’a voulu retenir que juste ce qu’il fallait pour indiquer l’atmosphère ; et, ce flot retiré, les lignes du dessin sont apparues, non pas arrondies et liées à la manière classique : nettes, tranchées, incisives, et si bien en place que tout le modelé s’y trouvait impliqué. Les œuvres de la première période effleuraient le réel, prenant garde de n’en point briser l’enveloppe impalpable ; celles-ci en mettent le cœur à nu, dégageant la forme fondamentale que l’apparence extérieure développe et dilue en détails. C’est une généralisation, comparable à celle des classiques, et toute différente cependant, parce qu’elle part de données sensibles et non abstraites. Il vaudrait mieux employer le mot de stylisation, qui appartient aux arts du dessin. Justement, ils cherchent eux-mêmes, depuis quelques années, à relever la vérité de l’impressionnisme par l’accent des partis-pris. Ici encore la musique est avec eux : c’est le Faune des Fêtes galantes, dont l’angoisse se trace en un seul égrènement de flûte, sur un rythme étouffé ; c’est la Grotte, qui enferme en de brefs intervalles la tristesse de l’eau dormante ; et la Lune descend sur le temple qui fut, évoquant par des touches précises la méditation d’un vaste paysage sous l’incertitude des rayons ; les voix de la Mer s’élèvent, joyeuses, graves, légères, plaintives, sirènes dévoilées dont les glauques regards fascinent ; c’est encore, dans Children’s Corner, la danse des flocons mélancoliques, ou le bercement attentif des sages éléphants : prodiges de raccourci, où des traits de candeur enfantine accusent une pénétrante émotion. Enfin, les trois Chansons de Charles d’Orléans ont fait revivre une forme abandonnée depuis le xvie siècle, non sans motif : tout s’y trouve à découvert ; nul secours à attendre des couleurs, ni des figures instrumentales. Quatre, cinq ou six lignes simples se meuvent en pleine lumière, et font tout le tableau. Une défaillance, un point de raideur ou d’enchevêtrement, et tout est perdu. À cette épreuve on a pu juger comme la mélodie de Claude Debussy était résistante. Ni Roland de Lassus, ni Costeley n’en ont eu de plus souplement fortes. Et pourtant ce sont des sentiments qu’ils n’ont pas poussés à ce point de délicatesse : une adoration plus fervente, une nonchalance plus douce, une joie plus tendre. Ainsi se trouve renouée une tradition de plénitude rigoureuse que l’on pouvait croire perdue, et qui est proprement française ; c’est celle de nos musiciens aristocratiques, que Lully et Gluck, comme on sait, ont combattue. Ce n’est pas un hasard que Claude Debussy s’inspire aujourd’hui de nos anciens poètes, ni que l’une de ses Images est un Hommage à Rameau, le dernier et le plus fier, parmi ceux qui ont satisfait à ce goût de nos élites, jusqu’à la renaissance d’aujourd’hui.

Il est bien clair qu’un art de cette qualité ne sera jamais populaire. Mais un art qui efface les différences d’éducation et de culture est une utopie de plus en plus chimérique. C’est une vérité banale, que l’instruction, à mesure qu’elle se répand, accroît les distances. On peut changer le recrutement des classes, et nous arrivons à ce qu’il soit plus juste, puisque la naissance y a moins de part. Un temps approche, où l’intelligence seule décidera du rang. Mais il n’y en aura pas moins un peuple pour cela ; il sera mieux défini qu’aujourd’hui ; il aura ses musiciens, ses poètes, ses artistes ; il les a déjà, et depuis des siècles. Les classiques eux-mêmes, lorsqu’ils voulaient plaire au commun des hommes, n’y comprenaient pas le populaire ; ils s’arrêtaient à la bourgeoisie.

Les formes supérieures de l’art, comme celles de la science et de toute pensée, sont un privilège. On ne l’abolira point : il devient plus exclusif. Mais il ne fait état, ni de la race, ni de la fortune. Ceux mêmes qui sont nés misérables l’obtiennent par le mérite de leur esprit, et ils en sont consolés. C’est dans tous les groupes de la société, c’est dans tous les pays, par delà les frontières et les mers, que la plus pure musique d’aujourd’hui se recrute des amis inconnus. C’est en ce sens, le seul vrai, qu’on peut la dire universelle. Et cette vertu lui est garantie plus sûrement par son récent progrès.

Elle s’est dégagée en effet de tout ce que le symbolisme et l’impressionnisme contenaient de complexe, par suite, de particulier, de passager et d’exceptionnel. De tout temps, elle tendait à la simplicité. Mais aujourd’hui cette simplicité s’est dépouillée, condensée et concentrée ; toute la fraîcheur des sensations est gardée, mais elles sont choisies, et liées de rapports nécessaires. L’œuvre n’est plus d’un moment ; elle tient par elle-même, détachée de toute circonstance. C’est pourquoi son pouvoir s’étend désormais sur tous

ceux à qui le sentiment de la musique n’a pas été refusé.

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Les quelques recommandations qui vont suivre s’adressent aux interprètes, virtuoses ou non, que pourrait embarrasser la nouveauté d’un art non encore enseigné. Elles auront pour excuse leur brièveté.

La première condition, pour jouer une telle musique, c’est de ne pas la juger difficile. À tous ceux qui n’y reconnaîtront que dissonances, ou chercheront en vain la mélodie si manifeste pour d’autres, il faut conseiller de poursuivre leurs méditations jusqu’au moment où la grâce les touchera, ou bien de renoncer et s’abstenir.

Quand on aura senti ce qui s’y trouve, il ne faudra pas s’évertuer à y mettre ce qui n’y est pas, et en particulier des « effets » La qualité qui importe le plus, c’est l’unité du ton. Tout ce qui la trouble, ports de voix, suspensions du rythme, ralentissements ou accélérations arbitraires, n’est pas seulement inutile, mais funeste. Mieux vaudrait encore se tromper du tout au tout sur le caractère, jouer par exemple les Pagodes avec enjouement, ou la Soirée dans Grenade à la façon d’un toréador en garde, que de rompre brusquement le charme par un coup de poing ou une grimace.

Les chefs d’orchestre feront bien d’oublier Berlioz et Wagner aussi complètement qu’il se pourra ; pas de contrastes ici, ni surtout de ces déchaînements sentimentaux où par malheurs nos instrumentistes, pervertis par leur répertoire, s’abandonnent dès que l’expression leur est demandée. Inutile également de chercher à modifier la perspective, comme on le fait si volontiers pour les classiques ; les brandisseurs de baguette tirent à leur gré tel ou tel timbre de la masse orchestrale pour le mettre au premier plan : l’un préfère le cor ou l’autre favorise le violoncelle ; un troisième s’avise d’aller chercher la clarinette, qui n’a qu’une note à faire, et le voila passé maître à son tour. Il faut se persuader qu’ici, comme d’ailleurs en tout ouvrage congrûment orchestré, chaque détail est à sa place et ne doit pas la quitter ; il a été calculé pour l’impression d’ensemble, que la moindre altération de l’équilibre compromettrait.

Les pianistes devront renoncer à la prétention de « marquer le chant » ; bien compris, il prendra de lui-même le léger relief qui est nécessaire ; insister serait tomber dans l’affectation romantique. Mais ils ne devront pas d’avantage attirer l’attention sur ce qu’ils notamment, bien à tort, les traits, c’est à dire ces figurations rapides dont le rôle est d’envelopper les chants principaux, de leur tracer une harmonie avec des lignes, conformément au caractère même du piano et d’animer les fonds. Il vaudrait mieux brouiller ces dessins, même y laisser échapper des fausses notes, à la manière des amateurs, que de vaincre leur difficulté pour en triompher, et quêter les applaudissements avec des grâces de gymnaste. Ce qui est vrai de Debussy l’est d’ailleurs autant de Schumann, de Chopin, et de Bach, et de tous ceux qui ont su écrire pour un instrument à clavier. Mais voici qui est plus particulier : souvent des notes sont accompagnées d’un signe dont l’emploi était assez rare jusqu’ici, et qui est une petite barre. Les uns croient devoir les détacher, d’autres les renforcer ; mais ce qui est demandé, c’est une sonorité transparente ; on peut l’obtenir par une attaque franche et sans dureté, que la pédale prolongera, le doigt quittant la touche aussitôt.

Les chanteurs devront, avant tout, s’occuper de chanter. Ils en ont, comme on sait, perdu l’habitude. Un préjugé fort répandu veut que, dans toute musique moderne, il ne soit nécessaire que de « dire », avec aussi peu de voix que possible, et sans même observer l’exactitude des intervalles. C’est un contre-sens. Si une mélodie échappe à la carrure classique, si elle ne retombe pas, loutes les deux mesures, sur l’aplomb d’une cadence, si elle suit le rythme de la phrase et ne fait pas violence à l’accent des paroles, il ne faut pas la croire informe pour cela. Même lorsqu’elle s’immobilise sur la même note, ce n’est pas pour imiter le ton du discours, variable sans cesse. C’est pour peindre, par une métaphore toute musicale, le demi-jour du recueillement ou de la réticence. Ce sont des lignes dont le caractère persiste, même si on leur retire le soutien des mots. Loin de les effacer ou de les briser, il faut prendre soin de les soutenir, et les nourrir.

Enfin, l’euphonie est partout requise : il faut éviter que les archets grincent, que les anches claquent, que les flûtes frottent, que les cuivres cornent aux oreilles, que les cordes du piano soient arrachées, celles des gosiers râpées. Pour parer à ces disgrâces, il convient que l’artiste prenne l’habitude de s’écouter ; que les répétitions d’orchestre se fassent dans une salle dont l’acoustique ne soit pas trop rébarbative ; que le pianiste, attentif à son toucher, sente le son au bout de ses doigts ; que le chanteur ne fasse jamais violence à sa voix ; que les uns et les autres enfin gardent de la douceur dans la force, de la force dans la douceur. Il faut que tout se suive et se tienne. Cette musique doit être baignée d’harmonie ; elle ne supporte aucune

laideur, même intelligente.

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Un catalogue très complet des oeuvres a été dressé par M. G. Jean-Aubry, vérifié par l’auteur lui-même, et inséré dans le programme du concert que le Cercle de l’Art moderne a donné au Havre le 22 avril 1908. Il a suffi d’y porter les ouvrages qui ont paru par la suite, de corriger quelques erreurs de détail, toujours sur le conseil de l’auteur, et d’ajouter quelques dates.

Œuvres Editeurs Dates de composition Premières auditions
piano à deux mains
’'Rêverie Fromont 1890
Ballade Fromont 1890
Danse. Fromont 1890
Valse romantique. Fromont 1890
Arabesque (N°1 – N°2). Fromont 1890
Suite bergamasque (Prélude, – Menuet, – Clair de lune, – Passepied). Fromont 1890
Mazurka. Fromont 1890
Nocturne. Figaro musical 1890
Pour le Piano (Prélude. – Sarabande. – Toccata). Fromont 1901 Société Nationale 11 janvier 1902 (R. Viñes).
Masques. Durand 1901
Estampes (Pagodes. – La Soirée dans Grenade. – Jardins sous la Pluie.). Durand 1903 Société Nationale, 9 janvier 1904 (R. Viñes).
D’un cahier d’esquisses. Schott, Bruxelles 1903
Images (1re série. –Reflets dans l’eau. – Hommage à Rameau. – Mouvement.). Durand 1905
Images (2me série – Cloches à travers les feuilles. – Et la lune descend sur le temple qui fut. – Poissons d’or.). Durand 1907 Cercle musical, 1907 (R. Viñes).
Children’s Corner (Doctor Gradus ad Parnassum. – Jimbo’s lullaby. – Serenade for the doll. – The snow is dancing. – The little shepherd. – Golliwogg’s cake-walk.). Durand 1908 Cercle musical, 18 décembre 1908 (H. Baner).
piano à quatre mains
Marche écossaises sur un thème populaire. Fromont 1891
Petite suite (En bateau. – Cortège. – Menuet. – Ballet.). Durand 1891
piano et chant
Nuit d'étoiles (Th. de Banville). Coutarel 1876
Beau soir (P. Bourget) Veuve Girod 1878
Fleurs des blés (Girod) Veuve Girod 1878
Belle au bois dormant. Société Nouvelle 1887
Voici que le printemps Société Nouvelle 1887
Paysage sentimental Société Nouvelle 1887
Les Cloches (P. Bourget). Durand 1887
Romance (P. Bourget). Durand 1887
Mandoline (P. Verlaine). Durand 1880
Cinq poèmes de Ch. Baudelaire. Durand 1890
Ariettes oubliées (P. Verlaine. – C’est l’extase. – Il pleure dans mon cœur. – L’ombre des arbres. – Chevaux de bois. – Geen. – Spleen). Fromont 1888
Fêtes galantes (P. Verlaine. – En sourdine. – Fantoches. – Clair de lune.). Fromont 1892
Proses lyriques (C. Debussy – De Rêve. – De Grève. – De Fleurs. – De Soir.). Fromont 1892 Société Nationale, 17 février 1894 (Mlle Th. Roger).
Chansons de Bilitis (Pierre Louÿs. – La flûte de Pan. – La chevelure. – Le tombeau des Naïades.). Fromont 1898 Société Nationale, 17 mars 1900 (Mlle Bl. Marot).
Fêtes galantes, 2e recueil (Paul Verlaine. –Les Ingénus. – Le Faune. – Colloque sentimental.). Durand 1904
Trois Chansons de France (Charles d’Orléans : Rondel. – Tristan L’Hermitte : La Grotte. – Charles d’Orléans : Rondel.). Durand 1904
chœur sans accompagnement
Trois Chansons de Charles d’Orléans (Dieu ! qu’il la fait bon regarder. – Quand j’ai ouy le tambourin. – Hiver, vous n’êtes qu’un vilain.). Durand 1908 Concerts Colonne, 9 avril 1909.
musique instrumentale
Quatuor pour instruments à cordes. Durand 1894 Société Nationale, 29 décembre 1893 (Quatuor Ysaye).
Danses pour harpe chromatique et orchestre d’instruments à cordes. Durand 1904
orchestre
Printemps, suite symphonique, réduite pour piano à quatre mains. Durand 1886
Prélude à l’Après-midi d’un Faune, églogue d’après le poème de Stéphane Mallarmé. Fromont 1894 Société Nationale, 22 décembre 1904.
Nocturnes (Nuages. – Fêtes. – Sirènes.). Fromont 1899 Concerts Chevillard, 1900.
La Mer (De l’aube à midi sur la mer. – Jeux de vagues. – Dialogue du vent et de la mer.). Durand 1905 Conc. Chevillard, 15 octobre 1905.
Images (Gigue triste. – Ibéria. – Rondes de printemps.). Durand 1909
chant et orchestre
Le Jet d’eau (Baudelaire). Durand orchestré en 1907 Concert Colonne, 24 février 1907.
œuvres lyriques
L’Enfant prodigue, cantate, réduction pour piano et chant. Durand 1884
La Damoiselle élue, poème lyrique, réduction pour piano et chant. Librairie de l’Art indépendant 1887 Société Nationale, 8 avril 1893.
Partition d’orchestre Durand
Pelléas et Mélisande, drame lyrique en 5 actes et 12 tableaux, paroles de Maurice Maeterlinck, réduction pour piano et chant. Fromont 1902 Opéra-Comique, 30 avril 1902
Partition d’orchestre Durand
La photographie reproduite en tête

de cet ouvrage a été prise par M. Nadar, à Paris.

La page reproduite après le premier chapitre appartient aux Images pour orchestre (1909), dont la partition est éditée chez M. Durand, à Paris. Achevé d’imprimer le 10 juillet 1909.


Ce volume est mis dans le

commerce au prix de 10 francs

LES BIBLIOPHILES FANTAISISTES

Nous assistons, c’est un fait, à l’agonie du volume à 3 fr. 50. Les statistiques du dépôt légal constatent la diminution du nombre des romans qui paraissent chaque année. Est-ce à dire qu’on lise moins ? Bien au contraire. Mais il s’imprime dans des collections à 95 centimes, 1 fr. 35, etc., des ouvrages tirés à cinquante mille exemplaires, ou davantage. On ne vendrait pas cinq mille exemplaires de ces mêmes ouvrages publiés à 3 fr. 50.

S’en étonner serait mal connaître les besoins modernes. S’en plaindre serait vain. Les éditeurs français n’ont fait qu’imiter leurs confrères anglais et américains qui depuis longtemps ont mis en circulation des collections à bon marché. Mais à côté de ces séries populaires, les libraires étrangers offrent au public des livres qui, sans constituer des publications de luxe réservées à quelques curieux, sont bien supérieurs, par l’élégance du format, la beauté du papier et des caractères, au banal volume jaune de nos devantures. On ne trouve rien de semblable en France.

C’est à quoi les Bibliophiles Fantaisistes se sont proposés de remédier.

Nous avons eu le rare plaisir de voir notre initiative comprise par un certain nombre d’auteurs déjà célèbres : MM. Maurice Barrès, J.-E. Blanche, Marcel et Jacques Boulenger, René Boylesve, François de Curel, Edouard Ducoté, Claude Farrère, Gérard d’Houville, Louis Laloy, Pierre Louÿs, Paul Margueritte, Francis de Miomandre, Nozière, Henri de Régnier, Laurent Tailhade, Jérôme et Jean Tharaud, dont nous avons publié ou publierons des œuvres avant le 1er octobre 1910.

Chacun de nos volumes est imprimé avec les caractères, le format et le papier qui nous semblent le mieux convenir au sujet. Nous arrivons ainsi à offrir à nos souscripteurs des ouvrages qui, par la manière seule dont ils sont présentés, constituent déjà des ouvrages de bibliophile.

Ils sont toujours tirés à 500 exemplaires numérotés à la presse.

Les souscripteurs s’engagent à verser une somme de 5 franc pour chaque volume qui leur est remis par la poste contre remboursement. La souscription annuelle ne s’élève jamais au-dessus de 50 francs, et la Société se réserve, s’il est publié plus de dix volumes par an, de les offrir aux membres souscripteurs. (Dès le 1er novembre 1909, la Société offrira à ses souscripteurs un essai sur Mme Colette Willy, par M. André du Fresnois.) On comprend, par ce seul fait, le véritable but de la Société, qui est de publier des éditions de plus en plus luxueuses, et d’offrir à ses souscripteurs le plus grand nombre possible d’ouvrages en échange de leur cotisation de 50 francs par an.

Il est donc de l’intérêt des anciens souscripteurs de chercher eux-même des souscripteurs nouveaux.

Les exemplaires non souscrits sont mis dans le commerce à un prix variable, mais qui ne s’abaisse jamais au-dessous de 7 francs 50, sauf pour les volumes offerts aux souscripteurs.

Les souscriptions courent en général du 1er octobre de chaque année. M. Eugène Marsan, administrateur de la Société (11bis, rue Poussin, Paris xvie, est chargé de les recevoir.

  1. Comparaison de la musique italienne et de la musique française, t. iii, p. 90.