Claudius Bombarnac/18

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J. Hetzel et Compagnie (p. 186-198).


XVIII


Des millions… ce sont des millions que renferme ce prétendu wagon mortuaire ! »

Malgré moi, cette phrase imprudente vient de m’échapper, de telle sorte que le secret du trésor impérial est à l’instant connu de tous, employés de la gare, voyageurs du train. Ainsi pour plus de sécurité, le gouverneur persan — d’accord avec le gouvernement chinois — a voulu laisser croire au transport du corps d’un mandarin, alors qu’il s’agissait du transport d’un trésor à Pékin valant quinze millions de francs…

Dieu me pardonne, quelle gaffe, — explicable assurément, — quelle gaffe j’avais commise ! Mais pourquoi me serais-je défié de ce que Popof m’avait dit, et pourquoi Popof aurait-il suspecté ce que lui avaient affirmé les employés persans touchant le mandarin Yen-Lou ?… Il n’existait aucune raison de mettre leur véracité en doute.

Je n’en suis pas moins profondément humilié dans mon amour-propre de chroniqueur, et très chagriné du rappel à l’ordre que cet impair m’a valu. Toutefois, je me garde bien de souffler mot de ma mésaventure, même au major. Est-ce croyable ? à Paris, le XXe Siècle est mieux informé que je ne le suis sur le Grand-Transasiatique de ce qui concerne ce railway ! Il sait que c’est un trésor impérial que nous traînons à la queue de notre train, et je l’ignorais ! Ô déceptions du reportage ! Maintenant, le secret est divulgué, et nous ne tardons pas à apprendre que ce trésor, composé d’or et de pierres précieuses déposé jadis entre les mains du Shah de Perse, est expédié à son légitime propriétaire, le Fils du Ciel.

Voilà pourquoi le seigneur Faruskiar, qui en était avisé en qualité d’administrateur de la Compagnie, a pris notre train à Douchak afin d’accompagner ce trésor jusqu’à destination. Voilà pourquoi Ghangir et lui, — et les trois Mongols, leurs agents, — ont si sévèrement surveillé ce wagon précieux, pourquoi ils se sont montrés si inquiets quand il a été abandonné après la rupture de la barre, pourquoi ils ont mis une si furieuse insistance à l’aller reprendre… Oui ! Tout s’explique !

Voilà aussi pourquoi une escouade de soldats chinois est venue recevoir livraison du wagon à Kachgar, après en avoir donné décharge aux employés persans ! Voilà pourquoi Pan-Chao ne pouvait avoir entendu parler du mandarin Yen-Lou, aucun haut personnage de ce nom n’ayant existé dans le Céleste-Empire !

Nous sommes partis à l’heure réglementaire, et, on le pense, nos compagnons de voyage ne parlent plus que de ces millions qui suffiraient à enrichir tout le personnel du train.

« Ce prétendu wagon funéraire m’avait toujours paru suspect, me dit le major Noltitz, et c’est pour cela que j’avais interrogé Pan-Chao au sujet du feu mandarin.

— Je me rappelle, en effet, ai-je répondu, et je n’avais pas compris le motif de votre question. Ce qui est certain, c’est que nous voici maintenant avec un trésor à la remorque…

— Et j’ajoute, reprit le major, que le gouvernement chinois a prudemment fait de lui donner une escorte de vingt hommes bien armés. Depuis Khotan jusqu’à Lan-Tchéou, le train aura deux mille kilomètres de désert à franchir, et la sécurité du railway laisse à désirer à travers le Gobi…

— D’autant plus, major, que, d’après ce que vous m’avez dit, le redoutable Ki-Tsang a été signalé sur les provinces septentrionales du Céleste-Empire…

— En effet, monsieur Bombarnac, et un coup de quinze millions, c’est un beau coup pour un chef de bandits.

— Mais comment ce chef aurait-il pu être informé de l’envoi du trésor impérial ?…

— C’est gens-là savent toujours ce qu’ils ont intérêt à savoir. »

Oui, pensai-je, et bien qu’ils ne lisent pas XXe Siècle !

Et je me sentis rougir en songeant à ma bévue, qui me vaudra certainement les malédictions de Chincholle. Entre temps, divers propos s’échangeaient sur les plates-formes, chacun faisant ses réflexions. L’un préférait voyager avec des millions plutôt que de traîner un cadavre, fût-ce celui d’un mandarin de première classe. L’autre trouvait que le transport d’un tel trésor n’allait point sans quelque danger pour la sécurité des voyageurs. Et c’est même cette opinion que soutient le baron Weissschnitzerdörfer au cours d’une sortie furibonde contre Popof.

« Il fallait prévenir, monsieur, il fallait prévenir ! répète-t-il. Ces millions-là, on sait à présent qu’ils sont convoyés par le train, et cela peut donner l’idée de l’attaquer !… Or, une attaque, en admettant qu’on la repousse, entraînerait des retards, et des retards… je ne puis les admettre… Non, monsieur je ne le puis !

— Personne ne nous attaquera, monsieur le baron, répond Popof, personne n’y songe !

— Et qu’en savez-vous, monsieur, qu’en savez-vous ?

— Un peu de calme, je vous prie.

— Non ! je ne me calmerai pas, et, si la circulation est entravée, j’en rendrai la Compagnie responsable ! »

C’est entendu, cent mille florins de dommages-intérêts à monsieur le baron du « Tour du Monde » !

Passons aux autres voyageurs.

Fulk Ephrinell, on n’en doute pas, ne peut considérer cet incident qu’à un point de vue très pratique.

« Il est certain, dit-il, que nos risques sont notablement accrus par l’adjonction de ce trésor, et en cas d’accident provenant de ce fait, la Life Travellers Society, à laquelle je me suis assuré, refuserait sans doute de payer des risques, dont la Compagnie du Grand-Transasiatique a toute la responsabilité.

— En effet, répond miss Horatia Bluett, et sa situation vis-à-vis du Céleste-Empire eût été grave, si l’on n’avait pas retrouvé les wagons abandonnés. N’est-ce pas votre avis, Fulk ?

— Entièrement, Horatia ! »

Horatia et Fulk — tout court !

Le couple anglo-américain avait raison ; cette perte énorme aurait été mise au compte du Grand-Transasiatique, car la Compagnie ne pouvait ignorer qu’il s’agissait d’un envoi d’or et de pierres précieuses, et non de la dépouille du mandarin Yen-Lou, — ce qui engageait sa responsabilité personnelle.

Quant aux époux Caterna, ces millions qui roulent à la queue du train ne paraissent pas autrement les émouvoir. Cela n’inspire au trial que cette réflexion :

« Hein, Caroline, quel beau théâtre on pourrait bâtir avec cet argent-là ! »

Mais le mot de la situation a été dit par ce clergyman, qui est monté à Kachgar, le révérend Nathaniel Morse :

« Il est toujours inquiétant de traîner après soi une poudrière ! »

Rien de plus juste, et ce wagon, avec son trésor impérial, c’est une poudrière qui peut faire sauter notre train.

Le premier chemin de fer, établi en Chine vers 1877, a réuni Shangaï à Fou-Tchéou. Quant au Grand-Transasiatique, il suit à peu de chose près le tracé russe qui fut proposé en 1874 par Tachkend, Kouldja, Kami, Lan-Tchéou, Singan et Shangaï. Ce railway ne pénètre pas à travers ces provinces populeuses du centre, que l’on peut comparer à de vastes et bourdonnantes ruches d’abeilles, — abeilles extraordinairement prolifiques. Autant que possible, il forme une ligne droite jusqu’à Sou-Tchéou avant de se courber vers Lan-Tchéou[1]. S’il dessert quelques grandes cités, c’est par les embranchements qu’il jette vers le sud et vers le sud-est. Entre autres, un de ces embranchements, celui de Taï-Youan à Nanking, doit relier ces deux villes des provinces de Chan-si et de Chen-Toong. Mais, à cette époque, la construction inachevée d’un important viaduc en retardait encore l’exploitation.

Ce qui est entièrement terminé, ce qui assure une communication directe à travers l’Asie centrale, c’est la ligne principale du Grand-Transasiatique. Les ingénieurs n’ont pas eu plus de difficulté à la construire que le général Annenkof n’en a éprouvé pour le Transcaspien. Les déserts du Kara-Koum et du Gobi se ressemblent ; même horizontalité du sol, même absence de hauteurs ou de bassures, facilité identique pour la pose des traverses et des rails. S’il eût fallu attaquer l’énorme chaîne des monts Kuen-Lun, Nan-Chan, Amie, Gangar-Olal, qui se dessine à la frontière du Tibet, les obstacles eussent été tels qu’un siècle n’aurait pas suffi à les franchir. Au contraire, sur un terrain plat et sablonneux, le railway a pu s’avancer rapidement jusqu’à Lan-Tchéou, comme un long Decauville de trois kilomètres.

Ce n’est qu’aux environs de cette cité que l’art de l’ingénieur a dû engager une lutte énergique contre la nature. C’est là que s’effectue la pénétration coûteuse et pénible à travers les provinces de Kan-Sou, de Chan-si et de Petchili.

Chemin faisant, je me bornerai à indiquer quelques-unes des principales stations où le train doit faire halte pour le renouvellement de l’eau et du combustible. Sur la droite de la voie, le regard ne cessera d’être distrait par un lointain horizon de montagnes, ce pittoresque enchevêtrement qui encadre au nord le plateau tibétin. Sur la gauche, il se perdra longtemps à la surface des interminables steppes du Gobi. C’est l’ensemble de ces territoires qui constitue réellement l’Empire chinois, sinon la vraie Chine, et le railway ne nous la révélera qu’aux approches de Lan-Tchéou.

Ainsi, tout s’accorde pour que cette seconde partie du voyage soit assez peu intéressante, — à moins que le Dieu des chroniqueurs veuille bien nous donner en incidents ce que la nature nous refuse en impressions. Ce me semble, nous possédons céans divers éléments dont, avec un peu de bonheur et d’imagination, je devrai tirer pied ou aile.

À onze heures, le train quitte la gare de Khotan, et il est près de deux heures après-midi, lorsqu’il arrive à Keria, ayant laissé en arrière les petites stations d’Urang, de Langar, de Pola et de Tschiria.

En 1889-90, ce tracé fut précisément parcouru par Pevtzoff depuis Khotan jusqu’au Lob-Nor, au pied du Kouen-Lun qui sépare le Turkestan Chinois du Tibet. Le voyageur russe passa par Keria, Nia, Tchertchen comme nous allions le faire si facilement alors que sa caravane fut aux prises avec tant de périls et de difficultés, — ce qui ne l’empêcha pas de rapporter dix mille kilomètres de levés, sans compter les cotes d’altitude et la longitude d’un certain nombre de points géographiques. C’est un honneur pour le gouvernement moscovite d’avoir ainsi continué l’œuvre de Prjevalsky.

De la gare de Keria on aperçoit encore vers le sud-ouest les hauteurs du Karakorum et la pointe du Dapsang, auquel différents cartographes attribuent une élévation supérieure à huit mille mètres. À ses pieds s’étend la province de Kachmir. Là, l’Indus commence à s’épancher en sources modestes qui alimentent l’un des grands fleuves de la péninsule. Là se détache du plateau de Pamir l’énorme chaîne de l’Himalaya que dominent les plus hautes cimes du globe.

Depuis Khotan nous avons franchi cent cinquante kilomètres en quatre heures. Allure très modérée, mais nous ne devons pas retrouver sur cette partie du Transasiatique les vitesses du Transcaspien. Ou bien les locomotives chinoises sont moins rapides, ou, grâce à leur indolence naturelle, les mécaniciens s’imaginent qu’un rendement de trente à quarante kilomètres à l’heure, c’est le maximum qui puisse être obtenu sur les railways du Céleste-Empire.

À cinq heures du soir, autre station, Nia, où le général Pevtzoff avait établi un observatoire météorologique. Ici l’arrêt n’est que de vingt minutes. J’ai le temps de faire emplette de quelques provisions à la buvette de la gare. À qui elles sont destinées, on le devine.

Les voyageurs que nous prenons en route ne sont plus que des gens d’origine chinoise, hommes ou femmes. Il est rare qu’ils occupent les wagons de première classe, et, d’ailleurs, ce n’est que pour de courts trajets.

Nous n’étions partis que depuis un quart d’heure, lorsque Fulk Ephrinell, l’air grave d’un négociant qui va traiter une affaire, vient me rejoindre sur la plate-forme de notre wagon.

« Monsieur Bombarnac, me dit-il, j’ai un service à vous demander. »

Eh ! pensai-je, il sait bien me rencontrer, ce Yankee, lorsqu’il a besoin de moi.

« Trop heureux, si je puis vous obliger, monsieur Ephrinell, ai-je répondu. De quoi s’agit-il ?

— Je viens vous prier de me servir de témoin.

— Une affaire d’honneur !… Et avec qui, s’il vous plaît ?…

— Avec miss Horatia Bluett.

— Vous vous battez avec miss Horatia Bluett ? me suis-je écrié en riant.

— Pas encore… je l’épouse.

— Vous l’épousez ?…

— Oui, une femme précieuse, très entendue aux choses du commerce, teneuse de livres distinguée…

— Mes compliments, cher monsieur Ephrinell ! Vous pouvez compter sur moi…

— Et, sans doute, sur monsieur Caterna ?…

— Il ne demandera pas mieux, et, s’il y a un repas de noce, il chantera au dessert…

— Tant qu’il lui plaira, me répond l’Américain. Passons aux témoins de miss Horatia Bluett…

— C’est juste.

— Pensez-vous que le major Noltitz accepterait ?…

— Un Russe est trop galant pour refuser… Je lui en ferai la proposition, si vous le voulez.

— Je vous remercie d’avance. Quant au second témoin… je suis un peu embarrassé… Cet Anglais, sir Francis Trevellyan…

— Un signe de tête négatif, c’est tout ce que vous obtiendriez de lui.

— Le baron Weissschnitzerdörfer ?…

— Demander cela à un homme qui fait le tour du monde, et qui n’en finirait pas de signer avec un nom de cette longueur !…

— Je ne vois alors que le jeune Pan-Chao… ou, à son défaut, notre conducteur Popof… »

— Sans doute, ils se feraient un plaisir… Mais rien ne presse, monsieur Ephrinell, et, une fois à Pékin, le quatrième témoin ne sera pas difficile à trouver…

— Comment… à Pékin ?… Ce n’est pas à Pékin que je compte épouser miss Horatia Bluett !

— Est-ce donc à Sou-Tchéou ou à Lan-Tchéou… pendant un arrêt de quelques heures ?…

Wait a bit, monsieur Bombarnac ! Est-ce qu’un Yankee a le temps d’attendre ?…

— Alors ce serait ?…

— Ici même.

— Dans le train ?…

— Dans le train.

— Alors c’est moi qui vous dirai : Wait a bit !

— Pas vingt-quatre heures.

— Voyons, pour célébrer le mariage, il faut…

— Il faut un ministre américain, et nous avons le révérend Nathaniel Morse.

— Il consent ?…

— S’il consent !… Mais il marierait tout le train, si le train le lui demandait.

— Bravo, monsieur Ephrinell !… Un mariage en chemin de fer, voilà qui nous promet quelque agrément.

— Monsieur Bombarnac, il ne faut jamais remettre au lendemain ce qui peut être fait le jour même.

— Oui, je sais… Time is money

— Non ! Time is time tout simplement, et n’en perdons jamais rien, fût-ce une minute. »

Fulk Ephrinell me serre la main, et, comme je l’ai promis, je vais commencer les démarches relatives aux témoins que nécessite la cérémonie nuptiale.

Il va de soi que le courtier et la courtière sont libres tous les deux, qu’ils peuvent disposer de leurs personnes, contracter mariage devant un clergyman, ainsi que cela se fait en Amérique, et sans ces fastidieux préliminaires exigés en France et autres pays formalistes. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Les Américains pensent que cela est mieux ainsi, et comme l’a dit Cooper, « le mieux de chez eux est le mieux de partout ».

Je m’adresse d’abord au major Noltitz, qui accepte volontiers d’être le témoin de miss Horatia Bluett.

« Ces Yankees sont étonnants, me dit-il.

— Précisément parce qu’ils ne s’étonnent de rien, major. »

Même proposition de ma part, au jeune Pan-Chao.

« Enchanté, monsieur Bombarnac ! me répond-il. Je serai le témoin de cette adorable et adorée miss Horatia Bluett ! Si un mariage entre Anglaise et Américain, avec des témoins français, russe et chinois, n’offre pas toutes les garanties de bonheur, où les rencontrerait-on ? »

Et à présent, au tour de M. Caterna.

S’il accepte, le désopilant trial… plutôt deux fois qu’une !

« Hein ! quelle idée de vaudeville ou d’opérette ! s’écrie-t-il. Nous avons déjà le Mariage au tambour, le Mariage aux olives, le Mariage aux lanternes… Eh bien ! ce sera le Mariage en railway ou le Mariage à vapeur. Quels bons titres, monsieur Claudius ! Votre bonhomme de Yankee peut compter sur moi ! Témoin vieux ou jeune, père noble ou premier amoureux, marquis ou paysan, à son choix, je me ferai la tête qu’il voudra…

— Gardez votre tête naturelle, monsieur Caterna, ai-je répondu. Elle sera d’un bon effet dans le paysage !

— Et madame Caterna sera de la noce ?…

— Comment donc… la demoiselle d’honneur ! »

Et, en ce qui concerne ces fonctions traditionnelles, il ne faut pas se montrer trop difficile sur le parcours du Grand-Transasiatique.

Quant à la cérémonie, il était trop tard pour qu’elle pût s’accomplir le soir même. Fulk Ephrinell entend, d’ailleurs, que les choses soient convenablement ordonnées, et il a quelques dispositions à prendre. La célébration du mariage ne doit avoir lieu que demain dans la matinée. Les voyageurs en bloc seront priés d’y assister, et le seigneur Faruskiar a bien voulu promettre de l’honorer de sa présence.

Pendant le dîner, il ne fut question que de cela. Après avoir complimenté les futurs époux, qui répondirent avec une grâce tout anglo-saxonne, chacun promit de signer au contrat.

« Et nous ferons honneur à vos signatures ! » ajouta Fulk Ephrinell du ton d’un négociant qui accepte une traite.

La nuit venue, on est allé dormir en rêvant des fêtes du lendemain. Je fais ma promenade habituelle jusqu’au wagon occupé par les gendarmes chinois, et je constate que le trésor du Fils du Ciel est fidèlement gardé. La moitié de l’escouade veille, tandis que l’autre moitié s’abandonne au sommeil.

Vers une heure du matin, j’ai pu rendre visite à Kinko et lui remettre les provisions achetées à la station de Nia. Le jeune Roumain est tout ragaillardi, tout rassuré. Il n’entrevoit plus d’obstacles, il arrivera à bon port.

« J’engraisse au fond de cette boîte, me dit-il.

— Défiez-vous, répondis-je en riant, car vous ne pourriez plus en sortir ! »

Je lui raconte alors l’incident du mariage Ephrinell-Bluett, et comment cette union va être célébrée le lendemain en grande pompe.

« Ah ! fit-il en poussant un soupir, ils ne sont pas obligés d’attendre Pékin, eux !

— Sans doute, Kinko, mais il me semble qu’un mariage contracté en de telles conditions ne doit pas être bien solide ! Après tout, cela regarde ces deux originaux. »

À trois heures du matin, il y eut un arrêt de quarante minutes à la gare de Tchertchen, presque au pied des ramifications du Kouen-Lun. Aucun de nous n’a rien vu du pays triste et désolé, dépourvu d’arbres et de verdure, que le railway traverse en remontant vers le nord-est.

Le jour revenu, notre train court sur cette voie ferrée de quatre cents kilomètres qui sépare Tchertchen de la station de Tcharkalyk, tandis que le soleil caresse de ses rayons l’immense plaine toute éblouissante d’efflorescences salines.



  1. La terminaison « fou » indique les capitales de province ou les villes de premier rang, la terminaison « tchéou » indique les villes de deuxième rang.