Clerambault/Avertissement au Lecteur

La bibliothèque libre.
Libr. Paul Ollendorff (p. 5-6).


Avertissement au Lecteur



Cette œuvre n’est pas un roman, mais la Confession d’une âme libre au milieu de la tourmente, l’histoire de ses égarements, de ses angoisses et de ses luttes. Qu’on n’y cherche rien d’autobiographique ! Si je veux un jour parler de moi-même, je parlerai de moi-même, sans masque et sans prête-nom. Bien que j’aie transposé dans mon héros certaines de mes pensées, son être, son caractère et les circonstances de sa vie lui appartiennent en propre. J’ai voulu faire la description du dédale intérieur, où erre en tâtonnant un esprit faible, indécis, vibrant, malléable, mais sincère et passionné pour la vérité.

Le livre s’apparente, en quelques chapitres, aux Méditations de nos vieux Moralistes français, aux Essais stoïciens de la fin du XVIe siècle. En des temps qui ressemblaient aux nôtres, mais qui les dépassaient en horreur tragique, parmi les convulsions de la Ligue, le premier-président Guillaume Du Vair écrivait fermement ses augustes Dialogues De la Constance et Consolation ès calamités publiques. Au plus fort du siège de Paris, causant dans son jardin avec ses amis Linus, grand voyageur, Musée, premier doyen de la Faculté de Médecine et l’écrivain Orphée, — les yeux encore remplis des images terribles qu’ils venaient de voir dans les rues — (pauvres gens morts de faim, femmes criant que les lansquenets mangeaient des enfants près du Temple) — ils tâchent d’élever leur esprit douloureux aux cimes d’où l’on embrasse la pensée des siècles, et où l’on fait le compte de ce qui survit à l’épreuve. Relisant ces Dialogues, pendant les années de guerre, je me suis senti plus d’une fois bien proche du bon Français qui écrivait :

« C’est faire tort à l’homme qui est né pour tout voir et tout connaître, de l’attacher à un endroit de la terre. Toute terre est pays à celui qui est sage… Dieu nous baille la terre à jouir à tous en commun : à la charge d’être gens de bien… »

Paris, mai 1920.
R. R.