Clovis ou la France chrétienne/Livre XV

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Cependant Sigismond trouve la ville en larmes :
Et croit que chacun plaint la honte de ses armes.
Mais le peuple en soûpirs, mesle une autre douleur
Aux pleurs qu’a fait verser le bruit de son malheur.
Tout accourt au spectacle : il suit la foule émeuë.
Un pitoyable objet soudain frape sa veuë :
Clotilde aux yeux bandez, sur un noir échaffaut,
Preste à sentir l’arrest du traistre Gondebaut,
Qui choisit de son fils l’absence favorable,
Pour priver l’univers de la teste adorable,

Et trancher de la guerre et la cause et le cours,
Sans craindre du heraut le menaçant discours.
La princesse à genoux, en dieu seul occupée,
Tend son beau col de neige à la tranchante épée :
Et la foule attendant le coup à tous momens,
Répand des cris divers, et des gemissemens.
Du bruit de la déroute, et d’horreur chacun tremble :
Chacun pense pleurer mille douleurs ensemble.
L’amant, d’estre vaincu sembloit s’estre hasté,
Pour courir au secours de sa chere beauté :
Et dé-ja tout confus de honte et de tristesse,
Est encor plus émeû du sort de sa princesse.
Sa voix fait tout suspendre ; et la presse fendant,
Il met le fer en main, dans son transport ardent.
Il passe à l’échaffaut, met les gardes en fuite,
Aydé de Gondomar, et de sa prompte suite :
Monte, oste le bandeau du front majestueux ;
Détache ses liens, d’un soin respectueux :
Et la trouvant muëtte, incertaine, éblouïe,
Ny triste par la peur, ny d’espoir réjouïe ;
Vous voyez, luy dit-il, un prince à qui l’amour
A fait perdre un combat pour vous rendre le jour.
Je bénis ma deffaite, à mes feux desirable.
Un bon-heur, pour jamais m’eût rendu miserable.
Clotilde dont l’esprit dé-ja voloit aux cieux,
A regret void le jour qui refrape ses yeux :

Puis apprend des succés qu’à peine elle ose croire,
Qu’elle est libre des fers, et Clovis plein de gloire.
A son frere il la laisse : et quittant l’échaffaut,
Monte sur son coursier, va chercher Gondebaut.
Il trouve en son transport Irier avec son pere.
Que justement, dit-il, la divine colere
S’allume contre vous, miserables mortels ;
Qui pendant la bataille, au lieu d’estre aux autels,
Implorant le secours de la dextre puissante,
Versez, pour l’irriter, le sang d’une innocente !
Hé ! Quoy ? C’estoit là donc, ennemis de mon cœur,
Le prix qu’on m’apprestoit si j’eûsse esté vainqueur ?
C’estoit donc l’appareil pour guerir mes blessures ?
Quoy ? Faire à mon amour ces cruelles injures ?
Contre le sang que j’aime armer vostre courroux,
Dans le temps que le mien se répand tout pour vous ?
Perdre, par un conseil à vous mesme funeste,
Quand tout seroit perdu, le seul bien qui vous reste ?
Puis que dans ma valeur vous aviez quelque espoir,
Et que de mon rival vous craigniez le pouvoir,
Deviez vous pas garder mon tresor et le vostre,
Pour recompenser l’un, ou pour appaiser l’autre ?
L’ire de Dieu nous suit, et s’arme pour Clovis.
Ses vœux, par vos forfaits, de gloire sont suivis.
Tout fuit son bras vainqueur, et sa force guerriere.
Des nostres les plus fiers ont mordu la poussiere.

En l’ardeur de Clovis, rien ne peut l’arrester ;
Et ce foible rampart ne peut luy resister.
Nulle troupe des miens n’est entiere échapée
De la prompte fureur de sa tranchante épée.
Mesmes ton fils, Irier, de son sang genereux,
A payé par sa mort tes conseils malheureux.
Toy qui perdis le pere, et veux perdre la fille,
Tu pers en Vindemir l’espoir de ta famille.
A la triste nouvelle, Irier l’infortuné,
Aux pleurs, aux desespoirs, aux cris abandonné,
Ne peut à sa douleur faire de resistance.
Elle emporte et devoir, et respect, et constance.
Gondebaut de forfaits bourrellé dans son cœur,
Ordonne à Sigismond d’amuser le vainqueur :
Puis timide, éperdu, pour chercher un asyle,
Par le fleuve s’enfuit de la tremblante ville :
Et de la Saône prend le favorable cours,
Pour haster dans Vienne un plus puissant secours.
L’ame de Sigismond, de mille soins chargée,
Se sent, par son depart, d’un grand faix soulagée.
Il croit que de bonheur le ciel le va combler,
Puisque pour sa princesse il n’a plus à trembler.
Il mande à Gondomar qu’au palais il l’ameine :
Puis il marche au devant, et la reçoit en reine.
Ne craignez plus, dit-il, ny la mort, ny les fers.
Icy tout est soumis à celle que je sers.

Tout y vit sous vos loix ; et Gondebaut vous donne,
Des lieux de ses estats, tout ce qu’il m’abandonne.
Je cheris le malheur, la honte, et le mespris,
S’il falloit pour vos jours donner un si grand prix.
Et si plus que l’honneur rien nous est cher encore,
Je voudrois l’immoler pour celle que j’adore.
Mais l’heur dont la fortune a voulu me flater,
Estoit pour vous servir, non pour vous meriter.
Il vous faut un amant tout rayonnant de gloire.
Avant que de vous vaincre, il faut une victoire.
Je ne demande rien : je sçay que dans ce jour
Rien n’est heureux pour moy, la guerre ny l’amour.
C’est assez de bonheur de vous avoir servie ;
Et d’avoir des bourreaux garenty vostre vie.
Mais demain je pretens contenter vostre cœur.
Vous aurez vos souhaits, pour espoux, un vainqueur.
A ces mots il la laisse : à d’autres soins il passe,
Sans vouloir esperer, ny response, ny grace.
Il va de la cité visiter le pourpris ;
Et de son triste sort ramasser le débris.
Des ombres de la nuit les voiles favorables
Par tout rendent les murs aux fuyards secourables.
Cependant les demons, des tenebres amis,
Voyant que nul complot ne leur est plus permis,
Tandis que le soleil éclairera leurs charmes,
Qui craignent l’oriflame, et les celestes armes,

Choisissent un temps propre à surmonter Clovis,
Par leurs propos menteurs, et leurs trompeurs advis,
Quand rien ne l’accompagne, et lors que la nuit sombre,
Pour aider leurs desseins, cache tout de son ombre.
Avant qu’il puisse voir la ville sous ses loix,
Et la belle Clotilde acquise à ses explois,
Ils veulent, par la trame en leurs conseils dressée,
Pour une autre princesse occuper sa pensée.
Le monarque goustoit au camp victorieux
Le doux repos qui suit les travaux glorieux.
Un grand bruit le réveille : il ouvre la paupiere ;
Et void autour de luy s’épandre une lumiere.
Lors Jupiter armé de son foudre à trois dards,
Paroist luisant de feux, accompagné de Mars,
Dont la cuirasse brille, et le casque et l’épée,
Et qui d’un grand pavois a sa gauche occupée.
Alcide le suivoit, orné d’un laurier verd,
Au corps nud d’une part, et d’une part couvert
De la terrible peau du lion de Nemée,
D’une masse noüeuse ayant la main armée.
Sur ses dieux, le roy jette un œil respectueux ;
Et Jupiter luy dit, d’un ton majestueux.
Clovis, l’odeur nous plaist des nombreuses victimes
Que ta largesse immole aux deïtez sublimes.
Aussi tu reconnois qu’en nous comblant d’honneur,
Nous comblons tes desseins de gloire et de bonheur.

Mais quitte pour jamais le feu qui te devore
Pour celle qui credule un Jesus-Christ adore,
Un mortel miserable, à la croix attaché,
Durant trois fois dix ans dans sa honte caché,
Qui pauvre et d’un cœur bas, n’a presché dans le monde,
Que misere, indigence, humilité profonde.
Les valeureux françois doivent suivre des dieux
Qui par leurs faits guerriers ont merité les cieux :
Tels qu’Hercule mon fils, qui par sa forte audace,
Sur l’Olympe éclatant s’est acquis une place.
Ne joins pas à ton sang ceux dont l’aveugle foy
Suit une humble, une basse, une honteuse loy.
Et puisque d’Auberon les deux filles hardies
Sentent par tes mespris leurs ardeurs atiedies,
Je veux qu’une princesse à l’œil doux et brillant,
Belle, d’un noble cœur, fille d’un roy vaillant,
Et qui sert nos autels dans la fiere Allemagne,
Soit de ton chaste lit la fidele compagne.
Elle va contenter et ton cœur et tes yeux.
Pren de ma juste main le grand don de tes dieux.
Alors la chambre luit d’une clarté plus grande :
Et de jeunes amours une legere bande,
Chacun armé de traits, en la main le flambeau,
Sur le dos le carquois, sur le front le bandeau,
S’avance en voltigeant, et respand par la chambre
L’odorante douceur du jasmin et de l’ambre.

La charmante Cypris, le chef orné de fleurs,
Suivoit la troupe ailée, exhalant les chaleurs
Dont tout cœur à l’instant sent les brulantes pointes.
Il void pres de Venus les trois carites jointes.
La deesse conduit une rare beauté,
Une aimable princesse, aux yeux pleins de fierté :
Mais dont l’orgueil severe, et d’elle inseparable,
S’adoucit par sa bouche au sousris agreable.
Venus dit à Clovis ; voy, contente tes yeux
Du present qui t’est fait par la main de tes dieux.
Soudain, pour l’embrazer, elle infecte son ame
D’un soufle penetrant de desir et de flame.
De tant d’objets divins le monarque surpris,
De crainte, de respect, de feu se sent épris :
Mais d’un feu qui le trouble, à ses flames contraire ;
Et qui le devorant, ne peut le satisfaire.
Clotilde en sa pensée est seule à son secours.
Son amour, dans son cœur, combat seul tant d’amours,
Tant de dieux, tant d’appas, tant de douceurs traistresses,
Tant de pressantes loix, tant d’heureuses promesses.
Mais peut-il refuser un present precieux,
Fait avec tant d’honneur par la main de ses dieux ?
Tousjours à leurs desirs son desir est rebelle :
Son ame genereuse à Clotilde est fidelle.
Par le silence seul il leur fait un refus :
Puis craint de leur déplaire : et son esprit confus

Luy-mesme se combat, et se trouble et s’égare,
Quand sa porte avec bruit en deux parts se separe.
Aurele entre, et luy dit, plein d’ardeur et d’effroy,
Où sont les ennemis, les traistres à mon roy ?
Voila, prince, dit-il, vostre escu, vostre épée.
Soudain des deïtez la troupe est dissipée.
Mais le duc moderant son transport et sa peur,
Croit qu’il s’est abusé par un songe trompeur.
Clovis d’un grand soupir soulageant son haleine,
Que ton abord, dit-il, m’a délivré de peine !
Helas ! N’appelle point mes dieux mes ennemis.
Mais je ne puis vouloir le bien qu’ils m’ont promis.
J’ay veû des plus puissans le visage adorable,
Dont le soin me destine une princesse aimable,
Fille d’un grand monarque, et qui sur les autels
Rend ainsi que les francs l’honneur aux immortels.
Mais mon cœur est constant ; et d’autre-part il tremble
D’estre rebelle aux loix de tant de dieux ensemble.
Dans un combat horrible en moy-mesme agité,
Pour suivre leur vouloir, ou ma fidelité,
J’ay receû de ta voix le secours favorable ;
Et j’ay perdu soudain leur presence admirable.
Quels dieux, respond le duc, qui viennent à mon roy
Conseiller le parjure, et le manque de foy ?
Contre leurs faux conseils, voicy donc le remede,
Ce bouclier et ce glaive, à qui leur pouvoir cede ?

Devons-nous pas douter des forces de ces dieux,
Qui craignent la vertu d’un don venu des cieux ?
J’estois plein de sommeil, alors qu’une voix forte
M’a dit, cours à ton maistre, et te haste, et luy porte
Le bouclier, et le fer sur l’Olympe forgé.
Jamais en tel combat il ne fut engagé.
Lors j’ay quitté soudain et mon lit et ma tente.
Non, ce n’est point le ciel : c’est l’enfer qui te tente,
Pour t’arracher Clotilde, et corrompre ta foy.
Ce glaive est plus puissant qui luy porte l’effroy.
Clovis, de son grand cœur consultant la sagesse,
Veut manquer à ses dieux, plustost qu’à sa princesse :
Mais pretend accorder ses dieux et son amour.
De la prochaine aurore il attend le retour,
Pour charger leurs autels de pompeux sacrifices,
Qui flatent leur colere, et les rendent propices.
Desja fumoit le sang de cent bœufs égorgez ;
Et Clovis et ses francs autour estoient rangez,
Fleschissant les genoux, adoroient les images,
Et d’arabes odeurs leur rendoient des hommages.
Alors, jusques au prince, un clairon resonnant
Avec ses tons aigus porte un bruit surprenant.
Quand la troupe à ses vœux ne fut plus occupée,
Par les sons redoublez l’oreille fut frapée.
Tous y tournent les yeux : puis paroist un heraut.
Il addresse à Clovis son parler fier et haut.

Roy des francs, luy dit-il, Sigismond te propose,
Pour finir vos debats, dont Clotilde est la cause,
Hors des murs de Dijon de la mettre à tes yeux.
Un duël fera voir qui la merite mieux.
Puisque la seureté doit estre mutuelle,
Qu’elle ayt d’un nombre égal une garde fidelle.
Qu’elle soit au vainqueur : et deslors pour jamais
Que vos estats soient joints par une ferme paix.
Le roy victorieux void la ruse traistresse ;
Puis qu’il peut conquerir la ville et la princesse.
Mais pour ravir sa reine aux bourreaux inhumains,
Il reçoit tout peril qui la rend en ses mains.
Aussi-tost il respond. L’offre que tu m’as faite,
Se pouvoit proposer, mais avant la deffaite.
Je voy que Sigismond, quand sa force est à bas,
Espere par luy seul decider nos debas.
Mais encor qu’il n’ait plus qu’une foible muraille,
Je le traite d’égal, comme avant la bataille.
J’accepte le combat : qu’il parte sans tarder.
Qu’il n’ayt de ses guerriers que cent pour la garder.
Avec nombre pareil je me rends aupres d’elle.
Puis le fer entre nous vuidera la querelle.
Le heraut se retire, à ces mots genereux.
Et le prince à l’écart, prudent et valeureux,
Prend le duc et Lisois, et joint à sa sagesse
Des deux vaillans amis et le sens et l’adresse.

Il s’estonne avec eux du deffy mal fondé,
De la part du tyran rien n’estant demandé,
Dont il ignore encor le desordre et la fuite.
Il croit que par ce roy quelque fourbe est conduite ;
Qui pendant le düel peut luy faire un assaut ;
Et peut des-avoüer, son fils et son heraut,
Qui mesme en ce deffy ne parloit point de treve.
Que souvent par la ruse une guerre s’acheve.
Qu’ils doivent tout prevoir, tout craindre, et tout oser,
Contre un prince sans foy, qui ne sçait que ruser.
Avec ces sages chefs cent desseins il propose :
Et leur donnant son ordre, au combat se dispose.
Il les laisse en son camp : puis il fait un beau choix
De cent les plus hardis des chevaliers françois.
Genobalde est leur chef. La moitié de l’armée
Est par l’ordre du roy dans le camp renfermée.
Vers le mur de Dijon l’autre va se placer,
Laissant autant de champ, qu’un trait en peut passer
Qui partiroit d’un arc courbé des mains d’un parthe.
Le prince, pour s’armer, de la foule s’écarte.
Puis de sa tente il sort, lumineux et riant,
Tel que sort un soleil des portes d’orient,
Qui rejoüit la terre, et monstre en son visage,
D’une belle journée un doux et gay presage.
Aquilon son coursier de tous le plus chery,
Que sur ses aspres monts la Calabre à nourry,

D’un poil noir et luisant, meslé de taches blanches
Qui luy marquent le front, et la croupe et les hanches,
L’attend, maschant son mords, maintefois par compas
D’un des pieds du devant frapant un mesme pas ;
Souflant l’air et le feu de ses larges narines.
Dé-ja son corps fremit sous les armes divines.
Sous Clovis il s’élance ; et d’un cœur orgueilleux,
Leger, cherche à franchir un fossé perilleux.
En terre à peine on void les traces de sa pince.
Genolbalde et sa troupe accompagnent le prince,
Qui plus que d’un mortel semble porter l’éclat ;
Et voler à la gloire, et non pas au combat.
D’autre-part Sigismond, hors de la vaste porte,
Fait sortir cent guerriers, de Clotilde l’escorte,
Tous armez à l’égal d’un acier reluisant ;
Tous sur de bruns roussins, au pas ferme et pesant.
Leur chef est Gondomar, couvert d’armes brillantes,
Et d’un large bouquet de cent plumes volantes,
Sur un barbe à poil bay, qui s’émeut sans repos,
Et de ses crins au vent abandonne les flots.
Apres sa troupe sort l’adorable princesse,
Sur un char ou la pourpre à l’or joint sa richesse :
Et de ses belles mains elle mesme conduit
Les resnes ou de l’or le meslange reluit.
De deux chevaux persans son adresse modere
La bouche delicate, et l’alleûre legere ;

Tous deux gris-argentez, mouchetez par les flancs,
Traisnans jusqu’au sablon la queüe et les crins blancs.
Sa robbe, ou sur les bords la broderie ondoye,
Est blanche à fonds d’argent, et de luisante soye.
Ses yeux estincellans errent de toutes parts :
Puis portent sur Clovis leurs modestes regards :
Et sur son beau visage est vivement dépeinte
La joye, avec l’amour, et l’espoir, et la crainte.
Telle, mais non d’un œil si chaste ny si doux,
Triomphoit prés du Xanthe, avant que son espoux
Eut de mille vaisseaux armé sa jalousie,
Celle qui fit combattre et l’Europe et l’Asie.
Le brave Sigismond, de son ardeur touché,
D’une chaisne invisible au beau char attaché,
La suit comme captif, et seul finit la bande.
Il reprime la foule ; et severe commande
Qu’on referme la porte, et qu’on hausse le pont.
Son superbe harnois à sa grace respond,
Ou sur un fonds d’argent mainte fleur d’or éclate.
De son casque descend une touffe incarnate,
Qui luy frape le dos, à tout pas s’émouvant.
Un beau sarde, qui passe en vistesse le vent,
Les cygnes en blancheur, les lions en courage,
Sous luy, souple et fougueux, plie un leger corsage :
Au gré de ses talons tout passage franchit.
A l’envy de son poil son écume blanchit.

La foule, d’œil avide, et d’une ardeur pressante,
D’un curieux desir, et de peur fremissante,
S’assemble au grand spectacle, et d’un viste concours
Dé-ja borde les murs, les portes, et les tours ;
Couvre les hauts palais, et les temples sublimes :
Comme on void les corbeaux d’un pin couvrir les cimes.
Dé-ja de deux costez sont placez sous un mont
Les guerriers de Clovis, et ceux de Sigismond,
Formans un demy cercle autour de la princesse.
Les amans qui tous deux éclatent en adresse,
En armes, en valeur, en desir furieux
De faire voir bien-tost leur fer victorieux,
Veulent qu’à leur grand prix leur courage réponde,
Animez des regards des plus beaux yeux du monde.
De son casque, à l’abord, Clovis respectueux
Se dégage, et fait voir son chef majestueux,
A longs cheveux bouclez flotans sur ses épaules,
Si digne de porter la couronne des Gaules :
Et sa veüe et son cœur sur Clotilde elançant,
Luy presente ses vœux sur l’arçon se baissant.
Sigismond fait le mesme ; et la belle princesse
Les regardant tous deux, d’un œil plein de sagesse,
Vers tous les deux s’incline, et redouble à Clovis
Un salut humble et doux, qui rend ses sens ravis.
Alors des deux costez la trompette resonne.
Des spectateurs émeûs tout le corps en frissonne.

Les esprits opposez font des souhaits divers.
Tous pensent d’un accord, que jamais l’univers
Ne vid de combattans couple si magnanime,
Ny prix qui fut égal au prix qui les anime.
Chacun espere et craint ; et chacun dans son cœur
De vœux ayde son prince, et l’estime vainqueur.