Code de la Nature/Deuxième partie
DEUXIÈME PARTIE.
DÉFAUTS PARTICULIERS DE LA POLITIQUE.
Preuves expérimentales de nos principes.
L’objection que fait l’auteur de la Bibliothèque sur la note déjà citée du troisième chant de la Basiliade, me donne occasion d’entrer ici dans un détail circonstancié de nouvelles preuves des vrais principes de toute morale et de toute législation, et de démontrer analytiquement l’origine et les progrès des erreurs qui ont perverti l’excellence des lois primitives de la nature.
Voici ce que ce savant oppose à l’hypothèse de notre poëte : « On sait assez combien il y a de distance entre les plus belles spéculations de cet ordre et la possibilité de l’exécution ; c’est que dans la théorie on prend des hommes imaginaires qui se prêtent avec docilité à tous les arrangements, et qui secondent, avec un zèle égal, les vues du législateur ; mais dès qu’on veut réaliser les choses, il faut se servir des hommes tels qu’ils sont, c’est-à-dire indociles, paresseux, ou bien livrés à la fougue de quelque violente passion. Le projet d’égalité est, en particulier, un de ceux qui paraît le plus répugnant au caractère des hommes : ils naissent pour commander ou pour servir : un état mitoyen leur est à charge. »
Cette objection est dans la bouche de tous nos moralistes ; c’est un de ces principes que personne ne s’avise de leur contester. Tous disent, avec l’impartial auteur que je cite, que la cause de la distance entre la plus belle théorie morale et la pratique, vient de ce que dans celle-là on imagine (ce qui n’est pas) des hommes qui se soumettent avec grande docitité aux institutions des législateurs.
Je réponds que c’est précisément ce qu’ont fait la plupart de ceux qui se sont voulu mêler de policer les nations : il ont cru, ou que l’homme était naturellement tel qu’ils l’ont trouvé à la naissance de leurs projets, ou qu’il devait être ce que je prouve qu’il n’est point : ils ont érigé leurs systèmes sur cette théorie ; il ne faut pas s’étonner que, passant à la pratique, ils aient trouvé les hommes si peu disposés à se prêter à leurs arrangements, et qu’ils aient été obligés, pour les y contraindre, de faire tant de lois dures et sanguinaires, contre lesquelles la nature ne cesse de se révolter, parce qu’elles en renversent l’ordre, ou ne le rétablissent pas.
Ce que notre critique ajoute que, dès qu’on veut réaliser les choses, il faut prendre les hommes tels qu’ils sont, est équivoque. Entend-il les hommes tels qu’ils sont formés par la nature, ou bien, tels qu’ils sont devenus, et continuent d’être, depuis plusieurs siècles, chez les nations qui obéissent à du lois ?
Si vous prenez les hommes tels qu’ils sont dans l’état de nature, passons en Amérique ; nous y trouverons plusieurs peuplades dont les membres observent très-religieusement, au moins entre eux, les lois précieuses de cette mère commune, en faveur desquelles je réclame de toutes mes forces.
Menons avec nous quelque législateur vraiment sage, qui, travaillant conformément aux dispositions de ces lois divines déjà pratiquées, loin de les contrarier ou de les affaiblir, ne s’applique qu’à étendre leurs conséquences et à tirer de leur sein fécond toutes les maximes qui rendront le peuple sauvage, qu’il entreprendra de polir, le plus doux, le plus humain, le plus sage et le plus heureux de toute la terre.
Il trouvera, à son arrivée, les familles de cette petite société unanimement occupées à pourvoir à leurs besoins communs par la chasse et la pêche. Quand il sera parvenu à se faire écouter par des conseils utiles, comme le font les vieillards et les plus expérimentés de cette nation, il se gardera bien d’employer son crédit à leur persuader de partager entre chaque famille, leurs contrées de chasse et de pêche, crainte de rompre leur concorde. Ce sage leur apprendra seulement, qu’outre ces moyens de subsister, qui peuvent souvent leur manquer, il en est de plus sûrs et de moins pénibles, tels que la culture des terres, l’entretien des troupeaux ; il leur fera voir que ce seront autant de nouvelles ressources, de nouvelles commodités qui suppléeront au défaut les unes des autres ; il leur enseignera les arts nécessaires à l’exécution de ces projets.
Ce peuple devenu, par ses soins, moins grossier, plus industrieux, en deviendra-t-il plus méchant, moins laborieux ? non, sûrement. La concorde et l’union que le réformateur aura trouvé régner entre les familles, le respect pour les vieillards, pour les plus intelligents, les plus adroits, croîtront à proportion, et des succès de l’unanimité, et des connaissances de l’utilité de nouveaux expédients. La déférence de ces Indiens aux conseils des plus prudents, est plus soumise que notre obéissance aux ordres de nos maîtres despotiques. Le point d’honneur qui subsiste encore chez les sauvages voisins de nos colonies, est de ne se croire grand qu’à proportion qu’on est utile à ses compagnons ; en un mot, dans ces contrées, on ne devient respectable que par des services[2]. Toutes ces véritables vertus, loin de s’affaiblir par les dispositions du nouveau législateur, en seront encouragées, et prendront un nouveau lustre, à mesure que la barbarie disparaîtra devant ses lois : au lieu de trouver des hommes indociles à ses arrangements, tous y applaudiront ; toutes les circonstances se trouveront favorables à ses desseins, pourvu qu’il n’établisse aucun partage, ni des productions de la nature, ni de celle de l’art : il pourra distribuer les travaux, les emplois entre les membres de la société ; fixer les temps des diverses occupations générales ou particulières ; combiner les secours ; calculer les différents degrés d’utilité de telles ou telles professions ; marquer ce qu’il est nécessaire que chacune d’elles rapporte en commun à la république pour suffire aux besoins de tous ses membres. Sur tout ceci et sur le nombre des agents, le législateur établira des proportions du travail ; il préposera l’âge le plus prudent au maintien de l’ordre et de l’économie, et le plus robuste sera occupé de l’exécution. Enfin, il règlera les rangs de chaque particulier, non sur des dignités chimériques, mais sur l’autorité naturelle qu’acquiert le bienfaiteur, sur celui qui reçoit le bienfait, sur cette autorité douce de la parenté, de l’amitié, de l’expérience, de l’adresse, de l’industrie et de l’activité.
Toutes choses ainsi rangées, qui s’avisera de vouloir dominer où il n’y aura point de propriété qui puisse inspirer l’envie de subjuguer les autres ? Il ne peut y avoir de tyrans dans une société où toute autorité consiste précisément à se charger des devoirs et des soins les plus pénibles, sans participer à d’autres soutiens ou agréments de la vie, qu’à ceux qui sont communs au reste des citoyens, sans autres avantages, sans autre récompense que l’estime et l’affection de ses égaux.
S’il venait à régner quelque ambition dans cette république, elle ne peut avoir pour objet que cette estime ; elle ne peut tendre qu’à une supériorité de mérite vraiment utile aux hommes, qui, pour lors, loin de lui porter envie, se croiraient malheureux, s’ils n’étaient aidés des talents qu’ils admirent et respectent dans quelques-uns des concitoyens.
Cette ambition, je le répète encore, n’aurait et ne pourrait avoir les vues de la nôtre, qui, dans le vrai, ne tend à d’autres fins qu’à celles de l’avarice, quoique par des procédés bien différents.
Si donc il est de fait que notre législation trouverait chez des sauvages, ce que l’on y trouve effectivement, des hommes fort laborieux, capables des plus rudes fatigues, chez lesquels la paresse est une infamie ; des hommes qui vivent entre eux avec une espèce de charité, de douceur, qui surpasse infiniment la faible pratique d’une vertu que prêchent inutilement les plus fainéants et les plus impitoyables d’entre nous ; je demande si, après cet exemple, il est vrai de dire que ces peuples naissent enclins aux vices dont notre Aristarque fait l’énumération ? Serait-il donc plus difficile de cultiver les heureuses dispositions de ces Américains[3], que d’accoutumer un de ces peuples à subir les rigueurs d’une législation, qui tôt ou tard obligerait une partie de la nation à souffrir une chétive médiocrité, ou une indigence assujettie, pour subvenir à ses besoins, à servir l’autre partie de cette nation devenue fainéante, et enorgueillie par la possession des meilleures contrées de chasse, de pêche, ou de terres cultivées ? De quel œil ces peuples verraient-ils quelques-uns de leurs compatriotes, jouissant, dans une odieuse oisiveté, des plus beaux et meilleurs fruits de leurs travaux, ne laisser aux autres qu’un usage précaire de leurs superfluités ?
Écoutons cependant nos philosophes raisonner là-dessus. Comme, disent-ils, il est moralement impossible que dans aucune société, les biens physiques de cette vie soient, ou demeurent également partagés, il est absolument nécessaire qu’il y ait des riches et des pauvres. Or, quand cette inégalité de fortune est une fois réglée et compensée par de sages lois, il doit en résulter une très-belle harmonie. La crainte et l’espérance occupent presque également tous les hommes, et les rendent presque également industrieux et actifs. Les riches sont attentifs à conserver des biens qui peuvent, à chaque instant, leur échapper, et dont, dans le vrai, ils ne sont que comme les dépositaires et les gardiens ; ces passions excitent et encouragent le pauvre à un travail qui peut le tirer de sa misère : outre la variété presque infinie de bons effets que produisent ces deux mobiles, ils disposent la partie des hommes la moins bien partagée, à l’obéissance et à la soumission, qu’exige d’eux, tant leur intérêt particulier que celui de la société : ces deux pivots qui en font l’appui, retiennent ceux dont les besoins semblent croître comme les richesses dans une nécessité de recourir à des secours qui les rendent modérés et bienfaisants. Ainsi deux parties inégales de l’humanité se trouvent, par leur état, dans une mutuelle dépendance qui les égalise, et les porte à agir de concert. Ne poussons point plus loin un raisonnement sur lequel se fonde notre morale vulgaire, et dont elle rend les conséquences familières. Je sape cette base par un seul mot ; elle porte sur une absurdité qui est la prétendue nécessité de partager ce qui ne devait point l’être. Qu’est-il besoin d’aller chercher la dépendance des hommes les uns des autres, et la réciprocité des secours, dans un expédient aussi pernicieux que l’inégalité de fortune, tandis que la nature en offrait tant d’autres si simples et si merveilleux.
Voyons un peu comment serait reçue la harangue d’un de nos savants européens, qui dirait à quelqu’un des peuples américains dont nous venons de parler :
- « Mes amis, je loue et admire l’humanité avec laquelle vous vous entraidez, le zèle infatigable avec lequel vous travaillez en commun à pourvoir à vos besoins communs ; mais, croyez-moi, vous possédez de vastes contrées que personne ne vous dispute ; défrichez ces déserts ; le fonds en doit être fertile : puis partagez entre vous ces campagnes : cependant observez une chose : il ne faut pas que les parts soient égales, ni même que tous en aient ; car alors, chacun travaillant sur le sien, et pouvant subsister du produit de son fonds, personne ne voudrait, plus aider son voisin : d’ailleurs, les successions, les alliances, l’accroissement du nombre des familles, occasionneraient bientôt de nouveaux partages qui détruiraient l’égalité des premiers. Il faut donc, dans cette distribution des terres, garder certaines proportions ; quelques citoyens auront plus que les autres : ce corps sera le premier de la république, et comme le dépositaire de ses richesses ; vous en tirerez vos chefs et les personnes de qui vous suivrez les conseils ; ils décideront vos différends : c’est en faveur de ces services qu’il est à propos qu’ils soient un peu plus à leur aise que les autres. Le reste du peuple sera divisé en plusieurs classes, dont les possessions iront en diminuant, jusqu’à la dernière, qui sera composée de gens vivant de leur travail, d’artisans de toute espèce, sur lesquels, au moyen d’une récompense journalière, le reste des citoyens se reposera de tous travaux pénibles ; ainsi ces gens seront comme les bras de la société. »
Notre moderne Solon, pour appuyer sa harangue, n’oublierait pas l’apologue[4] de Ménénius : de semblables récits ont beaucoup de pouvoir sur des esprits grossiers ; ensuite il s’étendroit sur les moyens de maintenir cet ordre, et pour le présent, et pour l’avenir ; et après avoir raisonné sur toutes ces choses, notre faiseur de projets politiques conclurait par s’applaudir de la beauté de l’invention.
- « Insensé que tu es, lui répondrait quelque vieux sauvage, tu nous donnes là de beaux conseils : tu admires, dis-tu, la concorde qui règne entre nous, et tu t’efforces de nous persuader tout ce qu’il faut pour la détruire : tu trouves notre façon de vivre trop grossière et trop pénible ; tu nous proposes la culture des terres pour nous mieux assurer l’abondance. Cet avis est fort bon ; mais tu le gâtes par tes partages. Tu prétends nous faire goûter les avantages d’une société bien réglée, et tu nous fournis les vrais moyens de ne nous accorder jamais ; tu veux qu’une partie de nos gens s’occupent à maintenir une paix, une concorde que tu cherches à rompre ; ainsi donc nos vieillards, nos pères n’emploieront plus leurs soins, leur prudence qu’à terminer des querelles. Une partie de nos frères, de nos amis seront eux et leurs descendants, contraints de vivre malheureux, et de voir d’un œil tranquille des paresseux insolents jouir des fruits de leurs travaux. Ce que tu nous racontes d’un peuple qui s’était séparé de pareils lâches et qui se laissa ramener par un discours à peu près semblable au tien, est une impertinence, ainsi que la comparaison dont se servit celui qui apaisa ces mécontents. Les membres de notre corps partagent, à la vérité, le travail ; chacun exerce la fonction à laquelle il est dominé ; mais tous jouissent en commun de ce qui fait le soutien de la vie. L’estomac, comme les chefs de cette nation dont tu parles, ne s’approprie rien de ce que les membres lui fournissent ; il ne les laisse point languir ; au contraire, il leur distribue les aliments dont il n’est que le réservoir commun : voilà ce que devaient répondre ces bonnes gens au sot discoureur dont tu nous rapportes la fable. Mais qu’arriverait-il encore si nous t’écoutions ? Celui qui se trouverait aujourd’hui plus à son aise qu’un autre se verrait bientôt supplanté par celui qui ferait des efforts pour se mettre en sa place, et serait peut-être réduit, à son tour, lui ou ses enfants, à périr de misère. »
- « Nous faisons la guerre, nous arrachons la chevelure, nous brûlons, nous mangeons nos ennemis, c’est-à-dire, les familles, qui, séparées des nôtres, s’assemblent pour nous disputer la chasse ou la pêche ; et tu veux faire en sorte que nos propres familles en fassent autant entre elles.
- Si nous épargnons quelques-uns de nos prisonniers ; si nous les adoptons pour remplacer nos morts, alors, loin de souffrir qu’ils prennent part à nos travaux, nous les nourrissons comme nos femmes et nos enfants, sans rien faire, et tu voudrais assujettir une partie de notre nation à cette déshonorante servitude, et faire qu’elle commandât à nos vaillants et laborieux chasseurs. Va, tu as perdu le sens. »
Je prévois ce qu’on opposera au parallèle que je viens de faire des institutions vicieuses de notre politique vulgaire, et des sages règlements qui ne seraient que de justes applications des lois de la nature, et qui n’imiteraient que ce qu’elle opère pour rendre les hommes vraiment sociables.
Si vous trouvez, dira-t-on, dans quelques pays, des hommes véritablement disposés à obéir aux impressions de ces lois ; des hommes tels que vous les désirez pour en faire les citoyens de votre république, nous les excepterons avec vous de la règle générale, qui ne vous permettra pas de conclure que la nature les ait pareillement disposés par toute la terre.
Nous dirons encore, 1° qu’il n’est pas bien sûrr que ces peuples dociles naissent avec les qualités que vous leur trouvez ; puisque, comme l’a très-sagement observé l’auteur de l’Esprit des lois, la rigueur du climat donne aux peuples septentrionaux de l’Amérique une constitution forte et vigoureuse, qui contribue, ainsi que la stérilité des contrées qu’ils habitent, à les rendre actifs et laborieux.
2° La nécessité de pourvoir à des besoins urgents, unit aisément quelques familles, qui forment séparément plusieurs petites peuplades.
3°Quand on vous accorderait que votre police peut devenir praticable parmi ces peuples, ce ne serait qu’en conséquence de quelques circonstances qui ne se trouvent point ailleurs. Dans les pays chauds, par exemple, où, selon le rapport de nos voyageurs, les peuples sont extrêmement indolents et paresseux ; où le courage et la force, transplantés, s’énervent et l’affaiblissent ; où chaque homme ne semble vivre que pour soi, sans se soucier des autres ; chez la plupart des sauvages africains les moins féroces, on écouterait fort peu vos leçons.
4° Quoi que vous en disiez, l’expérience prouve que partout le monde l’homme est, en général, naturellement porté à l’oisiveté et au repos ; qu’il cherche toujours à se le procurer aux dépens d’un autre ; et que cette inclination, quoique çà et là plus ou moins forte, le rend presque sourd aux propositions les plus raisonnables.
Enfin, quelque apparence de vérité qu’ait votre système, il pèche essentiellement, en ce qu’aucun peuple policé ne s’est jamais soumis à rien de pareil aux constitutions fondamentales de votre politique.
De toutes ces observations on doit conclure qu’il faut bien de plus fortes machines que celles que vous prétendez employer, pour rapprocher les hommes et les porter à se secourir mutuellement : si les vôtres suffisent en certains cas, elles ne seront ni partout ni toujours assez puissantes.
Je répliquerai aux préliminaires de ces objections, que les moyens de sociabilité que je propose sont d’autant plus sûrs, qu’ils ne sont, comme je l’ai prouvé, sujets à presque aucun des inconvénients qui traversent les succès, ou affaiblissent le pouvoir des moyens violents de la politique ordinaire ; j’ajouterai ici que nos institutions étant soutenues de plus de considérations et de motifs encourageants, pourront infiniment sur des nations supposées exemptes des préjugés qui naissent de l’esprit, vraiment indocile et paresseux, de propriété et d’intérêt particulier ; esprit qui ne peut devenir sociable que par crainte. Si, indépendamment de tout ceci, il n’est point de situation où l’homme soit toujours également disposé à déférer sans répugnance aux conseils, aux remontrances les plus raisonnables, notre hypothèse n’exclut point alors une autorité sévère qui dompte ces premiers dégoûts, et qui oblige une première fois à des devoirs que l’exercice rend faciles, et que l’évidence de leur utilité fait aimer ensuite.
J’ai déjà dit que nos lois seraient telles qu’elles n’auraient qu’un seul vice à réprimer, l’oisiveté, et que leurs dispositions, prévenant tout autre mal, seraient telles qu’elles ôteraient encore au citoyen tout prétexte de se dispenser de travailler au bien commun de la société.
Pour résoudre plus particulièrement ce qu’on allègue, que les peuples sauvages des pays chauds, plus faibles et plus enclins à l’oisiveté, se prêteraient moins à mes arrangements politiques que d’autres, je dis que ces peuples étant en même temps ou plus abondamment pourvus des choses nécessaires à la vie, ou plus sobres, embrasseraient volontiers une forme de gouvernement qui, partageant avec certaines proportions les travaux de la société entre ses membres, en diminue considérablement le poids. Bref, un système qui favorise par tant d’endroits le repos et la tranquillité des hommes, ne pourrait-il pas, au moyen de quelques légères modifications, convenir à toutes nations, ou naissantes, ou encore dans l’état de pure nature, quelque variés que soient leurs caractères ?
Si l’on insiste encore sur ce que par toute la terre les hommes sont naturellement enclins à l’oisiveté et à la paresse, il faut expliquer ce qu’est ce penchant dans son origine. Cet amour du repos et de la tranquillité, est dans la créature raisonnable une tendance vers un point fixe de bien-être ; mais ce point d’appui changeant lui-même, et variant comme la période de nos affections naturelles, dans un certain cercle d’objets, oblige aussi l’homme à changer de posture : la même situation de repos deviendrait importune ; il faut faire effort pour en prendre une autre ; souvent notre impuissance arrête ou retarde l’effort que nous faisons pour nous placer dans une nouvelle assiette ; avis de recourir à des secours ; avis de rechercher qui peut en donner ; avis de mériter ces secours ; avis de contribuer pour sa part au soulagement des autres, en agissant pour le sien propre ; avis de partager le travail pour le rendre moins pénible ; avis enfin qui peuvent être fortifiés, comme je l’ai dit, par l’autorité des lois conformes à leur sagesse[5].
Si quelque chose est venu corrompre ces avis salutaires, ce sont précisément quelques institutions arbitraires qui prétendent fixer, pour quelques hommes seulement, un état permanent de repos que l’on nomme prospérité, fortune, et laisser aux autres le travail et la peine : ces distinctions ont jeté les uns dans l’oisiveté et la mollesse, et inspiré aux autres du dégoût et de l’aversion pour des devoirs forcés : en un mot, le vice que l’on nomme paresse, ainsi que nos passions fougueuses, tire son origine d’une infinité de préjugés, enfants très-légitimes de la mauvaise constitution de la plupart de nos sociétés que la nature répudie.
Il est si vrai que l’homme est une créature faite pour agir, et pour agir utilement, si rien ne la détournait de son véritable emploi, que nous voyons cette espèce d’hommes que l’on nomme riches et puissants, chercher le tumulte fatigant des plaisirs pour se délivrer d’une oisiveté importune. L’homme n’est donc pas naturellement paresseux, mais l’est devenu, ou, ce qui est la même chose, il a contracté de l’aversion pour toute occupation vraiment utile.
Quittons maintenant les contrées sauvages de l’Amérique, repassons chez les nations policées de notre continent : c’est là que j’avouerai que l’on trouve effectivement des hommes paresseux, indociles et fougueux, tels que les peint notre savant journaliste : j’avouerai encore que près d’eux notre système aurait très-peu de crédit, puisqu’il faut que je fasse tant d’efforts pour en établir l’évidence aux yeux de la simple raison ; mais comme j’ai prouvé qu’aucune nation ne tient de la nature ni cette indocilité ni tout autre vice, je vais prouver historiquement, en remontant à l’origine des choses, par quels degrés ces maux se sont accrus, et ce qu’auraient dû faire les premiers législateurs pour les prévenir : on comprendra en même temps ce qu’on achève de m’objecter, pourquoi, quelque sûrs et évidents que soient mes principes, aucun sage, aucun peuple de la terre ne s’est jamais avisé d’en faire usage.
Mais auparavant, le lecteur me permettra de l’arrêter sur quelques réflexions qui ne sont pas absolument de mon sujet. Que d’efforts, dira-t-il, pour prouver l’évidence ! J’avoue qu’ils seraient inutiles, s’il ne fallait en écarter une foule d’opinions politiques et morales, qui obscurcissent la vérité ; leurs fréquentes attaques, presque toujours conduites à peu près de même, obligent à de fréquentes redites. Telles sont l’obstination et la ténacité de certaines erreurs invétérées, que si on en épargne la moindre racine, le tronc en subsiste sur le pied ; si l’on néglige de frapper le moindre coup, il semble aux esprits prévenus que quelque difficulté invincible arrête vos efforts. Ne voit-on pas tous les jours, dans les disputes de religion ou de philosophie, des objections mille fois anéanties, mille fois revenir à la charge sous une forme nouvelle ? Si vous manquez au moindre petit développement d’une vérité, si vous prévenez trop implicitement une objection, l’imposture ou l’entêtement en profitent aux yeux du public ignorant ; ils érigent un trophée des chétifs lambeaux que vous leur laissez : leurs folles opinions mille fois terrassées, si vous oubliez de leur donner le dernier coup, ils les relèvent comme saines et entières, et le crient aux oreilles de tout le monde.
Voyez, par exemple, ces prétendus démonstrateurs de la religion, qui la déshonorent par la faiblesse ou le ridicule de leurs preuves ; ne connaissant, pour la plupart, ni ce qu’ils défendent, ni le fond des opinions qu’ils attaquent, ils s’en forgent, ils en publient des idées ordinairement favorables aux desseins qu’ils ont de paraître victorieux. Je loue leur zèle ; mais leur sotte présomption, leur ignorance ou leur mauvaise foi, sont-elles excusables aux yeux du sage ? Qu’on me pardonne cette digression, je reviens à mon sujet.
Cherchons la cause physique de la corruption des nations. Je dis que nous ne la trouverons point dans leur origine. Tout peuple, quelque nombreux qu’il soit devenu, quelque vaste pays qu’il occupe, doit son commencement à une seule ou à plusieurs familles associées. On ne peut regarder comme véritable origine d’un peuple une assemblée qu’on imaginerait fortuitement formée de plusieurs hommes épars çà et là : cette réunion serait simplement l’origine de leur société : on ne peut pas non plus appeler origine des nations les établissements faits par des transmigrations ou par des conquêtes : tous ces changements accidentels sont précisément des effets de la corruption de l’état primitif des peuples, et ces événements sont, à leur tour, devenus autant de nouvelles causes des plus grands désordres.
Puisqu’il est constant que toute nation doit ses commencements à une ou à plusieurs familles, elle a dû, au moins pendant quelque temps, conserver la forme du gouvernement paternel, et n’obéir qu’aux lois d’un sentiment l’affection et de tendresse que l’exemple du chef excite et fomente entre des frères et des proches ; douce autorité qui leur rend tous biens communs, et ne s’attribue elle-même la propriété de rien.
Ainsi chaque peuple de la terre, au moins à sa naissance et dans son pays natal, a été gouverné comme nous voyons que le sont de nos jours les petites peuplades de l’Amérique, et comme on dit que se gouvernaient les anciens Scythes, qui ont été comme la pépinière des autres nations. Mais à mesure que ces peuples se sont accrus comme le nombre des familles, les sentiments d’union fraternelle se sont affaiblis comme l’autorité des pères, alors trop partagée.
Celles de ces nations qui, par quelques causes particulières, sont restées les moins nombreuses, et sont plus longtemps demeurées dans leur patrie, ont le plus constamment conservé leur première forme de gouvernement toute simple et toute naturelle : celles même qui se sont considérablement accrues, sans changer de demeure, ont du conserver une forme de gouvernement qui tenait toujours du paternel, malgré l’affaiblissement des sentiments qui semblent ne pouvoir régner avec empire qu’entre un petit nombre de personnes presque toutes parentes.
Les nations qui, trop resserrées dans leur pays, se sont vues obligées de transmigrer, ont encore été forcées, par les circonstances et les embarras d’un voyage, ou par la situation et la nature du pays où elles sont venues s’établir, de prendre des arrangements qui devaient déroger aux constitutions du gouvernement paternel, nouvelle atteinte aux sentiments qui en font la base.
J’aperçois donc trois causes physiques de l’affaiblissement de l’empire paternel.
La première est la multiplication des familles, entre lesquelles ce que je nommerai affection de consanguinité diminue, ainsi que l’esprit de communauté, à proportion de leur nombre.
La seconde cause, sont les transmigrations qui obligent chaque famille à rompre la communauté, parce que chacun se charge d’une part du bagage et des provisions.
La troisième, enfin, naît de l’embarras et des difficultés d’un nouvel établissement.
Dans ces causes, qui ont affaibli ou éteint l’affection de consanguinité, et rompu presque toute communauté, je trouve la source des différends qui pouvaient s’élever, soit entre les particuliers ou les familles, soit entre des nations entières, et par conséquent l’origine funeste de toute dissension civile, de la guerre et du brigandage. Chaque peuplade venant à se diviser et à s’éloigner l’une de l’autre, le temps, la distance des lieux, la différence de langage et de mœurs, ont dû presque totalement détruire toute idée de consanguinité entre des nations sorties d’un même pays, et pour ainsi dire d’une seule race ; lors donc qu’elles se sont rencontrées en d’autres climats, ne se regardant déjà plus que comme des êtres animés, d’une espèce différente, la moindre contestation, la moindre querelle a dû facilement les porter à s’entre-détruire presque sans répugnance et sans horreur.
C’est donc en conséquence de toutes les discordes qui ont suivi l’affaiblissement ou l’extinction de toute affection de consanguinité, de quelque manière que ces troubles soient arrivés, que les peuples, las de cet état violent, ont consenti à se soumettre à des lois ; mais la plupart, ou pour mieux dire tous ceux auxquels ils s’en sont rapportés, soit pour régler des coutumes introduites, soit pour faire de nouveaux établissements, loin de corriger des abus, loin d’abolir des usages vicieux et les préjugés qui les autorisaient, loin de chercher les moyens de rapprocher et faire revivre les premières constitutions de la nature, prenant, pour avoir plus tôt fait, les choses et les personnes telles qu’ils les trouvaient, ces réformateurs, ces fondateurs de républiques, n’ont fait qu’appliquer çà et là quelques contrepoids, quelque étançon qui pût tellement quellement soutenir la sociabilité prête à se dissoudre.
Ainsi, comme, en remontant à l’origine et aux causes physiques de l’affaiblissement des sentiments de consanguinité, j’ai découvert la naissance de tout désordre, de même, en remontant à l’origine de toutes sociétés, c’est-à-dire aux établissements qui leur ont donné quelque forme, on trouvera que les lois qui n’ont apporté que des remèdes palliatifs aux maux de l’humanité peuvent être regardées comme causes premières des suites fâcheuses de leur mauvaise cure : on peut aussi les accuser d’être causes secondes des maux que leur imprudence a fomentés ou manqué de prévenir. Souvent ceux qui les ont faites, ont adopté comme bons de véritables abus, et ont travaillé pour ainsi dire à perfectionner, à régler l’imperfection elle-même, et les choses les plus répugnantes au bon ordre.
Les lois d’institution ne devraient être faites que pour rappeler et remettre en vigueur la première loi naturelle de sociabilité ; elles devraient tirer toutes leurs dispositions particulières de cette loi générale, faire servir ces conséquences à l’étendre et à l’expliquer, prévoir et prévenir les cas qui pouvaient donner atteinte à son autorité, ou tendre à éluder ses intentions. Point du tout, ces lois factices et momentanées ont commencé par directement contredire celle qui devait être éternelle, et de laquelle elles devaient emprunter toutes leurs forces : aussi ne faut-il pas s’étonner de leur instabilité, de leur embarras, de leur multitude.
C’est ce chaos qu’a si savamment parcouru le savant auteur de l’Esprit des Lois, esprit dont il a fait connaître l’inconstance, en faisant l’histoire et l’analyse de ces lois versatiles. Tel a été son objet ; le mien, dans cette dissertation, est de faire voir précisément pourquoi les lois humaines sont par elles-mêmes si sujettes à de fréquents changements et à mille inconvénients dangereux. Ces lois, je ne cesse de le répéter, et on ne saurait trop le redire, en établissant un partage monstrueux des productions de la nature et des éléments même, en divisant ce qui devait rester dans son entier ou y être remis si quelque accident l’avait divisé, ont aidé et favorisé la ruine de toute sociabilité. Sans altérer, dis-je, la totalité des choses immobiles, elles devaient ne s’attacher qu’à régler non la propriété, mais l’usage et la distribution de celles qui ne sont point stables : il ne fallait pour cela que partager les emplois, les secours mutuels des membres d’une société : s’il devait régner quelque inégalité harmonique entre des concitoyens, c’était de l’examen des forces de chaque partie de ce tout qu’il fallait déduire ces proportions, mais sans toucher à la base qui porte le corps de la machine. C’est une maxime de prudence économique, qu’un homme riche en fonds ne doit projeter que sur l’emploi de ses revenus.
C’est sur l’évidence des principes que je viens de m’efforcer de dégager comme d’un tas de ruines, que j’ose ici conclure qu’il est presque mathématiquement démontré que tout partage, égal ou inégal, de biens, toute propriété particulière de ces portions, sont dans toute société ce qu’Horace appelle summi materiam mali. Tous phénomènes politiques ou moraux sont des effets de cette cause pernicieuse ; c’est par elle qu’on peut expliquer et résoudre tous théorèmes ou problèmes sur l’origine et les progrès, l’enchaînement, l’affinité des vertus ou des vices, des désordres et des crimes, sur les vrais motifs des actions bonnes ou mauvaises, sur toutes les déterminations ou les perplexités de la volonté humaine, sur la dépravation des passions, sur l’inefficacité, l’impuissance des préceptes et des lois pour les contenir ; sur les défauts même techniques de ces leçons, enfin sur toutes les monstrueuses productions des égarement de l’esprit et du cœur. La raison, dis-je, de tous ces effets peut se tirer de l’obstination générale des législateurs à rompre ou laisser rompre le premier lien de toute sociabilité, par des possessions usurpées sur le fonds qui devait indivisiblement appartenir à l’humanité entière.
Mais, répliquera-t-on, était-il bien possible que les premiers législateurs de notre continent poliçassent les peuples, comme vous prétendez qu’ils auraient dû le faire ? et quand ils l’auraient pu, leurs lois, leurs institutions n’auraient-elles pas été aussi sujettes à la corruption et aux changements qu’elles le sont ?
Je réponds premièrement que la plupart des peuples qui, de notre connaissance, se sont les premiers soumis à des lois, n’étaient point dans ces temps aussi nombreux qu’ils le sont devenus : ainsi, selon l’objection même que vous m’avez faite ci-devant, c’est là précisément ce qui a facilité les législations et ce qui en aurait favorisé de meilleures ; de plus, ces peuples indigènes[6] ou colons devaient être à peu près ce que sont, depuis un grand nombre de siècles, les nations de l’Amérique septentrionale : il était donc facile à leurs sages d’établir leurs lois sur les vrais fondements de la nature ; ils étaient alors presque à nu et sans rupture, ces solides fondements qu’il faut aujourd’hui creuser avec tant de peine ; quand ils les ont trouvés quelque part altérés par les accidents qui pouvaient faire languir les affections sociables, ils devaient travailler à les rétablir, en faisant revivre ces affections. Exacts observateurs de ce que dictent ces sentiments, commentateurs conséquents de leurs premières lois, ils pouvaient les étendre, mais en conserver le texte dans toute sa pureté.
On demandera encore si ces législateurs, en suivant pas à pas les intentions de la nature, n’auraient pas, malgré la docilité des peuples, rencontré des difficultés de détail dans les applications particulières de leurs lois à la distribution des diverses occupations, aux moyens de pourvoir suffisamment aux besoins publics et particuliers, et à ceux de faire également subsister, sans confusion, sans discorde, une multitude de citoyens, difficulté dont la moindre a souvent fait échouer les plus beaux projets.
Je dirai que tout cela aurait été une simple affaire de dénombrement de choses et de personnes, une simple opération de calcul et de combinaison, et par conséquent susceptible d’un très-bel ordre. Nos faiseurs de projets, anciens et modernes, ont conçu et exécuté des desseins incomparablement plus difficiles, puisque, outre les accidents imprévus, ils avaient contre eux la raison de la nature, et les obstacles sans nombre qui naissent de l’erreur, et dont elle s’embarrasse elle-même. Enfin, si l’on doit s’étonner, c’est que ces imprudents aient réussi en quelque chose.
Je demanderai à mon tour si les lois des Solon, des Lycurgue, celles des Crétois, des Indiens, des Perses, des Chaldéens, des Égyptiens, etc., toutes défectueuses et imparfaites qu’elles étaient, ont subsisté si longtemps dans leur entier ; si ensuite, fondues et compilées, elles sont devenues universelles ; si on peut dire que les Grecs ont subjugué les Romains par leurs lois, comme ceux-ci ont soumis par la force des armes les autres nations ; si ces mêmes Romains ont vu les Barbares mêmes qui inondaient et dépeçaient l’empire, adopter leurs lois ; si presque l’Europe entière leur obéit aujourd’hui, quelle eût été la durée et la stabilité de celles qui auraient infailliblement prévenu les funestes et sanglantes révolutions arrivées dans ce monde ?
Des lois paisibles qui auraient, de plus en plus. resserré les liens de la société chez un peuple humain, bienfaisant, auraient été un puissant exemple pour une autre nation ; ces sages institutions auraient, de proche en proche, étendu leur douce autorité par toute la terre ; elles auraient fait tomber les armes des mains des peuples les plus féroces ; et c’est précisément parce qu’elles ont été négligées dès les premiers temps, qu’elles paraissent à présent impraticables ; mais cela peut-il excuser la fausseté des principes sur lesquels sont bâtis notre Droit civil et notre Droit des gens ?
Quand je parle de la fausseté des principes de nos deux Codes, j’entends qu’ils supposent toujours une perversité naturelle qui n’est point dans l’homme. Le premier de ces principes : Ne fais point à un autre ce que tu ne voudrais pas qu’il te fît, admet comme constant et ordinaire que les hommes peuvent sérieusement penser à se nuire ; ce qui n’arriverait jamais, si les lois même ne les exposaient souvent à cette dure nécessité, et si celles de la nature eussent été exactement observées : celle-ci ne prescrit rien sur ce qu’elle prétend laisser ignorer ; elle ne dit pas : Ne nuis point, elle préserve de ce danger ; mais fuis tout le bien que tu voudrais éprouver toi-même.
Votre premier principe de droit n’est donc que conditionnellement vrai, et son observation très-cotingemment et en quelque sorte très-fortuitement nécessaire.
Posez le tien et le mien, qui devait être un sujet infaillible de discorde, il fallait établir que, quelque inégalité qu’il y eût dans ce partage, il ne serait pas loisible à celui qui aurait moins de troubler celui qui aurait plus ; il fallait engager le moins heureux, et l’infortuné même, à se soumettre aux décisions des lois humaines, par cette considération fort peu consolante : Si tu, te trouvais le premier en possession des même avantages, souffrirais-tu qu’un autre t’en privât ? Voilà le véritable sens de votre première maxime d’équité. Mais de quoi les hommes s’aviseraient-ils de se priver, dans une parfaite égalité de jouissance des choses nécessaires à la vie ? Cette égalité n’exclut-elle pas toute idée, toute envie de nuire ?
Toutes les conséquences de votre premier axiome portent à faux comme lui. Il est permis, par exemple, de repousser la force par la force. Je demande qui a induit les hommes à en venir à ces cruelles extrémités. Deux nations acharnées à s’entre-dévorer, usent très-bien de cette permission ; elles se trouvent enfin forcées de suspendre leur rage pour entrer en pourparler ; elles observent un instant votre premier conseil, alteri ne faceris, etc. Mais prévenez les causes de toute guerre, a quoi servent les lois de la trêve ?
Quoi ! dira-t-on, n’a-t-il pas toujours été presque impossible d’établir une si parfaite concorde entre les hommes qu’ils ne cherchassent jamais à se nuire ? Il fallait donc une leçon qui leur fît sentir combien cela était déraisonnable. D’accord, mais il fallait faire en sorte que cela n’arrivât que fort rarement, et le moins grièvement qu’il est possible, en écartant absolument tout sujet et tout prétexte d’offense, en empêchant que jamais les choses d’où dépendent notre bien-être et notre conservation ne devinssent une proie que plusieurs contendants se disputent, et que le plus fort leur enlève : ces sages précautions eussent réduit tous les petits différends qui auraient pu naître à de légères émotions, à de légères inégalités d’humeur, telles qu’on en voit s’élever entre gens qu’unissent la familiarité, l’amitié ou le sang, sans que ces querelles passagère les portent à une entière rupture. Alors l’injonction positive de faire autant de bien qu’on en vent éprouver soi-même aurait facilement réprimé ces faibles brouilleries, et il n’aurait pas été besoin de fabriquer des codes sur une inutile négative.
C’était précisément cette faible négative alteri ne feceris, etc., que les premiers chrétiens opposaient pour toute défense à leurs persécuteurs : ils n’en avaient pas besoin, ni entre eux, ni envers leurs plus cruels ennemis ; ils étaient trop éloignés de toute violence. Quelques-uns de leurs principaux dogmes leur faisaient sentir l’égalité naturelle de tous les hommes ; ils ôtaient un maître toute la rigueur de son autorité, adoucissaient l’esclavage, en rendaient la soumission volontaire : leurs préceptes, ne permettant qu’un usage passager des biens de cette vie, recommandaient aux riches de se détacher de leur possession, et de les répandre dans le soin des pauvres. La douceur, la modération, une humble modestie, la patience, ne leur étaient pas moins fortement enjointes envers tous les hommes. Ces vrais humains étaient encouragés à remplir ces devoirs par des promesses de récompenses infinies ; des menaces terribles les empêchaient de s’en écarter : aussi, dans les premiers temps, les sectateurs de cette belle morale l’observaient-ils avec une exactitude admirable : leurs repas communs, dans lesquels les riches pourvoyaient abondamment aux nécessités du pauvre, avec lequel ils s’asseyaient à la même table ; des sommes immenses mises en dépôt entre les mains des pasteurs, par ceux qui, se dépouillant de leurs biens, se mettaient eux-mêmes au rang des mendiants ; toute cette conduite tendait visiblement à rappeler chez les hommes les vraies lois de la nature. Ainsi le christianisme, à ne le considérer que comme institution humaine, était la plus parfaite. Les persécutions soutinrent l’héroïsme de ceux qui l’embrassèrent ; leur constance, la pureté de leurs mœurs, leur firent plus de prosélytes, persuadèrent mieux que leurs dogmes mystérieux. La crainte de céder aux tourments peupla les déserts d’habitants qui vivaient du fruit commun de leurs travaux, et qui seraient devenus des peuples nombreux, s’ils ne se fussent fait un mérite de ne point laisser de postérité qui pût hériter de leur vertu.
Mais ce même christianisme avait des maximes, des pratiques, qui tôt ou tard devaient faire languir celles de sa morale. La vie même la plus détachée des affections terrestres, pour se livrer à la contemplation, devait dégénérer en inaction pour la société, et servir souvent de prétexte à la paresse : c’est ce qui arriva effectivement. Le christianisme victorieux fit tomber les idoles ; mais il défendit mieux ses mystères que sa morale ; celle-ci, pour ménager ceux-là, n’osa combattre les préjugés, les usages, les lois civiles, contraires aux intentions de la nature, avec autant de force qu’elle avait attaqué le paganisme. Cette morale se conforma aux institutions politiques dans tout ce qui n’était point contraire aux sublimes spéculations sur lesquelles elle s’appuyait. Il fallait donc qu’elle prît une teinture des abus qu’elle n’avait pas eu le pouvoir de réformer, parce que, malgré la force des plus beaux exemples, la puissance législative lui manquait. Ces exemples convertirent insensiblement les nations, sans changer leur police ni leurs mœurs, c’est-à-dire que le monde se crut chrétien, parce qu’il n’adorait plus le marbre ni le bronze, et parce qu’il observait toutes les cérémonies de ce nouveau culte. Cette religion même, toute spirituelle, cédant à la faiblesse du vulgaire grossier, sanctifia quelques-unes de ses anciennes superstitions, toléra chez des peuples barbares des pratiques encore plus absurdes ; les cérémonies multipliées ne firent que distraire les hommes du principal objet de ce culte ; l’accessoire prit la place du fond de la religion ; le commun
crut en remplir tous les devoirs, quand, à certains jours, à certaines heures, il eut payé de sa présence au spectacle de ces démonstrations, dont la pompe éveilla ou fit naître la vanité, l’orgueil, chez ceux qui en étaient les principaux acteurs. L’homme est ainsi bâti : il se croit grand, respectable, important, quand il se voit décoré ; c’est le mulet chargé de reliques ; une religieuse magnificence se changea bientôt en luxe, en faste, chez les ministres. Une dévote affluence fut pour eux une espèce de cour ; et, parmi le vulgaire, les plus assidus se crurent les plus parfaits.
Que devint donc cette véritable affection de consanguinité, cette première loi de nature qui semblait devoir changer la face des nations ? Il fallait que, faute de mesures politiques, faute de sages arrangements qui pussent donner une forme stable à sa régie, cette charité si vantée se vît supplanter par mille momeries, et que, grossièrement associée à la propriété et à l’intérêt, elle en contractât les vices, ou plutôt ne fût plus qu’un vain nom attribué aux fastueuses et passagères libéralités du riche, qui, sans améliorer le sort de l’indigent, ne firent qu’entretenir sa fainéantise. On vit alors le ministre des autels s’approprier, comme salaire de ses vœux corrompus, l’héritage du pauvre ; on vit ces prétendus médiateurs entre Dieu et l’homme marchander avec le stupide opulent, au moment du trépas, la rançon de ses injustices ; on vit le pontife orgueilleux transformer les remontrances de la correction fraternelle en une insolente domination, masquée des apparences d’un zèle apostolique[7] ; le vulgaire, enfin, en changeant de superstition, resta ce que la politique ordinaire et l’imposture avaient intérêt qu’il continuât d’être.
Qu’on ne me dise pas que le véritable esprit du christianisme, cette communauté des biens de la nature, cette réciprocité de secours, cette égalité de conditions dont je vante les avantages, subsistent encore dans des corps tout dévoués à l’observation de ces belles lois. C’est faire grâce à ces pelotons d’hommes fortuitement rassemblés, à ces tubérosités éparses çà et là sur le corps languissant de la société, que de les comparer à de riches familles qui appauvrissent une république : ces mêmes familles qui la minent peuvent quelquefois utilement la servir. Non, ces corps monstrueux composés de gens oisifs qui ne tiennent à l’arbre que comme des plantes parasites, ne valent pas la branche la plus viciée. Il faut que, dans l’état actuel des nations les mieux gouvernées, ces corps isolés soient de véritables cabales de gens qui semblent conspirer de se dispenser, sous mille prétextes frivoles, de tout devoir de citoyen, et de jouir néanmoins des plus belles prérogatives. Non, encore un coup, l’esprit des lois de la nature ne peut se renfermer dans ces retraites obscures. Je prétends qu’il est de son essence de se répandre également sur tout un peuple ; qu’il doit animer tous ses membres d’une même activité et d’une même tendance, et les lier d’un même lien : il a, par conséquent, en horreur les vides entrecoupés de ces associations factieuses.
Je viens de rendre raison des progrès et du pouvoir que l’usage, que de vieilles opinions, des préjugés fortement enracinés, donnent aux lois vulgaires, tout vicieux qu’en sont les principes et leurs conséquences. J’ai fait voir combien ces lois sont incompatibles avec celles de la nature ; en un mot, par quels degrés les erreurs politiques et morales croissent au point d’usurper, presque sans retour, le nom, l’autorité et les droits de la vérité.
Il me reste à résoudre les dernières propositions de l’objection de la Bibliothèque impartiale : les voici. Le projet d’égalité est, en particulier, un de ceux qui parait le plus répugnant au caractère des hommes : ils naissent pour commander, ou pour servir : un état mitoyen leur est à charge.
J’ai déjà expliqué à quels égards les hommes étaient et devaient demeurer parfaitement égaux, et comment la nature, sans troubler le niveau de cette égalité fondamentale, avait distribué aux individus de notre espèce différentes qualités pour leur servir de titre, et sur quoi elle avait réglé la place et les rapports utiles de chaque membre de la société.
Examinons à présent en quoi consiste la véritable liberté politique ou civile de l’homme, dont les moralistes n’ont jamais en une idée juste, non plus que du bien ou du mal moral.
Je dis, premièrement, que la véritable liberté politique de l’homme consiste à jouir, sans obstacles et sans crainte, de tout ce qui peut satisfaire ses appétits naturels, et, par conséquent, très-légitimes ; mais que cette heureuse liberté dépend elle-même d’une combinaison de causes qui rendraient cette jouissance très-possible, si les moyens n’en eussent été pervertis et troublés.
Si, par liberté, on entend une entière indépendance qui exclue absolument tout rapport d’un homme à un autre, je dis que cette liberté serait un état de parfait abandon, situation dans laquelle les hommes vivraient isolés comme les plantes ; alors plus de société.
L’espèce de dépendance des différents membres de l’humanité, leurs divers rapports naturels ne sont pas plus un défaut de liberté, une gêne, que la réunion et la dépendance des organes ne sont, dans un corps animé, un défaut de vigueur ; au contraire, cette association, ces liaisons augmentent et secondent le pouvoir de cette liberté civile ; elles lèvent les obstacles que notre impuissance, notre faiblesse naturelle trouveraient sans cesse, si elles n’étaient aidées ; bref, elle contribue à tout ce qui favorise notre conservation, notre bien-être et notre liberté.
Les hommes naissent pour commander ou pour servir, dit l’auteur de la Bibliothèque : tous nos philosophes le disent comme lui. Je ne chicanerais point sur ces termes, si nos préjugés, nos coutumes ne leur avaient fait donner une signification fort odieuse. Restituons leur véritable sens. Les hommes naissent dans une mutuelle dépendance qui les fait, tour à tour, commander et servir, c’est-à-dire, être secourus et secourir ; mais dans cette signification, et selon le véritable droit de la nature, il n’y a et ne doit y avoir ni maître ni esclave : ou plutôt la liberté, telle que je l’ai définie, est également secondée.
Je dis qu’il n’y a ni maître ni esclave, parce que la dépendance est réciproque. Le fils ne dépend pas plus du père, que celui-ci de sa progéniture : l’un est aussi étroitement lié par des sentiments naturels d’une tendresse secourable et bienfaisante, que l’autre par une faiblesse qui attend des secours. Les citoyens d’une république sont singulièrement et collectivement dans une mutuelle dépendance.
En général, dans la société l’un naît faible, délicat, mais spirituel et industrieux ; l’autre est fort et robuste, mais il a besoin de conseils. L’enfance est aidée par l’âge mûr ; celui-ci est sur son déclin, quand l’autre prend sa place et ses fonctions ; enfin, l’âge florissant, en secourant la vieillesse, est lui-même secouru par ses contemporains.
Qu’on considère les hommes même dans l’état présent des nations : combien d’orgueilleux mortels n’ont que le vain titre de maître ? Tout paraît fléchir devant eux, et tacitement tout s’oppose à leur impérieuse volonté ; tout conspire à la plier elle-même, ou à éluder ses intentions. Le plus vil esclave, une femme méprisable, ont-ils reconnu votre faible, redoutables souverains ? ont-ils découvert le train, l’allure de vos caprices ? ils vous gouvernent avec plus d’empire qu’un écuyer habile ne mâte le coursier le plus quinteux.
Puissants monarques, voulez-vous bien m’apprendre qui est votre premier favori, votre maîtresse ? Je vous dirai qui règne en votre place. Vous ne pouvez les soupçonner de cette ingratitude ; en effet, ils n’en sont pas toujours coupables. Non, ils n’usurpent point votre autorité ; leur valet de chambre, leur soubrette, peut-être leur palefrenier ; que sais-je enfin, quelque chose de plus vil encore, un dervis, un faquir, un moine gouvernent vos états. Croiriez-vous que souvent ces derniers placent près de vous ceux que vous honorez de vos faveur, et disposent des dignités, des emplois, et par et pour leurs créatures ?
Mais examinez de plus près combien votre absolu pouvoir est chimérique : Sultan, vous aviez besoin, naguère, d’établir un tribut nouveau sur votre peuple ; et, pour en diminuer le fardeau, vous n’avez voulu qu’aucun des grands de votre Porte ni des timariots de l’empire en fût exempt ; tous se sont soumis à vos ordres.
Croyant trouver la même obéissance, le même zèle pour le bien de l’État dans vos mouftis, vos imans, qui crient sans cesse dans les mosquées : Peuples, soyez soumis à vos princes ; ils sont l’image de la Divinité. Renoncez aux biens passagers de la terre ; n’usez que du peu qu’exigent les besoins naturels ; versez le reste dans le sein des pauvres : sans l’aumône, sans la charité, les portes du paradis vous seront fermées pour jamais ; croyant, dis-je, que ceux qui ont sans cesse ces maximes dans la bouche les auraient dans le cœur, et viendraient, au moindre signal, apporter dans vos trésors de quoi épargner au malheureux les sueurs et les peines que lui causent les besoins de la patrie, vous proposâtes à ces oracles du prophète de vous donner un état des immenses richesses que les libéralités de vos prédécesseurs, et celles de toute la nation, leur ont autrefois prodiguées.
Vous vîtes alors tomber le masque de l’hypocrisie ; vous vîtes cette impudente espèce, en violant le premier précepte de la religion, autoriser leur refus de cette religion même. Que devint donc votre pouvoir suprême ? vous craignîtes, dit-on, pour vos jours. Un de vos divans voulut soumettre ces rebelles ; vous lui imposâtes silence.
Quelque temps après, ces sujets séditieux, qui venaient de donner une atteinte si visible à votre autorité, semblables à ces Indiens qui maltraitent et caressent tour à tour leur idole, se servirent de ce même pouvoir pour rétablir leur ancienne domination jusque sur ceux que la mort va mettre au niveau des monarques.
Vous, maîtres passagers de la terre, les devoirs du citoyen une fois remplis envers vous et l’État, vous laissez au moins en repos les facultés de l’âme ; c’est par elles que l’homme est et doit être libre, lors même qu’il est chargé des fers du plus dur esclavage ; mais cette nation éternelle sans postérité[8], par combien d’endroits, sous combien de vains prétextes, sans aucun profit pour le cœur, ne prétend-elle pas opprimer la raison ?
Votre divan reconnut les ruses ambitieuses de ces petits tyrans ; il voulut vous représenter que ces prétendus favoris du prophète s’étaient plus d’une fois rendus maîtres des intrigues du sérail : il vous rappela qu’on avait souvent vu d’insolents mouftis se prétendre autant au-dessus des sultans que les anges surpassent les mortels, et s’arroger le droit de disposer de l’empire ; il voulut vous faire considérer que, quoique leurs vices et leurs désordres eussent désabusé les peuples, il était à craindre que ces hommes dangereux ne relevassent les ruines de leur monstrueux pouvoir à la faveur des opinions, des maximes qu’ils semaient dans les esprits du vulgaire. Ce sage divan tenta de vous faire remarquer combien toutes ces ruses portaient atteinte aux lois, au repos, à votre pouvoir même ; ce fut en vain : par un enchantement prodigieux, les conjurés écartèrent la vérité de votre trône ; ils firent passer le zèle de ce corps respectable pour une offense ; vous l’exilâtes.
Après cela, puissants monarques, qu’il me soit encore permis de vous demander quel est ce pouvoir dont vous vous montrez si jaloux ? Il est souvent le jouet du fourbe ou du flatteur, qui sait vous fasciner les yeux. Les méchants font de votre sceptre le fléau du sujet fidèle.
Ces exemples prouvent donc que, dans le monde moral construit comme il est par des mains mortelles, il n’y a ni véritable subordination ni véritable liberté.
Depuis le sceptre jusqu’à la houlette, depuis la tiare jusqu’au plus vil froc, si l’on demande qui gouverne les hommes, la réponse est facile ; l’intérêt personnel, ou un intérêt étranger que la vanité fait adopter, et qui est toujours tributaire du premier. Mais de qui ces monstres tiennent-ils le jour ? de la propriété.
C’est donc en vain, sages de la terre, que vous cherchez un état parfait de liberté où règnent de tels tyrans. Discourez, tant qu’il vous plaira, sur la meilleure forme de gouvernement ; trouvez les moyens de fonder la plus sage république ; faites qu’une nation nombreuse trouve son bonheur à observer vos lois ; vous n’avez point coupé racine à la propriété, vous n’avez rien fait ; votre république tombera un jour dans l’état le plus déplorable. C’est en vain que vous attribuerez ces tristes révolutions au hasard, à une aveugle fatalité qui cause l’instabilité des empires comme celle de la fortune des particuliers ; ce sont des mots vides de sens.
Ce hasard, cette prétendue fatalité morale ne sont que des effets de la discordance des volontés, auxquelles vous devez vous attendre, pour avoir négligé les vrais moyens d’associer ces volontés, conformément aux intentions de la nature : il n’entre point de hasard dans son plan, point de vicissitudes monstrueuses dans son cours, dans ses révolutions ; sa marche est constante, uniforme ; enfin, je le répète, ce hasard qui change les républiques en monarchies, et celles-ci en gouvernements tyranniques, n’est point une véritable fatalité : il n’y a rien en cela de fortuit ; la cause n’en est que trop sensible : c’est la propriété, l’intérêt, qui tantôt associent les hommes, et tantôt les subjuguent et les oppriment.
Vous dites, que les principes de la démocratie sont la probité, la vertu ; que l’aristocratie se soutient par la modération ; que la monarchie se fonde sur l’honneur ; que i la crainte affermit le rigoureux empire du despotisme[9]. Quels frêles supports, grand Dieu ! tous portent plus ou moins sur la propriété et l’intérêt, les plus ruineux de tous les fondements.
Dans une république, l’intérêt personnel et particulier, tempéré par une sorte d’égalité de fortune et de condition, reste quelque temps en équilibre avec l’intérêt commun de la société : les hommes, moins éloignés de leur état naturel, sont moins vicieux ; ce moins fait leur vertu ; mais tout équilibre est un état violent que le moindre poids rompt facilement. Pourquoi suspendre ainsi ce qui pouvait demeurer de niveau sur une base ferme et stable ? pourquoi restreindre le bien public par la chose du monde plus capable de le détruire, par une propriété qui incline si facilement l’homme à l’usurpation ? Qu’opposerez-vous à ce penchant avide ? de faibles vertus qu’il saura adroitement faire servir à ses fins, et rendra bientôt quelques familles maîtresses des fonds de la société et du gouvernement : voilà l’intérêt commun de toute une nation transformé en celui de quelques personnes unies pour asservir la multitude ; est l’aristocratie dont les membres ont besoin d’une modération qui prévienne entre eux toute jalousie, ou qui dérobe au peuple la vue d’une domination qui lui deviendrait odieuse : telle est, dans ce gouvernement, l’ombre de liberté que lui laissent les grands ; mais, sitôt qu’ils sortent des bornes de cette modération, un d’entre eux profite adroitement ou de leurs discordes ou de la haine publique contre ses égaux ; il favorise la multitude qui le porte sur le trône, ou bien il y parvient par les mêmes degrés qui avaient élevé les familles qu’il réduit aux honneurs du second rang : ainsi s’établit la monarchie ; elle ne s’approprie presque aucun des fonds de le société ; elle maintient les lois qui en ont fait les partages ; mais elle use, à son gré, de tous les membres du corps politique. Ce n’est plus la patrie que l’on sert, c’est la personne du prince ; c’est en sa considération que l’on fait son devoir ; c’est de lui seul qu’on attend des honneurs, des récompenses ; et, pour y parvenir, il faut percer la foule par des actions d’éclat que le souverain puisse remarquer. S’il est vertueux, l’empressement à mériter son estime, ses faveurs et des places voisines de la splendeur du trône ; l’honneur, en un mot, cette idée attachée à toute supériorité, fait le plus ferme appui du pouvoir des monarques. Mais hélas ! par combien d’accidents cet honneur ne dégénère-t-il pas en basse servitude ! Romains, vous triomphâtes sous les deux premiers Césars ; vous fûtes sous les autres les plus vils des mortels.
Bientôt la flatterie corrompt les plus grands rois ; voilà leurs courtisans, leurs sujets devenus adulateurs. Il n’est presque plus personne qui, pour acquérir les bonnes grâces de celui qui porte le sceptre, ne s’efforce de lui persuader que les hommes sont à l’égard de leurs souverains ce qu’est la nature entière par rapport à son auteur ; que dis-je ? ils leur insinuent que les peuples sont, à l’égard des têtes couronnées, ce que les animaux domestiques sont pour les hommes. On ne voit plus alors que d’indignes ministres des volontés les plus tyranniques. Quelque odieuse cabale s’empare de l’éducation d’un successeur ; ce corps de vils eunuques[10], avec l’ignorance ou les vices qui leur sont utiles, perpétue dans la famille régnante les maximes pernicieuses pour lesquelles la flatterie lui a fait prendre goût.
Peuples, réjouissez-vous, il vous est né un prince ; la nature l’a doué de qualités qui feront un jour vos délices : il ne s’agit que d’en aider le développement… Hélas ! non, gémissez ; vos espérances vont être cruellement déçues ; des monstres vont étouffer cette fleur ; leur souffle empoisonneur va obscurcir, resserrer, éteindre les facultés de ce génie pour le gouverner à leur gré : il sera fortement imbu de toutes les erreurs, de tous les préjugés du plus grossier vulgaire ; ils l’assujettiront aux craintes superstitieuses d’une femmelette ; du reste, cette engeance infectera ce tendre rejeton de l’esprit furieux d’avarice et de domination qui la possède.
Tous ces premiers esclaves s’efforcent d’établir le despotisme, qui bientôt jette une nation dans la barbarie, et de là dans un anéantissement total, où tombe avec elle le joug pesant qui l’y précipite.
Tels ont toujours été les progrès de la décadence des plus florissants empires. Quelle autre chose que l’esprit cruel de propriété et d’intérêt donne le branle à ces tristes révolutions.
Eheu quam pereunt brevibus ingentia causis.
Voilà ce que l’on peut nommer la fortune des États.
Ce qui assurerait la stabilité des empires.
Cette instabilité, ces vicissitudes périodiques des empires seraient-elles possibles où tous les biens seraient indivisiblement communs ? Posez cet excellent principe ; attachez à tout ce qui peut le rendre inaltérable, à tout ce qui peut en favoriser les heureuses conséquences, les idées les plus sublimes d’honneur et de vertu, vous aurez pour toujours fixé le sort heureux d’une nation ; il n’y aura plus qu’une seule constitution, qu’un seul mécanisme de gouvernement sous différents noms.
Quand un peuple consentira unanimement à n’obéir qu’aux lois de la nature, telles que nous les avons développées, et se comportera en conséquence, sous la direction de ses pères de famille, ce sera une démocratie.
Si, pour que ces lois sacrées soient plus religieusement observées et s’exécutent avec plus d’ordre et de promptitude, le peuple en dépose l’autorité entre les mains d’un nombre de sages, qui soient, pour ainsi dire, comme chargés de donner le signal des opérations que ces lois, indiquent et ordonnent, alors le gouvernement sera aristocratique.
Si, pour encore plus de précision, de justesse et de régularité dans les mouvements du corps politique, un seul en touche les ressorts. l’État devient une monarchie, qui jamais ne dégénérera si la propriété ne s’y introduit point : cet accident peut tout perdre ; mais dans notre hypothèse, mille moyens de le prévenir.
Sous quel prétexte la politique sacrifie l’intérêt de la multitude à celui d’un seul.
Pour montrer à quel point la destruction des lois de la nature a fait renverser les idées, soit morales, soit politiques, j’observe que l’on considère un État comme un instrument dont les souverains montent et touchent les cordes, pour en tirer le son qu’il leur plaît ; ces cordes sont la multitude, qui dit-on, est aveugle, et ne sait ordinairement ce qu’elle veut ; qui se porte brutalement à ce qui lui nuit comme à ce qui lui semble utile, et ne pourrait, par conséquent, jamais former une société, si elle n’était assujettie à quelque autorité redoutable. Oui, les hommes doivent être gouvernés ; mais depuis quand le commun, en général, est-il devenu une multitude aveugle ? n’est-ce pas depuis que la propriété et l’intérêt, joints aux erreurs qui en sont les suites, ont mis, comme je l’ai dit, une discordance si variée et si compliquée entre les volontés, que dans un millier de personnes à peine s’en trouvera-t-il dix qui puissent s’accorder, soit sur la façon de considérer un objet utile, soit sur les vrais moyens de s’en procurer une égale jouissance ? presque aucun n’aura une juste idée de ce qui constitue l’essence du vrai bien d’une société, quelque petite qu’on la suppose. L’oppression a toujours pris à tâche d’étouffer ces idées qui rendraient l’homme vraiment libre, parce qu’il serait raisonnable : est-il étonnant, après cela, que tout un peuple, toute une nation soit devenue une multitude capricieuse, insensée, un assemblage tumultueux d’un nombre infini de volontés et de sentiments contraires, dont la fermentation est plus violente que les flots d’une mer agitée ; enfin, un feu qui se dévorerait et se détruirait de soi-même, si sa violence n’était contenue par des lois qui le modèrent, et des maîtres qui le gouvernent ? Ainsi, selon nos sages, ces maîtres sont établis pour diriger, avec force et autorité, l’humanité entière vers son bien, que souvent elle ne connaît pas : ce sont des pasteurs qui conduisent une troupe de bestiaux stupides vers un bon pâturage, et qui la détournent de la fange d’un marais où elle irait se précipiter et se perdre. De là la belle maxime, que les potentats sont faits pour veiller à rendre leurs peuples heureux. J’ajouterai que, pour y réussir, il faudrait les guérir des préjugés qui aveuglent les hommes sur leurs vrais intérêts ; mais précisément tout le contraire arrive. Un peuple entier est souvent destiné à rendre heureux quelques mortels, aux dépens de son repos et de sa félicité. On favorise toutes les opinions, toutes les erreurs qui le retiennent dans cet avilissement : si la multitude trouve son compte dans les travaux pénibles de cette servitude, à la bonne heure ; si, au contraire, les choses se trouvent arrangées de façon que la prospérité de quelques familles, ou d’une seule, dépends de la misère de toute la nation, ou de la plus grande partie, c’est de quoi s’embarrassent fort peu ceux qui se trouvent placés au premier rang. Des millions d’hommes ont à peine de quoi subsister ; les tributs, les impôts leur en arrachent une partie : qu’importe ; la famille, le corps, ou plutôt le fantôme qui représente la nation, est puissant et riche ; son autorité est affermie pour plusieurs siècles ; sa domination embrasse de vastes contrées ; le reste de l’humanité n’est qu’un vil ramas d’animaux utiles à la vérité : les maîtres seraient intéressés à leur conservation si, quelque accident qui pût arriver, l’espèce n’en était pas à peu près aussi nombreuse. C’est effectivement sur ces détestables principes que portent les affreuses maximes du machiavélisme, selon lesquelles les hommes seraient, à l’égard de leurs souverains, à peu près ce que les Ilotes étaient chez les Lacédémoniens.
Pouvoir et fonctions des souverains dans le droit naturel ;
leur véritable grandeur.
En rétablissant les choses dans l’ordre naturel, renversons la comparaison. Le tout vaut mieux que la partie même la plus excellente ; l’humanité entière vaut mieux que le meilleur de tous les hommes, et une nation est préférable à la famille la plus respectable et au citoyen le plus respecté.
Magistrats, grands d’une république, monarques, qu’êtes-vous dans le droit naturel à l’égard des peuples que vous gouvernez ? de simples ministres députés pour prendre soin de leur bonheur ; déchus de tout emploi, et les plus vils membres de ce corps, dès que vous remplissez mal votre commission. Votre vigilance, votre exactitude vous rendent les plus fidèles domestiques de l’humanité, ceux qu’elle aime le plus ; que méritez-vous quand, devenus serviteurs infidèles ou insolents, vous osez chercher à l’opprimer ?
Une nation qui met un de ses citoyens à sa tête, et principalement celle qui serait soumise aux lois de la simple nature, n’est-elle pas en droit de lui dire : « Nous vous chargeons de nous faire observer les conventions faites entre nous ; et comme elles tendent à entretenir parmi nous une réciprocité de secours si parfaite, qu’aucun ne manque non seulement du nécessaire et de l’utile, mais même de l’agréable, nous vous enjoignons de veiller exactement à la conservation de cet ordre, de nous avertir des moyens efficaces de l’entretenir, de nous faciliter ces moyens, et de nous encourager à les mettre en usage. La raison nous a prescrit ces lois, et nous vous prescrivons de nous y rappeler sans cesse ; nous vous conférons le pouvoir, l’autorité de ces lois et de cette raison sur chacun de nous ; nous vous en faisons l’organe et le héraut ; nous nous engageons à vous aider à contraindre quiconque de nous serait assez dépourvu de sens pour leur désobéir : vous devez comprendre que si vous-même osez enfreindre les devoirs communs, ou négliger ceux de votre emploi ; si vous voulez nous imposer quelque obligation que les lois ne prescrivent point, ces mêmes lois vous déclarent, dès l’instant, déchu de tout pouvoir : alors personne n’écoute plus votre voix ; on vous impose silence, et vous rentrez parmi nous pour être comme un simple particulier, contraint de vous conformer à nos institutions.
« Nous vous jugeons capable de nous gouverner, nous nous abandonnons avec confiance aux directions de vos prudents conseils : c’est un premier hommage que nous rendons à la supériorité des talents dont la nature vous a doué. Si vous êtes fidèle à vos devoirs, nous vous chérirons comme un présent du ciel, nous vous respecterons comme un père : voilà votre récompense, votre gloire, votre grandeur. Quel bonheur de pouvoir mériter que tant de milliers de mortels, vos égaux, s’intéressent à votre existence, à votre conservation !
« Dieu est un Être souverainement bienfaisant ; il nous a fait sociables, maintenez-nous ce que nous sommes : ainsi qu’il est le moteur de la nature entière, où il entretient un ordre admirable, soyez le moteur de notre corps politique ; en cette qualité vous semblerez imiter l’Être suprême. Du reste, souvenez-vous qu’à l’égard de ce qui vous touche personnellement, vous n’avez d’autres droits incontestables, d’autre pouvoir que ceux qui lient le commun des citoyens, parce que vous n’avez pas d’autres besoins ; vous n’éprouvez pas d’autres plaisirs ; vous n’avez, en un mot, rien de plus excellent, ni qui puisse vous donner la préférence sur le commun des hommes. Si nous trouvons notre utilité à vous proroger le commandement ; si nous jugeons que quelqu’un des vôtres en soit capable après vous, nous pourrons agir en conséquence, par un choix libre et indépendant, de toute prétention. »
Je demande quelle capitulation, quel titre, quel droit d’antique possession peut prescrire contre la vérité de cette chartre[11] divine, peut en affranchir les souverains ? Que dis-je ? les priver d’un privilège qui les revêt du pouvoir de suprêmes bienfaiteurs, et les rend par-là véritablement semblables à la Divinité. Que l’on juge sur cet exposé, de la forme ordinaire des gouvernements.
Après avoir découvert que l’origine, les causes et les progrès des désordres et de tous les maux, tiennent aux constitutions vicieuses de toute société, je vais tâcher de fixer les idées de malheur et de mal moral ; idées grossièrement compliquées chez la plupart de nos moralistes. J’examinerai ensuite l’influence de ces erreurs sur les préceptes de la morale.
Notes et références
[modifier]- ↑ Pour prévenir une foule de vaines objections qui ne finiraient point, je pose ici pour principe incontestable, que dans l’ordre moral, la nature est une, constante, invariable, telle que je l’ai montré plus haut ; que ses lois ne changent point, et que ses lois sont, en général, tout ce qui produit dans les créatures animées des inclinations paisibles, et tout ce qui en détermine les mouvements ; et qu’au contraire, tout ce qui éloigne de ces doux penchants, est dénaturé, c’est-à-dire, sort de la nature. Donc tout ce qu’on peut alléguer de la variété des mœurs des peuples sauvages ou policés, ne prouve point que la nature varie ; cela montre, tout au plus, que par des accidents qui lui sont étrangers, quelques nations sont sorties de ses règles ; d’autres y sont restées soumises, à certains égards, par pure habitude ; d’autres, enfin, y sont assujetties par quelques lois raisonnées qui ne contredisent pas toujours cette nature : ainsi, dans certaines contrées, si elle reste inculte et négligée, la férocité prend sa place ; dans d’autres, de fâcheuses circonstances ont interrompu ses effets ; ailleurs, des erreurs l’offusquent : les nations, et non la nature, se sont corrompues. L’homme quitte le vrai, mais le vrai ne s’anéantit point. Tant ce qu’on peut m’opposer ne fait donc rien à ma thèse générale. Tout peuple sauvage et autre a pu et peut être ramené aux lois de la pure nature, en conservant exactement ce qu’elle autorise, et rejetant tout ce qu’elle désapprouve. Ces vérités seront dans peu développées. Je puis donc, dès à présent, les appliquer à tel cas particulier que je voudrai.
- ↑ Une personne digne de foi, récemment de retour d’Amérique, m’a fait le récit de quelques traits admirables de l’humanité de ces peuples, soit envers les leurs, soit envers les nôtres ; les exemples en sont fréquents, et ils peuvent bien nous nommer sauvages. La même personne me disait que ces nations, quoique nos alliées, méprisent les bizarreries de nos usages, de nos coutumes, de nos mœurs ; qu’elles s’éloignent à mesure que nous avançons dans les terres. Ils ont raison ; mais quelle innocence le mauvais exemple ne corrompt-il pas ?
- ↑ Ceux dont je parle, gens industrieux et de bon sens, copient et imitent fort bien tout ce qu’ils nous voient faire d’utile : il n’y a que notre police qu’ils se gardent, autant qu’ils peuvent, d’adopter ; ils détestent notre inégalité de fortune et de condition, et surtout notre avarice ; c’est ce que m’a assuré la personne déjà citée.
- ↑ La table de la révolte des membres du corps contre l’estomac ; exemple mémorable des insignes absurdités que nous vantent les moralistes.
- ↑ Le besoin que nous éprouvons tous avec plus ou moine d’intensité de changer de travaux et de plaisirs est, dans la théorie passionnelle de Ch. Fourier, un des mobiles primordiaux de la nature humaine ; Morelly, qui ramène tout a un principe unique, regarde ce besoin de changement comme le résultat de la fatigue alternative de nos facultés et de nos organes, et non comme le but direct de nos désirs. Suivant l’auteur du Code, on ne se propose pas d’être inconstant, mais on le devient, parce que, fatiguée d’un objet, l’âme reporte toute son activité vers le nouveau qui l’attire. Il s’ensuivrait que la constance serait en général proportionnée à la force de l’organisation. L’expérience semble confirmer l’opinion de Morelly, mais ne donnons pas trop d’importance à l’explication métaphysique d’un fait qui devient surtout intéressant par les conséquences pratiques que Morelly et Fourier en ont su tirer. — V.
- ↑ On entend ici par peuple indigène, celui qui habite un pays depuis un temps immémorial ; et par colon, celui qui s’y établit par colonie.
- ↑ A qui peut-on justement appliquer, de nos jours, les sanglants reproches que Jésus-Christ faisait aux Pharisiens ? Reliquistis quæ graviora sunt legis… comedistis domos viduarum… intus estis pleni rapinæ et immunditiarum… Opera sua faciunt ut videantur ab hominibus ; dilatant philacteria sua et magnificant fymbrias ; amant primos recubitus, primas cathedras… salulationes in foro, et vocari ab hominibus Rabbi… Alligant onera graviora et importabilia, et imponunt in humeros hominum, digito enim suo nolunt movere. Matth. cap. 23.
- ↑ Gens æterna in qua nemo nascitur. Val. Max.
- ↑ Esprit des lois, livre III
- ↑ Sous le Bas-Empire on donnait indistinctement ce nom à tous les domestiques de la cour.
- ↑ Titre ou édit perpétuel et irrévocable.