Code pénal chinois

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CODE PÉNAL CHINOIS.

Un savant anglais, sir George Staunton, a enrichi la littérature britannique d’une traduction du Digeste chinois, contenant le recueil des lois fondamentales et supplémentaires de l’empire. Cet ouvrage, rédigé d’après l’autorisation du souverain actuel, est aussi complet et aussi exact qu’on puisse le désirer ; mais son étendue même et l’aridité naturelle du sujet, qui le mettent à la portée d’un trop petit nombre de lecteurs, nous engagent à en extraire quelques réflexions d’un intérêt plus général et perdues dans des détails vagues et insignifians.

La première division du code porte le titre de Lois générales, et s’ouvre par une description sommaire des châtimens en usage. Le plus léger est une « correction modérée infligée avec un bambou mince et flexible, et destinée à donner à celui qui a enfreint les lois un regret salutaire sur sa conduite passée, un avertissement utile pour sa conduite à venir. » Les châtimens sont divisés en cinq degrés différenciés par le nombre des coups qui, dans le premier, varient d’après la loi de dix à cinquante, mais qui réellement ne s’élèvent jamais au-dessus de vingt. Dans le second degré, les coups s’élèvent légalement de soixante à cent, et sont frappés avec un bambou beaucoup plus fort. À cette peine, le troisième degré ajoute un bannissement d’un à trois ans, à une distance de cent cinquante milles afin, dit le texte, « de donner au coupable le temps de se repentir et de se corriger. » Un bannissement perpétuel à une distance de six cents à neuf cents milles, avec cent coups de bambou, constituent le quatrième degré de châtiment ; et la peine de mort, le cinquième et dernier. La loi supplémentaire autorise de plus la torture dans les cas de vol et de meurtre « toutes les fois que l’accusé refuse obstinément d’avouer son crime. » Ce moyen atroce, qui souvent n’aboutit qu’à faire condamner l’innocence, consiste à presser entre deux fortes planches les chevilles des pieds du patient, et à comprimer ses doigts entre cinq petits bâtons de bois dur, qu’on serre jusqu’à faire craquer les os.

Il paraît qu’en général l’exécution de la loi est fort douce, comparativement à son texte. Le traducteur fait observer, dans une de ses notes, que la torture n’a presque jamais lieu dans le cours ordinaire de la justice, et que les châtimens corporels ne s’infligent que fort rarement.

La seconde section de la loi fondamentale énumère les crimes, qui sont ordinairement punis avec la plus grande rigueur, souvent par la peine capitale, et qu’elle désigne au nombre de dix. Ce sont : 1o la révolte, effort tendant à déranger l’ordre des choses sur la terre, à troubler la paix de l’univers en conspirant contre le souverain qui est le successeur sacré de ses ancêtres ; 2o la perfidie, ou tentative pour détruire le palais, les tombeaux, les temples impériaux, qui sont sacrés et inviolable ; 3o la désertion, qui consiste à trahir les intérêts de l’empire, à abandonner un poste militaire, ou à exciter le peuple à l’émigration ; 4o le parricide, meurtre du père ou de la mère, d’une tante, d’un oncle, de l’aïeul ou de l’aïeule ; 5o le massacre assassinat de trois ou d’un plus grand nombre de personnes ; 6o le sacrilége, comprenant le vol dans les temples, celui des objets à l’usage immédiat du souverain, la contrefaçon du sceau de l’état et les erreurs ou négligences qui peuvent mettre en danger la personne sacrée de l’empereur ; 7o l’impiété, négligence envers les parens ; 8o la mésintelligence dans la famille, manifestée par des infractions aux liens du mariage, par des blessures ou des mauvais traitemens envers les personnes pour lesquelles on est obligé de porter le deuil après leur mort ; 9o l’insubordination envers un magistrat ; enfin l’inceste, union illégitime avec une personne que les lois ne permettent pas d’épouser.

La section suivante établit et définit les personnes qui sont privilégiées aux yeux de la loi. Elles jouissent de ce privilége en vertu de leur parenté avec la famille impériale ; par des services longs et honorables, par un grand savoir, par des vertus remarquables et notoires, etc. La famille impériale et les nobles sont, au reste, les seules personnes qui soient privilégiées de fait. Leur privilége consiste à ce que leur jugement soit revisé par l’empereur.

Il est à remarquer que les individus qui sont ennoblis (seulement à vie) transmettent leur qualité à leurs ascendans. Une femme perd par le divorce le rang que lui conférait son mari, tandis qu’elle conserve celui que lui transmet un de ses enfans. Les femmes des bannis sont tenues de les accompagner. Leurs pères et mères, leurs enfans ou petits-enfans ont la faculté de les accompagner s’ils le désirent, mais n’y sont pas contraints.

Une disposition toute paternelle se fait remarquer dans la série des cas prévus par le législateur. « Lorsqu’un coupable, y est-il dit, aura encouru la peine de mort pour quelqu’un des crimes qui ne sont pas exclus du droit de pardon, s’il a son père ou sa mère, son aïeul ou son aïeule qui soient malades, infirmes, âgés de plus soixante et dix ans, et privés d’autres soutiens que le condamné, le jugement de celui-ci, et les circonstances précitées, seront soumis à l’investigation et à la sagesse de Sa Majesté impériale. » Presque toujours, dans un cas semblable, la sentence est adoucie et la peine de mort commuée en un châtiment corporel. La même faveur s’étend aux membres des sociétés d’astronomie et de mathématiques établies à Pékin.

L’aveu volontaire d’un délit ou d’un crime entraîne presque toujours le pardon. Lorsqu’un accusé avoue, dans le cours des débats, un délit plus grave que celui qui lui est imputé, il n’est puni que de la peine applicable à celui pour lequel il est poursuivi. Il en est de même lorsque la torture fait découvrir un crime plus grand que celui qui est l’objet de l’accusation. Lorsqu’un voleur restitue l’objet ou la valeur de l’objet volé, lorsqu’un officier public remet le montant des amendes qu’il aurait frauduleusement exigées d’un de ses administrés, il n’est ordinairement exercé aucune poursuite contre eux.

La section qui a rapport aux délits commis par des étrangers est faite pour attirer particulièrement l’attention des Européens et surtout des voyageurs. Nous voyons, à cet égard, dans une note de sir Staunton : « Les lois et réglemens qui concernent les étrangers n’ont jamais été exercés qu’avec la plus grande modération. D’ailleurs il y a des restrictions qui font qu’un étranger peut difficilement transgresser les lois sans le concours d’un habitant du pays, et alors toute leur rigueur tombe naturellement sur ce dernier.

La traduction de Staunton se termine par quelques pièces judiciaires, parmi lesquelles est un jugement propre à confirmer ce qu’on vient de lire sur la douceur avec laquelle sont traités les étrangers. À la suite d’une rixe élevée à Canton entre des marins anglais et quelques habitans, un de ces derniers fut tué. Un matelot anglais, condamné à mort pour ce fait, fut sauvé par le subterfuge suivant. On statua, dans le rapport présenté à l’empereur, que le Chinois était mort par le choc d’un bâton, que l’accusé avait, par mégarde, lancé par une fenêtre pendant que l’autre passait dans la rue. Le souverain déclara que c’était un homicide auquel la volonté de l’accusé n’avait eu aucune participation, et que, par conséquent, il avait été commis dans des circonstances qui en annulaient la gravité. Par suite de cette décision, le matelot fut acquitté, et renvoyé, pour être puni d’une peine de discipline, à la juridiction de ses compatriotes.