Collection complète des œuvres de M. de Florian/Fables/1/Le Château de cartes

La bibliothèque libre.

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Château de cartes.

Fables de FlorianLouis Fauche-BorelVolume 9 (p. 54-56).

_________________________________________________


FABLE XIV.

Le Château de cartes.



Un bon mari, sa femme & deux jolis enfants
Couloient en paix leurs jours dans le simple ermitage
Où, paisibles comme eux, vécurent leurs parens.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
Cultivoient leur jardin, recueilloient leurs moissons ;
Et le soir, dans l’été, soupant sous le feuillage,
Dans l’hiver, devant leurs tisons,

Ils prêchoient à leurs fils la vertu, la sagesse,
Leur parloient du bonheur qu’ils procurent toujours.
Le père par un conte égayoit ses discours,
La mère par une caresse.
L’aîné de ces enfants, né grave, studieux,
Lisoit & méditoit sans cesse ;
Le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
Sautoit, riait toujours, ne se plaisoit qu’aux jeux.
Un soir, selon l’usage, à côté de leur père,
Assis près d’une table où s’appuyoit la mère,
L’aîné lisoit Rollin ; le cadet, peu soigneux
D’apprendre les hauts faits des Romains ou des Parthes,
Employoit tout son art, toutes ses facultés,
A joindre, à soutenir par les quatre côtés
Un fragile château de cartes.
Il n’en respiroit pas d’attention, de peur.
Tout à coup voici le lecteur
Qui s’interrompt : Papa, dit-il, daigne m’instruire
Pourquoi certains guerriers sont nommés conquérans,
Et d’autres fondateurs d’empire ;
Ces deux noms sont-ils différents ?
Le père méditoit une réponse sage,
Lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
Après tant de travail, d’avoir pu parvenir

A placer son second étage,
S’écrie : Il est fini ! Son frère, murmurant,
Se fâche, & d’un seul coup détruit son long ouvrage ;
Et voilà le cadet pleurant.
Mon fils, répond alors le père,
Le fondateur c’est votre frère,
Et vous êtes le conquérant.

________________________________________________________