Collection complète des œuvres de M. de Florian/Fables/4/Le Courtisan et le dieu Protée
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FABLE III
Le Courtisan & le dieu Protée
On en veut trop aux courtisans ;
On va criant partout qu’à l’État inutiles,
Pour leur seul intérêt ils se montrent habiles :
Ce sont discours de médisants.
J’ai lu, je ne sais où, qu’autrefois en Syrie
Ce fut un courtisan qui sauva sa patrie.
Voici comment : Dans le pays
La peste avoit été portée,
Et ne devoit cesser que quand le dieu Protée
Dirait là-dessus son avis.
Ce dieu, comme l’on sait, n’est pas facile à vivre :
Pour le faire parler il faut longtemps le suivre,
Près de son antre l’épier,
Le surprendre, & puis le lier,
Malgré la figure effrayante
Qu’il prend & quitte à volonté.
Certain vieux courtisan, par le roi député,
Devant le dieu marin tout à coup se présente.
Celui-ci, surpris, irrité,
Se change en noir serpent ; sa gueule empoisonnée
Lance & retire un dard messager du trépas,
Tandis que, dans sa marche oblique & détournée ;
Il glisse sur lui-même & d’un pli fait un pas,
Le courtisan sourit : Je connois cette allure,
Dit-il, & mieux que toi je sais mordre & ramper.
Il court alors pour l’attraper :
Mais le dieu change de figure ;
Il devient tour à tour loup, singe, lynx, renard.
Tu veux me vaincre dans mon art,
Disait le courtisan : mais depuis mon enfance,
Plus que ces animaux avide, adroit, rusé,
Chacun de ces tours-là pour moi se trouve usé.
Changer d’habit, de mœurs, même de conscience,
Je ne vois rien là que d’aisé.
Lors il saisit le dieu, le lie,
Arrache son oracle, & retourne vainqueur.
Ce trait nous prouve, ami lecteur,
Combien un courtisan peut servir la patrie.