Collection complète des œuvres de M. de Florian/Fables/5/Pan et la Fortune

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Fables de FlorianLouis Fauche-BorelVolume 9 (p. 178-179).


FABLE IX

Pan & la Fortune


Un jeune grand seigneur à des jeux de hasard
Avait perdu sa dernière pistole,
Et puis joué sur sa parole ;
Il falloit payer sans retard :
Les dettes du jeu sont sacrées.
On peut faire attendre un marchand,
Un ouvrier, un indigent,
Qui nous a fourni ses denrées,
Mais un escroc ? l’honneur veut qu’au même moment
On le paie, & très poliment.
La loi par eux fut ainsi faite.
Notre jeune seigneur, pour acquitter sa dette,
Ordonne une coupe de bois.
Aussitôt les ormes, les frênes,
Et les hêtres touffus, & les antiques chênes,
Tombent l’un sur l’autre à la fois.
Les faunes, les sylvains, désertent les bocages ;
Les dryades en pleurs regrettent leurs ombrages ;
Et le dieu Pan, dans sa fureur,
Instruit que le jeu seul a causé ces ravages,


S’en prend à la Fortune : O mère du malheur !
Dit-il, infernale furie !
Tu troubles à la fois les mortels & les dieux,
Tu te plais dans le mal, & ta rage ennemie…
Il parloit, lorsque dans ces lieux
Tout à coup paroît la déesse.
Calme, dit-elle à Pan, le chagrin qui te presse ;
Je n’ai point causé tes malheurs :
Même aux jeux de hasard, avec certains joueurs,
Je ne fais rien. — Qui donc fait tout ? — L’adresse.