Colonies sociales et Collèges ouvriers en Angleterre
COLONIES SOCIALES ET COLLÈGES OUVRIERS
EN ANGLETERRE
I
Lorsqu’on quitte la grande artère de Whitechapel pour s’engager dans Commercial Street, on rencontre, à deux cents pas, l’église Saint-Jude qui s’élève sur la droite, tellement serrée par les bâtimens qui l’encadrent que l’étranger, pressé ou distrait, pourra passer devant elle sans la voir. Le quartier semble ignorer sa présence ; les enfans jouent et se bousculent jusque sur ses marches. Le soir, la marée montante de la misère et du vice bat ses vieilles murailles. Sur la fameuse carte que M. Booth a dressée de ces quartiers déshérités, et où les différens degrés de l’ignorance, du dénûment, du désordre, de la barbarie sont indiqués par des nuances de plus en plus foncées, la région qui entoure Saint-Jude est d’un noir opaque, impitoyable, effrayant, que rien n’éclaire ni n’atténue.
L’église est curieuse ; elle a des attractions pour l’archéologue, mais les souvenirs que je veux évoquer sont des souvenirs d’hier, pour servir de préface aux œuvres d’aujourd’hui et aux espérances de demain. Donc, il y a vingt ans, Saint-Jude avait pour pasteur un de ces hommes de foi et de progrès comme il s’en rencontre un grand nombre dans l’église anglicane, dans toutes les églises, le révérend Barnett. Il comprenait que son devoir n’était pas seulement de prêcher des dogmes, mais de répandre des vérités utiles autour de lui, de civiliser cette sauvagerie au milieu de laquelle il avait été jeté. Il obéissait à cet instinct qui pousse ses compatriotes à lutter contre le mal, à mettre en ordre le désordre, à faire, suivant l’expression de Carlyle, un fragment de cosmos avec un coin du chaos. Ne cherchez pas ailleurs la supériorité de l’Anglo-Saxon dont on nous rebat les oreilles : si elle est quelque part, elle est dans ce besoin impérieux et dans ce don inné de l’organisation, de l’action sociale.
Mais il est des tâches tellement colossales qu’elles décourageraient le plus intrépide. Il y a un quart de siècle, le Londres occidental, qui est la ville de la richesse, du plaisir, de la vie intellectuelle, ignorait absolument le Londres oriental, qui est la ville de l’ignorance, de la misère et du crime. De temps en temps un absurde mélodrame prétendait donner un aperçu de ces mœurs horribles. Des bandes de curieux, bien armées et bien escortées, allaient, la nuit, visiter les bouges de l’East End, les maisons de débauche, les fumeries d’opium, les bals de matelots, les dortoirs populaires, les théâtres à un sou où l’on demandait l’aumône dans les couloirs, les bureaux de police bondés de cadavres vivans qui cuvaient leur gin ou leur whisky. J’ai fait partie d’une de ces expéditions, où notre cicerone ne savait pas un mot de ce qu’il nous montrait, et, depuis, j’ai eu à désapprendre tout ce qu’on m’avait alors appris de l’East End.
Imaginez une ville où il n’y a pas un gentleman, où la classe dirigeante fait absolument défaut, un peuple sans tête, où nul n’a une minute ni une pensée à donner à la chose publique, car, là, le travailleur est une bête de somme, et le loisir c’est la paresse, laquelle ne précède que d’une heure la prostitution ou le vol. L’aristocratie se compose de marchands de fer, de marchands d’huile et d’épiciers. Joignez-y les agens rétribués des administrations locales, quelques douteux légistes, les praticiens en boutique qui donnent des consultations pour six pence et qui vendent les drogues avec l’ordonnance, les usuriers qui commencent leur fortune en raclant un sou sur un jupon mis en gage et qui finissent par acheter des files de maisons, des rues entières. Joignez-y encore l’aristocratie invisible des grands voleurs, ce high mob avec lequel nous ont familiarisé les Tales of mean streets et A Child of the Iago, les œuvres si curieuses et si bien documentées d’Arthur Morrison[1]. Au-dessous, s’étagent les classes et les sous-classes du monde ouvrier, qui se méprisent et se jalousent, depuis le mécanicien ouïe calfat qui occupe une maison de quatre pièces, avec une porte close et une fenêtre garnie de géraniums. — les deux grands signes de respectabilité, — jusqu’au docker irrégulier, dont la famille s’entasse dans une ou deux chambres, et qui ne connaît que par intervalles le luxe de la pipe quotidienne et du roastbeef dominical, rôti chez le boulanger du coin. Les rues où ils vivent sont à peu près décentes. Derrière celles-là, se cachent d’autres rues, sordides, lamentables, désolées. Sur un écriteau, appendu à beaucoup de fenêtres, on lit ces mots : mangling done here. Le mangling, opération grossière et primitive qui remplace le repassage du linge pour les classes populaires, appartient exclusivement aux femmes, et cet écriteau signifie que la famille ne possède point de travailleur mâle, de breadwinner, ou que ce travailleur est alité, ou enfin que l’homme est un fainéant qui vit du labeur de sa femme, de sa maîtresse ou de sa mère. Nous entrons dans la région des gains précaires, aléatoires et suspects. « Seigneur, donnez-nous notre pain quotidien ! » Souvent ce pain n’est pas donné. L’homme, sorti le matin pour chercher un job, rentre le soir sans l’avoir trouvé. Plus d’un fera comme le héros d’un de ces terribles Contes de Mean Streets ; il jette sa femme dans la rue : « J’ai faim. Va et gagne-moi mon souper ! » Cela est affreux et, pourtant, ce n’est encore que la porte de l’Enfer. Qui décrira l’horreur des Slums, où l’humanité abdique ses derniers soucis de confort, de propreté, de décence, où ne se fait jamais le silence, où le mendiant dort sur ses guenilles pour n’être point volé ? où l’homme qui couche dans ces dortoirs peut se croire le droit de mépriser le malheureux qui rôde, la nuit, comme un chien sans maître, à la recherche d’un dessous de porte ou d’une marche d’escalier pour s’y blottir, fourbu, anéanti, enfiévré de jeûne et de fatigue ?
Tel est l’East End et, surtout, tel il était il y a vingt ans. A l’époque où le recteur de Saint-Jude se mit à l’œuvre, le Londres oriental dépassait en barbarie l’âge des cavernes ou l’Afrique cannibale de notre temps. Tout clergyman envoyé dans ces parages devenait un missionnaire et son état d’âme changeait. Il passait du spirituel au temporel et de la doctrine à l’action ; il oubliait provisoirement l’autre monde et ses joies pour ne voir que les misères de celui-ci. Mais il était ramené très vite par l’observation, par la nécessité, à cette idée fondamentale qu’on ne peut faire de bien aux corps qu’en s’adressant d’abord aux intelligences. Aux yeux d’un spectateur superficiel, toute cette matière humaine qui grouillait dans l’East End était organisée. Le Londres de l’Est possédait les mêmes institutions que le Londres de l’Ouest. Chaque paroisse avait son conseil de fabrique (vestry), son conseil d’hygiène (board of health), ses écoles, ses magistrats, sa police, ses inspecteurs sanitaires, ses maisons de refuge, de travail et de correction, tout l’appareil administratif auquel nos pères ont honnêtement et fermement cru, aussi longtemps qu’ils ont vécu. Cela servait à conserver les dehors de la civilisation ; mais, en réalité, le mal était aussi grand que si les moyens de répression ou de prévention, préparés à grands frais par la société, ne l’avaient même pas effleuré. Tous les jours ce mal grandissait. La vieille machine à faire le bien, fabriquée sous Élisabeth, retouchée par les philosophes benthamistes et par les hommes d’État de l’école de Manchester, ne marchait plus, et plus on la réparait, moins elle rendait de services, quoique l’optimisme officiel continuât à s’en proclamer pleinement satisfait. Tout d’abord, est-ce qu’on peut faire le bien avec une machine ? Évidemment non. Pour être justes envers le passé, il faut ajouter que cette machine, comme beaucoup d’autres institutions humaines, a été d’abord un organisme vivant, né des circonstances ambiantes et répondant aux besoins de l’époque, doué de mouvement, de souplesse et de sensibilité. Peu à peu le temps a fait son œuvre, substituant la routine à l’action individuelle, réfléchie ou spontanée, mettant un rouage à la place d’un principe ou d’un sentiment. Et, comme il n’y a que l’homme qui puisse agir sur l’homme, la machine à faire le bien battait le vide avec une régularité et une précision dignes d’un meilleur emploi comme avec une inefficacité absolue. La charité vint à la rescousse, greffant ses erreurs passionnées sur les pédans sophismes de l’administration, jetant l’argent au hasard. Cependant Carlyle et Uuskin avaient passé par-là et quelques hommes avaient compris leur enseignement. Le premier avait réhabilité l’individualisme, montré ce que peuvent le caractère et l’exemple ; le second avait fait voir, dans ses livres admirables et fantasques, que, lorsque les hommes du peuple pourront comprendre, sentir, aimer tout ce que nous comprenons, ce que nous sentons, ce que nous aimons, ils seront nos égaux à tous les points de vue, même au point de vue matériel, et alors la révolution sociale sera évitée, — car elle sera faite.
Ces idées commençaient à se répandre parmi la jeunesse des Universités, avec cet ardent désir d’une application immédiate qui, chez l’Anglais de nos jours, suit toute conception mentale. Par une réaction inévitable après l’égoïsme utilitaire de la génération précédente, apparaissait, dans ces jeunes hommes, une étrange soif de dévouement. C’est parmi eux que M. Barnett, — il faut retenir ce nom qui aura, certainement, une place dans l’histoire sociale du XIXe siècle, — chercha des collaborateurs. A ses auxiliaires ecclésiastiques, il adjoignit des lay curates, des vicaires laïques. Pourquoi des laïques ne se seraient-ils pas associés à la propagande morale, puisque les ecclésiastiques s’occupaient du progrès matériel ? Ces choses ne sont pas aussi distinctes, ces domaines ne sont pas aussi séparés que certains voudraient nous le faire croire.
Parmi ces volontaires de l’apostolat auxquels le recteur de Saint-Jude fit appel, la figure la plus noble, la plus pure, la plus caractéristique est celle d’Arnold Toynbee. Je ne puis que l’esquisser en quelques traits : d’autres viendront après moi, j’espère, qui lui donneront tout son relief, toute sa couleur, toute sa bienfaisante fascination afin que sa pensée fasse encore du bien longtemps après que son cœur généreux a cessé de battre. Arnold Toynbee était le fils de Joseph Toynbee, un médecin, qui, vers le milieu de ce siècle, s’était fait une réputation spéciale pour les maladies de l’oreille. Ses premières années se passèrent dans une belle et paisible demeure de Wimbledon. L’enfant trouva, dans la bibliothèque de son père, un livre singulier et intéressant : The Mystery of Pain. Il le lut, le médita, causa longuement avec l’auteur, M. Hinton, qui était l’ami du docteur Toynbee et qui prit l’enfant en gré. Arnold devait appartenir toute sa vie à cette race d’hommes parmi lesquels se recrutent les apôtres, celle des « mystiques d’action. » C’est ainsi qu’il put se tromper sur sa vocation et s’imaginer qu’il serait soldat. Il ne se trompait qu’à demi, mais il ne savait pas encore de quelle puissance il serait le soldat, ni avec quelles armes, ni sur quel champ de bataille. Après quelques années, disons perdues, dans une école militaire préparatoire, il s’avisa que la robe lui conviendrait mieux que l’uniforme et que l’Université serait son fait bien plus que la caserne. C’était en 1870, et il avait dix-huit ans. Il alla vivre au bord de la mer, y passa une année entière dans la solitude, essayant de combler les lacunes de son éducation classique. Il n’y réussit qu’imparfaitement, ne devint jamais un scholar, resta un moderne dans toute la force du mot. A Balliol Collège il ne conquit pas une fellowship par des connaissances ou des talens exceptionnels, mais, au moment où il mourut, on allait l’accorder à son caractère, à l’ascendant moral qu’il exerçait autour de lui. En effet, non-seulement ses contemporains et ses élèves (on l’avait chargé de diriger les études des candidats au Service civil de l’Inde), mais ses aînés, ses maîtres l’écoutaient volontiers. On parle beaucoup à Oxford et à Cambridge, trop peut-être ; on s’y enivre de parole et de pensée. J’ai vu, après quarante ans, s’éclairer le visage de vieux hommes d’Etat au souvenir de ces conversations de minuit avec de chers amis disparus, où l’intelligence prenait un libre essor, pendant que la lune blanchissait les pelouses, les toits gothiques, les vieux arbres, l’eau dormante du Cam ou de l’Isis, les carreaux de la chambre qui avait été celle d’un Newman ou d’un Tennyson, et l’étendue mélancolique des grands quadrangles où flottait, légère et subtile, la rêverie de vingt générations.
Arnold Toynbee sentait ces émotions-là ; il les a décrites d’une façon délicieuse. Mais ce rêveur était un bon comptable. On l’avait fait économe (bursar) de son collège : ce qui indique une aptitude pour les chiffres, des facultés administratives. Il enseignait l’économie politique. De là, pour lui, nécessité de l’apprendre et de la comprendre. Dès qu’il l’eut comprise, il se mit en devoir de la démolir, persuadé qu’il serait en mesure de la reconstruire sur d’autres bases. L’esprit d’un Toynbee ne veut pas travailler comme celui d’un Adam Smith, d’un Ricardo, d’un Stuart Mill. Ceux-ci descendaient du général au particulier, armés d’une idée philosophique devant laquelle tout doit s’incliner. Toynbee étudiait la vie, laissait les lois se faire toutes seules par l’accumulation et le classement des faits, puisque les lois ne sont, en somme, que des faits généraux. Les économistes croient à la vertu souveraine, absolue, immortelle des principes ; Toynbee croyait surtout à l’action réciproque et individuelle ; il estimait que les vérités dont se composent les sciences de la vie sociale muent et se transforment comme la société, comme la vie elle-même. Un autre sujet dont il se préoccupait, c’était la réforme de l’église ; il y voulait faire une large place à l’élément laïque. Il s’agit pour lui, remarquez-le, du gouvernement, de la discipline, non du dogme. On dirait que ce dernier point ne l’a jamais inquiété, que la question, réglée une fois pour toutes, était pour lui sans angoisse et sans péril. Que croyait-il, au juste ? Il ne nous l’a dit nulle part et personne, ni son maître, ni sa femme, ni ses amis n’ont songé à nous le dire. Il était uni de cœur avec tous ceux qui croient. Il arriva à Oxford tiède, indifférent, indécis : c’est là, dans ce vieux foyer de la connaissance humaine, qu’il trouva la foi. Aussi son esprit était-il en paix sur les relations de la science et de la foi. Pourquoi seraient-elles hostiles ? La science et la religion ont, disait-il, le même point de départ et le même aboutissement. Toutes deux admettent que ce monde a été fait en vue de la justice et que l’ordre y règne. Je ne dis point que cette idée de la science soit juste, mais c’était l’idée de Toynbee et elle le rendait heureux. Le miracle ne le gênait nullement ; c’était, pour lui « un langage, une façon de faire comprendre à certaines époques et à certaines âmes la puissance de Dieu. » Il écrivait : « Le mystère est aussi nécessaire aux phénomènes de la conscience que la clarté l’est aux opérations de l’intelligence. Dans la solitude au bord de l’Océan ou parmi les foules d’une grande cité, un éclair illumine notre nuit et, pendant un instant, nous montre l’ordre des choses divines. C’est ainsi que la vérité fut autrefois révélée aux prophètes et aux poètes. » Rien ne défend, pensait-il, de thésauriser et de fixer pour jamais ces intuitions sublimes. Il possédait, quant à lui, une preuve de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme qui tenait en cinq lignes et il la croyait si sûre qu’il lui avait donné la forme d’une équation.
Au point de vue pratique, son christianisme consistait, simplement, à imiter le Christ. Le matin, il lisait quelques versets de la Bible et, le soir, un chapitre de l’Imitation. Oh ! comme il aimait ce livre, cette source pure, large, intarissable, d’où la vie spirituelle s’épanchait à Ilots ! « Je voudrais, disait-il, m’y baigner, m’y plonger, m’y noyer. »
Toynbee n’était pas né écrivain, et pourtant quelques-unes des pensées qu’on a trouvées dans ses carnets et publiées après sa mort ont une très belle forme. Elles rappellent l’optimisme mélancolique de ce gentilhomme-philosophe qui fut Vauvenargues. Elles font aussi songer à Pascal. Lorsque je lis Pascal, je suis comme un enfant qui passe dans la nuit, tenu par une main nerveuse. Cette main le rassure, mais, parfois, elle semble gagnée de son tremblement. Toynbee a, lui aussi, ces obscurités émouvantes, ces brusqueries, ces frémissemens. Ce fut une joie immense lorsqu’il parla pour la première fois en public et se découvrit orateur. Il s’aperçut qu’il pouvait à la fois préciser et élargir sa pensée en l’exprimant. Ces dons précieux, il les versa sur le peuple comme Marie-Madeleine répandit ses parfums sur les pieds du Sauveur. La fin peut être dite en deux mots. Sa santé ne suffit pas aux efforts qu’il lui imposa et il en mourut. Il avait un peu plus de trente ans. Après sa mort on réunit en un volume son esquisse de la Révolution industrielle de 1760 à 1840, quelques articles, quelques conférences et les pensées détachées dont il vient d’être question. Le maître de Balliol, l’éminent traducteur de Platon, le professeur Jowett écrivit pour ce livre une introduction : à défaut d’autre utilité, elle peut servir à mesurer combien la génération de Jowett était incapable de comprendre la génération de Toynbee.
Lorsque le révérend Barnett eut réussi à créer, à l’ombre, mais à part de Saint-Jude, l’institution qui devait servir de centre et de quartier général à sa propagande morale, à l’œuvre de régénération-et de réconciliation sociale qu’il avait en vue, il plaça l’établissement nouveau sous l’invocation de Toynbee, comme, chez nous, on l’eût mis sous le patronage d’un saint. N’est-ce pas un saint, en effet, ce Toynbee qui, à dix-huit ans, avait éliminé de son cœur toute pensée de gain ou d’ambition personnelle, qui s’était promis de donner sa vie au bien et à la vérité et l’avait, en effet, donnée ?
En décrivant ainsi un homme qui n’a même pas vu commencer l’œuvre des Settlements, il semble que je m’attarde aux abords de mon sujet. Mais il ne faut pas oublier que l’âme de Toynbee, ou quelque chose de cette âme, habitait dans ces ouvriers de la première heure. À mesure que le mouvement s’élargit, il attira à lui des hommes de caractère et d’esprit différens. À côté des churchmen militans on y trouva des libres penseurs ; mais ces churchmen n’étaient pas des fanatiques et ces libres penseurs n’étaient pas des voltairiens. J’ai indiqué Toynbee comme le représentant de toute une génération, et je suis tenté de nommer Robert Elsmere comme le type d’un autre groupe de ces réformateurs. On s’étonnera de me voir placer un héros de fiction sur le même plan que Toynbee, qui a réellement vécu, agi et pensé parmi nous. Mais Robert Elsmere est-il un simple héros de fiction, une créature de l’imagination de Mrs Humphry Ward ? Le succès même du roman, qui se maintient après douze années et que de nouvelles couches de lecteurs ont successivement adopté, me prouve qu’il répondait à des besoins latens, qu’il exprimait des idées flottantes dans l’atmosphère morale du temps, des sentimens, encore vagues, mais puissans au cœur de la jeunesse. Et, quand j’examine de près ce beau livre, je le trouve plein à déborder de vérité. Les personnages du second plan, eux-mêmes, sont des portraits et, tout à l’heure, je conduirai le lecteur dans une maison qui a été décrite, avec des touches ineffaçables, par l’auteur de Robert Elsmere. Je connais beaucoup d’êtres de chair et d’os, même parmi ceux dont le monde sait les noms, qui sont, en vérité, moins vivans que cet Elsmere, en qui se personnifie le doute bienfaisant et salutaire, comme autrefois s’incarnait dans René et dans Obermann le doute néfaste et désolant. C’est par ce doute qu’il diffère de Toynbee dont l’âme, on l’a vu, était absolument sereine. Je me garderai d’analyser ici la situation et le caractère qui font le grand intérêt de ce roman. Beaucoup de Français et de Françaises l’ont lu et peut-on faire mieux que d’en conseiller la lecture à qui ne le connaît pas encore ? Quiconque a senti se dresser en soi la terrible incompatibilité de la profession et de la croyance ou le douloureux divorce de l’affection et de la raison, sympathisera avec Elsmere. Lui aussi, il va chercher dans l’East End le champ de bataille commun aux réformateurs et aux apôtres ; il demande à l’action morale et sociale quelque chose de plus et de mieux que l’oubli : une solution.
La femme d’élite qui avait donné ce livre à la société contemporaine a continué, son œuvre. Elle est devenue une influence, une force morale. Elle a pris part à l’entreprise des settlements et consacre à Passmore Edwards le meilleur de son temps et de son âme. Je l’y ai vue effleurer d’une caresse maternelle des têtes blondes penchées vers leur livre d’étude. Si je m’étais trouvé là à certaines heures privilégiées, je l’aurais entendue répandre dans des allocutions familières toutes les grâces de son esprit rêveur et profond. J’ai lu une de ces allocutions qui a été conservée et qui se termine, en guise de péroraison, par ces simples mots : « Bonne nuit ! » Est-ce que ce « Bonne nuit » n’est pas charmant ? Et ne vous dit-il pas clairement que cette maison n’est pas la maison du travail, ni de la propagande, ni de l’aumône, mais, proprement et véritablement, la maison de l’amitié ?
C’est en 1884 que le chanoine Barnett établit dans une ancienne école industrielle, tout près de son ancienne église de Saint-Jude, mais absolument distincte et indépendante, l’institution à laquelle il a donné le nom du laïque Toynbee. C’est seulement sept ou huit ans plus tard que Mrs Humphry Ward et ses collaborateurs, — elle en eut beaucoup et des plus dignes, — commencèrent leur œuvre dans une maison appelée alors Gordon Mansions et où le professeur Henry Morley avait organisé une résidence universitaire, voisine de University Collège et rattachée à cette grande institution. Avec des fonds dont la majeure partie avait été fournie par M. Passmore Edwards (14 000 livres sur 20 000), on construisit de nouveaux bâtimens qui furent inaugurés en 1897 par lord Peel, avec un beau discours de M. John Morley. Parmi les personnes présentes, ce soir-là, sur l’estrade, je relève le nom du docteur Stanton Coit, le chef des agnostiques anglais. par-là on voit l’étendue de ce mouvement qui va d’un pôle à l’autre du monde pensant et fait appel, à la fois, à toutes les forces moralisatrices de l’heure présente.
Dans l’intervalle entre la création de Toynbee Hall et celle de Passmore Edwards, ou depuis 1897, se sont fondés Manslield House, qui a pour champ d’action la vaste cité suburbaine de West Ham ; les Bermondsey settlements, qui, sous l’énergique impulsion du Révérend Lidgett, se donnent pour mission de civiliser la région située au sud de la Tamise ; Oxford House, qui se voue très franchement à la propagande religieuse et beaucoup d’autres maisons moins considérables. Les femmes de Girton et de Newn Ham, de Somerville, de Saint-Hughes et de Lady Margaret s’étaient associées, dès le principe, à l’œuvre des étudians d’Oxford et de Cambridge ; elles ont voulu créer des settlements spéciaux où elles déploient le génie qui leur est propre et répondent à certains besoins qu’elles seules peuvent comprendre et soulager. Tous ces établissemens ont reçu le nom d’University settlements parce qu’ils doivent leur origine à des membres des deux universités. On les appelle plus souvent et plus justement Social settlements, et c’est ce mot que je crois traduire d’une façon à peu près exacte par celui de colonies sociales. Le mouvement s’est étendu aux grandes villes de province ; il a passé en Amérique et dans plusieurs pays de notre vieux continent. Mais, « pour que l’œuvre de régénération et de réconciliation portât des fruits, pour qu’elle amenât une modification sensible dans les relations des classes entre elles, il faudrait, a dit John Morley, traduisant la pensée des directeurs du mouvement, un settlement pour 20 000 âmes. » On est encore loin de ce chiffre.
J’ai visité plusieurs de ces settlements. On m’avait averti que ces visites ne m’apprendraient pas grand’chose. « Vous verrez des bâtimens ; on vous ouvrira des salles dont on vous expliquera l’appropriation, et voilà tout. Pour savoir ce que c’est qu’un settlement, pour se former une idée de ce qu’on y fait, il faudrait y vivre et y travailler quelque temps. » Rien de plus juste. D’ailleurs, c’était le matin, au mois de juillet : l’heure et la saison étaient également défavorables. « Venez nous voir l’hiver, m’a-t-on dit à Toynbee Hall, surtout, venez le soir. » Et à Passmore Edwards : « C’est à cinq heures que nous devenons intéressans. De cinq à huit, c’est l’heure des enfans. La soirée appartient aux adultes. » En effet, quand j’ai visité Passmore Edwards, je n’y ai trouvé en activité que l’école des petites filles et l’atelier de couture. Le grand gymnase, tout neuf, admirablement installé, ventilé, éclairé, était parfaitement désert. A Toynbee Hall, personne dans le salon de réception ; personne dans la salle des conférences, qui peut contenir plusieurs centaines d’auditeurs. Un cabinet de travail, entouré de livres, où l’on m’a permis de jeter un regard, était vide, également. Dans la galerie, nulle figure humaine, si ce n’est le portrait de Browning, donné par le poète et orné de sa belle signature. Dans la cour de tennis, deux joueurs s’exerçaient. La maison semblait endormie : une oasis de fraîcheur et de silence au milieu du désordre et du bruit. Les lieux ont leur physionomie, parfois décevante, parfois suggestive, toujours bonne à observer. Une idée m’avait traversé l’esprit en visitant Passmore Edwards : « Un couvent ! cela ressemble à un couvent. » J’avais presque chassé cette idée : elle me revint, beaucoup plus nette, à Toynbee Hall et prit possession de moi. Le salon était bien un parloir de couvent ; le cabinet de travail ressemblait fort à certaine cellule monastique où j’ai travaillé. Jusqu’aux vérandas et aux galeries qui prennent, sans le savoir et sans le vouloir, des airs de cloîtres.
L’apparence de mon conducteur n’était pas pour dissiper l’illusion. Un grand vieillard aux cheveux presque blancs, très droit, très majestueux et très doux, au regard direct, à la parole calme, grave, cordiale. Dans ce regard et dans cette parole passa une tristesse infinie, lorsqu’il nous parla d’une affreuse bataille de rue qui avait eu lieu, la nuit précédente, presque sous les murs de Toynbee Hall. Je ne sais même pas son nom, mais il reste dans ma mémoire comme l’image vivante de toute une race d’hommes admirables. Il y a cinq ans qu’il vit dans cette maison. Aucun vœu ne le retient ; une demi-heure de cab le sépare de ce monde auquel il appartient par son origine et son éducation. Il peut, s’il lui plaît, dîner ce soir à son club, mais il n’en fera rien. Ses moindres mots révèlent l’état d’âme particulier au reclus et au missionnaire. Il est, en effet, l’un et l’autre. La foule qui l’entoure, si différente de lui, est tantôt un désert où son esprit s’isole pour méditer, tantôt un champ d’action où son dévouement se prodigue, prêchant la civilisation aux pires sauvages que le soleil éclaire. Involontairement, je l’habille d’une robe de bure qui descend en plis droits de ses épaules à ses pieds.
Je ne suis pas le premier qui ait cru voir des moines d’une certaine sorte dans les résidens, jeunes ou vieux, qui peuplent les settlements. Parmi eux, beaucoup s’indignent de la comparaison : quelques-uns en sont presque flattés. L’analogie a frappé, entre autres, sir Walter Besant. Cet esprit charmant, moitié ironique, moitié enthousiaste, qui a raillé les folies humaines, mais n’a pas su se défendre contre certaines illusions, ne s’est point mêlé de sa personne à l’entreprise des colonies sociales de l’East End ; il les a, vaillamment, servies de sa plume, et parler d’elles sans parler de lui serait une omission, presque une injustice. Il a remarqué que les trois vertus du moine, la pureté des mœurs, l’obéissance et, jusqu’à un certain point, la pauvreté, ne sont pas moins nécessaires au résident des settlements modernes. Et comment ne pas rapprocher cette ardeur à la cause de l’éducation populaire, cette soudaine explosion de fraternité et de dévouement de cet autre mouvement d’où sortirent, au moyen âge, les ordres prêcheurs et qui donna naissance aux Universités ?
Je ne veux pas exagérer la valeur de mon impression personnelle. Si j’étais venu visiter les settlements, comme on me le conseillait, par un soir d’hiver, et si je les avais trouvés en pleine activité, même alors, j’aurais pu éprouver cette inquiétude d’esprit dont parle dans un de ses écrits M. Barnett et qui est commune, nous dit-il, à presque tous ceux qui viennent passer une heure dans un settlement. Suivant qu’ils assistent à un concert, à un cours, à une discussion, à une séance de gymnastique, de boxe ou d’escrime, ou à l’une de ces réceptions qui, à part l’étiquette du costume et des manières, rappellent à peu près les réunions mondaines, ils s’imaginent être entrés dans une école, dans un music-hall, dans une salle de meeting, dans un club ou dans un salon. En effet, le settlement est tout cela à la fois et bien d’autres choses encore, comme on va le voir.
D’abord, l’école. Elle est multiple, elle s’ouvre aux deux sexes, aux enfans comme aux adultes ; elle embrasse, à des degrés divers, ces trois ordres d’enseignement : primaire, technique, universitaire. L’enseignement primaire, qui est donné dans les settlements diffère probablement de celui qu’on donne dans les Board schools par l’esprit et la méthode : il n’en diffère pas sensiblement quant aux programmes et aux matières étudiées. En ce qui touche l’enseignement technique, ce sujet demanderait une compétence spéciale que je n’ai point et des études comparatives détaillées que je n’ai pas eu le loisir de faire. D’ailleurs, — j’ai là-dessus le témoignage de tous ceux qui ont écrit sur les settlements ou qui m’en ont parlé, — l’éducation primaire n’est pas le but qu’on s’y propose ; elle y est purement accessoire et, en quelque sorte, accidentelle, puisqu’elle fait double emploi avec une institution qui est elle-même un des principaux organes de la vie sociale. Quant à l’enseignement technique, quelques-uns des collaborateurs de l’œuvre des settlements seraient d’avis de l’éliminer sans réserve, comme absolument étranger à la mission qu’ils se sont donnée. En effet, les settlements n’ont pas été fondés pour apprendre à l’artisan son métier, mais pour former en lui l’homme et le citoyen. Ailleurs, on lui enseignera à se servir de ses doigts ; ici, on lui enseigne à se servir de son cerveau. On prétend l’élever à la vie intellectuelle ; on veut qu’après avoir été, tout le jour, le prolongement d’une machine, la main qui met en jeu une roue ou fait agir un outil, il redevienne, pour quelques heures, un être qui pense et qui sent. Chacun de nous, sa journée finie, dépouille le professeur, l’avocat, le médecin, l’ingénieur, et demande une émancipation, une détente nécessaire au plaisir, à la vie sociale, à une conversation avec ses égaux où il effleure tous les sujets, un seul excepté, celui-là précisément qui a fait l’objet du labeur quotidien. Cette émancipation, cette détente, ce joyeux élargissement de la personne humaine, c’est le vaste et encyclopédique enseignement des Universités qui nous prépare à les goûter. Sans lui, point d’accès dans ce monde supérieur où toutes les intelligences se rencontrent dans une sensation d’art ou dans la discussion d’un problème moral. Pourquoi ne donnerait-on pas à l’ouvrier sa chance, — suivant l’expression anglaise ? Pourquoi ne lui mettrait-on pas en main les clefs qui ouvrent ces portes-là ? Pourquoi ne lui permettrait-on pas de gravir les rampes qui conduisent en haut ? Pourquoi, si ses pieds maladroits buttent contre les obstacles, si cette ascension lui donne le vertige, ne lui donnerions-nous pas la main, nous pour qui cette route, tant de fois parcourue, n’a plus ni difficultés, ni terreurs ?
Un romancier, parfois admirable, que nous avons le tort d’ignorer en France et qui, même en Angleterre, n’obtient peut-être pas toute la considération qu’il mérite, Thomas Hardy, écrivait, il y a quatre ou cinq ans, une œuvre saisissante, cruelle à lire, difficile à oublier : Jude the obscure. Ce Jude, humble amant de la science, autodidacte incompris et avorté, erre, toute sa vie, autour des portails universitaires, consumé d’un éternel et mélancolique désir de savoir, brûlé d’une soif que nul ne daigne étancher. Il n’arrive qu’à se déclasser, à être un objet de dérision pour sa femme et ses amis. Comme tous ceux qui sont venus trop tôt ou trop tard dans ce monde, ce martyr meurt sans être sûr d’avoir aimé une réalité. Au moment où Thomas Hardy écrivait cette douloureuse tragédie, digne d’Ibsen, elle était déjà un anachronisme, car il y avait plus de vingt ans que l’University Extension movement avait commencé à fonctionner. Ce mouvement va trouver Jude l’obscur dans sa mansarde ou dans sa chaumière, approche de ses lèvres la coupe où, seuls, les privilégiés, pendant de longs siècles et dans un sanctuaire fermé, ont eu la permission de se désaltérer. C’est en 1872 que Cambridge lança pour la première fois à travers les provinces du royaume ses commissions d’examen ambulantes et organisa, à l’aide de ses anciens élèves, des centres pédagogiques. En 1875, fut fondée à Londres, dans le même dessein, une vaste société qui accepta le concours des diplômés de toutes les universités.
Voici comment on procède. Quand on veut créer, dans un quartier de Londres, un ensemble de cours de ce genre, on réunit un certain nombre d’habitans notables, connus pour s’intéresser à la propagation de l’instruction populaire. Ils se forment en comité, avancent ou garantissent les fonds nécessaires pour les frais de publicité et d’impression, la location d’une salle, le paiement du professeur et l’achat des appareils nécessaires à l’enseignement. Ordinairement le coût d’un de ces cours qui comprend vingt-cinq leçons pour la durée entière de l’année scolaire (session) est de trente à trente-cinq livres sterling. Les membres du comité se remboursent en réclamant aux étudians une indemnité qui varie de dix shillings à une guinée pour les cours de l’après-midi, et qui, généralement, est fixée à cinq shillings pour les cours du soir. Rétribution minime, mais indispensable ne fût-ce qu’au point de vue de l’effet moral. L’ouvrier n’attache de valeur à un cours que s’il a donné de l’argent pour l’entendre. On a essayé, sur certains points, d’une première leçon gratuite, suivie de leçons payantes, et ce système a échoué. Je ne saurais, dans cette brève revue, rappeler tous les obstacles qu’on a rencontrés, ni énumérer les moyens, plus nombreux encore, par lesquels on les a vaincus. Rien ne m’a plus touché, à cet égard, qu’un article, publié en février dernier, par un membre du comité de Greenwich, dans le journal de l’University Extension. C’est le récit de vingt ans de lutte et d’efforts, souvent malheureux, aujourd’hui couronnés de succès, mais d’un succès toujours précaire si l’activité des travailleurs se relâche ou s’endort.
Il fallait cependant une sanction, un critérium pour mesurer les résultats de cet enseignement : on a créé une hiérarchie de certificats, correspondans aux diplômes universitaires. Ceux qui, la session terminée, répondent d’une façon satisfaisante aux questions du maître, reçoivent un certificat qui équivaut au pass degree. Ceux qui ont pu fournir un essai sur une question du cours indiquant, avec une connaissance suffisante du sujet, un certain talent d’exposition, obtiennent les « honneurs. » Un certificat d’assiduité récompense ceux qui ont suivi régulièrement deux cours pendant trois ans. Les élèves-maîtres, pupil-teachers, reçoivent un diplôme particulier. Cours et examens, le système entier fonctionne avec un succès croissant. En 1899, le nombre des étudians est descendu de 13 000 à 12 000, mais le nombre des certificats obtenus a augmenté dans une proportion sensible. Les matières professées sont bien celles qui, en tout pays, relèvent de l’enseignement supérieur. Cela autorise-t-il la Société de l’University Extension à se vanter d’avoir doté Londres de l’Université enseignante qu’attend depuis si longtemps la plus grande ville du monde ? Je ne le crois pas, et il n’est point, à mon avis, de prétention plus dangereuse, ni d’erreur plus grave. Il ne suffit pas, qu’on le sache bien, d’asseoir dans des chaires des hommes intelligens et de leur faire professer, devant des auditeurs de bonne volonté, des matières de haut enseignement, pour être en droit de dire qu’on a créé une Université. Non, une Université véritable ne se contente pas de transmettre la science d’hier et d’aujourd’hui : elle fait la science de demain. C’est un lieu clos et abrité où un groupe d’hommes, animés des mêmes pensées et des mêmes aspirations, se livre en commun à la recherche de la vérité, que cette vérité soit philosophique, historique, ou scientifique. L’ouvrier est-il mûr pour prendre part à ce genre de travail ? Évidemment non ; de longtemps, de très longtemps, il ne sera en état de s’y joindre. Le mot d’ « Université populaire » est donc décevant, qu’on l’applique à l’University extension ou aux University settlements.
J’espère expliquer tout à l’heure, ce que vient faire le terme « Université » dans cette association de mots. Ce qu’il importe de remarquer, c’est que les settlements ont pris un rôle très important dans cette extension de l’enseignement supérieur à la petite bourgeoisie et aux ouvriers. Les deux mouvemens s’aident sans se confondre, sans s’absorber l’un l’autre. Très souvent les settlements fournissent le local quand ils ne fournissent pas les professeurs et les élèves. L’expérience déjà acquise par les « résidens » des besoins intellectuels et moraux du peuple leur permet de discerner quels sujets d’étude conviendront le mieux à cette catégorie spéciale d’étudians. Un ou deux exemples rendront plus claire ma pensée. Le conférencier qui venait entretenir les petits boutiquiers, les commis et les ouvriers du quartier Saint-Pancrace (c’est le nom de la paroisse où est situé Passmore Edwards) de Dante et de sa Divina Commedia, n’était peut-être pas parfaitement inspiré. En revanche, rien n’était plus pratique que la suggestion de M. John Morley lorsqu’il conseillait aux résidens du même settlement d’instituer un cours pour apprendre à bien lire les journaux. L’idée a été mise à profit. Un professeur, après avoir lu un article ou une correspondance du Times, se livre à un commentaire minutieux qui éclaircit les allusions historiques, explique les noms d’hommes et de lieux, les batailles ou les traités dont il est fait mention, dégage, contrôle et, au besoin, critique la pensée générale de l’article.
L’histoire, la géographie, le droit usuel, l’économie politique, la physiologie, la géologie, la botanique, l’hygiène publique et domestique reviennent fréquemment sur les programmes. Les origines de la langue, l’évolution du saxon et de l’anglais primitif, les œuvres de Langland, de Chaucer et de Wycliffe attirent un assez grand nombre d’étudians. Chaque leçon raisonnée est doublée d’une leçon de choses. L’hiver est consacré à des promenades archéologiques parmi les vieux monumens de Londres ; l’été à des excursions botaniques dans les comtés voisins. A Bermondsey, on enrégimente les jeunes gens pour ces excursions. Ils campent en plein air, sont soumis à une stricte discipline, et une partie de leur journée est consacrée à des exercices militaires. Les ambulanciers de Saint-Jean leur apprennent le service des brancards, les pansemens provisoires et les premiers soins à donner en cas d’accident. Des cours de dessin conduisent leurs élèves jusqu’aux premiers examens de la grande école d’art de Kensington ; les apprentis-ingénieurs sont dirigés sur la voie qui les achemine vers les écoles spéciales. Les langues classiques et les mathématiques ne sont pas absolument négligées, puisque, à Toynbee Hall, on m’a assuré qu’on avait mis plusieurs candidats en état de passer heureusement l’examen d’entrée (matriculation) de l’Université de Londres. Cet ensemble de cours constitue moins un enseignement supérieur qu’un enseignement général. Ce sont, — pour employer un vieux mot, qui était et demeure très significatif, — les « humanités » de l’ouvrier. A mesure qu’il s’élèvera, elles monteront avec lui ; ou plutôt ce sont elles qui l’entraîneront dans leur lente évolution ascensionnelle vers un idéal chaque jour plus haut.
Quelle place tiennent la politique et la religion dans ce vaste système pédagogique en formation ? Les membres des settlements appartiennent, sans nul doute, à un parti politique, mais ils s’interdisent de faire servir au succès de telle ou telle cause l’influence morale qu’ils se sont acquise. Je vois, dans le Magazine, très intéressant et très bien fait, publié, chaque mois, par le settlement de Bermondsey qu’une société s’y est créée pour examiner les lois d’intérêt général. C’est un petit parlement en miniature. On y pérore, on y discute ; on y forme et on y renverse des cabinets, comme à Westminster, et les conservateurs ont besoin de se coaliser avec les libéraux pour tenir tête à une formidable minorité socialiste, mais il me semble bien que, dans ces exercices parlementaires, les habitans du quartier sont à peu près livrés à eux-mêmes.
J’ai trouvé, dans le rapport du révérend Barnett pour l’année 1899, une phrase qui m’a grandement étonné et affligé. Il y est dit que l’œuvre des settlements suit, en se développant, une ligne parallèle au mouvement général des esprits, entraînés par l’idée impérialiste. « Les settlements ont pour objet, nous assure-t-on, de réveiller, dans chaque membre de la communauté, et de mettre en relief l’individualisme, pendant que l’impérialisme réveille et met en relief l’individualisme national. » Mais un mot imprudent n’efface pas vingt-cinq ans de discrétion et de sagesse ; et je me persuade que, dans l’avenir comme dans le passé, les University settlements resteront étrangers à ce que la politique contemporaine a de plus irritant et de plus suspect. La politique à laquelle les résidens des University settlements se donnent corps et âme est la politique locale. En effet ils comblent une lacune ; ils répondent à un besoin des plus urgens. Dans ces quartiers déshérités, exclusivement peuplés de travailleurs qui n’ont ni l’instruction voulue, ni le temps nécessaire pour l’administration de la chose publique, il est difficile, sinon impossible, de recruter les assemblées locales, telles que les conseils de fabrique (vestries), et les conseils sanitaires (boards of health). Les résidens sont prêts à remplir ces fonctions quand le suffrage des électeurs les leur confie. Ils entrent également dans les conseils de l’assistance publique, comme poor law guardians. D’autres, en qualité d’inspecteurs veillent sur les écoles publiques soumises à l’autorité des school-boards. C’est ainsi que Mansfield House dans West Ham, Toynbee Hall dans l’East End, et le Bermondsey settlement au sud de la Tamise ont pris un rôle prépondérant dans le gouvernement des affaires locales[2]. Ils apportent dans ces petites assemblées, avec des connaissances plus sûres, plus modernes, plus sérieusement scientifiques, un esprit exempt de passions personnelles et mesquines. En même temps, ils s’efforcent de mettre l’homme du peuple en état de remplir lui-même ces fonctions, qui seront pour lui l’école de la vie publique, lorsqu’il possédera un peu plus d’aisance, de culture et de loisir.
Les settlements, à l’exception d’Oxford House, ne donnent point d’éducation religieuse. Dans un roman publié cette année même sous ce titre The Alabaster Box, et où sir Walter Besant décrit l’existence et le travail des résidens dans une sorte de settlement idéal, formé de traits empruntés à tous les settlements véritables, on voit Hélène, une belle et imposante jeune fille qui remplit avec autant de charme que d’autorité les fonctions de Warden, promener, certain dimanche matin, à travers les rues de l’East End, un jeune visiteur dont elle veut faire un adepte de l’œuvre civilisatrice. Elle le conduit successivement chez les anglicans orthodoxes et chez les dissidens, parmi les catholiques et parmi les salutistes. Ici, résonne le plain-chant romain, pendant que la vapeur de l’encens monte vers le crucifix et que la procession des blanches aubes et des chasubles étincelantes se déploie lentement autour de la nef. Ailleurs, ils voient les pécheurs repentans sangloter au banc de pénitence et une voix émue leur crie avec angoisse : « Oh ! mon frère, ma sœur, êtes-vous sauvés ? » Et, gravement après avoir traversé tous ces lieux de prière, Hélène se tournant vers son compagnon, lui dit : « Nos gens ne sont pas là ! » Où sont-ils donc ? Partout, nulle part. Le settlement ne veut pas connaître la foi de ses amis. D’où qu’ils viennent, ils sont les bienvenus. Cela est bien dit, bien pensé ! et pourtant, sir Walter Besant n’est pas tout à fait aussi équitable qu’il croit et veut l’être. Je ne peux m’empêcher de remarquer que, dans son curieux roman, le catholicisme est représenté par une sorte de simple, qui tient du saint et de l’idiot. Il met sa joie à collectionner des chapelets, à se tremper d’eau bénite, à traîner une. vieille soutane dans les couloirs du settlement et à se donner — probablement — la discipline à ses momens perdus. Il contemple et n’agit point. Sans force intellectuelle et sans vigueur physique, il subit patiemment les injures et les coups. Savoir s’humilier et savoir mourir sont, en effet, deux grandes sciences ; mais est-ce là tout le catholicisme ? N’a-t-il pas d’autres talens et d’autres vertus ? Un homme comme sir W. Besant ne peut ignorer les merveilleux dons que le catholicisme a déployés pour l’organisation et la conduite des sociétés. Il y aurait cruauté à comparer l’œuvre de l’anglicanisme avec celle que le christianisme romain a accomplie dans le monde. Aussi bien, ce n’est pas le lieu ni l’heure. Mais si les religions sont appelées à participer à l’œuvre des settlements, elles doivent y pénétrer et y vivre sur un pied de fraternelle égalité et de mutuel respect.
Elles s’y rencontreront aussi avec certains esprits religieux qui ne fréquentent pas les temples. J’ai demandé à Mrs Humphry Ward : « Donneriez-vous la parole, sous sa responsabilité personnelle, à un professeur qui voudrait offrir une explication scientifique et rationaliste de la Genèse ? « Elle m’a répondu affirmativement. Il va sans dire que, le lendemain, un clergyman obtiendrait le droit d’exposer, devant les mêmes auditeurs, la thèse dogmatique et théologique dans toute sa rigueur. Un dernier mot sur ce sujet délicat. Il est dit, dans le roman de sir W. Besant, et des personnes directement associées au mouvement m’ont confirmé le fait, que les hommes et les femmes du peuple, après avoir fréquenté le settlement pendant un certain temps, se rendent d’eux-mêmes à l’église. Est-ce conversion véritable et définitive ? Est-ce instinct d’imitation, besoin de respectabilité, quelque chose comme la chemise blanche et les bottines cirées du dimanche ? Je l’ignore, mais le fait devait être noté. « Nous ne prêchons pas la religion, m’a dit un résident : nous la suggérons. »
L’œuvre des settlements, je l’ai fait pressentir dès le début, est une œuvre de réconciliation sociale, et, si j’ai insisté quelque peu sur le côté pédagogique, c’est parce que l’instruction donnée dans ces maisons a précisément pour but de préparer une sorte de matière première à l’action sociale. En effet il n’y a qu’un moyen de rapprocher et de fondre les classes, c’est de leur donner mêmes études, mêmes plaisirs, mêmes intérêts, même idéal. Lorsque nous nous trouvons au milieu des paysans, de quoi leur parlons-nous, sinon de l’agriculture et de la politique ? Et quels sont les sujets de conversation abordables entre bourgeois et ouvriers ? Les questions industrielles et, encore, la politique. L’ouvrier et le paysan seraient vraiment nos égaux si nous pouvions parler de tout avec eux. Utopie ? Soit ; mais le progrès est la moitié réalisable de l’utopie.
Dans les settlements on cause beaucoup, on cause énormément et ce sont les jeunes hommes d’Oxford et de Cambridge qui ont apporté des Universités ce goût et, je dirais presque cet art de vivre et de penser en commun. C’est la force et la faiblesse des Universités : on y excite l’intelligence et on l’y gaspille en perpétuelles causeries. On y dit plus de choses de neuf heures à minuit qu’on n’en fait dans tout le reste du jour. Quelquefois il ne reste rien, le lendemain matin, de ces pensées nocturnes, si ce n’est l’intelligence qui a pensé et qui vaut un peu mieux qu’avant. Le peuple a les mêmes besoins de sociabilité, et plus grands encore. Mais comment les satisfaire ? Est-ce que la vie de salon, est-ce que la vie de foyer est possible à des gens qui s’entassent pêle-mêle, sept ou huit, dans une ou deux chambres sordides ? Où iront-ils ? Le public house sera leur club ; le music hall leur théâtre. Un homme qui connaît l’East m’a assuré qu’ils ne vont pas au cabaret pour boire, mais pour se réunir. C’est ici qu’interviennent nos amis du settlement : « Venez chez nous pour discuter et pour rire. Vous y serez plus confortablement qu’au public house et vous vous amuserez mieux qu’au music hall. » Je suis obligé de dire que ceux qui répondent à cet appel ne sont pas toujours ceux auxquels il est adressé. On invite l’artisan : c’est le commis de magasin, le boutiquier, le petit bourgeois qui se présente pour profiter des avantages du settlement. Peu à peu, cependant, l’ouvrier se décide. Il s’approche, d’abord un peu méfiant, et s’aperçoit qu’on ne l’a pas trompé ; finalement il est conquis. Oh ! pas d’une manière définitive ! Il y a des jours où le vaurien, le hooligan reprend le dessus, et les membres du settlement apprennent que leur protégé est en prison, à la suite d’une rixe homicide. Ou bien c’est la petite rôdeuse qu’on avait convertie et qui arrive à la réception du samedi soir complètement ivre, la robe en lambeaux, l’œil tuméfié et noirci. Ces accidens sont prévus, comme les blessures à la guerre. On ne se décourage pas, on ne se scandalise point, mais on redouble d’efforts et on tâche de rendre le settlement encore plus attrayant.
Le programme de ces attractions, le « menu » des plaisirs du settlement est devenu d’une variété stupéfiante, depuis quinze ans que des hommes intelligens et dévoués s’ingénient à en multiplier les séductions. Tout y entre, ou peu s’en faut, depuis une discussion philosophique jusqu’à la boxe et au pugilat. Aux discussions préside un gentleman qui les ouvre, les dirige, les résume et les clôt, en faisant sentir aussi peu que possible son autorité. Ces séances ne se terminent point par un vote comme celles des Debating Societies d’Oxford et de Cambridge, parce qu’il importe de laisser la question ouverte et de ne pas faire croire au peuple qu’un problème moral ou scientifique soit résolu par une majorité. Les settlements organisent le plus souvent qu’ils peuvent des expositions de peinture ; quelques-uns possèdent une galerie permanente. J’ai déjà parlé des visites archéologiques aux monumens et des voyages à la campagne. Lorsque j’ai visité Toynbee Hall, ces messieurs se préparaient à expédier trente-cinq mille jeunes Londoniens au bord de la mer pour une huitaine ou une quinzaine de jours. Ils font plus : ils envoient certains de leurs élèves faire des séjours d’étude, de santé, de plaisir en Allemagne, en Italie, en Grèce, jusqu’en Égypte et en Terre Sainte. Dans la maison, hommes, femmes, garçons, filles ont leur salle spéciale, leur club. On les habitue peu à peu à faire leur règlement, à administrer leurs finances, à se mettre d’accord sur le choix de leurs amusemens. Ces amusemens sont variés : golf, tennis, cricket, football ; à l’intérieur, les dames et les échecs. Pas de jeux d’argent et point de boissons enivrantes. Beaucoup de concerts et de représentations théâtrales. Le point est de les amener à y prendre part et à y prendre goût. On tâche de leur faire entendre de bonne musique comme on s’efforce de leur montrer de bonne peinture. Il y a toujours une salle de gymnastique dans les settlements. On y apprend à se battre honorablement et régulièrement, à observer les règles de la lutte à mains plates ; on fait honte aux jeunes gens des ruses traîtresses et féroces de la rixe des rues.
Ainsi il n’y a pas, le soir, un coin de la maison où il ne se passe quelque chose, où l’on ne trouve des hommes et des femmes réunis et s’amusant à leur manière. Et quand j’énumére-rais tous ces divertissemens, les uns presque sévères, les autres presque enfantins, je n’aurais pas encore donné une idée complète de la vie qu’on mène au settlement et de l’esprit qui y règne. Ces maisons-là veulent être pour le peuple ce que les clubs du West End, ce que la « Société » est pour les classes riches. Les résidens jouent le rôle de maîtres de maison, peut-être même devrais-je dire de maîtres des cérémonies. Car ils s’effacent le plus qu’ils peuvent afin de persuader au peuple qu’il est vraiment chez lui.
Ceux qui jugent l’arbre à ses fruits et les actes humains à leurs conséquences directes demanderont quels résultats a donnés jusqu’ici cette œuvre des settlements. La question vient un peu trop tôt. Le champ où opèrent les settlements est très limité et le bien qu’ils ont pu faire est malaisé à discerner ; il ne peut guère, en tout cas, s’évaluer par des chiffres. Le meilleur témoignage que je puisse citer à cet égard est celui d’un cabaretier qui disait à un résident de Toynbee Hall : « Vous m’avez ruiné, j’ai déménagé, je suis allé m’établir deux rues plus loin. » Que les settlements se multiplient, que leurs sphères d’influence s’étendent jusqu’à se rencontrer et se confondre, et les industriels qui vivent de l’ivrognerie verront leurs bénéfices fort compromis.
Ce peuple qu’on instruit, qu’on amuse, qu’on promène, est-il reconnaissant ? Suffit-il, comme le croient les fondateurs des settlements, que les classes se connaissent mieux et se voient de plus près pour se respecter et s’aimer ? C’est là une thèse optimiste à laquelle je ne pourrais souscrire sans beaucoup de réserves. Ces douces influences, ces émanations civilisatrices, cette lente séduction du bien, qui doivent se dégager de tout ce qui se fait au settlement, s’en dégagent-elles réellement et pénètrent-elles au fond des âmes ? Ou bien ces gens ne remportent-ils de là que le souvenir d’heures passées dans des salles bien éclairées et bien ventilées, « avec des messieurs très gentils et des dames très comme il faut, » la sensation d’un contact passager avec le monde des robes de soie et des habits noirs, où les voix sont musicales et où les mains sentent bon ? J’hésite à dire ma pensée. Le settlement fera du bien à un grand nombre ; il fera peut-être du mal à quelques-uns.
Il est une classe de personnes auxquelles il fera certainement du bien ; ce sont les résidens de tout âge qui s’y fixent pour un certain temps. Il y a, parfois, de l’alliage dans ces vocations. Tout n’est pas apostolique dans l’apostolat, tout n’est pas dévouement dans le dévouement. Il peut s’y mêler de la curiosité, du désœuvrement, de l’instabilité d’esprit ; plus souvent, de la gloriole et ce besoin de gouverner autrui qui possède certains hommes et qui est plus fréquent parmi les Anglais que parmi les continentaux. Nés pour organiser, ils organisent quand même et, au besoin, désorganisent pour réorganiser.
Je pourrais citer tel settlement qui ressemble aux monarchies absolues du bon vieux temps où toute la constitution était dans le caractère et le tempérament du monarque. « Le settlement, c’est moi ! » pourrait dire un warden de ma connaissance. Mais il ne le dira point, car c’est un autoritaire inconscient, un tyran sans le savoir ; celui-là discipline plus qu’il n’émancipe et ce n’est assurément pas le but de l’institution, mais cet excès de personnalité n’est pas un défaut général et, pour ceux qui entrent vraiment dans l’esprit des settlements, c’est une école d’humilité et d’abnégation. Celui qui s’y enferme, renonce momentanément à sa famille, à ses relations, à ses plaisirs, dans une large mesure à son confort, et à ces mille choses dont est faite l’existence des heureux et des oisifs. Il vit dans une simplicité monacale, sous l’autorité d’un homme ou d’une règle. Au lieu de songer à son bien-être, à son agrément personnel, à son progrès mental, à ses diversions artistiques, à ses lectures, il s’occupe, il s’ingénie à préparer toutes ces choses pour des créatures humaines qui ne sont pas de son rang et qui reçoivent ces soins avec une indifférence lourde, voisine de la méfiance. Et il a la douleur de voir souvent ses efforts en pure perte ; il traverse des heures inévitables de dégoût, d’amertume et de tristesse. Mais qui sait si ces heures ne sont pas les plus fécondes ? Lorsque le jeune néophyte rentre dans le monde après quelques années de cette vie-là, il a beaucoup appris et beaucoup désappris. Il a connu le peuple. Cette question sociale sur laquelle nous disons et écrivons tant de sottises, sur laquelle nous édifions tant de vagues et présomptueuses théories, il l’a étudiée sur le vif, touchée du doigt, soupesée, jaugée, sondée et parcourue dans tous ses recoins et à toutes les heures. Elle n’a plus pour lui ni épouvantes ni chimères.
A côté des enthousiastes convaincus qui croient sans réserve à l’action bienfaisante et à l’avenir illimité des settlements, à côté des sceptiques respectueux qui sympathisent avec l’œuvre, mais n’en attendent point des miracles pour le salut d’une société désormais irréformable, on rencontre une nuance d’opinion presque hostile à l’institution nouvelle. Certains amis du peuple voient avec déplaisir le développement continu de l’Universtly Extension et des Settlements. Sous cette philanthropie aristocratique ils croient voir et ils dénoncent une intention réfléchie de prolonger l’ascendant des classes riches sur les classes laborieuses, de tenir celles-ci dans une éternelle minorité, sous la tutelle et le patronage de celles-là. « C’est, disent-ils, un nouveau genre d’aumône : après le pain quotidien, la culture intellectuelle. De cette façon, on s’efforce de faire de la science ce qu’on avait fait de l’Eglise pendant de longs siècles, une complice de l’oligarchie nobiliaire et bourgeoise, un instrument du capitalisme. Pour que l’instruction profite au peuple, pour qu’elle soit une force entre ses mains et un moyen d’émancipation, deux choses sont nécessaires. D’abord, il faut que le peuple prenne la direction du mouvement, qu’il accepte les sympathies, les bonnes volontés, les concours spontanés et gratuits, mais non l’aide pécuniaire qui justifierait une intervention dominatrice. Il a maintenant son organisation, son gouvernement, ses finances : il est donc assez riche pour s’offrir à lui-même le bienfait de l’éducation supérieure qui, seule, fera définitivement de l’ouvrier l’égal de ses anciens oppresseurs. En second lieu, cette instruction doit être remaniée au point de vue de l’ouvrier. Sa science ne peut et ne doit pas être la science du bourgeois ; elle doit en différer par les principes, l’esprit, la méthode. L’une appartient au passé et l’autre à l’avenir. À des classes nouvelles et à des temps nouveaux conviendra un nouvel enseignement que les vieux foyers universitaires ne peuvent plus donner, inféodés qu’ils sont à toutes les doctrines concomitantes du capitalisme. Le temps est venu de balayer toutes ces vieilleries, comme on a autrefois fait table rase de la scolastique. »
C’est de là qu’est sorti Ruskin Hall, le collège ouvrier d’Oxford[3] avec toutes les autres branches auxquelles il a servi de tronc. Seulement, par une dernière et inévitable ironie des choses, c’est le capital qui a fourni les armes nécessaires pour lutter contre le capital. Un riche Américain, M. Vrooman, a établi ses étudians-ouvriers dans une maison de la vieille ville universitaire, qu’il a placée, fort naturellement, sous le patronage de Ruskin. Ceux qui sont quelque peu familiers avec le grand penseur savent son ardeur pour la régénération, l’épuration, et l’ennoblissement des démocraties modernes. Comme il a à peu près tout dit sur tous les sujets, il prête à toutes les critiques, sauf une seule : la préoccupation de classe, l’arrière-pensée bourgeoise est absente de son œuvre, candidement humanitaire. C’était un nom excellent à écrire sur la porte de la maison nouvelle. Ruskin Hall a été inauguré le 22 février 1899. Pourquoi M. Vrooman avait-il choisi Oxford comme théâtre de cette expérience pédagogique ? Etait-ce avec la pensée de défier et de mettre en échec sur son propre terrain la science universitaire ? Je ne veux pas prêter à un homme de cette valeur une intention aussi puérilement agressive. J’aime mieux croire qu’en venant à Oxford, il espérait recevoir l’assistance de bien des membres de l’Université que ne domine point l’esprit routinier du lieu. En quoi il ne s’est pas trompé. Cependant je me figure qu’il eût été beaucoup mieux reçu, beaucoup plus vite compris, aux bords du Cam qu’à ceux de l’Isis.
Quoi qu’il en soit, M. Vrooman a été vigoureusement diffamé pour sa peine, non pas, comme on pourrait le croire, par la presse bourgeoise et réactionnaire, mais par les membres du parti populaire. J’ai lu quelques-unes de ces diatribes. Le grand crime de M. Vrooman, c’est d’être Américain. J’aurais imaginé que ce fait ajoutait au mérite de son action, mais il paraît que non et que cela dispense, au contraire, de la reconnaissance et même du respect les obligés de M. Vrooman. Par-là on peut juger de l’état présent des esprits. Le vague impérialisme anglo-américain auquel M. Vrooman demande ses effets de rhétorique dans les grandes occasions, ne suffit pas à trouver grâce auprès des Jingoes. Pour moi, je ne reprocherais à ce hardi et intelligent démocrate que quelques excès de langage. Il y avait, dans son discours d’inauguration, des rodomontades bien inutiles à l’adresse de la Russie. Les premiers numéros du Young Oxford, organe mensuel de Ruskin Hall, contenaient des essais de satire personnelle contre les sommités universitaires d’Oxford qui étaient de nature à compromettre l’institution bien plus qu’à humilier ses adversaires. Ce n’est pas avec ces mesquins procédés qu’on sert les grandes causes. Depuis, Young Oxford s’est assagi. Il publie, avec des nouvelles du mouvement, le programme et l’esquisse des cours de philosophie et de sociologie qui sont professés dans la maison. Ces notes formeront un jour le Novum Organum de Ruskin Hall.
En effet on n’aspire à rien moins qu’à établir une classification évolutionniste des sciences et l’ordre dans lequel on les présente aux étudians constitue, à lui seul, une philosophie. On considère d’abord la matière première de l’Univers, l’atome et la molécule. Puis, continuant l’histoire de la vie, on suit la formation et la combinaison des cellules et l’on s’élève du simple au composé, des existences inorganiques aux êtres organisés, et du degré le plus obscur de la conscience à la plénitude de l’intellectualité. Ces études convergentes aboutissent à l’homme dont la relation avec le reste de la Nature se trouve, en quelque sorte, définie d’avance. Et toutes les sciences, y compris l’histoire et l’observation psychologique, ne sont que les avenues qui acheminent l’étudiant vers la science des sciences, vers la sociologie.
C’est le 22 juin dernier que j’ai visité Ruskin Hall. Le warden M. Dennis Hird, un gradué de l’Université, était absent, et c’est le sub-warden, M. Wilson, qui a bien voulu me faire les honneurs de la maison. M. Wilson est céramiste de son état. C’est donc un ouvrier d’art et, en effet, il a le regard vif et rêveur de l’artiste. Ses manières sont des plus agréables ; il trouve sans effort l’expression claire, gaie, pittoresque, et je n’ai été nullement surpris d’apprendre que sa parole avait de l’action sur de vastes meetings populaires.
La maison des étudians ouvriers est située aux confins de la ville universitaire. Elle a été longtemps habitée par Thomas Green, qui figure dans le chef-d’œuvre de Mrs Humphry Ward sous le nom du professeur Gray. C’est là qu’on trouvera l’homme et sa demeure décrits de main de maître. L’intérieur est peu changé ; le jardin, moins encore. Il est tel qu’aux jours, déjà lointains, où Ruskin, — alors professeur à l’Université, — y venait deviser avec le maître du logis. O le délicieux jardin, plein de belles fleurs et de gazons à l’herbe fine, drue et foncée ! De grands murs, tapissés de végétation, l’entourent, bornent le regard, enferment admirablement le penseur dans sa pensée. On n’y voit rien au-delà, on n’y est vu de personne. Rien qu’un horizon confus de tours, d’arbres, de clochers et, au-dessus, le ciel bleu pâle, où courent de petits nuages blancs.
Près de la maison, deux longues tables de bois blanc, soigneusement frottées, où les étudians, au nombre d’une vingtaine, prennent leurs repas en été : « Nous avions d’abord des nappes ; nous y avons renoncé par propreté, me dit M. Wilson. Mieux vaut une table lavée tous les jours qu’une nappe changée toutes les semaines. Mais l’esthétique ne perd pas ses droits. » Et il désigne du doigt deux beaux vases pleins de fleurs. Dans le bureau, au rez-de-chaussée, j’ai vu deux portraits de Ruskin, dont l’un est une sorte de caricature, mais une caricature à haute portée. Elle représente l’auteur des Pierres de Venise faisant l’office de cantonnier et construisant une route. Ne dit-il pas aux ouvriers, « ce dessin symbolique » qu’il leur faudra faire le chemin où ils passeront ? Au-dessus du bureau est la salle commune. Quelques tableaux, point de tapis ; les meubles sont en bois de sapin. Une salle, assez vaste, dont une paroi est munie d’un tableau noir, sert de classe et de bibliothèque. Humble bibliothèque, née d’hier et bien pauvre encore ! Mais elle s’enrichira de dons successifs. Je suis introduit dans une grande chambre, inondée de clarté, où travaillent trois étudians qui m’accueillent avec politesse. De là je descends à la cuisine où je serre la main du cuisinier qui se tient près de ses fourneaux, revêtu du costume traditionnel. C’est un étudiant et ses aides sont des étudians comme lui. « Saviez-vous faire la cuisine avant de venir à Ruskin Hall ? » — « Du tout ! » On ne monte pas d’un seul bond à ces importantes fonctions, on commence par faire le thé, éplucher les pommes de terre, rincer les verres, essuyer les assiettes. Peu à peu on devient digne de surveiller un gigot ou de confectionner un apple pie et l’on revêt la jaquette blanche du commandement. Quand un plat est particulièrement « réussi, » les dîneurs appellent le cuisinier. Il paraît, on l’applaudit, et il salue.
Ces fonctions domestiques prêtent à des plaisanteries faciles, mais M. Wilson m’assure que ces exercices sont sains pour le corps et même pour l’esprit : « Cela les empêche de se prendre pour des êtres supérieurs. » Et il ajoute ce mot d’une sagesse admirable, qui tuerait dans l’œuf les révolutions de l’avenir, s’il était universellement compris et accepté : « Il vaut mieux que l’ouvrier reste ouvrier. » Lui-même il balaie tous les jours sans se plaindre les soixante-douze marches de l’escalier. Après quoi, il n’est pas plus incapable de se livrer à de hautes spéculations artistiques ou philosophiques que Charlotte n’était incapable de goûter Klopstock quand elle avait préparé des tartines de confitures à ses frères et sœurs.
L’entretien d’un étudiant coûte 10 shillings par semaine et les frais scolaires se montent à 2 shillings et 6 pence. Chaque étudiant fournit, de sa poche, les trente et une livres qui représentent sa dépense totale de l’année. Les frais généraux restent à la charge du fondateur et il faudrait un chiffre de cent étudians, m’a dit M. Wilson, pour que Ruskin Hall mît son budget en équilibre. Le rêve, ce serait d’installer ces ouvriers à la campagne, au milieu d’une exploitation rurale qui leur permettrait de gagner sur place leur pension en leur laissant les loisirs suffisans pour l’étude.
Si le nombre des résidens est, jusqu’ici, très limité, celui des correspondans est déjà considérable. Il était de plus de douze cents en mars ; il dépasse aujourd’hui quinze cents. Ces correspondans sont admis après avoir rempli une feuille de questions, ingénieusement combinées, et rendu compte de leur éducation antérieure comme de leurs visées actuelles. Ils adressent à Ruskin Hall des travaux écrits qui leur sont retournés avec des corrections. Les maîtres s’occupent d’organiser des tournées dans certains centres où ils se mettront en rapport direct avec les correspondans, les interrogeront et jugeront ainsi de leurs progrès.
Tout cours d’études doit aboutir à une conclusion sous forme d’un diplôme. On se propose d’instituer un certificat et, pour obtenir ce certificat, les candidats n’auront pas seulement à justifier de certaines connaissances théoriques, mais à prouver qu’ils en ont fait quelque application pratique. Rien de mieux, mais comment s’y prendra-t-on ? C’est ce que je ne devine pas et ce qu’on n’a pu m’expliquer. Si les initiateurs de Ruskin Hall réussissent à enlever aux examens et aux concours leur caractère exclusivement spéculatif et théorique, ils auront rendu un grand service à la pédagogie et à l’humanité.
On ne dit plus Ruskin Hall au singulier, mais on parle couramment des Ruskin Halls. Une maison de ce genre s’est ouverte à Manchester ; une autre à Birkenhead ; Birmingham en possède deux et d’autres sont en formation à l’heure où j’écris. M. Vrooman, depuis le mois de décembre, a passé la main aux Trade Unions et aux Sociétés coopératives. La première de ces agglomérations de travailleurs a derrière elle 4 millions d’Anglais ; les coopératives comptent 1650 000 associés. Un conseil supérieur a été élu pour surveiller et diriger les Ruskin Halls, mais ce conseil ne paraît pas prendre ses devoirs très au sérieux, car l’un de ses membres les plus considérables, M. Macdonald, a cru pouvoir, dans une interview avec un rédacteur du Sun, se laisser aller à des moqueries grossières contre M. Vrooman et contre son œuvre. Les Trade unions n’ont pas un sou à donner pour ces sortes de choses. Les Sociétés coopératives dépensent, bon an mal an, plus de 1 200 000 francs pour l’éducation, mais c’est à l’instruction primaire et à l’instruction technique que va tout cet argent ; de l’instruction universitaire, elles n’ont cure. En général, il règne dans ces sociétés populaires que nos pères ont connues si hardies, si vigoureuses, si agissantes et, à certains égards, si menaçantes, un étrange engourdissement, une tendance au repos et presque au sommeil. « Quoi ! demandent les ardens du parti, est-ce assez pour vous d’avoir obtenu quelques livres de thé et de sucre à bon marché, introduit un peu de confort dans vos misérables intérieurs, arraché à vos maîtres un inutile bulletin de vote ? La grande bataille reste à livrer, et c’est sur le terrain de l’instruction supérieure que vous gagnerez définitivement vos droits d’hommes et de citoyens. Réveillez-vous, reprenez vos armes et en avant ! »
Je ne sais si ce langage sera entendu, et si ce conseil sera suivi. Dans le cas contraire, l’avenir des Ruskin Halls est incertain. M. Vrooman a commis une grosse erreur historique lorsqu’il a dit que son collège était le premier qui eût été fondé à Oxford pour l’avantage des pauvres. C’est le contraire qui est vrai. Tous les collèges d’Oxford ont été fondés en vue de ceux qui avaient leur fortune dans leur cerveau. On sait ce qu’ils sont devenus. Peut-on affirmer que Ruskin Hall, livré à lui-même, ne subira pas une lente transformation de ce genre ? J’ai vu la Charte d’incorporation et je n’ignore pas ce qu’elle stipule : on n’enseignera pas les langues classiques à Ruskin Hall. D’autre part, les étudians sont trop pauvres pour se donner les laboratoires et les appareils nécessaires à l’étude des sciences expérimentales ; ils sont trop ignorans pour aborder les hautes mathématiques. Dans ces conditions, on ne peut songer à annexer Ruskin Hall à l’Université. Oui, mais ce qui est vrai aujourd’hui le sera-t-il dans vingt ans, dans un demi-siècle ? Nul n’aurait le droit de l’affirmer. Si M. Vrooman revenait au monde vers l’an 2000, peut-être trouverait-il sa maison occupée par des fils de lords et d’évêques, par tout un monde sélect au milieu duquel quelques boursiers, pourvus de grasses scholarships, démentiraient les intentions démocratiques du fondateur en ayant l’air de les rappeler.
Voilà ce que l’expérience du passé fait pressentir et voilà ce qui arrivera infailliblement si l’histoire se répète indéfiniment, si demain ressemble à aujourd’hui comme aujourd’hui ressemble à hier. Mais on me dit que des temps nouveaux se lèvent et que l’humanité du XXe siècle va, décidément, sortir de la vieille ornière. Je le souhaite ! Si Ruskin Hall continue à vivre, si ses rejetons fleurissent et fructifient, si l’institution, dans son ensemble, reste fidèle à l’esprit de ses premiers habitans, je prévois une rencontre, une sorte de conflit entre les deux classes d’éducateurs et les deux systèmes d’éducation dont j’ai esquissé l’origine et les tendances dans cet article. Mais ce conflit ne m’inquiète pas, car il ne saurait y avoir de combat mortel qu’entre la culture et la barbarie, entre le jour et les ténèbres, entre l’affirmation et la négation. Deux forces civilisatrices ne peuvent s’entre-choquer jusqu’à se détruire l’une l’autre, ici, je vois, d’un côté, une ambition légitime de monter et d’être indépendans, là une pensée généreuse de rapprochement pour le partage et la jouissance en commun du patrimoine humain. S’il y a encore, de part et d’autre, des illusions et des préjugés, l’expérience en fera justice. On comprend déjà, et on comprendra mieux tous les jours dans les settlements, que, si l’on veut travailler au bonheur de l’ouvrier, il faut premièrement développer son initiative et ne pas lui imposer des modes d’action, de plaisir, de pensée qui ne sont pas faits pour lui ; qu’en un mot, il convient de le laisser créer lui-même ses traditions et chercher son idéal ; qu’agir autrement, serait manquer d’intelligence et de respect envers l’ordre de choses naturelles dont nous sommes les molécules intégrantes et dont nous devons, bon gré mal gré, suivre les lois. A Ruskin Hall, on s’apercevra que si les méthodes de découverte et d’enseignement sont multiples, la vérité est une et que la science, après tout, ne mériterait pas son nom si elle n’était pas la même pour le bourgeois et l’artisan. Là-dessus l’accord pourra s’établir et, une fois de plus, la paix régnera entre les hommes de bonne volonté et de bonne foi.
AUGUSTIN FILON.
- ↑ Voyez dans la Revue du 15 février 1997 l’article que M. T. de Wyzewa a consacré à ces deux volumes.
- ↑ Passmore Edwards est trop nouvellement établi pour aspirer encore à exercer ce genre d’ascendant. D’ailleurs le quartier, relativement plus riche, n’appelle pas, au même degré que l’East End, l’intervention des étrangers.
- ↑ Il existe à Londres, dans Great Ormond Street, depuis plusieurs années un collège ouvrier qui fonctionne admirablement et qui rend de grands services, mais on n’y songe nullement à battre en brèche la science officielle et on y prépare, par les méthodes ordinaires, les jeunes ouvriers à s’élever d’un ou deux échelons dans la société.