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Comment s’en vont les reines/7

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Calmann-Lévy éditeurs (p. 178-208).

VII

LE DEMI-DIEU

Un des épisodes les plus marquants pour Wartz, dans cette torrentueuse vie publique qui l’avait pris et le roulait de ressauts en ressauts dans le fracas de la Révolution, ce fut les lettres qu’il commença de recevoir. Lettres roses et bleues, lettres ardentes de jeunes gens, lettres de femmes surtout, lettres à parfums divers qui s’épanouissaient le matin sur sa table de travail en parterre odoriférant. Il en riait. Les unes venaient d’Oldsburg ; les mains qui des avaient écrites étaient celles qui s’étaient lassées à l’applaudir à la séance et combien en avait-il vu battre l’air devant lui, de ces mains gantées, douces et souples, faisant courir, dans l’amphithéâtre enfiévré, le souffle d’un grand vol d’oiseaux ! Celles-là semblaient avoir gardé, dans le style, le tremblement de cette heure. Les créatures d’exaltation qui les avaient conçues avaient encore l’illusion de sa présence en écrivant, et devant lui, leurs phrases demeuraient timides et mesurées. Des billets de province, au contraire, la timidité et la mesure étaient exclues. Ici, Samuel Wartz n’existait plus qu’en figure imprécise dans ces cerveaux d’enthousiastes. Elles lui prêtaient toute beauté, mais aussi toute immatérialité ; elles lui parlaient comme à un esprit irréel, et avec d’autant plus de liberté qu’elles ne l’avaient jamais vu et ne le verraient sans doute jamais. Et toutes ces lettres étaient signées de jolis prénoms, de noms de fleurs, parfois. Myosotis lui écrivait : « Vous êtes le Messie de la grande époque qui va s’ouvrir ; mon esprit, sans vous connaître, vous attendait, et je souffrais de vous. » Nielle des champs confessait : « Je me sens une âme faite uniquement pour vous ; je ne me nourris que de votre pensée depuis votre révélation. Je ne sais si vous répondrez à ces lignes, mais je reste consacrée à vous ; je m’emploierai toute à la diffusion de votre pensée ; je suis votre disciple, je vivrai pour vous — et j’ai vingt ans ! » Et Héliotrope : « Je suis veuve et riche ; on vous dit sans fortune. Je sais que dans des entreprises telles que la vôtre, il faut que l’or ruisselle autour de la Pensée ; écrivez-moi, ce que je possède est à vous ! » Elsa disait : « Je n’avais jamais aimé ; mais dites un jour un mot, et je serai à Oldsburg le soir, à l’endroit que vous ordonnerez. »

Et les lettres continuaient d’affluer ; il en venait sans cesse, de mauves, de blanches, que le valet de chambre déposait en masse sur la table du ministre, chaque matin. Bientôt, Samuel cessa de les lire ; après, il ne les ouvrit même plus. Mais il regardait le cachet de la poste, et il se faisait dans son esprit une sorte de statistique géographique de l’opinion républicaine dont ces lettres. de caprice étaient un reflet frivole, mais vrai. Les journaux, les comités politiques avec lesquels le sien était en relation, lui fournissaient à cet égard des indications, mais il y avait quelque chose de plus sincère dans la spontanéité de ces lettres de femmes qui trahissaient l’atmosphère de pensée dans laquelle s’écoulait leur vie. Ainsi Hansen et la région du Nord semblaient donner plus de chaleur démocratique, puis, pour retrouver la même intensité de sentiments, il fallait redescendre jusqu’au pays des charbonnages, le plein Sud. Les provinces frontières montraient moins d’exubérance épistolaire ; de même aussi les dépêches n’en apprenaient-elles que de calmes manifestations de presse ou de réunions publiques.

Et souvent, dans les quelques heures de repos que la nuit seule lui accordait, Samuel allait s’accouder au balcon de pierre qui dominait le quai. Le dégel était venu ; le fleuve roulait dans l’eau noire, des glaçons blancs, et par delà les halètements de la ville endormie, Wartz scrutait les lointains, il aspirait les atmosphères troublées et tièdes venues du Sud, il cherchait, dans les nuées torses et lourdes qui se heurtaient au ciel, le souvenir des pays qu’en voyageant elles avaient obscurcis de leur ombre. Car ce n’était plus désormais Oldsburg seule, mais la Poméranie entière qu’il possédait, qu’il avait comme épousée dans un mariage mystérieux. Du Nord comme du Sud, des villes comme des campagnes, il sentait converger vers lui les pensées en travail. L’œuvre des prochaines élections s’accomplissait dans les esprits ; par des milliers de suffrages intentionnels, les élections étaient déjà virtuellement faites, sous l’action de son influence. Ses idées planaient sur le pays comme une lumière. Il était partout. Mais ce qui lui revenait alors à l’esprit, avec un agrément puéril, c’étaient ces pâles amours d’inconnues, amours sans couleurs ni figures, qui erraient autour de lui durant ces nuits moites, qui le cherchaient, le suppliaient. Peu à peu, cette science vague d’être tant aimé créa comme un lit voluptueux à ses pensées ; elles s’y reposaient, s’y amollissaient, elles y revenaient sans cesse. Quelquefois, dans des loisirs de sentiments, mais combien ces loisirs étaient courts et furtifs entre les mille soucis de son action colossale — il se sentait un cœur étrange ; il s’attendrissait. Et, à l’heure même, il lui fallait ordonner des répressions sévères contre les perturbateurs qui ne cessaient de faire courir dans les rues un feu latent. Chaque jour, de-ci, de-là, des rixes éclataient ; le sang continuait de couler, à peine, goutte à goutte.

Un soir, dès le souper, il était à ce balcon, la fenêtre à demi fermée derrière lui, et sa forme invisible dans les ténèbres. Quelqu’un pénétra dans la chambre de Madeleine, et, comme il se détournait par instinct, il vit Hannah dans la pièce devenue lumineuse. Elle se croyait seule. Elle allait et venait selon la coutume de son service, disposant la toilette de nuit de Madeleine. Elle mit sur la table les rubans couleur de paille qui serraient la chevelure de la jeune femme pendant le sommeil ; elle étendit sur une chaise la robe de blanc linon dont elle fit bouffer la dentelle du bout de l’ongle ; elle posa sur la descente de lit les deux pantoufles de soie. Au passage, devant une glace, elle s’arrêta, se mira un instant, puis, sa tâche finie, elle ne partait pas.

Elle ne partait pas ; elle songeait, la main sur sa hanche frêle. Son jeune corps, un peu ployé en arrière, eut un étirement de lassitude qui accusait la longue journée de labeur. Et, de nouveau, Samuel vit bouger à travers la chambre la petite silhouette noire au tablier blanc. Il la crut en passe d’aller commettre quelque indiscrétion parmi le désordre que Madeleine, souvent, laissait après elle dans sa chambre. Et en effet, elle vint au secrétaire dont l’un des tiroirs n’était que mi-clos, avec un paquet de chiffons, de gants, de voilettes, de lettres d’amies, de bouquets séchés. Et il en souffrit, car il lui avait imaginé une âme très délicate et timorée.

Mais, sans donner le moindre regard à ces intimités, elle avança son joli visage aminci vers la photographie de Wartz que Madeleine avait placée là ; et les lèvres tendues, furtivement, elle baisa, sans l’effleurer, l’image de son maître.

Samuel se sentit rougir d’une honte incompréhensible. Il eut voulu n’avoir rien vu. Il avait commis, envers la pauvre petite servante, une faute bizarre et involontaire, une faute dont le nom n’est écrit dans aucun livre de casuistique.

Ainsi, voilà que se révélait — et avec quelle brutalité pénible du hasard ! — une nouvelle amoureuse, ici même, dans sa maison, chez celle qui tenait de si près à la personne de Madeleine par les mille soins de son ministère, celle qui connaissait le poids, le toucher soyeux de ses cheveux, les secrets parfumés de sa toilette, les broderies intimes, la grâce cachée de ses membres. Il en était en même temps gêné et touché. Ces passions entre maîtres et servantes, avec leurs ridicules, leurs trivialités, les relents ménagers qui s’y mêlent, leurs basses ruses et la profanation du foyer, n’avaient jamais trouvé grâce devant lui. Et depuis longtemps peut-être, dans son intérieur, sans qu’il l’eût jamais pensé, cette petite Hannah l’aimait secrètement. Il ne s’en fâchait pas. Un homme ne se fâche jamais en pareil cas. Et même, quand il songeait à la culture, à la demi-science de cette jeune fille, à son élégance corporelle, à son esprit timide mais fin, qui lui faisait tenir si dignement, avec tant de tact féminin, son rôle ambigu de domestique savante, à tout ce qui l’avait souvent transformée à ses yeux en un symbole charmant de la plébéienne future, il s’enorgueillissait.

À partir de ce jour, il se mit à l’observer avec une attention anxieuse. Il étudiait ses allées et venues, son service, ses attitudes, toute la façon dont elle se comportait avec ce secret qu’elle avait dans le cœur. Elle fut impeccable. De cette chaleur d’âme qu’elle avait montrée, de l’ardeur de ce baiser et de tout ce qu’on pouvait supposer derrière son masque impassible, rien n’apparaissait. Un peu lente, elle s’absorbait dans son travail. Samuel, pourtant, restait quelquefois très attendri devant elle. Il regardait à la dérobée ses lèvres fermées, d’un rose très pâle d’enfant maladive, et il songeait à ce baiser qu’elle lui avait tendu, ce baiser offert à son image, mais qui était demeuré en route, sans pouvoir jamais, sans vouloir parvenir jusqu’à lui.

Madeleine lui dit un jour :

— Regarde, Samuel, ce que j’ai trouvé dans la chambre d’Hannah ! Mademoiselle dissimule cela sous son lit, et, la nuit, au lieu de dormir, elle lit.

C’était une pile de journaux, tous les derniers numéros du Nouvel Oldsburg, qui n’étaient remplis que de son nom. Il haussa les épaules en disant cette phrase banale :

— Laisse-la ; que veux-tu, cette enfant se distrait si peu de son travail tout le long de la journée !

Et il pensa désormais, non pas tant à ce cœur de la petite servante, si chaud et si fermé, qu’à son cerveau, à tout ce qui s’y dissimulait de pensée ardente, en présence du drame actuel, devant l’ascension lente, le triomphe de sa propre caste.

Mais tout cela était si peu de chose, semblait-il, dans sa vie ! Sa voiture le menait chaque matin au Conseil des Ministres. Plusieurs fois on le reconnut au passage ; ce furent des ovations : parcelles et éclats de cette popularité qui s’étendait à tout le pays. Des attroupements se formaient d’ailleurs souvent au coin de la rue aux Moines pour le voir passer. À peine avait-on signalé sa voiture, que retentissaient les vivats ; des mains frémissantes agitaient des chapeaux ; un délire d’enthousiasme se lisait sur les visages, dans ces yeux éperdus d’hommes possédés d’un culte. Wartz goûtait tout cela au passage, et continuait sa route.

Alors, il arrivait parmi ses collègues l’âme molle, la pensée languissante, enveloppé dans ces fluides passionnés d’admiration et d’amour, qu’il sentait monter à lui. Et la Constitution s’achevait par le travail des autres, le travail de Braun surtout, qui, avec son esprit moindre, faisait tout. Jointiste des pouvoirs, ciseleur des lois, maçon de cet édifice de la Nation nouvelle, il était fait, avec son instinct de solidité, pour en bâtir la charpente, tandis que Wartz, plus indolent, n’intervenait que pour y jeter cette note de tendresse envers le peuple pauvre, la charité des institutions, l’esprit démocratique. Braun et les autres bâtissaient, lui donnait le style. Il était l’architecte.

Souvent, la séance du conseil se continuait l’après-midi ; il rentrait harassé, ne faisait qu’apercevoir Madeleine, et recevait Auburger, qui l’entretenait parfois pendant des heures. La nécessité lui imposait de plus en plus étroitement cet homme qui, chaque jour, gagnait sur son temps un peu plus de temps, sur sa pensée, un peu plus d’intimité. Samuel avait l’impression physique de lui être rivé, l’impression d’une condamnation implacable, les liant. Le pays traversait une période de calme. Après l’explosion des premiers jours, réprimée énergiquement par le nouveau ministère, l’ordre semblait bien rétabli. À la fin de cette première semaine, plus de rixes, plus de réunions, plus de sang, un silence national.

Le docteur Saltzen, poète ingénieux, écrivit dans le Nouvel Oldsburg un article sur la pacification de la rue, qu’il attribuait à la rigueur de la saison. Le charmant homme voyait l’humanité comme une grande floraison, changeante avec les époques du soleil. Le printemps à ses débuts épanouissait les âmes en rêve et en sentiment ; les jours caniculaires, ceux qui achèvent de leur énergie torride la maturité des moissons, faisaient, selon lui, dans la partie obscure et comme végétale de l’être, sourdre le goût du sang, des atrocités et du meurtre : les émeutes de l’été sont les plus horrifiantes. L’automne était la saison des doux plaisirs et de la vertu ; et l’hiver finissant laissait la raison et le travail maîtres sereins de l’homme. C’était l’heure idéale pour les changements d’État, pour les révolutions laborieuses, qui s’accomplissent sans inutiles cruautés ni folie. — Suivait une apologie nouvelle de Wartz que le docteur s’exaltait toujours à louer.

Et pendant que les Poméraniens lisaient cette rhétorique, l’homme d’État, qui ne se payait pas de ces hypothèses, plus méfiant, faisait insidieusement scruter la ténébreuse masse qu’est une nation, par cet homme au flair de chien qu’était Auburger. Et Auburger sut tout de suite que le soleil ou le temps gris, les rafales de janvier et les mystérieuses influences de l’hiver, n’étaient pour rien dans ce phénomène qui avait soudain glacé la foule. Il avait vite deviné là l’influence de la reine Béatrix qui, de son côté, travaillait en secret la masse populaire. L’État agonisant tentait une suprême manœuvre contre celui qui ne l’avait pas encore terrassé. Tout restait clandestin et invisible, mais, avant de disparaître du théâtre de sa gloire, la Dame en noir mettait une dernière fois en œuvre le pouvoir de sa personne même. De tels jours étaient venus, que cette Reine alla jusqu’à rappeler désespérément l’opinion par l’attrait de sa personne. On distribua dans les rues, on glissa sous les portes, on étala aux yeux de tous, une image qui la représentait assise, en robe à traîne, tenant son fils debout contre elle. Il y avait aussi des conférences royalistes, et ce qui restait de la Presse conservatrice s’épuisait en violentes attaques contre les candidats républicains. On affichait partout une proclamation de la souveraine, d’où s’exhalait un cri si douloureux, une plainte si fière, un appel si poignant à la nation, que nul ne la pouvait lire sans s’émouvoir. Mais ce qui jeta cette stupeur dans le peuple, dans le bas peuple, ce fut cette apparition de l’image, le royal prospectus qui s’imposait, prenait les regards par violence, et, après les regards, les souvenirs. On se rappelait les fêtes du sacre, le jour où l’on s’était étouffé sur le parvis de la cathédrale pour voir la plus belle Reine du monde. On se rappelait les fêtes de son mariage, celles de sa maternité, quand était né le prince héritier qui promettait une ère de paix au pays ; on se rappelait surtout son désespoir à la mort du prince consort, désespoir de reine pleurant son amour brisé, qui avait arraché des larmes à toutes les femmes de Poméranie.

Dans les ménages d’artisans, à l’heure de la soupe, l’image traînait sur la table ; on la contemplait sans rien dire, les haines s’évanouissaient devant ce beau visage. On imagina pour la première fois ce que serait la ville quand Elle n’y serait plus, et cette méditation nationale eut pour conséquence de faire demeurer ces jours-là, les gens chez eux, taciturnes et rêveurs.

L’avant-veille des élections, Wartz s’aperçut qu’à son arrivée, Auburger restait un plus que de raison à l’antichambre ; il était trop peu maître de ses impulsions pour n’aller pas, sur-le-champ, éclairer ses soupçons ; et il vit, comme il s’en doutait, qu’Hannah était là, écoutant le policier qui lui parlait bas.

Cet homme faisait métier d’être l’ami des servantes. Il avait, dans la ville, une dizaine de liaisons : cuisinières royalistes des grandes maisons de la rue Royale, femmes de chambre futées de la rue de la Nation, par la bouche desquelles s’évadaient les plus intimes secrets des intérieurs oldsburgeois. Et ce n’était pas sa moindre besogne, au milieu de tant de soucis divers, que ces amours d’arrière-cuisine, périlleux et difficiles, qu’il fallait mener avec stratégie, ménager et exploiter en même temps, en leur demandant tout le bénéfice possible. Et vraiment, il maniait le vice, le mensonge, l’hypocrisie et l’immoralité avec tant d’ampleur, il faisait si génialement ses dupes, et si grandement ee honteux commerce, qu’il se haussait à quelque chose d’héroïque dans le Mal.

Mais, dès qu’il se fut agi d’Hannah, Wartz se jura qu’il défendrait cette très noble fille contre ce coquin, et il le reçut avec plus de froideur que jamais.

Auburger, après avoir déposé, comme à l’ordinaire son lourd chapeau de feutre rond sur une chaise, dans le petit cabinet privé de Wartz, se mit à tirer de ses poches une liasse de documents : télégrammes chiffrés venus de toutes les villes poméraniennes, notes griffonnées au crayon après un rendez-vous galant, dans quelque chambre meublée de la rue du Canal, propos entendus dans les bouges du faubourg, où il allait boire toutes les nuits avec les tisseurs. Il étalait complaisamment cette moisson riche sous les yeux du Maître, caressant le papier d’un doigt satisfait, lissant les fripures, graduant les importances. Mais Samuel ne regardait que son être physique, les rondeurs béates de son crâne à demi nu sous les poils blonds, ses tempes épaisses. L’œil, doux parfois, mobile toujours, n’avait jamais une expression mauvaise, mais ce point vif dans la prunelle qui indique le goût secret des gros plaisirs. Les paupières si, sensibles, si nerveuses, sans cesse vibrantes, semblaient, avec leurs cils pâles, prendre au vol le diapason de votre pensée pour y accorder le regard. Tel qu’il était, avec cet air vulgaire et fort, et cette moustache soignée qui était son talisman d’entrée dans son monde de cœurs habituel, Samuel se demandait s’il n’était pas capable de plaire à Hannah, l’enfant du peuple, à qui sa culture n’avait pas ôté le caractère de ses goûts plébéiens. Ce fut une inquiétude nouvelle ; la déchéance de la petite servante l’aurait désolé.

— Monsieur le ministre, ce qu’il nous faudrait maintenant, dit Auburger, c’est de l’argent, beaucoup d’argent.

Wartz, d’un air méprisant, choisit dans son portefeuille un billet qu’il tendit, affectant l’indifférence au point de n’en pas demander l’usage.

Auburger se mit à rire. Il était maintenant plus à l’aise avec le ministre que le ministre ne l’était avec lui.

— Que voulez-vous que je fasse de cela ! Il m’en faut quarante, cinquante comme celui-ci.

Wartz ne répondit pas : on entendait le cri de papier raide du billet qu’Auburger secouait entre le pouce et l’index, le coude sur son genou, devant le jeune homme d’État.

— Voyons, monsieur le ministre, vous n’allez pas marchander, je pense. C’est maintenant l’heure décisive ; si nous manquions ce dernier coup, tout serait compromis, ce qui serait vraiment fâcheux, au point où nous en sommes. Les comités royalistes n’ont pas ménagé l’or ; ce qui s’est dépensé depuis trois jours en livraisons, en libelles, en gravures suggestives, est incalculable, et ce serait vous qui compteriez maintenant, quitte à sombrer au port pour une misérable question comme celle-là ?

— Que voulez-vous faire de cet argent ? demanda Wartz sans laisser paraître la moindre passion.

Auburger battit des paupières ; arrivé au point culminant de sa suggestion sur le Maître, il avait à présent à dire des choses qu’il n’avait jamais hasardées jusqu’ici, et de peur que son regard, si dominé qu’il fût, n’allât en expression plus vite que ses paroles, il le cachait.

— Mais, monsieur le ministre, je pensais que, de vous-même, vous auriez prévu cette nécessite, sans que j’eusse l’ennui de vous en parler. Vous savez que c’est après-demain le jour du vote, et, pour un vote pareil, il convient de créer de l’enthousiasme, de ne laisser rien au hasard. Nos amis des sociétés républicaines ont déjà donné beaucoup, mais dans un cas pareil, les générosités privées sont insuffisantes ; ce qu’il faut, c’est la somme officielle. Là où les hommes se réunissent d’ordinaire, là où on peut les influencer par des conversations, dans les cafés…

Wartz, qui avait écouté avec toutes les apparences du calme, se leva à ce mot en repoussant avec fracas son fauteuil, et Auburger vit venir sur lui ce pâle visage défiguré par la colère, en même temps qu’il sentit ses épaules prises comme pour une lutte.

— Oui, c’est cela, la République saoule !

Samuel parlait les dents serrées, crispant les sourcils, l’œil féroce. D’un mouvement d’humeur ou de peur, Auburger dégagea ses épaules qui glissèrent au dossier du siège, et il en vint à n’être qu’un homme rabougri, rétréci, ridiculeusement recroquevillé dans le moule de l’étroit fauteuil. Wartz était effrayant, mais le policier ne perdait point de vue son rôle ; il n’en était pas à un affront près, et il n’eut pas le moindre geste de défense qui eût tout perdu. Samuel en fut désarmé. Le premier feu de sa colère s’éteignit.

— Et ils se permettent de parler de notre œuvre ! murmura-t-il en s’écartant, les mains aux poches du veston, les épaules secouées de mépris, ils se permettent d’y travailler, d’y mettre leur main bestiale ! Et ils veulent déterminer ces choses de l’esprit, un état d’âme national, avec ces grossiers moyens de duperie ! Mais vous ne sentez donc pas… non, vous ne pouvez pas sentir, vous, de quelle essence est justement cette œuvre de Liberté, qui doit sortir sans contrainte de la conscience nationale.

— Pardonnez, monsieur le ministre, vous savez bien que je comprends tout, dit Auburger moitié penaud, moitié souriant. Vous vous figurez même à tort, je vous assure, mon incapacité de concevoir l’ordre lumineux et éthéré des choses auxquelles vous faites allusion. Vous, monsieur le ministre, vous pouvez vous cantonner dans ces hautes régions ; vous menez la masse de loin ; vous restez ainsi incorporé un peu à l’idéal que vous prêchez, et il en résulte un effet très grand, très beau. Le général, qui conduit ses hommes à la bataille, reste nuageux dans la fumée, avec de nobles gestes seulement ; mais si les sous-officiers ne s’occupaient pas de mettre de la soupe au ventre des soldats, avec du sel et autre chose qui brûle, le général pourrait gesticuler sans qu’un seul homme bouge. Vous êtes le général, monsieur le ministre, et nous, nous sommes les sous-officiers.

— Votre idée est honteuse ; dit Wartz, vous grisez le peuple pour lui arracher une approbation qui ne vaut que par sa spontanéité même ; nous bâtirons ainsi la République sur des assises déshonorées. Au surplus, c’est assez discuter ; je ne consentirai à aucune concession sur ce point, et vous pouvez vous retirer.

— Non, monsieur le ministre, pas encore, car si je m’en allais, vous seriez pris dans ce fâcheux dilemme ou de me rappeler, ce qui vous abaisserait, ou de perdre votre partie, car je suis un homme nécessaire. Gardez-moi donc et écoutez-moi. Que va-t-il se passer si nous nous laissons aller à une trop facile confiance dans cette spontanéité du peuple dont vous parlez ? Les royalistes auront le champ libre, ils feront ce que vous n’aurez pas fait. Et puis, songez-y, c’est maintenant la Reine qui est en cause ; c’est sur son nom que se livre la bataille ; si vous n’intervenez pas un dernier coup, sa réalité de femme l’emportera vite, chez ces gens simples, sur l’abstraction de la démocratie, et dans trois jours, vous la verrez consolidée sur son trône par une majorité conservatrice. Or, remarquez, vous avez bien exagéré ma pensée ; je pensais seulement à exercer une influence par des harangues ne propageant que vos propres idées, par un second tirage de votre portrait avec votre discours, qu’on répandrait sur les tables d’estaminets. Quant aux malpropretés dont vous m’attribuez le projet, elles se réduisent à quelques gouttes d’alcool dont on électrisera le sang de la masse déjà fouetté d’enthousiasme. Voilà ce que vous ne m’aviez pas donné le temps d’expliquer, monsieur le ministre.

— J’exige, reprit Wartz sans changer de ton, le détail strict de l’emploi de cet argent. (Et il se mit à préparer une liasse de billets.) J’exige qu’on ne l’emploie pas à enivrer les électeurs ; vous m’en répondez implicitement, Auburger, et si mes rapports m’indiquent que vous m’avez trompé, il pourrait se passer des choses auxquelles vous ne vous attendez guère. Veillez à ce que tout s’accomplisse selon ma volonté.

Quand Auburger fut parti avec l’argent, Hannah vint chercher son maître de la part de madame Wartz.

— Hannah, lui dit Samuel, venez ici.

Elle s’approcha du bureau, les cils palpitants, les makis troublées et tremblantes, ayant aux joues cet indice d’émoi si frappant du rouge qui pâlit, et Samuel voyait ce désarroi, cet affolement secret de la jeune fille qui aime, avec un plaisir masculin.

— Hannah, lui demanda-t-il, monsieur Auburger vous a parlé, que vous a-t-il dit ?

Sans répondre elle rougit dans sa peau de blonde jusque sous ses cheveux. Il n’insista pas, et dit avec une pointe d’humeur :

— Je vous défends, de jamais parler à monsieur Auburger. Je vous le défends, entendez-vous, en quelque occasion que ce soit.

Il disait ces choses comme un homme sûr d’être obéi au nom d’une secrète autorité sentimentale plus réelle et plus puissante qu’aucune autorité régulière, avec la volupté aussi de sentir ce cœur de femme sous sa domination. Il ajouta :

— Maintenant, dites à madame que je vais la rejoindre dans sa chambre.

Elle partit sans avoir desserré les lèvres, ses lèvres blêmies qui frémissaient. Le maître avait vu pour la première fois de cette manière ses jolis yeux, un peu ternes et tristes, qui avaient tant pleuré. Et son silence, cette dignité charmante l’avaient ému plus que tout. Il rejoignit Madeleine.

— Samuel, dit-elle, dès son entrée, je te demande pardon de prendre pour moi un peu de ton temps, mais ce ne sera pas long, je te le promets.

Elle était debout, serrée dans une robe sombre qui boutonnait au corsage sur de la soie rouge. Ses cheveux étaient très noirs, ses yeux très bleus et brillants sous l’arcade longue des sourcils, et la prunelle vacillait, comme une petite lumière sous un grand vent.

Elle mit la main sur le bras de son mari :

— Je ne peux pas souffrir d’avoir rien de dissimulé pour toi ; ce qui se passe chez toi s’entend ici… j’ai perçu tout à l’heure un bruit de querelle, j’ai tout écouté. Ainsi, Sam, tu as donné de l’argent à cet homme, pour faire boire ceux qui seront demain la voix du pays. Tu as consenti à cela ! Oh ! je ne t’aurais jamais cru capable Je mettre en œuvre de pareils moyens !

Ses yeux se fermèrent à demi ; sa bouche, ses narines se crispèrent comme si on lui avait offert à respirer quelque fleur fétide.

— Donner de l’argent ! continua-t-elle péniblement sans le regarder ; acheter l’opinion de ces gens ! Alors, que fais-tu de tes principes, du principe même de ta fière politique, qui est le respect du peuple ?

À mesure qu’elle parlait, l’expression de Wartz changeait et devenait mauvaise. À la fin, il regarda sa femme presque durement.

— Je trouve étrange que tu t’occupes de ces choses, dit-il. Jusqu’à présent, tu t’es tenue en dehors d’affaires qui ne sont pas les tiennes. À peine si tu m’as parlé de mon discours de la séance, de tout ce qui aurait dû te rendre heureuse, à ce que je pensais. Et c’est aujourd’hui que tu inaugures ce genre de conversation politique, par des paroles de blâme que je ne m’attendais certes pas à trouver dans ta bouche !

La vérité, c’est que ce flot d’amour, d’adulation, d’admiration qui le berçait depuis sa popularité, lui rendait désormais toute critique amère. Il ne pouvait manquer de faire un parallèle entre les billets passionnés de ces inconnues qui tendaient vers lui de tout leur enthousiasme aveugle, et sa femme que sa gloire avait laissée impassible, et qui se permettait de le juger maintenant. C’était un de ces torts dont un homme garde rancune. Il se sentait de silencieux assentiments dans le cœur de ces femmes qui lui avaient écrit, dans celui de tant d’autres qui n’avaient pas osé le faire. Pour ces tendres créatures, il était au-dessus de toute critique, elles approuvaient aveuglément tous ses actes. Hannah, la petite servante lucide et pensante, brûlait perpétuellement autour de sa personne l’encens mystérieux de son culte. Il avait l’âme sans cesse caressée par cet atmosphère de douceurs, et voilà que Madeleine mettait une fausse note dans cette harmonie voluptueuse, en lui reprochant sa conduite !

— Mon ami chéri, reprit-elle, soudainement attristée, et de cette voix retenue qui ne laissait passer son trop-plein de tendresse que goutte à goutte, je t’aime tant, que je veux aimer tout ce qui émane de toi, toutes les œuvres de ton génie. Je ne t’ai point parlé de ton triomphe, dis-tu ? Pourquoi l’aurais-je fait ? Je t’admire silencieusement. Je vis auprès de toi ; je contemple ce qui se passe, je vois cette chose si grande de toute une société repétrie par tes mains en quelques jours, et de tout un pays qui t’aime comme son chef moral. J’en suis plus émue et plus troublée que je ne saurais te le dire. Par quels mots traduirais-je tout cela ? Je t’offre ma discrétion, mon silence ; tu m’es témoin que je te laisse travailler sans jamais réclamer pour moi une parcelle de ton temps ; je te sacrifie les causeries que nous avions autrefois et que j’aimais tant. Les repas ne nous réunissent même plus. Me suis-je plainte ? Je comprends bien, certes, les nécessités de ton grand rôle. Ton chef de cabinet, ton secrétaire, tes collègues, tous ces messieurs te sont en ce moment cent fois plus que moi, et j’y acquiesce de tout cœur. Mais quand m’est venu ce trouble de douter — comment dirai-je ! — de ton absolue… intégrité, je n’ai pu résister, il m’a fallu m’en ouvrir à toi, qui es mon confesseur bien aimé.

Elle tomba dans ses bras, les yeux en larmes ; il sentait frémir sur sa poitrine ce jeune être délicat qui ne vibrait que de vie morale, de purs désirs de vertu. C’était à ses nerfs excités un mélange de charme et d’exaspération. Elle était infiniment belle dans cette spiritualité, mais elle lui échappait, et tous les baisers dont il la couvrait sans lui répondre n’atteignaient pas son âme.

— Il le faut, vois-tu, expliqua-t-il après, d’une manière brève, il faut sacrifier ses goûts personnels, ses tendances, si l’on veut atteindre son but. On le fait par devoir. On se révolte d’abord, puis on se résigne à ce que dans les choses humaines, il se mêle toujours quelque laideur. Ne me blâme pas, Madeleine ; j’ai agi pour des intérêts supérieurs à ce que tu crois.

Et il l’étouffait à demi sur sa poitrine. Puis, avant cinq minutes, il fut repris par sa vie officielle qui ne faisait jamais trêve, et Madeleine resta seule, déroutée, indécise, mal satisfaite par l’explication furtive d’un cas de conscience aussi lourd. À cause de cette équivoque inutile, elle ne verrait plus dans la République cet idéal pur et magnifique dont elle était si éprise autrefois. Quelle source trouble ce serait à la nouvelle existence nationale, que cette pression de l’argent exercée sur la volonté du peuple ! quel opprobre !

Et elle pensait que si Saltzen était venu, il l’aurait peut-être rassurée, non pas à la manière un peu brutale de Samuel, mais, pour amener sa conscience à ce point d’admettre ce qu’elle réprouvait, il l’aurait conduite par le dédale de ses arguments subtils au bout desquels se trouvait toujours l’évidence absolue et pacifiante, et c’étaient là des exercices d’esprit qui lui étaient délicieux. Seulement, Saltzen ne venait pas. De toute la semaine, elle ne l’avait pas vu. Rarement il avait négligé pendant tant de jours ses petites visites. Et les heures de la jeune femme s’écoulaient, désespérément longues. Elle redoutait de sortir à pied depuis que l’atroce pèlerinage à travers la ville, le jour des émeutes, l’avait tant ébranlée. Elle était allée voir son père deux fois, mais il avait à peine eu le temps de la regarder, les journalistes étant sur les dents quand le pays traverse une crise pareille. À leur entrevue, trois ou quatre rédacteurs du Nouvel Oldsburg étaient présents, et un garçon de bureau n’avait pas cessé, le temps qu’ils échangeaient quelques mots, de venir déposer des leltres ou des demandes d’ordres sur la table de travail de M. Furth. Elle était rentrée avec l’impression affreusement triste d’être une personne nulle, inutile, dont la présence embarrassait. Elle cherchait si elle ne tenait pas au moins au cœur de quelqu’un ; mais non ; même pour Samuel, elle ne comptait plus qu’à peine. L’après-midi elle recevait quelques amies, elle brodait ; dès que la nuit tombait, elle commençait d’attendre Saltzen, dont c’était l’heure favorite pour venir la voir. Les soirées solitaires s’allongeaient ainsi, comme si toutes les minutes en eussent été comptées, une à une, dans la mélancolie. Elle pensait alors beaucoup à la Reine dont personne n’osait plus parler, comme si de prononcer même son nom eût causé dans les conversations une gêne insupportable. Elle plaignait la pauvre femme, qui traversait des épreuves auprès desquelles ses imaginaires tristesses ressemblaient à un ridicule énervement.

Ce jour-là, elle était si lasse d’ennui, qu’elle prit une carte et écrivit à Saltzen :

« Mon cher Docteur, pourquoi nous délaissez-vous de la sorte ? ce n’est pas le moment de nous oublier. Pour ma part, ce qui se passe tous ces jours me met l’âme à l’envers, et j’aurais très grand besoin d’être distraite et soutenue. Venez donc nous voir bientôt, je vous attends. »

En adressant ce billet au vieil ami, elle s’exonérait de tout scrupule, par cette excuse qu’elle était censée ignorer le sentiment de Saltzen pour elle, et qu’il n’y verrait aucune signification épineuse. Puis, n’était-il pas de son devoir de l’appeler, lui qui savait, comme personne, apaiser ses troubles, et rajeunir sans cesse l’amour de leur jeune ménage ?

Elle calcula les heures ; il pouvait recevoir ce mot avant le soir ; elle allait donc le voir arriver en hâte, l’air épanoui par cette idée qu’elle l’appelait, plus confiant que jamais, égrenant les diamants de son esprit avec chacune de ses paroles, et elle dirait tout ce qui lui pesait tant sur le cœur : elle confesserait son chagrin, la faute de Samuel, ou ce qui lui semblait tel, — et il l’éclairerait en lui montrant ce qu’elle ne savait peut-être pas comprendre.

Mais encore ce jour-là elle attendit en vain. Saltzen ne vint pas. Durant la soirée seulement, il lui répondit, dans une lettre très brève, qu’il était fort retenu par la préparation de sa candidature, qu’il ne les oubliait certes pas, mais que se rendre au Ministère lui était impossible.

Madeleine stupéfaite lut et relut ces phrases froides. Était-ce vraiment un mot du vieil ami ? Il lui semblait retrouver méconnaissable, après une absence, une personne très aimée autrefois. Ainsi, quand elle lui demandait de venir, avec des paroles qui eussent dû le toucher jusqu’aux larmes, il s’excusait de cette manière, sèchement, comme on s’exempte d’un devoir ennuyeux.

« — Mais je me suis trompée, pensa-t-elle, il ne m’aime pas ! »

Et, tout de suite, elle sentit s’évanouir en elle un enchantement secret qui remplissait à son insu tout son être, et dont la ruine lui donna seulement la mesure. N’être pas aimée de ce charmant homme ! n’apporter dans sa vie qu’une agréable amitié de femme jeune et spirituelle, alors qu’elle s’était crue le rayon de son automne, sa seule joie, sa raison de vivre ! Elle se voyait tout à coup très abandonnée, elle qui avait mené l’existence la plus choyée, la plus caressée. Elle était rapetissée, humiliée, par cette politique qui prenait les hommes si souverainement et d’une manière telle, que auprès d© cette force, les tendresses de l’amour n’étaient rien.

Elle s’était trompée. Saltzen ne l’aimait pas. Elle en eut le cœur gros tout le soir, et, à peine au lit, elle pleura silencieusement sur l’oreiller qui longtemps demeura humide et froid. Quelle place tenait cette illusion dans ses pensées ! et comme elle avait le dégoût de tout, maintenant ! Ainsi, sans elle, il pouvait vivre très satisfait ; ses occupations intellectuelles le contentaient. Combien de sa part l’erreur avait été ridicule ! S’être crue aimée ! S’être crue aimée par un homme de cet âge !…

L’engourdissement du sommeil la prenait tout en larmes comme elle était. Elle se redisait en s’endormant, dans cette langueur contre laquelle le cerveau lutte péniblement : « Je me suis trompée… je me suis trompée… »