Comment se crée un Américain

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Comment se crée un Américain
Revue des Deux Mondes5e période, tome 14 (p. 644-667).
COMMENT SE CRÉE UN AMÉRICAIN


The Making of an American, an autobiography by Jacob Riis. New-York, 1902.


Pour tous ceux qui ont voyagé en Amérique, l’un des principaux sujets d’étonnement est le spectacle de la transformation des émigrans de tous pays, Allemands, Irlandais, Italiens, Russes, en citoyens de la grande République. La fournaise géante qui reçoit de jour en jour, expédiés par le vieux monde, les élémens les plus disparates a vite fait de les fondre, de les amalgamer, de les couler en un métal neuf, frappé à l’effigie indélébile de l’Américain. L’être sorti de cette fusion à laquelle rien ne résiste conserve sans doute quelques traits caractéristiques de son origine ; mais il est, bon gré mal gré, armé de pied en cap pour la vie nouvelle qui s’impose à lui dans un monde nouveau, à moins qu’il ne périsse au cours de l’opération, ce qui arrive plus souvent qu’on ne le pense. Nulle part le même phénomène ne s’est jamais produit avec cette rapidité, cette intensité : il faut, je crois, en chercher la raison dans le changement, beaucoup plus radical qu’ailleurs, du milieu, des conditions d’existence et de succès, dans la gymnastique désespérée à laquelle est contraint ce que chacun possède en soi d’énergie et de volonté. Or, par lassitude, apparemment, d’un certain dilettantisme, on est arrivé depuis peu à célébrer partout cette double qualité : force et vouloir. L’énergie est à la mode ; on n’aime, on n’estime plus qu’elle. Kipling, qui en est le professeur attitré, triomphe, traduit dans toutes les langues. Gorki, le révolté russe, rivalise sous ce rapport avec l’impérialiste anglais ; il invite chacun de nous à forger vigoureusement sa propre destinée et à trouver dans cet effort le seul plaisir réel : « Tu as devant toi une masse rouge, informe, méchante, brûlante ; la frapper du marteau est un délice. Elle jette sur toi des crachats de feu sifflans ; elle veut t’aveugler, te repousser loin d’elle ; elle est vivante, élastique. El toi, par des coups lancés avec violence tu en fais tout ce dont tu as besoin[1]. » Chez nous les héros du théâtre contemporain sont presque tous des hommes d’action ; on abuse un peu des explorateurs : un amoureux n’a de prestige que s’il est allé au pôle Nord. Et, dans le roman, M. Barrès lui-même n’a-t-il pas introduit le culte de l’énergie nationale ? Je ne parle pas de M. Paul Adam dont le nom est inséparable de la Force.

Ce livre curieux, The Making of an American, arrive donc à son heure, car je ne crois pas qu’on ait jamais peint avec plus de sincérité la lutte acharnée de l’individu contre les circonstances, et les victoires certaines que remporte la foi : foi en Dieu, qui rend possible tout ce qui est bon, foi dans l’homme, qui doit accomplir les desseins de Dieu. Seulement, malgré l’avalanche de moi et de je, inévitable dans toute autobiographie, le triomphe de l’individualisme n’est pas le but de l’auteur ; il lui suffit d’être un rouage actif parmi beaucoup d’autres, travaillant à perfectionner si peu que ce soit le sort si imparfait de l’humanité. L’Américain, à la formation duquel nous assistons, est un pionnier dans des voies toutes morales, un homme de combat, quoiqu’il n’ait jamais su manier une épée, ni seulement se tenir à cheval ; un philanthrope, qui parle sans pédantisme le langage d’un bon vivant, résolu à n’être jamais dupe. Son rang social ?… Il commença par être charpentier, devint reporter et ne voulut jamais être autre chose, quoique Théodore Roosevelt, son ami personnel, aujourd’hui Président, ait attesté que ses services à la chose publique faisaient de lui le citoyen le plus précieux (valuable) de New-York. Tout cela semblera peut-être assez bizarre, assez incongru pour piquer la curiosité des dédaigneux même qui affectent de mépriser toute œuvre qu’on ne puisse appeler œuvre d’art ; car, sauf l’humour, les qualités d’art manquent, il faut en convenir, à cette autobiographie écrite au courant de la plume. Encore l’humour est-il ici moins une qualité littéraire qu’un trait de tempérament, humour un peu gros, un peu lourd, s’il est en revanche franc et communicatif. Cette qualité prédestinait l’émigrant danois à devenir américain. Elle lui permet d’exercer sur un auditoire quel qu’il soit, tour à tour ému ou égayé par sa parole vibrante et familière, une influence que je subis tout d’abord lorsque je le rencontrai à Boston, il y a de cela une dizaine d’années.

C’était chez Mrs Lincoln, cette femme de bien qui s’est consacrée, avec son mari, à résoudre le problème du tenement house, des logemens d’ouvriers. On ne connaît toute l’horreur du garni qu’après avoir visité les slums des pays anglo-saxons, dont nos faubourgs les plus misérables donnent une bien faible idée. Ce soir-là, nous entendîmes à leur sujet des révélations horribles. Le grand attrait de la réunion était une conférence par M. Jacob Riis. Il parla de l’influence d’un pareil milieu sur l’enfant pauvre, nous remuant jusqu’aux entrailles par la peinture frémissante de choses vues, vécues même. Etait-il éloquent ? Je ne sais ; mais rien ne me parut manquer à la vigoureuse dénonciation de crimes qu’il attribuait pour la plupart à l’incurie des honnêtes gens, ni l’accent de vérité, ni une pitié robuste sans mièvrerie. Je demandai quel était cet homme ? On me répondit qu’il était reporter de la police pour un des grands journaux de New-York et, pénétrée de préjugés français qui avaient eu l’occasion de croître en Amérique, je trouvai cette situation assez incompatible avec le respect qu’il inspirait. Son accent peu agréable me parut être allemand ; il employait volontiers l’argot, et sa tête massive enfoncée dans les épaules, son visage large coupé d’une moustache roussâtre, ne lui donnaient certes pas ce que le vulgaire appelle l’air distingué ; mais le front était intelligent, les yeux très perspicaces derrière les verres du pince-nez qu’il ne quitte jamais ; toute sa personne exprimait un mélange de bonhomie et d’autorité. J’en fus frappée. Cependant les occasions de voir et d’entendre des choses nouvelles se multipliaient pour moi au cours de ce voyage, et je ne pensai pas longtemps à lui.

Depuis lors le nom de Jacob Riis m’apparut plus d’une fois au bas de pages très vivantes, très persuasives, consacrées à combattre le vice et la misère ; mais mon ancienne curiosité ne se réveilla complètement qu’en rencontrant dans The Outlook[2] le premier chapitre de l’autobiographie : Comment se forge un Américain. Elle se réveilla d’autant plus vive que l’histoire de ce personnage, dont les travaux ont eu quelques rapports avec ceux d’Hercule nettoyant les écuries d’Augias, débutait par la plus fraîche de toutes les idylles.


I

Nous sommes à Ribe, une vieille ville de la côte septentrionale du Danemark qui ne garde de son importance évanouie que l’ancienne cathédrale, devenue depuis longtemps la Domkirche luthérienne. Ribe dort à plat sur l’herbe qui se déroule sans un pli jusqu’aux dunes de sable. La rivière Nils, tout près de son embouchure, y coule sous un pont léger, arrondi en deux bosses comme celles d’un dromadaire, pour laisser place aux bateaux. Et, sur ce pont, Jacob Riis, âgé de quatorze ans, passe en manches de chemise, sa veste repliée sur le bras ; il revient pour le repas de midi de l’atelier où il est apprenti, au moment même où rentre de l’école, joliment pomponnée, la demoiselle du château, comme on appelle l’usine de son oncle, le seul centre de richesse, de progrès et d’entreprise qu’il y ait à Ribe.

Les deux enfans sont camarades, car, dans ce pays aux mœurs patriarcales, les classes, bien qu’assez rigoureusement marquées, frayent volontiers ensemble ; d’ailleurs le père de l’apprenti charpentier, étant le principal professeur de l’école de latin, serait, en qualité de notabilité officielle, placé, selon les idées locales, au-dessus de l’industriel et du commerçant. Filles et garçons se rencontrent aux leçons de danse ou ailleurs, et cependant Jacob croit voir Elisabeth pour la première fois. L’air qu’il est en train de siffler s’arrête sur ses lèvres et il a désormais un but déterminé dans la vie, qui date pour lui du moment précis où il est tombé amoureux. Cette première émotion du cœur, alliée chez lui à l’éveil de la volonté, est notée avec beaucoup de charme. C’est un gamin qui a posé le pied sur la première arche du pont, c’est un homme qui passe de la seconde arche au petit sentier herbu resté le même aujourd’hui dans sa mémoire qu’il y a quarante ans et où régnera pour lui un printemps éternel.

En suivant ce sentier, il arrive chez son père, à qui quatorze fils, que le brave homme a pour la plupart décorés de noms latins, donnent assez peu de satisfaction, aucun d’eux ne se montrant disposé à suivre les carrières administratives ou littéraires. Jacob, pour sa part, préfère devenir charpentier. En cette qualité, il aide à construire la superbe fabrique de l’oncle, du père adoptif d’Elisabeth, ce qui n’est pas le plus sûr moyen d’obtenir la main de la jeune fille.

La passion du petit charpentier pour la demoiselle du château ne tarda pas à devenir la fable de la ville. Expansif et turbulent, Jacob se rendit coupable de tant d’extravagances que ceux qui s’étaient d’abord amusés de son roman commencèrent à le taxer de scandaleux. Aussitôt qu’il eut quinze ans, ses parens s’empressèrent de l’envoyer achever son apprentissage à Copenhague. Il revint, ayant en poche son diplôme de la guilde des charpentiers, et persuadé dans sa simplicité qu’il pouvait dès lors atteindre à tout. Vingt-quatre heures après, tout le monde savait à Ribe qu’il avait eu l’audace de demander la main d’Elisabeth et qu’on l’avait éconduit. Son douloureux désappointement n’eut rien de commun avec le désespoir. Il se dit que, pour fléchir la famille de sa bien-aimée, il suffirait de devenir riche. Une vision de l’Amérique traversa son cerveau, un pays jeune et libre où les préjugés de caste n’existent pas, où de grosses fortunes se font en un clin d’œil. Ces idées plus ou moins justes lui avaient été communiquées par un mineur californien revenu au pays sans le sou. Son père, tout en le blâmant très fort, le laissa partir, jugeant qu’il lui fallait perdre sur les grands chemins du monde quelques illusions ; mais il n’avait pas d’argent à lui donner, et Jacob possédait tout juste de quoi payer la traversée. Les voisins, en se cotisant, remirent deux cents francs environ à ce pauvre insensé dont les ambitions avaient un instant troublé la paix stagnante d’une ville morte ; et voilà que tout à coup un heureux présage vint réconforter Jacob. A la Domkirche, où, la veille de son embarquement, il allait, pour mettre le ciel de son côté, recevoir la communion, le hasard fit qu’une jeune fille s’agenouilla auprès de lui sans le voir et que cette jeune fille fut Elisabeth. Il emporta dans son cœur, comme un talisman, le souvenir de cette dernière rencontre silencieuse au pied de l’autel où, quelques années plus tard, en dépit des circonstances, il devait conduire sa fiancée.

Mais, auparavant, combien de déboires ! Il avait cru qu’en Amérique, avec deux bras solides, on se rendait toujours maître de la situation. Et, au contraire, dès le débarquement, il se sentit isolé, désemparé comme il ne supposait pas qu’un homme pût l’être. Ce fut cette première expérience qui lui suggéra par la suite deux excellentes propositions pour l’amélioration du sort de l’émigrant : 1° des œuvres paroissiales vraiment actives et efficaces, se substituant à l’intervention d’une police sans âme qui a bien assez à faire de réprimer le crime sans s’occuper, en outre, de ce qui ne la regarde pas, la bienfaisance ; 2° un enrôlement annuel, qui fasse sentir à l’étranger de la veille qu’il appartient à son nouveau pays. Rien de commun avec la conscription, mais un enrôlement sous quelque prétexte que ce soit. L’appel au vote arrive trop tard ; dans l’intervalle, l’émigrant peut être devenu presque inconsciemment un vaurien. Combien Jacob Riis eût-il été heureux de trouver, en mettant le pied sur le sol d’Amérique, les points d’appui qui, grâce à l’action charitable dont il est l’un des promoteurs, existent de plus en plus ! Hélas ! les deux seules personnes pour lesquelles on lui eût procuré des lettres de recommandation étaient absentes, voyageaient en Europe. Se rappelant alors les conseils un peu surannés du mineur californien, il consacra la moitié de son capital à l’acquisition d’un revolver, qu’il se mit à porter ostensiblement pour plus de sûreté. Un agent de police prit la peine de lui expliquer, en le désarmant, qu’il n’y avait pas de sauvages dans les rues et que New-York n’a rien de commun avec le grand Ouest. Dans cette ville, en effet, il ne courut d’autre danger que celui de mourir de faim ; ce fut assez pour l’en chasser très vite.

Une escouade d’ouvriers se trouvait engagée pour l’exploitation de mines de charbon sur la rivière d’Alleghany. Résolument il se joignit à elle. Les hommes partirent ensemble, leurs places payées, mais deux seulement atteignirent les mines ; les autres désertèrent. Les deux honnêtes garçons qui croyaient à la valeur d’un contrat étaient Jacob et un ancien officier prussien. La fatalité donna ainsi pour camarade au loyal Danois l’ennemi héréditaire, un instrument de cette annexion inique du Schleswig qui excitait ses instincts belliqueux lorsqu’il était encore sur les bancs de l’école ! Mais les deux adversaires avaient fait la traversée sur le même mauvais bateau, secoués par les mêmes tempêtes. Leurs velléités de vengeance étaient remises à plus tard, et dans les défrichemens ils s’entr’aidèrent.

La nature indomptée, ces interminables forêts couvrant des montagnes que l’on escalade pour découvrir au-delà d’autres montagnes plus hautes, semblèrent étranges et tristes au pauvre enfant de Ribe, qui avait toujours vu le soleil se lever et se coucher sur une plaine unie, plus basse que la mer. Le mal du pays le dévorait. Soudain éclata comme une bombe la nouvelle d’une déclaration de guerre entre la France et la Prusse. Tout son être tressaillit. Quelle occasion de tirer vengeance du rapt odieux de 1864, de se rapprocher en même temps d’Elisabeth, de se couvrir de gloire et de vaincre ainsi la résistance de l’impitoyable « château ! » Malgré les adjurations du Prussien, prompt à l’avertir que ses compatriotes ne feraient de lui qu’une bouchée, Jacob Riis vendit ses outils pour grossir un maigre pécule et arriva tout feu tout flamme à New-York, où il savait trouver beaucoup de Français ; mais ceux-ci le reçurent sans aucun enthousiasme, tout au contraire, et le consul de Danemark ne put qu’enregistrer sa demande d’être rapatrié dans l’armée danoise en cas de guerre. Seul un vieux prêtre catholique, le Père Breton, favorisa des démarches restées d’ailleurs infructueuses. Et ce fut aussi dans un collège catholique, celui de Fordharn, dirigé par des religieux, que le chemineau rompu de fatigue reçut en ces jours de détresse une hospitalité passagère très cordiale. Jamais il n’avait encore vu de moines ; ses préjugés luthériens tombèrent du coup, et il ne manque aucune occasion, tout protestant qu’il soit resté, de rendre justice à l’Eglise romaine, à sa tendre charité.

La bénédiction que Mgr Gibbons donna par la suite au plaidoyer de Jacob Riis en faveur de l’enfance abandonnée compte parmi les trophées dont il est fier. Mais l’émigrant est bien loin du temps où les plus illustres personnalités philanthropiques deviendront de ses amis. Il a faim, et il se sent méconnu. Ayant vu dans un grand journal, The Sun, un paragraphe qui annonçait le départ pour France d’un régiment de volontaires, il se présente au bureau du directeur, qui ne peut s’empêcher de rire de son accoutrement : des bottes de mineur et un sarrau de toile malpropre. Sa requête paraît plus étonnante encore. Quoi ? Comment ? Que lui demande-t-on ? Jamais il n’a entendu parler de cette allaire de recrutement !

— Mais elle était exposée tout au long dans votre journal !

— Bah ! répliqua le directeur, qui n’était autre que le fameux Charles Dana. Est-ce que nous savons toujours ce qu’il y a dans nos journaux ?…

Puis, brusquement :

— Avez-vous seulement déjeuné ?… Et, portant la main à sa poche :

— Allez, mon garçon, et, croyez-moi, renoncez à la guerre.

— Je suis venu m’enrôler, non pas demander l’aumône, répondit le Spartiate en se retirant la tête haute et l’estomac vide.

Là-dessus, il alla emprunter quelques sous sur ses bottes de mineur.

Le pain qu’il mangea pendant des semaines, des mois, des années fut chèrement gagné, tantôt dans une briqueterie où les ouvriers irlandais, toujours ivres, ne pouvaient souffrir aucun compagnon qui ne fût pas de leur race ; tantôt dans un chantier, d’où sa vocation de redresseur de torts le fit expulser ; chez un marchand de meubles, qui l’engagea pour fabriquer des berceaux à douze francs la douzaine. Exploité partout à outrance, dans cette grande ville de New-York où tout le monde, sauf lui-même, entendait les affaires, Jacob préféra d’autres risques à ce genre de brigandage organisé. L’hiver le trouva bûcheron au bord des grands lacs du Nord, au milieu d’une petite colonie d’honnêtes Scandinaves dont il réparait les bateaux ou qu’il aidait à récolter de la glace sur le lac. Trappeur et chasseur, il était conférencier à ses momens perdus, expliquant tant bien que mal à un rustique auditoire la formation du monde d’après un ouvrage de Louis Figuier. Ce n’était pas ainsi qu’il pouvait faire fortune. Il essaya de tous les métiers qui se présentent dans un pays où fourmillent les lignes de chemin de fer en construction. Une fois, il faillit prendre un certain brevet d’invention, qu’on lui vola ; mais il ne se plaint de rien, se moquant plutôt de lui-même et de ses premiers tâtonnemens. Les pires mésaventures sont enregistrées sans aucune amertume. Au fond, il compte tôt ou tard trouver le moyen de devenir un parti sortable pour Elisabeth, et, à ce sujet, il a un mot bien caractéristique : — « Etait-ce folie de ma part ? Point du tout, c’était une conviction forte, la conviction qui façonne à sa guise les événemens et qui finit par en avoir raison. Que tous les amoureux évincés essayent de ma recette ! S’ils n’en ont pas le courage, c’est la meilleure preuve qu’on a bien fait de les repousser… »

A Buffalo, la pensée lui vint brusquement qu’il saurait tout comme un autre être journaliste. D’après ses idées, un journaliste serait l’être au monde qui peut le mieux faire la guerre au mal, mission tentante pour qui est, connue Jacob à cette époque, capable de tout souffrir, sauf qu’on ne soit pas chrétien. Son intolérance religieuse lui avait valu plus d’une querelle.

« Je me glissai dans le premier bureau venu ; un homme était assis devant un pot de colle, une paire de ciseaux à la main.

— Que demandez-vous ?

— De l’ouvrage.

— De l’ouvrage ? — Et il m’écarta d’un grand geste de ses ciseaux. — On ne travaille pas ici, c’est un bureau de journal ! »

Ailleurs le directeur l’interpelle : — Qu’êtes-vous ?

— Charpentier. Assez naturellement l’autre éclate de rire et le met à la porte. Cette porte, Riis la rouvre pour lui montrer le poing.

— Vous riez… vous riez aujourd’hui ; mais attendez un peu !

On eut tout le temps d’attendre. Après avoir fait des corvées de mainte nature, il devint, faute de mieux, commis voyageur ; mais son incompétence en matière de chiffres lui valut d’être toujours plumé.

Une mauvaise fièvre le retenait dans une auberge de grand chemin, quand il apprit le mariage prochain d’Elisabeth. Elle allait épouser un officier muni de beaux états de service et des talens du monde, plus âgé qu’elle d’un certain nombre d’années, ce qui grandissait son prestige aux yeux de la fiancée passionnément éprise.

Alors, pour la première et pour la seule fois de sa vie, Jacob Riis souhaita de mourir ; mais on ne meurt pas d’amour à vingt-quatre ans. On en vit, quelque souffrance qu’il vous apporte. Jacob se releva de son grabat en songeant que le mariage ne devait avoir lieu que l’été suivant. Quelque chose pouvait encore survenir !

Ce qui survint pour lui fut la misère noire. Il avait regagné New-York à pied par étapes, faisant le long du chemin un peu de colportage. Ses derniers dollars furent dépensés pour un surnumérariat au télégraphe qui ne lui procura pas d’emploi. Cependant le directeur de l’école télégraphique, l’ayant pris en estime, vint lui dire sous le porche, dont il faisait son domicile provisoire, que l’Association des journaux de New-York cherchait un reporter actif, à dix dollars par semaine pour commencer.

Ce jour-là, un jour de neige, Jacob Riis tomba évanoui, presque mort de faim, sur l’escalier de la pension où il allait retenir un gîte. Le plus dur cependant était passé. Il avait trouvé sa voie. Depuis vingt-sept ans, il y marche d’un pas délibéré. Mais ces trois premières années eussent anéanti une organisation moins vaillante. Ceux qui rêvent d’aller chercher aventure au Nouveau Monde feront bien d’en lire le récit décourageant pour les mauvais sujets qui s’expatrient. Quelle liste affreuse de suicides, de cas de folie, de chutes irrémédiables dans l’ivrognerie nous est donnée ! Jacob Riis apprit dès lors à plaindre ceux qui s’abandonnent eux-mêmes, faute d’une main amie tendue vers eux au bon moment. Son désir ardent de venir en aide est sorti de l’espèce de remords qu’il éprouva d’avoir, étant sans ressources, laissé d’autres pauvres diables flotter à la dérive.


II

Le sens que nous attachons au mot de « reportage » ne nous permet de comprendre que très difficilement qu’on puisse en faire l’équivalent d’apostolat. Ce fut ainsi pourtant que le comprit Jacob Riis. Il avait été tout près de s’attacher à l’Eglise, de semer du haut de la chaire la bonne parole ; mais le frère Simmons, un ardent prédicateur méthodiste dont il subissait l’influence, l’en empêcha :

— Non, mon ami, nous avons bien assez de sermons ; ce qu’il faut au monde, ce sont des plumes consacrées.

Et le reporter consacra la sienne, si humble que pût être l’usage qu’il en faisait, au Dieu des batailles. Son lot était de reproduire les faits divers qui surviennent de dix heures du matin à deux heures de la nuit dans un quartier excentrique. L’exactitude et l’abondance des détails, un certain tour humoristique qui captivait l’attention, valurent bientôt au débutant des éloges, qui s’appliquaient plutôt, il le reconnaît modestement, à la quantité qu’à la qualité de l’ouvrage. Peu après, il acheta, à vil prix, la propriété d’une grande feuille hebdomadaire complètement tombée, qu’il releva par son industrie. Il la dirigeait et l’écrivait entièrement, à lui tout seul ; les articles de fond, les variétés, les annonces, tout y était de la même main. Il allait chercher l’édition à l’imprimerie, la rapportait sur ses épaules, happait les marchands au collet, et manœuvra si habilement que bientôt les politiciens vinrent courtiser ce journal indépendant qui se vendait de plus en plus. Les moyens courans de séduction furent employés envers lui, à l’heure des luttes électorales ; mais c’était le goût de Jacob de s’en tenir à d’autres combats. Il voulait réformer le monde. L’épicier du coin, par exemple, se plaignait-il d’être ruiné par les mauvaises payes qui l’obligeaient à voler d’honnêtes gens pour rétablir l’équilibre, il s’emparait du cas, exposait les faits, promettait de nommer en toutes lettres les débiteurs récalcitrans, s’ils ne venaient à résipiscence, les nommait en effet avec le chiffre de leurs dettes. A quel résultat arrivait-il ? A se faire nombre d’ennemis, parmi lesquels figurait l’épicier lui-même, ce qui n’empêchait pas le tirage de monter, rien n’intéressant les gens autant que la divulgation des secrets du voisin. Riis, chevalier de toutes les causes justes, s’attira des injures, des menaces, des attaques armées, mais il était de force à se défendre. Cette vie de pugilat finit par l’ennuyer pourtant ; il vendit sa gazette populaire cinq fois plus cher qu’il ne l’avait achetée et s’en alla faire un tour en Europe. Pour cela, il avait ses raisons, des événemens de la plus haute importance, à son gré, s’étant passés à Ribe.

Elisabeth, après tout, n’était pas mariée. Le fiancé, si brillant, devait mourir d’une maladie de poitrine. Les médecins l’avaient envoyé passer l’hiver à Montreux, avec défense absolue de revenir en Danemark. Et alors Elisabeth, quittant ses parens, qui s’opposaient au mariage avec un incurable, avait cherché refuge auprès de la famille de celui qu’elle aimait. Jusqu’à la fin, elle le soigna comme l’eût fait une épouse. Maintenant, brouillée avec les siens, elle cachait son deuil dans une maison étrangère, où elle était institutrice.

Un esprit soupçonneux et jaloux eût peut-être vu en tout cela bien des raisons d’hésiter devant la démarche que Jacob, au contraire, fit sans perdre une minute. Une fois de plus il offrit à Elisabeth de partager sa vie, et la réponse arriva, la réponse qu’il avait attendue six longues aimées.

Elle lui disait : — « Nous nous efforcerons de faire du bien ensemble. » — Et elle a tenu parole.

La ville de Ribe vit revenir son enfant prodigue, heureux et triomphant ; le professeur Riis eut la joie d’apprendre qu’un de ses fils au moins s’était mis à écrire. La demande du fidèle Jacob réconcilia les orgueilleux parens d’Elisabeth avec leur nièce ; les portes du « château » s’ouvrirent enfin à l’ancien apprenti charpentier ; le mariage eut lieu dans la vieille cathédrale et après des scènes touchantes dignes d’un roman de Frédérika Bremer, le jeune couple partit pour l’Amérique, où Jacob ne pouvait encore assurer à sa femme qu’une vie passablement précaire. Mais l’exemple de leur modeste intérieur fut l’illustration vivante de la croisade qu’il allait prêcher « pour le foyer contre la pension. » On sait que, dans les grandes villes d’Amérique, les gens qui n’ont que peu d’argent se passent souvent du home ; ils logent dans des chambres meublées, sans intimité possible, prenant leurs repas à table d’hôte et supprimant ainsi le problème du service.

— A bas la pension ! Vive le foyer ! cria Jacob. Pour accomplir sa destinée, notre nation doit retourner à la vie domestique !

Et il démontra que la gloire d’une jeune femme est de s’occuper de son intérieur : il fit gaîment l’éloge d’un rôti, qui, fût-il brûlé, est préparé par des mains blanches et mangé en tête à tête par deux amoureux. Le public applaudit, les politiciens avec lui ; mais le désir même qu’avaient ceux-ci de s’approprier l’humeur militante de Jacob Riis, les moyens qu’ils employaient pour cela, l’éloignèrent un instant de la presse proprement dite. Il se réduisit aux annonces et donna un élan nouveau à ce genre de publicité. On le vit, par les rues et dans les campagnes, promener une sorte de lanterne magique énorme et mêler à des images-réclames de nombreuses projections artistiques, paysages, figures et monumens. Ce spectacle, tout instructif qu’il fût, n’était certainement pas du genre le plus relevé. Jacob professe l’idée américaine : peu importe ce que fait un homme, pourvu qu’il le fasse bien et honnêtement. Rien de plus curieux que le récit des représentations qui eurent lieu en Pensylvanie durant la sinistre année 1877, où le feu éclata, où le sang coula à la suite de grèves que l’annoncier ambulant combattait de son mieux dans l’intérêt commun des ouvriers et des patrons, tout en se trouvant forcé plus d’une fois de jouer des jambes devant la fusillade qui dispersait rudement les fauteurs de désordre. La lanterne magique le rendit enfin à un grand journal, la Tribune.

Il montait en grade. Ceux-là mêmes qui ne savent pas que la Tribune de New-York fut longtemps, de l’avis des meilleurs juges, l’une des forces vives de la nation, se font d’elle une haute idée par le seul aspect de ses étages, lorsqu’on leur montre, au milieu du groupement d’orgueilleux édifices à dômes, à clochers, à horloges qui représentent dans Park How le journalisme américain, cette imposante façade de brique rouge et cette tour de 285 pieds de haut. Une statue de son fameux fondateur, Horace Greely, en garde la porte. A en juger du dehors, le directeur de ce journal doit être un homme important. Voici pourtant de quelle façon le traita Jacob Riis peu de temps après son accès à de nouvelles fonctions. Courant un soir, hors d’haleine, à l’imprimerie par un vent comme il n’en souffle qu’à New-York, il heurte, dans sa précipitation, un individu qui va rouler dans un tas de neige, et, à la voix de l’homme justement en colère, reconnaît son directeur ! Des excuses balbutiées s’ensuivent :

— Il fallait à tout prix rattraper l’édition du soir…

— Vraiment ! Et courez-vous toujours ainsi quand vous êtes porteur d’une nouvelle ?

— S’il est tard, oui, sans doute. Comment ma copie passerait-elle ?…

Le lendemain il fut appelé, pour recevoir son congé, pensait-il. Mais non, il ne s’agissait pas de cela. Il y avait une place vacante au quartier général de la police, Mulberry Street. On l’y envoyait, avancement inespéré. Là il pourrait être brutal, courir et renverser les gens à son aise.

Jacob Riis ne connaissait Mulberry Street que de réputation, et cette réputation était redoutable. Il s’agissait pour le reporter de la Tribune d’y lutter sur un terrain difficile et dangereux contre les représentans de tous les journaux, également aux aguets. Ils étaient douze contre un, et c’était une vieille querelle menée avec un acharnement légendaire. Quel était son genre de travail ? Comment trouva-t-il, en s’y livrant, le point de départ de deux livres qui remuèrent en Amérique les consciences et les cœurs : L’Autre Moitié et Dix Ans de guerre ? Voici :

Le reporter de police est celui qui recueille et rédige toutes les nouvelles de meurtres, d’incendies, de crimes quelconques, avant que les tribunaux n’en soient saisis. Il a son bureau dans Mulberry Street en face de la station centrale de la police, d’où il reçoit la première nouvelle de l’événement, quand il la reçoit, car la police prétend que le reportage contrarie la justice, c’est-à-dire qu’elle n’aime pas à être convaincue d’avoir laissé échapper un malfaiteur. Le reporter qui arrive à découvrir ce que la politique spéciale de la police croit avoir intérêt à lui cacher gagne la partie contre tous ses confrères.

Jacob Riis passa bientôt pour le meilleur reporter de Mulberry Street. Il n’a jamais ambitionné d’autre titre, mais il tient fort à celui-là. De sa part, ce n’est pas simple vanité professionnelle ; il croit à la vertu de sa vocation, car les détracteurs du reportage ont beau dire, ils cherchent avant tout dans le journal du matin le fait sensationnel qu’ils affectent de mépriser. C’est donc à des milliers de curieux que s’adresse cet article. Le grand drame humain se joue sans relâche. Dans la coulisse, le reporter voit de plus près que personne le tumulte des passions, et assez fréquemment il peut relever au milieu de beaucoup de mal un trait d’héroïsme ou de vertu qui rachète tout le reste. Son devoir est de représenter les choses de manière à en faire ressortir l’élément humain, sans se borner à mettre en lumière l’infamie commise ou le sang répandu.

S’il fait cela, il aura rendu un service signalé, son histoire de meurtre parlera plus éloquemment à des consciences innombrables que ne le fait dans un cercle restreint tel sermon prêché le dimanche. Ainsi raisonne Jacob Riis. A New-York, ce gouffre cosmopolite où viennent échouer des débris hétérogènes arrachés à toutes les nations, le drame est plus varié qu’ailleurs ; et Riis possède à un degré rare l’esprit d’observation et de déduction. Dieu sait tout ce qu’il enregistra dans ses tournées ! Jamais il ne rentrait chez lui qu’à l’aube. Sa femme tremblait en songeant que tous les jours, de deux à quatre heures du matin, il traversait les pires quartiers de New-York, toute la longueur de Mulberry Street, les Cinq Points, — ainsi nommés parce qu’ils forment l’intersection de cinq rues plus mal famées les unes que les autres, — et, surtout, mêlant ses immondices à celles de la ville chinoise, le fameux Bend, la Courbe. Les Italiens qui l’avaient adoptée, côte à côte avec la bande Whyo, blottie dans l’ignoble allée de la Bouteille, ne cessaient de s’y battre à coups de couteau, chaque village (ils sont groupés ordinairement par villages sous l’invocation d’un saint patron) cachant avec soin et défendant coûte que coûte ses meurtriers. « À cette heure, dit Riis, je voyais le slum au naturel ; il n’était pas sur ses gardes, car l’instinct de la pose est aussi fort dans le slum que sur la Cinquième avenue. Partout chacun aspire à produire de l’effet, mais, à cinq heures du matin, le vernis est tombé. »

En explorant cet enfer, au péril de sa vie, Riis se jura d’aider à le faire disparaître. Pour cela il importait, pensait-il, de dire la vérité. Tout le mal vient, lorsqu’on y songe, de ce que le monde ne sait pas et n’a aucun moyen de savoir. Il faut donc l’avertir de force, le secouer, l’arracher à son indifférence. Tous les moyens étaient bons au reporter de la Tribune pour arriver à surprendre une piste. Il avoue qu’au moment du bruit suscité à New-York par un certain vol de cadavre, il fit en sorte de se glisser, à la faveur de l’obscurité, dans la voiture même qui emportait, avec deux officiers de police, tel juge connu pour avoir offert un million au nom de la veuve à celui qui rapporterait le corps de son mari. « Il est vrai, ajoute-t-il, que peu d’instans après, j’étais poliment appréhendé au collet et déposé sur le trottoir sans qu’un seul mot eût été prononcé. »

Une autre fois, il entra par la fenêtre dans la maison d’un clergyman qu’il tenait à interviewer au sujet d’une personne démente qui se disait sa femme.

— Miséricorde ! s’écria le clergyman sans se troubler, car les indiscrétions de l’interview ont cessé depuis longtemps d’étonner personne. — Un individu que je ne connais pas entre par ma fenêtre pour m’interroger, moi célibataire, sur ma femme qui a perdu la raison ! Que va-t-il m’arriver ensuite ?

C’était le temps héroïque du reportage, le temps du vol de quinze millions à la banque de Manhattan et d’un certain enlèvement d’enfant qui mit New-York sens dessus dessous.

Pour amasser les matériaux de ses articles, Riis explorait des repaires où tous les genres de déchus dorment dans la fange. Il faisait ses expéditions quelquefois accompagné d’un agent, plus souvent seul, en profitant pour cela de l’opinion générale qui voulait que cet homme à lunettes fût un médecin attaché au service de la salubrité publique. Le temps vint où non seulement il prit des notes écrites, mais, pour mieux appuyer son dire, l’illustra de photographies.

Une découverte récente avait été faite, qui permettait de photographier la nuit à la lueur d’un éclair. Cet éclair, on l’obtenait en brûlant une cartouche, et il est facile de concevoir l’émotion répandue par les nocturnes visiteurs qui, en tirant des coups répétés de revolver, envahissaient d’affreux taudis dont les hôtes terrifiés, d’autant plus qu’ils n’étaient pas sans reproche, s’échappaient très souvent par les fenêtres.

Il prouva ainsi au comité d’hygiène que, dans certains cas, le local qui n’aurait dû loger que quatre ou cinq dormeurs, à cinq sous la place, en contenait quinze ; il démontra de même, au début d’une épidémie de typhus, que le mal avait les meilleures raisons de se développer dans les logemens de police, seuls asiles ouverts aux errans de tout âge, de jeunes garçons y étant confondus avec les vieux endurcis. La photographie fut toujours pour lui le plus utile auxiliaire. Ne prétendait-on pas que les enfans employés dans les fabriques avaient tous quatorze ans révolus ? Il alla simplement les relancer à l’atelier, son appareil sous le bras, leur fit ouvrir la bouche et photographia leurs mâchoires. Les dents canines n’étaient pas poussées. Donc ils avaient moins de douze ans. De même pour les écoles ; las d’entendre toujours exalter les écoles de New-York comme les meilleures du monde entier, il démontra, photographies et statistiques en main, que beaucoup d’entre elles n’avaient pas de cour de récréation et manquaient d’air autant que d’espace. Les enfans y étaient honteusement empilés, bien que 50 000 d’entre eux, faute de place, restassent à rôder dans les rues, où il ne leur est pas permis de jouer à la balle sans être poursuivis par la police. Il y eut même le cas d’un policeman tirant sur ce pauvre petit gibier du ruisseau, car la police municipale de New-York, si elle est ordinairement vigilante, ce que lui permet l’importance de ses cadres où 3 650 hommes sont inscrits, est aussi très brutale. Il est vrai qu’elle a sur les bras une rude besogne ; mais Théodore Roosevelt fut le premier à lui apprendre qu’en matière de sûreté la fin ne justifie pas tous les moyens sans exception. Jacoh Riis a dénoncé plus d’une fois la police, malgré sa camaraderie avec elle. Il flagelle aussi les églises, à l’occasion, pour transformer en zèle charitable leur tiédeur pharisaïque à l’égard du prochain. N’oublient-elles pas trop souvent que, tout en marchant séparées, selon la confession de chacune, elles sont tenues de combattre ensemble ? N’oublient-elles pas, n’oublions-nous pas tous « que le Seigneur ne dit jamais à Pierre ou à tout autre subalterne : — Va-t’en toucher là-bas ce lépreux à ma place et tu seras payé ? — Non pas, il le touchait lui-même[3]. »

Ni ami ni ennemi n’est à l’abri des coups de Jacob Riis : la vérité seule lui importe ; il tirerait sur ses propres troupes, s’il lui semblait juste de le faire.

Oui, la police américaine est brutale. Si cela est vrai, pourquoi le cacher ? le soir de l’incendie du temple maçonnique, Riis vit un agent frapper de son bâton, en l’injuriant, le général Grant lui-même, qui, sans se faire reconnaître et trop bien enveloppé d’un manteau d’où n’émergeait qu’un bout de cigare, s’était engagé dans une rue barrée. Grant tourna les talons et ne réclama pas. Après tout, la sentinelle s’était acquittée de sa consigne, mais le coup de bâton était de trop.

Plus tard, en Angleterre, visitant, dans les bas quartiers de Londres, des bouges qui ne valent guère mieux que ceux de New-York, Riis s’étonna que la police n’intervînt pas davantage.

L’agent qui le conduisait répondit que ces individus étaient en somme chez eux, et parut stupéfait lorsqu’il apprit qu’en Amérique la police entre partout, fût-ce au milieu de la nuit ; qu’elle jette dehors ceux qui s’obstinent à coucher dans des caves ; et qu’on en ferme la porte à clef derrière eux pour les empêcher de rentrer. Encore Riis ne lui parla-t-il pas des coups de revolver tirés impunément dans l’oreille des dormeurs, sous prétexte de photographie.

— Je croyais que votre pays était un pays libre, dit l’agent.

Ce mot a dû être prononcé bien souvent par les pauvres diables d’émigrans persuadés qu’en touchant le sol de la grande République ils seront autorisés à toutes les licences.


III

L’avènement de M. Théodore Roosevelt au poste de président de la police inaugura ce que Jacob Riis appelle l’âge d’or de Mulberry Street : le triomphe de la force morale et d’une discipline fondée sur le devoir. M. Roosevelt prétendait tout vérifier par lui-même et appliquer énergiquement de prompts remèdes. La lecture de ce livre poignant : Comment vit l’autre moitié lui avait donné la très juste idée que, dans les cercles de l’enfer, où s’exerçait momentanément son pouvoir, il ne pouvait avoir de meilleur guide que Jacob Riis. Avec lui il entreprit pendant deux ans ces fameuses rondes de nuit qui le firent surnommer Haroun-al-Roosevelt (avec accompagnement de calomnies), tournées dont beaucoup de bien sortit pour la ville de New-York. C’est au cours de l’une d’elles que Riis le conduisit dans le logement de police où, vingt-cinq années auparavant, pauvre petit émigrant sans asile, il avait été traité avec la dernière cruauté par un sergent qui lui tua son seul ami, son chien. Montrant un jeune garçon de la campagne étendu sur la planche gluante qui lui servait de lit :

— J’étais, dit-il, comme celui-là.

Peu après, ordre fut donné de supprimer ces antres.

Il y eut des protestations, mais le reporter, taillant sa meilleure plume, prouva que la police n’avait pas à se mêler de ce qui était l’affaire de la charité publique et privée, des églises surtout ; que pour protéger et guérir les vagabonds adolescens, il suffirait d’ouvrir une école n’ayant rien de commun avec la maison de correction, une ferme-école de préférence. Les vieux fainéans incorrigibles n’avaient qu’à quitter New-York pour les villes où l’aumône et notamment les distributions de soupe ont encore cours, entretenant l’oisiveté. Riis n’admet la charité que méthodiquement organisée, sauf aux fêtes de Noël, où toutes les saintes extravagances lui paraissent permises. On se dédommage alors d’une contrainte nécessaire. — Et, ajoute-t-il (nous l’en croyons sans peine), j’ai souvent trouvé le temps long d’un Noël à l’autre.

Cet homme si simple peut se vanter d’avoir contribué à désorganiser Tammany et prêté main-forte dans la mesure de ses moyens à d’excellentes réformes auxquelles le nom de Roosevelt, comme chef de la police et comme gouverneur de New-York, reste attaché. Riis a d’autant plus le droit d’affirmer son dévouement enthousiaste à celui qui devait devenir Président des États-Unis que ce dévouement ne lui a jamais rien rapporté. Personne n’a plus rigoureusement que lui vécu de sa plume, au risque d’encourir le mépris du monde des politiciens. Quand, dans l’intérêt de son métier, il accompagna Roosevelt à Washington, où se préparait la guerre contre l’Espagne, on conclut qu’il avait accepté enfin un emploi considérable, mais il revint tranquillement reprendre sa place au bureau de police de Mulberry Street ; ce fut une stupeur générale. De même, des années auparavant, lorsque sa clairvoyance lui avait fait découvrir les causes d’une épidémie de choléra et obtenir ainsi des millions de dollars pour sauver de la contamination des égouts les eaux de New-York, certaines personnes ne manquèrent pas de lui demander : — Qu’avez-vous tiré de tout cela ?

En répondant la vérité : — Rien ; — il passa pour un menteur ou pour un imbécile. Mais il a l’estime des honnêtes gens, qui lui attribuent une bonne part des progrès accomplis durant les dix dernières années par le Tenement house Committee, le comité des logemens d’ouvriers, auquel le poète Richard W. Gilder a si noblement attaché son nom. Le Bend est effacé de la carte ; un parc public couvre l’emplacement de cette fameuse Courbe, de si triste mémoire ; la vieille geôle, dans les étroites cellules de laquelle étaient entassés les condamnés, a fait place à une prison sur les nouveaux modèles ; les logeurs qui ouvraient des garnis au commerce du vice, moyennant une augmentation de loyer, sont expulsés en grand nombre et d’ailleurs fort gênés pour leur trafic ; une loi votée l’hiver dernier envoie la femme en prison et condamne le propriétaire à une amende de 5 000 francs. La mortalité a baissé considérablement dans les quartiers pauvres. Combien est-il consolant de voir qu’une poignée d’hommes et de femmes, sans autre autorité que leur bon renom et un manque absolu d’égoïsme, arrivent à de pareils résultats ! La campagne du comité Gilder commença en 1894 ; dans toutes les villes des Etats-Unis, de semblables efforts sont tentés par les âmes généreuses, qu’on appelle Félix Adler, le docteur Rainsford, Jane Addams, le Père Doyles, Joséphine Shaw Lowell, J. H. Schiff, Robert de Forest, Lymann Abbott, et tant d’autres dont le mérite est égal, et que cite à chaque instant Jacob Riis en se mettant humblement à leur suite. L’énumération de ces noms de capitalistes, de banquiers, de prédicateurs, de publicistes, de femmes dévouées, véritables sœurs de charité laïques, ne représente rien pour nous ; mais, dans leur pays, ils sont « le levain fait qui lever la pâte » si lourde, si grossière qu’elle puisse ; être.

Ce qui nous touche particulièrement, c’est la tendresse témoignée aux enfans des pauvres par cet excellent père de famille, l’ex-Danois devenu Américain en vertu des services sans nombre qu’il rendit gratuitement à l’Amérique. Il a senti avec une acuité singulière l’impuissance de l’émigrant craintif et dépaysé, impuissance à élever ses petits, nés au milieu de nouveaux horizons, de nouvelles mœurs, de nouveaux usages, de nouvelles lois, dans la nouvelle patrie. Son but a été sans cesse de secourir ces épaves humaines qui demain seront des citoyens. Il n’y a pas longtemps qu’un tiers des petits Italiens, empilés dans des baraques ouvertes aux seules épidémies, mourait faute d’air et de soleil : Riis n’eut pas de repos avant d’avoir fait entrer l’un et l’autre dans ces quartiers déshérités. Il s’est constitué l’avocat des droits naturels de l’enfance et a conquis pour toutes les écoles un terrain de récréation ; il a lancé sa première supplique pour que, dans les prisons d’enfans, les simples vagabonds ne fussent pas confondus avec les criminels, car les enfans criminels, produit d’un milieu corrompu, sont plus nombreux qu’ailleurs dans les grandes villes d’Amérique. On peut être récidiviste, incendiaire, avant douze ans, capable à quatorze de tous les pires forfaits ; et les enfans arrêtés étaient parqués ensemble par rang de taille, un gamin convaincu seulement d’avoir fait l’école buissonnière côtoyant les voleurs de profession. Un article de Jacob Riis, qui expliquait la propagande du crime par l’exemple de la rue et l’effet de la prison, fit beaucoup de bruit et mit fin à une classification absurde autant qu’abominable.

Il fit le tableau saisissant de l’immonde garni chauffé au pétrole dont l’odeur s’ajoute à des odeurs de cuisine innomables, jusqu’à suppression complète de l’oxygène ; il montra les murs et les planchers grouillans de vermine ; l’escalier gluant sur les marches duquel, tout étant plein de la cave au grenier, couchent de malheureux êtres qu’on pourrait prendre pour des tas de guenilles. Le courant d’air, qui est censé assainir, ne sert qu’à redoubler la puissance des terribles incendies, déchaînés plus souvent qu’ailleurs dans ces ruches humaines. Trois mille individus habitent pêle-mêle un seul pâté de maisons, les bâtimens séparés entre eux par des cours étroites, autant de réceptacles d’ordures. Il meurt à peu près un bébé sur cinq. Ceux qui survivent s’échappent dans la rue dès qu’ils peuvent marcher, et la rue est défavorable à la formation des caractères, laquelle exige un bon terrain, la rue ne recèle que des égouts. Tous les amusemens naturels à son âge que le gamin du slum trouve sur la voie publique sont nécessairement qualifiés de délits. S’il ne se moquait pas de la loi qui lui défend de s’y livrer, il ne serait pas un garçon. La contravention le tente d’ailleurs par un certain côté héroïque, du seul héroïsme qui soit à sa portée. Il brave l’agent de police, c’est amusant ; il brave la loi, qu’il estime peu, car déjà il sait que, malgré celle qui défend l’exploitation de l’enfance, il suffit de payer vingt-cinq sous pour obtenir un faux certificat d’âge ; il sait que la défense affichée dans chaque estaminet, dans chaque bureau de tabac, de lui vendre des liqueurs ou des cigarettes est annulée pour de l’argent ; mensonge que tout cela ! L’enfant ment, lui aussi, pour se défendre, et il s’associe à une bande pour être le plus fort. Ses parens n’ont sur lui aucune autorité. Comment en auraient-ils ? Le père est Italien ou Juif, c’est à peine s’il peut balbutier la langue qui est la langue maternelle de son fils. Point d’école, point de catéchisme, point de jeu, cette indispensable soupape de sûreté. Que deviendra le pauvre petit diable ? Les vols, l’ivrognerie, les rixes le conduiront peut-être à la prison, voire à la potence ; on ne peut s’étonner que d’une chose, c’est que sa carrière n’ait pas plus souvent une issue tragique. Mais après ?… Fût-il pendu, les comptes ne sont pas réglés entre lui et la société, qui, malgré les apparences, existe pour assurer une part équitable à chacun de ses membres.

L’école des vagabonds, que réclamait Jacob Riis en guise de remède, fut créée. On s’exalta sur la prétendue théorie scientifique de l’auteur au sujet des criminels précoces, sur son enseignement favori : que ce sont les hommes et non pas les milliards qui font les grandes nations, et que des enfans sans joie ne seront jamais de bons citoyens.

« En réalité, dit-il, je me bornais à citer des choses vues ; le public a tiré ses conclusions. »

Dans un pays où le club est à tous les rangs un besoin social, il est aisé de transformer l’horrible « bande » dont Jacob Riis nous a donné la genèse en association inoffensive, tant qu’il s’agit de simples gamins des rues. Mme Riis prit la plus heureuse influence sur une bande de cette espèce en y entrant elle-même comme membre honoraire. Bien entendu, elle s’attira cette distinction par ses largesses, après quoi elle devint la confidente de mauvais tours nombreux quelle sut contenir dans de justes limites. J’ai eu l’occasion de parler ailleurs du zèle qu’apportent beaucoup de dames à former des « brigades » qui finissent par se gouverner sagement elles-mêmes. Jacob Riis nous raconte comment une trentaine de vauriens furent si bien disciplinés qu’à la fin d’une année ils demandèrent à leur bienfaitrice comme récompense de les emmener à l’office solennel de Pâques. Quelques-uns seulement manquèrent au rendez-vous, ayant été saccager un champ de pommes de terre, ce qui pouvait leur servir d’excuse, et, à distance, le plus jeune de tous, jurait et trépignait de colère : ses camarades l’avaient trouvé trop déguenillé pour lui permettre d’aller à l’église. Autorisé à entrer quand même, le petit malheureux assista au service divin en étouffant ses derniers sanglots au milieu des vingt-sept membres « respectables » de sa bande. La civilisation avait vaincu. Ce sont ces victoires qui font la joie et l’espérance de Jacob Riis.

Dans un réduit sordide où végétaient de pauvres enfans peu accoutumés aux cadeaux, il dressa un arbre de Noël. Trois semaines après, l’arbre verdoyait encore, debout dans un coin de la chambre : — J’ai eu bien envie de le brûler du froid qu’il fait, dit la mère, dont le mari était à l’asile des aliénés, mais je n’ai pas pu. C’est si gai de l’avoir là !

— Mon arbre, ajoute Jacob Riis, avait produit les fruits que je souhaitais.

Il saisit ainsi toutes les occasions de consoler en moralisant, et il s’entend à les faire naître. Ses propres enfans ont un jour l’idée de le charger, pour les petits pauvres, de bouquets cueillis dans les champs. L’idée lui paraît heureuse et, le soir même, un soir de juin, il écrit dans son journal : « Les trains, qui amènent chaque matin des milliers d’individus de la banlieue qu’ils habitent aux magasins et aux bureaux de New-York, passent par des campagnes en fleur que les yeux des enfans pauvres n’ont jamais vues. Dans les logemens fétides de la grande ville, l’été est la pire des saisons ; il répand la maladie et la mort. Combien d’yeux se fermeront sans s’être jamais reposés sur un champ de trèfle ou de marguerites ! Si nous ne pouvons leur donner les champs, pourquoi ne pas leur donner les fleurs ? Que chaque voyageur parti de la campagne, homme, femme ou enfant, apporte une gerbe de fleurs sauvages. Ce sera une œuvre de charité qui en vaudra beaucoup d’autres. Les bouquets seront reçus au bureau de police de la Tribune. »

Il eut presque lieu de regretter ce dernier paragraphe, car les fleurs arrivèrent par charretées ; c’étaient des caisses, des tonnes, des bourriches, des paniers expédiés souvent de loin. La police crut à une émeute. La populace assiégeait le bureau des agens portèrent sur différens points de la ville cette moisson odorante dont la distribution arrêtait les cris des enfans et amenait un sourire sur des visages désespérés. Les Italiens eux-mêmes interrompirent leurs querelles pour « maintenir l’ordre, » et un bon prêtre catholique improvisa le plus aimable quatrain en l’honneur des « pâquerettes pacificatrices qui, sans paroles, exhalent un message d’amour et charment le rude labeur de leurs frères, nés de la terre comme elles… »

Une vision de beauté passa, ce printemps-là, sur les slums. Elle s’est renouvelée depuis, et de la fête annuelle des fleurs est sortie une « colonie sociale, » dirigée par de pieuses femmes qui ont donné au settlement, comme on appelle ces admirables foyers de bon voisinage en pays anglo-saxons, le nom de Jacob Riis. Plusieurs médecins y sont attachés ; trois cents familles y trouvent des secours intelligens de toute sorte. Ce sont les fleurs qui ont commencé. Devant elles s’ouvrirent toutes les portes.

Certes il existe encore, il existera toujours dans les capitulas le problème de la misère, mais l’élan est donné pour le résoudre ; on sait où l’on va. C’en est fait de beaucoup d’abus.

— C’en est fait de moi aussi, ou il s’en faut de peu, ajoute sans mélancolie Jacob Riis, avec le sentiment qu’a le bon ouvrier entrevoyant la fin d’une journée bien remplie.

Son travail acharné de conférencier, de publiciste, de reporter aux aguets l’a en effet usé avant l’âge et, pendant un dernier séjour en Danemark, l’aile de la mort l’a effleuré de très près. En même temps, à la crainte qu’il éprouva de laisser ses os dans un pays qui n’est pas celui de ses enfans, au réconfort soudain que lui causa le passage d’un navire qui portait éployé le drapeau des États-Unis, à la soif du retour dans sa maison de Brooklyn, il sentit qu’il était une fois pour toutes devenu Américain.

Le bon roi Christian, lors d’une certaine audience que son ancien sujet a racontée avec la plus touchante émotion, l’entendit expliquer comment on s’attache à une nouvelle patrie sans oublier pour cela la première. Et Sa Majesté comprit sans doute que, là-bas, les Danois transplantés lui faisaient honneur, car il envoya au plus Américain d’entre eux la croix du Danebrog. Il est vrai que Jacob Riis lui avait offert naïvement la seule décoration que, pour sa part, il ait jamais portée, une petite croix d’argent portant l’inscription : En son nom. C’est l’insigne d’une association charitable à laquelle il se donne de plus en plus, The King’s Daughters, les Filles du Roi[4], du seul roi que puisse reconnaître une République, celui qui règne dans les cieux.

Je sais bien que, parmi cette moitié de la société d’outre-mer dont ne s’occupe pas Jacob Riis, il y a des esprits hautains qui trouvent son autobiographie à la fois vulgaire et sensationnelle, d’assez mauvais goût au demeurant. Certes la besogne accomplie par cet athlète de la cause sociale ne fut jamais compatible avec des manchettes de dentelle ; il retrousse volontiers ses manches, au contraire, pour de gros ouvrages : nettoyer à tour de bras, raccommoder, redresser tout ce qui va de travers, assainir coûte que coûte l’atmosphère morale. Ni poète, ni philosophe, ni homme du monde surtout. Il a toujours esquivé le plus possible les honneurs, les distinctions qui sont venus le chercher. Présidence des congrès, places en évidence dans les conventions de toute sorte, tant aux Etats-Unis qu’à l’étranger, il redoute, il fuit tout cela, ayant autre chose à faire d’abord, et puis n’étant point, il le reconnaît d’un ton de bonne humeur, suffisamment décoratif ! Mais ce n’est pas en affectant les dédains et les préjugés des sociétés vieillies que la République américaine se montrera vraiment grande, et nous ne pouvons que lui souhaiter d’emprunter à l’Europe beaucoup de citoyens de la trempe de Jacob Riis.

Ce simple reporter de police aura prouvé aux gens de tous pays comment un métier, quel qu’il soit, peut être relevé par le caractère. Il leur aura enseigné, en outre, comment on devient un homme heureux ; mieux encore, à l’en croire : le plus heureux des hommes[5].


TH. BENTZON.

  1. Les Petits Bourgeois, par Maxime Gorki.
  2. The Outlook, New-York, mars 1901. The Making of un American, a paru depuis illustré ; 2 vol. Macmillan.
  3. Le mot est d’un ecclésiastique, le docteur Parkhurst, qui entra résolument dans les vues nouvelles, au grand scandale de quelques-uns de ses collègues.
  4. Les colonies sociales de l’Association populaire des King’s Daughters couvrent l’Amérique comme d’un réseau de bonnes œuvres.
  5. Un nouveau livre, presque aussi personnel que celui dont nous venons de rendre compte, a paru récemment : The Battle with the Slum, C’est toujours la même lutte contre les mauvaises influences des quartiers pauvres. Jacob Riis assure qu’ils se sont améliorés pendant les trois dernières années plus qu’ils ne l’avaient fait en trente ans.