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Commentaire sur Des Délits et des Peines/Édition Garnier/1

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I.
occasion de ce commentaire.

J’étais plein de la lecture du petit livre Des Délits et des Peines[1], qui est en morale ce que sont en médecine le peu de remèdes dont nos maux pourraient être soulagés. Je me flattais que cet ouvrage adoucirait ce qui reste de barbare dans la jurisprudence de tant de nations ; j’espérais quelque réforme dans le genre humain, lorsqu’on m’apprit qu’on venait de pendre, dans une province, une fille de dix-huit ans, belle et bien faite, qui avait des talents utiles, et qui était d’une très-honnête famille.

Elle était coupable de s’être laissé faire un enfant ; elle l’était encore davantage d’avoir abandonné son fruit. Cette fille infortunée, fuyant la maison paternelle, est surprise des douleurs de l’enfantement ; elle est délivrée seule et sans secours auprès d’une fontaine. La honte, qui est dans le sexe une passion violente, lui donna assez de force pour revenir à la maison de son père, et pour y cacher son état. Elle laisse son enfant exposé, on le trouve mort le lendemain; la mère est découverte, condamnée à la potence, et exécutée.

La première faute de cette fille, ou doit être renfermée dans le secret de sa famille, ou ne mérite que la protection des lois, parce que c’est au séducteur à réparer le mal qu’il a fait, parce que la faiblesse a droit à l’indulgence, parce que tout parle en faveur d’une fille dont la grossesse cachée la met souvent en danger de mort ; que cette grossesse connue flétrit sa réputation, et que la difficulté d’élever son enfant est encore un grand malheur de plus.

La seconde faute est plus criminelle : elle abandonne le fruit de sa faiblesse, et l’expose à périr.

Mais parce qu’un enfant est mort, faut-il absolument faire mourir la mère ? Elle ne l’avait pas tué ; elle se flattait que quelque passant prendrait pitié de cette créature innocente ; elle pouvait même être dans le dessein d’aller retrouver son enfant, et de lui faire donner les secours nécessaires. Ce sentiment est si naturel qu’on doit le présumer dans le cœur d’une mère. La loi est positive contre la fille dans la province dont je parle ; mais cette loi n’est-elle pas injuste, inhumaine, et pernicieuse ? Injuste parce qu’elle n’a pas distingué entre celle qui tue son enfant et celle qui l’abandonne ; inhumaine, en ce qu’elle fait périr cruellement une infortunée à qui on ne peut reprocher que sa faiblesse et son empressement à cacher son malheur; pernicieuse, en ce qu’elle ravit à la société une citoyenne qui devait donner des sujets à l’État, dans une province où l’on se plaint de la dépopulation.

La charité n’a point encore établi dans ce pays des maisons secourables où les enfants exposés soient nourris. Là où la charité manque, la loi est toujours cruelle. Il valait bien mieux prévenir ces malheurs, qui sont assez ordinaires, que se borner à les punir. La véritable jurisprudence est d’empêcher les délits, et non de donner la mort à un sexe faible, quand il est évident que sa faute n’a pas été accompagnée de malice, et qu’elle a coûté à son cœur.

Assurez, autant que vous le pourrez, une ressource à quiconque sera tenté de mal faire, et vous aurez moins à punir.




  1. Le livre Des Délits et des Peines, composé en italien par le marquis de Beccaria, fut, dès 1706, traduit en français par l’abbé Morellet. Il en existe d’autres traductions françaises.